Les archives historiques montrent que l’Ikebana, avec une structure basée sur des règles, est né pendant la période Muromachi (1333-1568) grâce au mécénat des Shoguns Ashikaga.

 

Le troisième Shogun Yoshimitsu promeut les arts que nous connaissons sous le nom de « Arts traditionnels japonais ».

 

Lorsqu’il prend sa retraite en tant que Shogun, il construit et s’installe dans le pavillon d’or à Kitayama = Yama/colline de Kyta, dans la banlieue nord de Kyōto.

 

Ci-contre : Ashikaga Yoshimitsu, (1358-1408).

 

 

Nous disposons de nombreux récits traditionnels de l’École Ikenobō portant sur la naissance de l’Ikebana. En revanche, la documentation historique sur le sujet est pauvre car les historiens actuels, qui connaissent encore peu l’Ikebana, se sont jusqu’à présent investis de manière limitée.

 

 

 

L’une des caractéristiques de cette période est ‘Basara’ (terme signifiant ostentation, excès, extravagance, (Voir Article 70, Esthétique Basara et Ikebana).

Le début de l’Ikebana commence avec les samouraïs Basara tels que Sasaki Dōyo (1306-1373) qui est un Shugo au service administratif du premier Shogun Ashikaga Takauji. Sasaki Dōyo raconte, dans ses journaux, le raffinement des divertissements de l’aristocratie guerrière. Les gens exhibent le Tatebana, s’affrontent pour citer des poèmes ou deviner les noms des parfums brûlés dans les brûle-parfums. Ils se concurrencent également pour deviner l’origine des différents thés servis avec du saké et de la nourriture délicieuse.

Sasaki Dōyo écrit également un livre sur le Tatebana « Tatebana Kuden Daiji ».

Ci-contre : Pavillon d’or d’Ashikaga Yoshimitsu.

 

NB : Aujourd’hui le kanji Tatebana se lit Rikka (Voir Article 54, Évolution de l’Ikebana dans la lecture des Kanji).

 

Le neveu du Shogun Yoshimitsu, Yoshimasa (1435-1490), 8ème Shogun, porte cet art à son plus haut niveau et le rend « typiquement japonais ». Lorsqu’il se retire comme Shogun, il fait lui aussi construire une résidence : le Pavillon d’Argent, dans le quartier de ​​Kyōto appelé Higashiyama = colline de Higashi/Est.

 

Ci-contre : Pavillon d’argent, Kyōto.

Ci-dessous : Ashikaga Yoshimasa.

 

15 autres Shoguns Ashikaga se succèdent à l’époque Muromachi mais l’importance du 3ème Shogun Yoshimitsu (shogunat de 1368 à 1394) et du 8ème Shogun Yoshimasa (shogunat de 1449 à 1473) est telle que la culture de toute cette période se divise en deux parties qui tirent leur nom de leurs résidences :

Culture Kitayama : résidence de Yoshimitsu, 3ème Shogun. 

Culture Higashiyama : résidence de Yoshimasa, 8ème Shogun.

 

Dans la hiérarchie militaire de l’époque, il est impossible à un militaire de classe inférieure au Shogun d’être plus instruit que le Shogun lui-même, de sorte que les Ashikaga emploient plutôt des Dōbōshῡ (préposés). Il s’agit, pour la plupart, de moines bouddhistes d’origine modeste qui prononcent des vœux mais n’entrent pas définitivement dans un monastère. Même moines, ils conservent leur mode de vie d’avant, par exemple, s’ils sont mariés, ils continuent de vivre dans leur maison avec leur femme et leurs enfants. Ce sont des moines laïcs et, bien qu’ils aient la tête rasée comme les autres moines, ils sont vêtus de couleurs vives (alors que les moines bouddhistes sont en noir), peuvent porter des épées à l’intérieur du palais shogunal. Ce sont aussi des hommes cultivés, les chefs culturels de l’époque.

 

Au début de la période Ashikaga, la plupart des Dōbōshῡ appartiennent à la secte Ji, fondée par le moine Ippen au milieu des années 1200. Dès l’origine de la secte Ji, diverses tâches leurs incombent : accompagner le Daimyō dans les batailles avec la responsabilité de soigner les blessés, de réciter des prières pour les morts, de rendre les morts aux clans et de remettre l’armure du défunt. Les Dōbōshῡ se reconnaissent par leur nom se terminant par ‘ami’, en l’honneur du Bouddha Amida (Voir Article 33, Ikebana et histoire : périodes Muromachi (1336-1573) et Azuchi Momoyama (1573-1603).

En temps de paix, leurs tâches sont de divertir les samouraïs avec des concours de poésie, des cérémonies du thé et de l’encens, organiser les invitations et s’occuper des invités. Au fil du temps, les tâches de «divertissement culturel» prennent le pas sur les autres et ils deviennent les serviteurs exclusifs des Shoguns Ashikaga.

 

Les Dōbōshῡ sont aussi les arbitres du goût et conseillers esthétiques des Shoguns. Chacun d’eux est expert dans l’une des diverses formes d’art de l’époque, poète, connaisseur de parfums, peintre, ikebaniste, créateur de jardin, conservateur et restaurateur d’objets précieux de la collection artistique shogunale (comme les fameux «trois ‘ami», grand-père-père-fils No’ami, Gei’ami, So’ami). Leur culture devenue dominante et parrainée par les Ashikaga permet à la classe des samouraïs de sortir de sa position culturelle subordonnée à la cour impériale, seule source de culture jusqu’à cette période historique.

Certains Dōbōshῡ sont chargés de répertorier et de cataloguer les collections privées des Ashikaga dont la majorité est d’origine chinoise, céramiques, laques, peintures et dessins. Leurs tâches comprennent aussi la préparation des salles de banquet pour les invités du Shogun, en les décorant de « pièces chinoises rares » ‘Karamono’ (Kara = Chine, Mono = choses) de la collection shogunale.

 

 

 

Peinture montrant l’affichage de certains « Karamono » (= objets raffinés d’origine chinoise), parmi lesquels des vases chinois qui ne contiennent pas encore de plantes.

La passion de Yoshimitsu pour les objets chinois liée à la réouverture du commerce avec la Chine, inactif depuis l’époque Heian, fait qu’il accepte pour s’en procurer, d’être vassal en 1403 de Yongle, 3ème empereur de la dynastie chinoise Ming, lequel le nomme Roi du Japon, probablement parce qu’il ne connait pas encore l’existence d’un empereur.

 

Pendant le shogunat du 8ème Ashikaga, Yoshimasa (1435-1490), on commence à présenter, lors des réceptions, une triade de peintures sacrées (kakemono) accrochées au mur principal et des objets exposés sur des étagères. kakemono central représente toujours Bouddha. À ses pieds, se trouve un petite table surélevée (Oshi-ita) avec les « trois objets sacrés » ‘Mitsu-Gusoku’ : un brûle-parfum, un bougeoir et un vase à fleurs (le vase étant beaucoup plus important que les fleurs).

 

 

 

Dessin daté de 1160 montrant un temple de la secte bouddhique Shingon fondée par Kukai (774-835) dans lequel cinq kakemono sont exposés avec cinq petites tables et des brûleurs d’encens devant eux.

 

Le Dōbōshῡ transpose la façon d’organiser le kakemono d’un lieu sacré à la résidence laïque du Shogun.

 

Cette façon de disposer les 3 ou 5 kakemono existe depuis longtemps mais uniquement dans un environnement religieux. C’est à partir de cette pratique, formalisée dans la seconde moitié du XVe siècle sous le patronage du 8ème Shogun Ashikaga Yoshimasa, que débute l’Ikebana avec des règles de composition. L’ensemble, la petite table avec les trois objets sacrés, devient le tokonoma. En même temps, les vases avec des fleurs deviennent de plus en plus importants et les compositions plus structurées. D’un seul vase, on passe à 3 ou à 5 vases dans de grands tokonoma et dans des situations plus formelles.

 

Au fil du temps, le brûle-parfum et le chandelier perdent de leur importance et ne sont plus placés dans le tokonoma, ne laissant subsister que 3 vases dont le contenu végétal est structuré selon les règles qui régissent encore aujourd’hui la construction d’un Ikebana.

Au début, des vases importants sont exposés pour leur beauté tandis que les fleurs jouent un rôle secondaire. Ensuite, les fleurs prennent plus d’importance et les vases, choisis en fonction des plantes, sont fabriqués spécifiquement pour contenir les plantes du Tatebana/Rikka.

 

 

 

Arrangement Hon-Gatte.

Comme expliqué dans l’Article 5, Relation entre l’Ikebana et environnement, la définition des compositions «main droite » ‘Hon-Gatte’ et « main gauche » ‘Gyaku-Gatte’ est associée à la position des arrangements dans le tokonoma par rapport à la peinture centrale représentant Bouddha.

 

 

 

Arrangement Gyaku-Gatte.

On retrouve l’importance des « trois ou cinq objets sacrés » (Mitsu/Go-Gusoku) dans ce dessin daté de 1630 intitulé Arrangement formel de la nourriture pour shoguns, daimyo, nobles et empereur.

 

Cette « naissance » de l’Ikebana s’est produite progressivement durant la seconde moitié des années 1400. Placer des fleurs devant les autels est une pratique courante dans toutes les religions. Mais arranger principalement des branches avec peu de fleurs, de façon structurée et avec des règles, ne se passe qu’au Japon. Les offrandes de fleurs à Bouddha se font dans tout le monde bouddhiste mais du 6ème siècle, lors de l’introduction du bouddhisme au Japon, jusqu’au milieu des années 1500 (soit près de 900 ans), il n’y a pas de source historique décrivant des fleurs ou des branches disposées dans des vases selon des règles. Les formes « structurées » d’Ikebana (Tatebana) n’apparaissent qu’au milieu des années 1400, en même temps que l’apparition du tokonoma.

L’Ikebana naît donc dans un contexte « séculier » ou profane, dans les demeures du Shogun et de la noblesse guerrière où le Bouddha peint sur le kakemono n’est pas utilisé comme un autel devant lequel on vient prier réellement. L’Ikebana sert surtout à valoriser les objets exposés.

Suivant le syncrétisme religieux japonais, les Shoguns Ashikaga adhèrent personnellement à diverses sectes bouddhiques en plus du shintoïsme, sans être liés à aucune en particulier. Les différents moines à leur service sont choisis moins pour la secte bouddhique qu’ils suivent que pour leur compétence dans les divers domaines artistiques intéressant le Shogun.

 

 

 

De l’union des Oshi-ita, tables surélevées sur lesquelles sont posés les trois ou cinq objets sacrés (‘Mitsu/Go-Gusoku’), naissent le tokonoma et l’Ikebana qu’il contient.

 

Ci-contre : deux Rikka plus grands que les statues.

 

À l’exception des Rikka sur le côté du Grand Bouddha de Nara élevé par Hideyoshi (1537-1598), (qui après tout ont été faits en son honneur et non en l’honneur du Bouddha), il n’y a pas de description d’Ikebana sur les autels d’aucune secte de courant bouddhique. Même les Ikenobō n’ont jamais mis d’Ikebana dans le Rokkakudō mais toujours dans d’autres bâtiments. L’Ikebana, dont la naissance est historiquement démontrée, apparait et devient un art principalement de la sphère profane des Shoguns Ashikaga : décoration et agencement (Kazari) des objets précieux (Karamono).