Dans les religions et les philosophies qui ont influencé l’Ikebana, le vide a une importance primordiale. On le retrouve dans les compositions à différents niveaux. Dans la culture occidentale, le vide a une valeur négative, de carence, qui peut mettre mal à l’aise (esprit vide, estomac vide, vie vide, sentiment de vide) mais au Japon et en Chine, il a une valeur positive.  Pour comprendre cette valeur, il peut être utile de rapprocher ce concept de vide à celui que nous connaissons mieux, le silence (c’est-à-dire le vide de sons) qui évoque pour nous un sentiment de paix, de calme, de sérénité, sans bruit ni perturbation :

« L’appel d’un oiseau,

Le grondement d’une hache,

Le calme de la montagne devient plus profond,

la paix et la tranquillité de la montagne grandissent ».

 

 

Poésie Zen chinoise d’un auteur anonyme.

 

Autour de l’arrangement.

L’arrangement est traditionnellement placé dans le tokonoma, vide par définition, ou aujourd’hui, dans un endroit de la maison entouré de vide c’est-à-dire dégagé de tout objet susceptible de détourner l’attention.

 

 

Autour des différents éléments d’un arrangement.

Le vide permet non seulement de voir les éléments pris individuellement mais il rend mieux compte des concepts si importants du bouddhisme tels que l’asymétrie, l’harmonie et le rythme. Pour le bouddhisme, chaque élément d’une composition n’a pas de consistance propre, ni de signification particulière. Il ne les obtient qu’en relation avec les autres éléments.

Les relations existantes entre les dimensions des plantes, à la fois entre elles et avec celles du contenant, mettent en évidence une interdépendance. Pour le bouddhisme, aucun être ou phénomène n’existe en soi mais seulement au regard d’autres êtres ou phénomènes. Tout dans le monde se révèle en réponse à certaines conditions ou certaines causes.

Dans le système symbolique appelé Ciel-Homme-Terre qui n’est plus utilisé, les trois principaux éléments de la composition Shōka et Seika mettent en évidence ces relations.

© École Ohara

 

Autour des plantes elles-mêmes : exemple avec une branche d’érable.

 

 

Le matériel superflu est retiré en partant des branches latérales jusqu’aux feuilles et fleurs en surplus. Sur les branches, laissez une alternance irrégulière entre espaces vides (sans feuille) et espaces pleins. Les végétaux doivent avoir des volumes différents.

 

 

 

La méthode de retrait du superflu dans l’Ikebana s’inspire de la méthode utilisée en peinture. Dans ce détail du tableau d’Eikyu Matsuoka (1881-1938) intitulé « Dames de la Cour en robes de printemps », les branches de pin et celles en fleurs ne sont pas peintes telles qu’elles apparaissent dans la nature.

Le pin n’a que les nouvelles touffes apicales sans les anciennes aiguilles tandis que les fleurs sont peintes comme si elles étaient idéalement « éclaircies » comme nous le faisons dans un arrangement afin que chaque branche et chaque fleur soient clairement visibles.

 

Dans cet exemple d’Ogata Kōrin, l’azalée n’est pas peinte aussi épaisse que dans la nature mais idéalisée en ne gardant que l’essentiel, sans superflu, et en maintenant un équilibre optimal des « forces » entre les branches/Yang et les fleurs-feuilles /Yin.

 

Un autre exemple avec des branches.
 

 

 

 

 

© École Ohara

 

 

 

Le vide à l’embouchure du vase

 

 

 

 

 

Dans le Rikka et le Shōka, toutes les compositions émergent d’un seul point central (qui deviendra central ou latéral dans le Seika), laissant le reste de l’embouchure du vase VIDE.

Les plantes qui sortent de l’eau sont complètement dépouillées de feuilles et de branches latérales sur les premiers centimètres (Voir Article 58, L’importance d’un point de croissance unitaire de la composition).

 

Style Heika Chokuritsu-kei (vertical) vu de face, où le vide est caché par les végétaux et vu de profil où le vide est évident.

 

Pour l’École Ohara, l’espace vide à l’embouchure du vase, bien que non visible de face car recouvert de végétaux, est conservé dans les vases hauts. Les végétaux ne sortent que d’1⁄4 de l’embouchure laissant les 3⁄4 restants vides.

 

 

 

 

© École Ohara

 

 

 

 

 

 

 

Dans des bassins, bien que variable selon les saisons, la zone libre avec seulement de l’eau est importante.

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

En résumé, Le Vacuum autour des plantes met en évidence à la fois les caractéristiques individuelles des plantes et leurs relations mutuelles qui sont si importantes dans le bouddhisme.

Comme l’écrit G. Pasqualotto dans l’Esthétique du vide :

Réduire la quantité des éléments augmente la possibilité et l’intensité de percevoir leurs valeurs, c’est-à-dire que le vide produit une privation quantitative pour produire une richesse qualitative.

La minimisation des éléments correspond à une expression maximale de leurs qualités et, par conséquence, les conditions pour un maximum d’intensité perceptive sont produites.

 

Le vide dans les dessins.

 

Watanabe Seitei (1851-1918)

 

Deux paravents de Maruyama Ōkyo (1733 – 1795)`

Glace craquelée, 1780

Canards sur la plage