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Il meraviglioso mondo dell'Ikebana - The wonderful world of Ikebana - Le monde merveilleux de l'Ikebana

Monthly Archives: octobre 2022

70. Esthétique Basara et Ikebana

Comme expliqué à l’Article 33 (Ikebana et histoire : périodes Muromachi (1336-1573) et Azuchi Momoyama (1573-1603), l’Ikebana est né avec le tokonoma et avec l’art d’agencer les objets (‘Kazari’), une spécialité des Dōbōshῡ de la secte Ji employés sous le contrôle des Shoguns Ashikaga et dont leur nom se termine par ‘ami.

Sa codification, évoquée dans les nombreux manuscrits qui nous sont parvenus, a d’abord été initiée par les Dōbōshῡ pour le Tatebana puis poursuivie et étendue au Rikka par les Ikenobō après la chute des Ashikaga et la disparition consécutive des Dōbōshῡ.

Si la définition des différentes règles est l’œuvre d’auteurs au moins en partie connus à travers les manuscrits, la création initiale de l’Ikebana est l’œuvre de plusieurs personnages, principalement les moines au service à la fois des Shoguns et des Shugo (administrateurs nommés par le Shogun pour gérer une ou plusieurs provinces) mais aussi de certains Shugo eux-mêmes.

Une caractéristique de cette période historique est le ‘Gekokujō’ (de ‘Koku’ = triomphe,  ‘Ge’ = inférieur, ‘’ = supérieur, signifiant littéralement « le bas l’emporte sur le haut » = les classes supérieures se trouvent dépossédées de leur autorité par les classes inférieures). Sous le terme de Gekokujō, on désigne une catégorie d’hommes de couches sociales inférieures qui a conquis, par la force, des positions précédemment occupées uniquement par la noblesse impériale et qui s’est enrichie très rapidement.

 

Les Shugo/Daimyō Basara, à l’époque des trois premiers Shoguns Ashikaga (période Muromachi), dictent la tendance. Ce sont de riches chefs samouraïs qui ne se conforment plus aux us et coutumes de l’époque. Ils recherchent, tant dans l’habillement que dans la vie, un style raffiné défini par leurs contemporains ‘Basara’. Ce nouveau style est ostentatoire, extravagant avec une préférence pour les pratiques chinoises tant dans les arts que dans la vie.

Amoureux du luxe débridé et de l’exhibition dans des vêtements criards et voyants, souvent d’influence chinoise,  les Shugo accumulent les objets précieux à exposer et adoptent des attitudes arrogantes, effrontées et méprisantes envers tout le monde, y compris envers la cour impériale et les empereurs.

Bien que des édits tels que le code Kenmu émis par le premier Shogun Ashikaga Takauji leurs interdissent spécifiquement les attitudes Basara, leurs comportements «exagérés» non formellement acceptés par le shogunat ne sont cependant pas sanctionnés. En effet, ils sont aussi des commandants militaires chargés de beaucoup d’hommes et d’alliés indispensables dans les combats que mène le shogunat.

 

Même les Shoguns de cette époque sont influencés par l’esthétique Basara. Pendant son shogunat de 1368 à 1394, le troisième Shogun Yoshimitsu Ashikaga (1358-1408) est un exemple. Il invite les convives à boire du thé en les faisant asseoir sur des chaises chinoises de préférence rouges recouvertes de peaux de tigre ou de léopard d’un prix élevé. À ces occasions, il expose les Karamono (objets chinois précieux) tels que vases, tasses, coupes à saké, récipients et kakemono chinois.

Son amour pour les objets chinois associé aux revenus conséquents issus du commerce avec la Chine l’amène à accepter le titre de « roi du Japon » que lui offre la dynastie chinoise Ming qui ignore probablement l’existence d’un empereur japonais.

 

Ci-contre, le portrait de Yoshimitsu Ashikaga vêtu de précieux brocarts.

 

Détail d’un paravent de Kanō Naizen (1570 – 1616) : on peut voir un point de vente d’épées réservées aux samouraïs et de peaux de tigre et de léopard à côté.

 

L’utilisation de peaux de tigre et de léopard est également signalée dans le Sennokuden daté de 1542, le plus ancien texte survivant de l’École Ikenobō écrit par le 28e Iemoto selon la tradition (désormais considérée comme fausse). Senno Ikenobō explique comment meubler l’espace dans lequel est placé le Rikka, entre autres suggestions : « Étendre un tapis chinois ou une peau de léopard ou de tigre  » …………..

 

Pendant presque tout le XIIIe siècle, la mode Basara est suivie par une partie de la population des grandes villes. Dans les paravents et les dessins de cette période, la mode Basara est décrite : coiffures, vêtements, chansons etc. Cette mode est aussi introduite dans la peinture qui utilise des couleurs primaires/fondamentales au lieu des couleurs douces habituelles.

 

Pour se faire une idée de la magnificence des vêtements utilisés par les Shugo/Daimyō Basara, il suffit de regarder les vêtements clinquants encore utilisés aujourd’hui dans le théâtre Nō, forme de théâtre née à cette époque (Ze’ami, supposé en être le codeur, a vécu protégé par le Shogun Ashikaga Yoshimitsu).

 

 

 

Voir aussi les vêtements du créateur japonais Yohji Yamamoto qui, en 1997, relance la mode Basara.

 

Le contraste entre ses vêtements et la mode japonaise actuelle reproduit bien le contraste entre les vêtements Basara et les « normaux » de l’époque.

 

 

 

 

 

 

 

 

L’histoire et divers contes légendaires de chevalerie évoquent divers Shugo/Daimyō ayant adopté l’attitude Basara.

 

Ci-contre, dessin tiré de l’Emakimono Taiheiki, période Edo, montrant Yōrito à cheval tirant des flèches, et près de lui, un ami courant désespérément pour tenter de l’arrêter.

 

Toki Yōrito, un Shugo de la province de Mino, est décrit comme un exemple d’attitude Basara, entre autres, pour son comportement méprisant envers les empereurs. À Kyōto, alors que le char de l’empereur à la retraite Kōgon passe, Yōrito ivre, au lieu de lui céder le passage tire des flèches sur son char. Pour cet acte, il est arrêté et décapité.

 

Le violent

Ko no Moronao (? – 1351), premier ‘Shitsuji’ (député du shogun), à l’époque Muromachi, en tant que général des armées du Shogun.

Réputé violent, il est devenu un personnage d’œuvres théâtrales à la fois de kabuki et de bunraku (marionnettes).

 

Interprétation par l’acteur de kabuki Mitsugoro III.

 

 

 

 

 

Le plus cité, grâce aux informations historiques qui nous sont parvenues, est Sasaki Dōyo Takauji (1296-1373). Moine, poète et Shugo de la province d’Omi, connu pour ses somptueuses cérémonies du thé et compositions de poèmes Renga, il est présenté comme l’archétype Basara.

Il est le plus important des poètes-guerriers pour ses poèmes Renga dont quatre-vingt-un sont contenus dans le Tsukubashū, 1356, première anthologie impériale de Renga.

Sasaki Dōyo Takauji aux goûts très raffinés et expert dans les arts qui deviendront « typiquement japonais » (Tatebana, Waka et poèmes Renga, cérémonie du thé, théâtre Nō naissant) ne connaît aucune autre autorité que la force brute.

Il organise des fêtes pour des centaines d’invités (hommes illustres, prélats, poètes, danseurs et courtisanes) comme la fête ‘Hana no moto’ (sous les fleurs) d’une durée de vingt et un jours avec des concours de poèmes Renga, de chants et de danses (Dengaku et Sarugaku) interprétés par des acteurs professionnels. Les ponts menant à l’événement sont recouverts de feuilles d’or et de tapis précieux disposés sous des cerisiers en fleurs. D’immenses vases en laiton contiennent des fleurs parfumées et d’innombrables encensoirs parfument l’endroit. L’intention est de reproduire le paradis bouddhique de la Terre Pure.

Chaises chinoises et nourritures exotiques sont disponibles en abondance et tous les invités de tout statut social reçoivent des cadeaux luxueux tels que des essences parfumées et des muscs, des tissus précieux «empilés comme des montagnes», des pépites d’or, des sabres dans des fourreaux recouverts de feuilles d’or ou de peau de requin.

 

Non rapporté dans les textes d’Ikebana mais seulement dans les textes historiques, Sasaki Dōyo est aussi un expert en Tatebana à une époque où il n’y a pas encore de règles. Il laisse un manuscrit, daté de 1368 intitulé Tatebana Kuden Daiji, (Comment arranger les végétaux). Les Tatebana sont nés de façon « désordonnée » dans la caste des samouraïs lorsque l’esthétique Basara jouit d’une grande faveur. Par la suite, ils sont codifiés à l’époque du huitième Shogun Tokugawa lorsque cette esthétique Basara, passée de mode, est remplacée par une esthétique plus Zen.

 

Le concept Basara a été repris et adapté. On le retrouve en 2012, par exemple, dans le Sengoku Basara, dessin animé tiré du jeu vidéo Devil King.

 

 

Bibliographie :

Edited by Jeffry P. Mass World : The Origin of Japan’s Medieval

J.Whitney Hall and Toyoda Takeshi : Japan in the Muromachi age

Elison and B. L. Smith : Warlords, Artists and Commoners, Japan in the Sixteenth Century

Sadako Ohki : Tea culture of Japan                                       

Makoto Ueda in Japan

Literary and Art Theories

Sato Kazuhito, Anne Bouchy : “Des gens étranges a l’allure insolite”

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69. Naissance des styles Ikebana

 

Les styles (Kei en lecture On et Kata en lecture Kun) utilisés par l’École Ohara sont tous visibles d’un seul côté, de face, puisqu’ils sont nés et sont restés dans le tokonoma jusqu’à la fin de 1800. Photos © École Ohara.

 

Les Shikisai- Moribana  

 

 

Les Heika

 

 

Tous ces styles ont une origine commune à savoir le style apparu au XVème siècle, le premier dans l’histoire de l’Ikebana dont découlent tous les styles « traditionnels » de toutes les écoles y compris l’équivalent du style Chokuritsu-kei de l’École Ohara.

 

Lorsque les premières formes d’Ikebana sont créées pour être placées exclusivement dans le tokonoma naissant, le schéma compositionnel initial associe des végétaux Yang/Bois comme éléments principaux à des végétaux Yin/Fleurs ou feuilles comme éléments auxiliaires uniquement. L’arrangement composé d’une branche principale Yang/Bois branche persistante ou branche fleurie positionnée au centre à la verticale et entourée, à la base, d’éléments auxiliaires Yin/Fleurs ou herbes s’appelle alors Tatebana. La lecture Kun de son kanji met en évidence la position verticale et droite de la branche principale.

(Voir Article 13, La naissance d’Ikebana d’après les documents historiques, Article 67, Symbolisme de la composition Ikebana dans son ensemble et Article 54, Évolution de l’Ikebana dans la lecture des Kanji).

 

Tatebana, dessins de Kao Irai no Kadensho, 1486, avec l’élément principal branche au centre et à la verticale.

 

 

Au fil du temps, à la branche centrale persistante ou fleurie, sont ajoutées d’autres branches de même espèce ou d’espèces différentes mais toujours uniquement des branches. Se crée alors une hiérarchisation des 7 branches principales comme on peut le voir dans le schéma ci-contre d’un Tatebana à sept éléments attribué à Ikenobō Kazoin daté de 1487.

 

Structuré avec des règles de composition précises, le Tatebana (lecture Kun japonaise) devient Rikka (lecture On chinoise) sans changer de Kanji. La signification inchangée souligne la verticalité de l’élément principal de la composition.

 

 

 

 

Jusqu’à la fin de l’ère Meiji, l’esthétique japonaise répertorie les objets et les situations selon trois subdivisions. Ce système, d’origine chinoise, s’est étendu au Japon (Voir Article 21, Shin, Gyō, Sō).

 

Rikka Shin, formel

Lent, symétrique, important, solennel, imposant.

 

Dès sa première création, le Rikka est construit uniquement avec l’élément principal vertical, droit et central.

Au fil du temps, dans des situations publiques formelles, le Rikka continue d’être composé avec l’élément principal vertical.

Ce type de composition est appelée Shin ou formelle.

 

 

 

 

Rikka Gyō, semi-formel

Entre les deux extrêmes, Shin et Sō.

Dans les situations semi-formelles, les Rikka semi-formels ou Gyō se composent avec l’élément central toujours dans une position verticale mais incurvée.

 

 

 

 

Rikka Sō, informel

Rapide, asymétrique, « décontracté », détendu.

 

Le Rikka, toujours basé uniquement sur la forme verticale, s’utilise dans des situations informelles Sō.

L’arrangement est composé dans des bassins bas rempli de sable désigné Suna no mono,  Suna = sable.

 

Alors que dans les Rikka Shin et Gyō, toutes les plantes sortent toutes regroupées du vase, dans le Suna no mono, le groupe Shu-shi-Fuku-Shi reste uni et compact à la sortie du vase mais le groupe Kyaku-shi peut être séparé.

 

 

Dès le début de la période Edo et d’une manière générale (avec des exceptions spécifiques), toutes les « branches principales » du Rikka sont des branches persistantes ou des branches fleuries y compris pour l’élément que l’École Ohara appelle actuellement Kyaku-shi (qui est fréquemment une fleur ou une feuille herbacée). Les fleurs et les feuilles herbacées ne sont jamais utilisées comme l’une des sept « branches principales ».

 

La bourgeoisie naissante et les Daimyō soumis au séjour obligatoire à Edo commencent à construire les premiers jardins dans leurs résidences et cultivent des arbustes et des fleurs herbacées. Ils se mettent à créer des Rikka, exclusivement dans le style vertical mais avec des fleurs d’une même espèce placées comme « branches principales ». Seuls sont utilisés des iris, chrysanthèmes, lotus, jonquilles, fleurs toutes liées à la tradition, voir arrangements ci-dessous.

 

Suna no mono avec des fleurs uniquement.

 

 

 

Rikka avec des fleurs uniquement.

 

Lotus Chrysanthème

 

Iris Narcisse

 

 

Rikka actualisés, avec des fleurs uniquement.

 

Lotus Chrysanthème

 

Iris Narcisse

 

À l’époque Edo, les Rikka s’exposent principalement dans les demeures de la noblesse shogunale et impériale tandis que la classe riche émergente des Chōnin (chō = ville, marchands-artisans de la ville) se limite aux formes les plus simples d’Ikebana, principalement Shōka/Seika.

Le style prédominant est toujours le vertical « primitif » jusqu’à la fin de la période Edo tant dans le Rikka que dans le Shōka et le Seika.

La plupart des livres d’Ikebana publiés, de la période Edo jusqu’à la fin des années 1800, sont écrits principalement pour le Chōnin. Le Seika et le Shōka présentés sont à dominante verticale quels que soient les contenants, vases hauts, bas ou suspendus et sont conçus pour être placés uniquement dans le tokonoma.

 

 

Dans ces livres, les Seika ou Shōka de style Keisha-kei (incliné) ou de style Kasui-kei (se reflétant dans l’eau) sont relativement peu nombreux.

 

 

De ce style initial avec l’élément principal vertical proche du style Chokuritsu-kei de l’École Ohara, dérivent tous les autres styles apparus à l’époque Edo. À commencer par ce que l’école Ohara appelle le style Keisha-kei puis le style Kasui-kei puis tous les autres styles créés jusqu’à ce jour.

 

Kasui-kei

 

Les règles symboliques créées pour le Rikka « primordial », simplifiées pour les Shōka/Seika et adaptées aux styles apparus plus tard sont toujours appliquées de nos jours dans les arrangement liés à la tradition avec l’élément principal au centre et droit.

C’est en se rappelant ces règles du Rikka « primordial » qu’il est possible de comprendre la symbolique originale que contiennent ces compositions.

Ces symboles sont toujours clairement lisibles dans le style Chokuritsu-kei de l’École Ohara mais plus difficiles à cerner dans les autres styles Keisha-kei, Kasui-kei et Kansui-kei car la position initiale de Shu-shi d’abord puis de celles d’autres éléments principaux ont changé (Voir Article 16, Origine des positions ‘Hon-Gatte’ et ‘Gyaku-Gatte’, Article 17, Composition à gauche et composition à droite et Article 52, Genèse et évolution du style Kansui-kei).

 

Dans les situations formelles, même aujourd’hui, l’arrangement vertical du style initial associé aux principaux objets sacrés Mitsu-Gusoku est préféré comme on le voit sur la photo ci-dessous : deux candélabres et un encensoir accompagnent les arrangements exposés dans le temple bouddhique Ninna, École Shingon, Kyōto.

Les branches persistantes verticales et droites avec quelques fleurs herbacées au centre de la composition sont prédominantes (Voir Article 13, La naissance d’Ikebana d’après les documents historiques).

 

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68. La profondeur dans les compositions traditionnelles d’Ikebana

Jusque dans les années 1930, les arrangements Ikebana sont principalement placés dans le tokonoma, lieu « sacré » de la maison traditionnelle.

Contrairement aux styles créés avant cette période, les formes d’influence occidentale qui apparaissent plus tard sont conçues pour décorer un salon et être posées au centre d’une table, visibles de plusieurs côtés. L’école Ohara suit cette tendance en créant, dans les années 1960, de nouvelles formes dites  « multifaces », visibles de plusieurs côtés. Puis elle les abandonne et les retire de son programme en 2020, à l’exception du Mawaru-katachi (Forme circulaire), toujours au programme.

 

Exemple de composition visible multifaces abandonnée depuis 2020 : Hana-isho Hiraku-katachi. © École Ohara

 

 

En regardant à la fois les gravures, estampes et dessins d’Ikebana créés avant les années 1930, les arrangements composés pour être regardés d’un seul point de vue possible c’est-à-dire de face, apparaissent « plats » sans profondeur. Sans point de repères externe à la composition, il est impossible de comprendre la direction des végétaux et de sentir la profondeur de la composition dans son ensemble (Voir Article 67, Symbolisme de la composition Ikebana dans son ensemble).

 

 

Dans les deux dessins ci-dessus et la photographie ci-dessous de Rikka, il n’est pas possible de comprendre la profondeur des compositions à partir de la direction de chacune de ses branches et tiges. Il semble que toutes sont positionnées sur le même plan.

 

En réalité, les différents éléments de ces compositions sont dirigés à la fois vers l’avant et vers l’arrière ainsi que latéralement, de manière diverse.

 

 

Le schéma ci-contre, montre la projection, sur un plan horizontal, des branches principales utilisées dans le Rikka.

 

On note une direction prédominante donnée par les trois courbures des branches 1, 5 et 6, celles qui deviendront les éléments Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi de l’École Ohara.

Elles sont disposées obliquement par rapport à l’observateur/observatrice et alignées sur le segment qui relie les positions symboliques du Ciel et de la Terre dans le Tai-ji, ligne qui rejoint le point Yang maximum (Ciel) au point Yin maximum (Terre).

Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji.

 

Les huit autres branches principales vont dans diverses directions y compris vers l’arrière donnant ainsi, avec la branche principale 1 Shu-shi, la branche 5 Fuku-shi et l’élément 6 Kyaku-shi de la profondeur à la composition.

 

 

 

 

Les deux dessins de Suzuki Harunobu (1725-1770) ci-dessous et celui, plus bas à gauche, d’Isoda Koryūsai (1735-1790) montrent les branches des Rikka placées dans toutes les directions des 360° possibles donnant ainsi de la profondeur.

 

 

Suzuki Harunobu

 

 

Dessin ci-dessus : Seiro-Bijin-Aisugata-Kagami, milieu de la période Edo.

 

Dans la nouvelle composition Shōka de l’école Ikenobō, apparue au milieu de la période Edo et conçue pour être uniquement placée dans le tokonoma et donc visible seulement d’un seul côté, la profondeur de la composition est préservée.

Isoda Koryūsai

 

Dessin latéral d’un Shōka avec feuilles d’Aspidistra de l’École Ikenobō vu de dessus. Il met en évidence :

– Le côté Yang au soleil et le côté Yin à l’ombre de chacune des feuilles,  le soleil étant derrière la composition, à gauche et Shin « regarde » vers lui (Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

– Tous les autres éléments « regardent » vers Shin, visibles par le côté blanc des feuilles/Yang au soleil et le côté strié-noir à l’ombre/Yin de chaque feuille.

 

 

Orientation Soleil Yang (lumière) et Terre Yin (ombre).

 

La conception de la composition montre toutes les feuilles avec leur côté blanc/Yang au soleil (Hi Omote) et leur côté strié-noir /Yin à l’ombre (Hi Ura).

 

Diagramme ci-dessus :

Sections de toutes les feuilles d’Aspidistra montrant le côté blanc/Yang au soleil (Hi Omote) et le côté noir /Yin à l’ombre (Hi Ura) de chaque feuille de la composition.

Diagrammes ci-dessus :

– À gauche, directions des feuilles individuelles

– À droite, subdivision de l’ensemble de la composition en Yang et en Yin.

 

Dans le Shōka de l’École Ikenobō, la direction des trois éléments principaux placés symboliquement sur la ligne reliant le Ciel à la Terre basée sur la théorie taoïste du Tai-ji est maintenue, rendant ainsi possible la perception de la profondeur.

La profondeur de la composition est également maintenue dans les Seika des autres écoles dont Ohara en changeant la position de l’élément désigné Fuku-shi par l’École Ohara (Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji et Article 24, Shintoïsme et Ikebana : du Rikka au Shōka et Seika).

 

Les styles (Kei en lecture On et Kata en lecture Kun) de l’École Ohara liés à la tradition, issus du Seika, sont toujours visibles d’un seul côté tant dans l’arrangement le Moribana que dans le Heika.

La profondeur des compositions est conservée comme dans cet exemple de style Shikisai-Moribana Keisha-kei (incliné), profondeur difficile à imaginer sur la photo vue de face mais bien visible sur les photographies prises de profil et de dessus.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara.

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67. Symbolisme de la composition Ikebana dans son ensemble

Ikebana et tokonoma sont apparus et se sont développés conjointement au 15ème siècle. La création du Tokonoma a influencé certaines caractéristiques de l’Ikebana comme la position et la dénomination de droite Hon-Gatte ou de gauche Gyaku-Gatte. De même, le tokonoma a influencé sa symbolique afin que les arrangements soient placés uniquement dans son enceinte.

 

Ci-contre : Rikka dans lequel il est possible de deviner le symbole bouddhique de la montagne mythique Sumeru (Mont Meru) : dans la partie supérieure, vue de loin les trois pics arides s’étirent de la branche principale.

 

Par ailleurs, le Shōka et le Seika sont des symboles Tao du Tai-ji : les plantes se distribuent en partie Yang (bois) et en partie Yin (fleurs), symboles maintenus dans les styles Chokuritsu-kei, Keisha-kei et Kansui-kei de l’École Ohara où le groupe Shu-shi/Fuku-shi doit être Yang par rapport au groupe Kyaku-shi qui doit être Yin.

 

Ces symboliques peuvent être insérées tant dans le Rikka que dans le Shōka et le Seika parce qu’ils ne sont placés que dans le tokonoma des maisons traditionnelles jusqu’à la fin du 19ème siècle, espace sacré, inviolable et impénétrable, de faible profondeur comprenant un kakemono, un Ikebana et un éventuel troisième objet.

 

Dans la tradition, l’invité s’agenouille devant le tokonoma à une certaine distance par respect pour sa sacralité (généralement la distance d’un tatami) et admire en silence d’abord le kakemono, l’objet le plus important puis la composition, deuxième en importance.

 

Maison japonaise traditionnelle : le tokonoma est peu profond et fermé sur les côtés.

Il n’y a donc qu’une possibilité unique de regarder la composition Ikebana : de face et à une certaine distance. Si elle était visible de plusieurs côtés, la perception de la composition serait déformée en fonction des angles de vue.

 

Voir Article 13, La naissance d’Ikebana d’après les documents historiques, Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji, Article 16, Origine des positions ‘Hon-Gatte’ et ‘Gyaku-Gatte’ et Article 17, Composition à gauche et composition à droite, Article 22, Influence du bouddhisme sur la structure de l’Ikebana et Article 24, Shintoïsme et Ikebana : du Rikka au Shōka et Seika.

 

Le fait que l’Ikebana, dans la tradition, soit construit pour être admiré que d’un seul point de vue est bien illustré dans la « sculpture » de Marco Cianfanelli à Johannesburg, Afrique du Sud. Les éléments de forme et d’épaisseur variées insérés dans le sol ne montrent le visage de Mandela que d’un point de vue unique et précis.

 

 

Rikka

 

La manière de peindre les paysages en Chine est prise comme référence pour réaliser un Rikka symbolisant le Mont Sumeru.

 

Dessin chinois d’un paysage (dont les règles de composition sont assimilées par les peintres japonais) dans lequel les trois perspectives typiques sont représentées sur le même dessin :

– En partie haute : « au loin », les montagnes.

– Au milieu : « A mi-distance », les arbres.

– En dessous : le « proche ».

 

 

Le Rikka représente la mythique montagne bouddhique Meru :

– La partie haute, comme il était d’usage dans les dessins chinois et japonais de l’époque, est représentée avec une perspective « au loin ».

– La partie médiane « à distance moyenne ».

– La partie basse en perspective rapprochée.

C’est exactement comme dans un paysage.

 

Dans ce Rikka tiré du Rikka Shōdōshū (Manuel des principes justes du Rikka daté de 1864), on peut voir, bien que cela demande un peu d’imagination, les trois sommets du mont Sumeru tirés de la branche principale de pin qui entourent une vallée : le tronc incurvé de la branche principale, deux branches à droite (1 et 2) et une à gauche (3).

 

Ci-dessous à gauche, dessin d’un Rikka tiré également du Rikka Shōdōshū, dans lequel on reconnait facilement, dans la partie supérieure, la représentation des trois sommets montagneux vus de loin. Les trois branches collatérales de la partie supérieure de la branche principale de saule, deux à notre droite et une à gauche, sont les symboles des trois pics vus de loin qui entourent une vallée très semblables au dessin, à droite, montrant les sommets alpins entourant une vallée (Voir Article 22, Influence du bouddhisme sur la structure de l’Ikebana).

 

 

Dans ces deux dessins de Rikka pris en exemples, la représentation des parties « moyenne distance » et « rapprochée » ne sont pas « dessinées » comme l’est la partie « éloignée » et donc difficile à interpréter à première vue (Voir l’Article 22, Influence du bouddhisme sur la structure de l’Ikebana, pour l’explication).

 

Seika et Shōka

 

Le symbole du Mont Sumeru, qui caractérise le Rikka, n’est plus présent dans les Seika et Shōka.

Cependant, en plus d’autres symboles, la représentation du Tai-ji avec des végétaux répartis en Yang (branches) et en Yin (fleurs) est présente aussi bien dans le Rikka que dans les Seika/Shōka et dans les styles Chokuritsu-kei (vertical), Keisha-Kei (incliné) et Kansui-kei (se reflétant dans l’eau) de l’École Ohara qui découlent du Seika.

Dans toutes ces compositions, le symbole du Tai-ji avec sa partie Yang branches et sa partie Yin fleurs, n’est visible que si les compositions sont placées dans le tokonoma ou, comme on le fait actuellement, à l’extérieur, contre un mur de manière à être visibles de face seulement.

 

 

Ci-contre un Seika vue de face.

D’après la photographie, il est évident que la composition est construite pour être vue d’un seul côté uniquement.

 

Vue de profil, la partie inférieure de la composition confirme qu’elle a été conçue pour être vue seulement de face.

 

Dans certaines écoles, la mode est de représenter la crête du mont Fuji avec des végétaux aussi imposants que ceux du Rikka conçu par Hirozumi Sumiyoshi (1631-1705).

 

Représentation du mont Fuji dans ces trois Seika de l’école Enshū.

 

Arrangements rendus possibles uniquement parce qu’ils sont placés dans le tokonoma ou contre un mur et donc visibles de face uniquement.

 

 

 

 

 

Représentation avec d’autres matériaux ou symboles.

 

Oiseau Fuji-Yama, anonyme

 

Moribana et Heika de l’École Ohara

Les styles Chokuritsu-kei, Keisha-Kei et Kansui-kei sont issus du Seika où le symbole du Tai-ji est représenté avec sa partie Yang branches et sa partie Yin fleurs. Ce symbole n’est visible que si les compositions sont placées dans le tokonoma, ou comme on le fait actuellement à l’extérieur contre un mur, de manière à être vues de face.

 

Par exemple, ce Heika de style Chokuritsu-kei de l’École Ohara reproduit le Tai-ji avec des végétaux Yang (bois) du groupe Shu-shi/Fuku-shi et des végétaux Yin (fleurs) du groupe Kyaku-shi vus de face.

Le même Heika vu de profil (photo de droite) n’a ni sens ni signification.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

 

Occidentalisation du Japon et Ikebana (Voir Article 35, Histoire de l’Ikebana à la période Meiji (1868-1912), Taisho (1912-1925) et Shōwa (1926-1989).

 

Avec la Restauration de Meiji (1868-1912), débute l’occidentalisation « à marche forcée » du Japon. En dehors du domaine privé, l’empereur, toute l’aristocratie impériale et la noblesse shogunale utilisent dans toutes les occasions publiques les styles vestimentaires, objets et manières des Occidentaux. Tout ce qui est japonais est rejeté au profit de tout ce qui est considéré comme « occidental ».

 

Dans l’image de droite, une composition florale occidentale domine le tableau.

 

 

 

Vers 1930, un groupe d’ikebanistes, au cri de guerre « l’Ikebana sort du tokonoma » écrit le Manifeste contre les nouveaux styles d’Ikebana réalisés d’un point de vue occidental et non d’un point de vue japonais traditionnel, considéré comme dépassé à l’époque. Ce manifeste contient, entre autres, les phrases suivantes :

«Il faut se débarrasser de l’idée que c’est la nature ou le végétal qui constitue le matériau de base de l’Ikebana, sinon on n’arrivera jamais à faire de l’Ikebana un art au sens plein du terme« .

Et

 

«Le végétal n’est rien d’autre qu’un morceau de matière isolé qui, en soi, n’a ni sens ni contenu. Il ne faut y voir que des lignes, des couleurs et des masses dans les végétaux ».

 

Si dans les styles d’Ikebana créés avant les années 1930, la « personnalité » des plantes prévaut, dans ceux créés après cette date, la « personnalité » de l’ikebaniste prévaut.

 

En enlevant l’Ikebana du tokonoma et en le rendant ainsi visible de tous les côtés, il n’est plus possible d’appliquer la symbolique liée à la tradition (notamment celle du Tai-ji qui demande à regarder la composition de face). Les autres caractéristiques de l’ikebana restent cependant à l’entière discrétion de l’ikebaniste, à savoir le vide, l’asymétrie, la hiérarchie, l’utilisation des nombres impairs, le superflu, l’essentiel …

 

L’arrangement de l’École Ohara Hana-isho Narabu-katachi, forme dite « en ligne », est visible de plusieurs côtés.

Pour différencier les compositions non liées au tokonoma et au symbolisme des compositions traditionnelles de celles qui le sont, l’École Ohara utilise deux concepts différents :

Styles (Chokuritsu-kei, Keisha-Kei, Kansui-kei et Kasui-kei) pour des compositions liées à la tradition et destinées à être mises dans un tokonoma.

Formes pour des compositions créées après les années 1930 non liées au tokonoma ni à la tradition.

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66. Le sentiment des saisons dans les paravents peints japonais

.Article écrit par Nicoletta Fumagalli, Chapitre Ohara, Milan

.Malheureusement des illustrations de cet article ont été perdues lors de la migration du site. Je serais très reconnaissant à l’auteure si elle pouvait les envoyer à influpi@bluewin.ch Merci.

1 La symbolisation des saisons.

Au Japon, les quatre saisons sont bien distinctes : un printemps court suivi d’un été long, pré-mousson et mousson puis l’automne avec ses couleurs et un hiver enneigé.

La conscience du temps qui passe et la sensibilité délicate aux aspects caractéristiques de chaque saison ont donné naissance, depuis l’Antiquité, à une tradition qui associe un ensemble particulier de sentiments poétiques à chaque période de l’année. À partir de la période Heian (794-1185), la poésie associe une variété d’éléments naturels à une saison spécifique.

Dans la culture aristocratique japonaise, la représentation de la nature est rarement uniquement décorative ou mimétique. Bien au contraire, elle est presque toujours symbolique. La description d’une plante, d’une fleur, d’un animal ou d’un paysage devient la transcription implicite d’un état d’esprit. La nature est alors la clé de l’expression des émotions et des pensées. Même dans un cadre banal, il est préférable d’exprimer les émotions et les pensées de manière indirecte, élégante et polie, la référence à la nature en est le véhicule. La façon d’exprimer l’intime à-travers un élément naturel et l’intrication du monde extérieur et du monde intérieur sont essentielles pour comprendre la littérature et les arts visuels japonais.

Une grande partie de la poésie japonaise est ainsi devenue une poésie des saisons. Chaque sujet saisonnier a généré à son tour des associations qui sont devenues une partie du vocabulaire culturel, non seulement de la poésie, mais aussi d’une grande variété d’arts, tels que la peinture de paravents (Byōbu-e) et de rouleaux (Emaki), les compositions florales (Ikebana), le théâtre Nō, la cuisine (Kaiseki) et la mode.

Les Waka, poèmes japonais classiques de trente et une syllabes, écrits par la noblesse et autres dignitaires de la cour, sont d’une importance fondamentale : ils attribuent aux éléments naturels toute une gamme de caractéristiques saisonnières qu’il faut lire en référence à la vie humaine. Un certain nombre de ces associations sont originales et beaucoup, comme celle entre la rosée d’automne et les larmes, proviennent de la poésie chinoise de la même époque. La saison, avec l’amour, sont devenus le thème caractéristique de la poésie et de la peinture, en particulier les peintures décoratives aux couleurs fortes apparues à l’époque de Heian (794-1185), art narratif d’illustration dans le pur style traditionnel japonais appelé Yamato-e, puis dans le style Rimpa ultérieur de la période Edo (1603-1868).

Dans le poème classique, l’accent n’est pas mis sur la nature réelle mais sur ce qu’elle devait être. Dans un Waka, elle est élégante et gracieuse, comme nous le voyons également dans la peinture sur paravent.

La composition, ci-dessous, sur fond or montre au centre un pin sur lequel grimpe une glycine. Le torrent d’écume blanche qui coule parmi les nuages ​​dorés rafraîchit la scène. De droite à gauche, on voit des plantes et des oiseaux de la fin du printemps au début de l’automne : cela commence par la kerria et se termine par un camellia Sasanqua qui relie ce paravent à celui des deux autres saisons. Kanō Eino (1631-1697), fils de Kanō Sansetsu, reprend les motifs caractéristiques de la célèbre école Kanō, dont il est un représentant tardif.

 

 

La manière de considérer la nature comme harmonieuse est, selon les chercheurs contemporains, une construction culturelle qui a pris naissance dans la capitale Heian-Kyō (actuelle Kyōto) dès le VIIIe siècle. Le Waka est un genre poétique urbain né dans les villes, un outil de communication au sein d’une élite cultivée.

Avec la poésie, les autres pratiques telles que les paravents peints, les estampes, les kimonos de douze couches portés par les femmes aristocrates, les jardins, puis dès le Moyen-Âge, les bonsaïs, les compositions florales, l’identification des « lieux célèbres » liés aux saisons, le théâtre et la cérémonie du thé sont toutes des manières raffinées d’évoquer la vraie nature aux habitants de la capitale ayant rarement l’occasion de quitter la ville. Chez eux, cependant, ils sont entourés de paysages peints, d’allusions poétiques et d’un système élaboré de références à la nature.

Dans les 21 anthologies poétiques impériales, du Kokinshū (vers 905 après J.-C.) au Shinshoku Kokin Waka Shū (vers 1439 après J.-C.), les canons de la poésie sont fixés de manière à constituer un code compréhensible pour le lecteur averti. Les écrits poétiques parlent d’arbres et de fleurs dont la couleur et le parfum sont mis en valeur, d’oiseaux, d’insectes évoqués par leur cris tandis que le seul animal à quatre pattes mentionné est le cerf, de phénomènes atmosphériques tels que brouillards, averses printanières … et d’éléments liés à la cosmologie shinto tels que les montagnes, les rivières ou la lune.

Les saisons sont décrites en trois phases distingues et l’accent est mis sur les première et dernière phases. Au sein de chaque saison, les éléments naturels sont évoqués selon une progression rigide (par exemple, les fleurs de Prunus Ume viennent toujours avant les fleurs de cerisier et celles-ci avant la kerria, de sorte que, en un coup d’œil, on sait de quelle phase de la saison il s’agit.  

Les associations avec les sentiments sont également codifiées (par exemple, cerf = solitude), de sorte que paysage et émotions se confondent. Voir un cerf peint ou l’entendre mentionner dans la poésie fait naître immédiatement l’association avec la solitude, comme celle du cerf mâle à la recherche d’une compagne. Des combinaisons sont également fixées, généralement entre une fleur et un oiseau. Enfin, le poème Waka met l’accent sur l’élégance et l’harmonie : la nature n’est jamais représentée sous son aspect dangereux, jamais un tremblement de terre, une inondation, un aspect sauvage ou redoutable.

Fujiwara no Teika (1162-1241), grand poète, a définitivement canonisé ces associations mois par mois. Son travail devient la base d’une grande partie de la peinture ultérieure de la période Edo. Ogata Kenzan dépeint un poème de Teika selon les associations prescrites pour le premier mois de l’été : « Les robes de toile blanche / doivent être mises à l’air/ juste quand arrive l’été/ et les fleurs de Deutzia en bouton/ se courbent dans la haie/ dans le village de Shinobu/ où habite le coucou/ son chant se fait maintenant entendre/ en attendant le mois prochain/ quand le Deutzia fleurira ». Ogata Kenzan, principalement céramiste, a également produit douze assiettes carrées décorées et illustrées de poèmes de Teika.

 

Associations de Teika en mois, plantes, animaux, ces derniers étant presque tous des oiseaux.

 

Mois plantes Animaux
1er Saule Rossignol
2ème Fleurs de cerisier Faisan japonais
3ème Glycine Alouette
4ème Mandarinier Petit coucou
5ème Deutzia Cormoran
6ème Œillet sauvage Poule d’eau
7ème Patrinia Pie
8ème Lezpedeza La première oie sauvage
9ème Miscanthus Caille
10ème Chrysanthème Grue
11ème Néflier tardif Pluvier (oiseaux)
12ème 1ères fleurs du prunier Ume Sauvagine (oiseaux aquatiques sauvages, tels que canards, échassiers, cygnes, oies…)

 

Voyons concrètement les thèmes associés à chaque saison. Nous constatons que les saisons japonaises ne correspondent pas exactement à celles de notre calendrier.

 

Printemps du premier au troisième mois, du 4 février au 4 mai dans le calendrier japonais.

Depuis la période Heian, quatre thèmes marquent la fin de l’hiver et l’arrivée du printemps : la neige, le brouillard printanier, la fonte des glaces et le rossignol japonais des buissons ‘Uguisu’, oiseau semblable à un moineau avec un ventre blanc et des plumes de couleur (un mélange de vert, marron et noir). ‘Uguisu’ arrive au printemps dans la ville depuis les collines et les vallées environnantes, où l’on pense que l’hiver passe. « Sans la voix du rossignol qui vient de la vallée, comment saurions-nous que le printemps arrive ? » Kokinshū, anthologie impériale de poèmes Waka, (vers 920 après J.-C.), Printemps 1, n. 14.

L’arrivée du printemps est marquée par les premiers bourgeons du saule vert, le retour au nord de l’oie sauvage et le parfum des fleurs de Prunus Ume. Généralement représentés par des fleurs blanches aux cinq pétales arrondis, les Prunus sont appréciés car ils résistent au froid. Dans le poème du printemps, ils sont associés à la neige, comme dans le poème d’Otomo no Tabito composé dans sa résidence au cours d’un banquet : « Les fleurs de Prunus sont éparpillées dans mon jardin – une chute de neige du ciel! » Man’yoshu, (après 759 après J.-C.), 5 : 822.

Les bourgeons de saule symbolisent le printemps, la nouvelle vie et la naissance d’un nouvel amour : « C’est peut-être la couleur du vent qui vient avec le printemps – les branches vertes du saule se teintent de plus en plus de vert chaque jour qui passe » Shigi no hanegaki, (Anthologie Waka) 1691.

Les cerisiers, dans les jardins et dans toute la ville, deviennent un symbole de la beauté de la capitale, comme dans ce poème du moine Sosei composé en regardant la capitale alors que les fleurs de cerisier sont à leur apogée, « Quand je tourne au loin le regard, les saules et les fleurs de cerisier se fondent, faisant de la capitale un brocart de printemps » (Kokinshu, Printemps 1, n. 56).

Les fleurs de cerisier apparaissent au milieu d’une brume printanière dorée qui contrastent avec la terre noire et stérile, les bâtiments sombres et les autres arbres encore nus. Kanō Sanraku travaillant dans les années 1570 pour Toyotomi Hideyoshi, le célèbre Daimyō, étudie auprès de Kanō Eitoku et devient son gendre. Il est adopté en prenant son nom de famille et devient plus tard le chef de l’école Kanō.

L’aspect le plus intéressant de la fleur de cerisier devient le moment où les fleurs se fanent et se répandent au sol, comme évoqué dans le célèbre poème d’Ono no Komachi : « Alors que je regarde dehors pendant les longues pluies, la couleur des fleurs de cerisier s’estompe, tout comme ma vie, qui passe en vain » (Kokinshu, printemps 2, n° 113).

Le désir humain vise quelque chose que nous voulons réaliser ou quelque chose que nous avons perdu. En japonais, ces deux aspects sont exprimés par le verbe ‘Shinobu’ qui peut signifier « Étouffer le désir » ou « regarder en arrière avec regret ». Ce thème est récurrent au printemps. De même, les poèmes sur les fleurs de cerisier ne concernent pas tant le pic de la floraison que l’attente des fleurs puis le regret de les voir se faner. C’est ce sentiment qui se reflète dans les paravents peints.

Les fleurs associées à la dernière étape du printemps sont la glycine et la kerria.

À cette saison, le point culminant de la journée est le lever du soleil.

 

Été du quatrième au sixième mois, du 5 mai au 6 août dans le calendrier japonais.

Un autre oiseau, arrivé au quatrième mois, marque l’été : le petit coucou ‘Hototogisu’. Son attrait est associé à la nostalgie et aux souvenirs personnels, tout comme la fleur de mandarine ou plutôt son parfum.

« Quand je sens le parfum des fleurs de mandarinier en attendant le cinquième mois, je me souviens de la manche d’une certaine personne il y a longtemps » (Kokinshu, Summer, n. 139).

Les longues pluies oppressantes du cinquième mois, saison de la mousson, deviennent un sujet important à l’époque Heian. Elles sont associées à la mélancolie. L’association entre homophones ‘Samidare’ (pluie d’été) et ‘Midare’ (trouble) lie les pluies d’été à la dépression. Amour, souvenirs, moral déprimé sont les associations qu’évoquent le petit coucou et les fleurs de mandarine.

La chaleur de l’été est trop insupportable pour être mentionnée en poésie. On préfère donner des images évoquant la fraîcheur de la soirée et sa brièveté.

« Puisant de l’eau au puits à l’ombre des pins, je pense à une année sans été » Shuishū, (troisième anthologie impériale, 1005 après J.-C.) Été, n. 131.

 

En été, l’iris kakitsubata fleurit. Cette espèce d’iris souvent mentionnée dans les poèmes d’amour, peut-être parce que sa forme et sa couleur rappellent la beauté féminine.

L’Acorus calamus aromatique (jonc), une belle plante aquatique enviée, est associé à cette saison comme la pivoine, la Deutzia et le lys. L’été meurt sous le triste chant des cigales.

Moment de la saison, la nuit : toujours trop courte pour trouver un rafraichissement.

 

À gauche le printemps, au centre sont les pivoines d’été. Elles sont totalement hors d’échelle au regard du pin. Elles « triomphent sur le fond or. Elles hébergent le petit coucou, oiseau associé à la première phase de la saison.

 

 

 

 

Illustration 2

 

 

 

 

 

 

Automne du septième au neuvième mois, du 7 août au 6 novembre dans le calendrier japonais.

La chaleur estivale reste dominante tout au long de la première moitié de cette saison. Comme toujours, au Japon, la nature est observée dans les moindres détails et le passage progressif d’une saison à l’autre est attendu et espionné dans chaque signe. Le changement de saison de l’été à l’automne se fait d’abord sentir par le vent : « Même s’il n’est pas clair pour les yeux que l’automne est arrivé, je suis surpris par le bruit du vent » (Kokinshu, Automne 1, n. 169).

 

Le plein automne est lié à la lumière de la lune dans le ciel nocturne, ce qui suscite des pensées mélancoliques. Le professeur Haruo Shirane en parle dans son livre «le Japon et la culture des quatre saisons». « Bien que la lune apparaisse à toutes les saisons, l’association de la lune avec l’automne dans les anthologies impériales de la poésie Waka est si forte qu’à la fin, la lune en est venue à symboliser l’automne lui-même. » On le voit dans ce poème : « Quand je vois le clair de lune filtrer à travers les arbres, je sais que le poignant automne est arrivé » (Kokinshu, Automne 1, n. 184).

 

Le mot japonais « automne » ‘Aki’ est homophonique du mot signifiant « brillant ». Dans les temps anciens, l’automne est considéré comme la saison au cours de laquelle les feuilles sont teintées de couleurs vives et les « cinq céréales » récoltées ( riz, blé, mil, sorgho et haricots). L’automne est même supérieur au printemps par l’éclat brillant des couleurs comparé au plus magnifique des tissus.

 

« Au printemps, je vois une herbe qui est verte, en automne, il y a des fleurs aux couleurs innombrables » (Kokinshū, Automne 1, n. 245).

 

À partir du 9ème siècle, sous l’influence chinoise, l’automne est classé comme une saison de tristesse, voire de déclin amoureux. Un autre homophone, qui signifie « tristesse », est à rapprocher à celui de l’automne ‘Aki’. Dans une esthétique qui dépasse les apparences et exige une plus grande profondeur spirituelle, même les couleurs vives deviennent un symbole de fugacité et de mélancolie. « En tout, l’automne est triste – quand je pense à ce qui se passe lorsque les feuilles des arbres changent de couleur et se fanent » (Kokinshū, Automne 1, n. 187).

Le moment de la saison est la soirée.

 

Depuis le Man’yōshū, on retrouve les « Sept herbes » associées à l’automne, répertoriées comme suit : Lezpedeza, miscanthus à épis, Pueraria, œillet, patrinia, Eupatorium et Ipomoea. Plus tard, à partir de la période Heian, le chrysanthème devient la fleur principale de la poésie automnale. En Chine, cette fleur élégante est un symbole de longue vie et de statut social élevé. Au Japon, il est le sceau impérial, sous la forme à seize pétales double.

 

 

 

Dans ce tableau montrant des fleurs de chrysanthème avec des miscanthus, Ogata Kōrin utilise différentes techniques de peinture. Les miscanthus sont rendus avec de la peinture dorée sur une couche de ‘Gofun’ (coquilles broyées). Les chrysanthèmes sont représentés à différents stades de floraison, plus fermés en bas et de plus en plus gros à mesure que l’on monte.

Dans la peinture Rimpa, les artistes portent une attention particulière au rythme des éléments. Ici, l’espace vide a été soigneusement pris en compte. Si nous divisons le paravent par une diagonale qui relie le coin inférieur droit au coin supérieur gauche, nous voyons que le côté gauche reste presque complètement vide, tandis que les chrysanthèmes et les herbes sont concentrés sur la droite.

Le fond doré devient, à lui seul, un élément décoratif important tout en lumière repris dans la veine dorée des feuilles de chrysanthème.

Un aspect notable de ce paravent est le fond de l’autre face : sur un fond de feuille d’argent, un érable est peint dans sa robe rouge automnale dans la moitié opposée à celle occupée par les chrysanthèmes de l’autre face. Le contraste entre les deux faces – or et argent – est marqué. Kōrin semble donner les deux versions de l’automne, la lumineuse et la plus mélancolique.

 

Hiver du dixième au douzième mois, du 7 novembre au 3 février dans le calendrier japonais.

Le gel et la neige de l’hiver conduisent d’une part à regretter la saison passée et d’autre part à attendre avec impatience l’arrivée de la nouvelle saison. Un célèbre poème de Ki no Tsurayuki chante la beauté de la neige car elle ressemble à des fleurs de cerisier : « Lorsque la neige tombe, des fleurs inconnues du printemps apparaissent sur l’herbe et sur les arbres qui ont dormi tout l’hiver » (Kokinshū, Winter, n. 323).

Les poètes médiévaux incluent les sauvagines, en particulier le canard sauvage et le canard mandarin, dans les thèmes liés à l’hiver, comme dans ce Waka de Murasaki Shikibu : « Pouvons-nous considérer les oiseaux sur l’eau comme séparés de nous ? Moi aussi, je flotte dans l’incertitude et mène une existence douloureuse « (Senzaishū, L’hiver, non. 430).

Nous verrons plus loin dans les peintures sur paravents que la présence d’oiseaux côtoyant des fleurs est un thème classique de la représentation des saisons.

La neige, la glace, le givre et la lune presque transparente donnent naissance à une nouvelle esthétique de pureté froide et rendent le paysage monochrome très proche de la peinture à l’encre, d’origine chinoise, de la période Muromachi.

Le point culminant de cette saison est le matin.

 

Les oiseaux aquatiques d’automne volent vers l’hiver dans ce paravent où fleurit pourtant un gros Prunus tordu. Même si la peinture n’est pas strictement monochromatique, l’utilisation de la couleur est réduite à l’essentiel.

 

 

 

Illustration 4

 

 

 

 2 Un langage codé et un index des sentiments

Au 12ème siècle, le poète Fujiwara no Shunzei (1114-1204) écrit : « Comme indiqué dans la préface du Kokinshū, la poésie japonaise prend le cœur humain comme une semence, un bourgeon qu’elle fait grandir en d’innombrables feuilles de mots. Ainsi, sans la poésie japonaise, même si quelqu’un cherchait les fleurs de cerisier au printemps ou regardait le feuillage brillant de l’automne, personne ne serait capable de reconnaître leur couleur ou leur parfum… Au fur et à mesure que les mois passent, que les saisons changent et que les fleurs de cerisier cèdent la place aux feuilles brillantes de l’automne, nous nous souvenons des mots et des images des poèmes et nous nous sentons capables de percevoir la qualité de ces poèmes. »

Ce qui s’exprime, ici, ce n’est pas seulement le concept selon lequel la nature nous aide à concevoir et à exprimer des pensées et des sentiments : nous sommes bien au-delà. Shunzei affirme que la connaissance de la poésie relative à la nature est nécessaire pour que l’humain voie et reconnaisse les qualités de la nature, même celles qui parlent immédiatement à nos sens, comme la couleur ou le parfum. Dans cette vision, la poésie nous cultive, nous donne un cœur plus sensible au monde extérieur. Par conséquent, l’exploration des sentiments humains qui est typique de la poésie s’inspire de la nature, chaque subtilité du sentiment a son écho dans des éléments naturels particuliers.

Mais comment une plante ou un animal en viennent-ils à incarner un état émotionnel intérieur humain et sur quelle caractéristique?

Les oiseaux, les insectes et les cerfs mentionnés dans les poèmes Waka sont prisés pour certaines associations lexicales comme le ‘Matsumushi’ (grillon des pins) dont le mot signifie en japonais « insecte qui attend», ou pour leurs chants. En relation avec ces animaux, on utilise souvent le verbe ‘Naku’ qui signifie « pleurer », verbe qui exprime une série de sentiments humains tels que la tristesse, le regret, etc.

Les plantes ont également la capacité de ressentir. Par exemple, le Prunus est admiré pour son courage à fleurir en hiver, pour sa constance et sa résistance aux rigueurs du climat.

On peut aussi se demander comment se créent et se propagent ces associations entre éléments naturels et sentiments humains. En partie, j’ai répondu ci-dessus avec des exemples tirés de poèmes. Mais il existe aussi une autre voie dont Haruo Shirane (op. cit.) donne un exemple. Dans les « Parchemins de l’histoire du Dit de Genji », qui datent du 12ème siècle, chapitre mineur sur « Les rites », on voit le prince Genji avec sa bien-aimée, Murasaki en train de mourir. La scène se déroule dans un intérieur mais le peintre nous montre aussi l’extérieur, avec des herbes d’automne courbées par le vent et la pluie. Genji pleure sa bien-aimée en écrivant ce poème sur le Lespedeza : « Si peu repose la rosée sur le Lespedeza/ maintenant elle se disperse déjà dans le vent ». Le Lespedeza est l’une des herbes qui apparaît dans la scène. Les Lespedeza sont importants puisqu’ils occupent environ un tiers du tableau et symbolisent la douleur qu’endure Genji de l’intérieur. Dans la peinture des périodes suivantes, il suffira de représenter des herbes automnales courbées pour évoquer la douleur du détachement.

Fils d’un seigneur féodal (Daimyō) de la région de Himeji, Hōitsu éduqué à la poésie et à la calligraphie dès son plus jeune âge, s’imprègne de la culture populaire à l’âge de vingt ans et devient moine à l’âge de 37 ans. À cette période, il renoue avec la peinture Rimpa dans une version sophistiquée.

On voit ici les herbes d’automne secouées par le vent qui emporte les feuilles et fouette les sommités des ‘Suzuki’ (arbre à clochettes) jusqu’à ce qu’elles s’abandonnent et ne se relèvent plus, comme ci-dessous.

 

 

Notons que même lorsque les plantes ou les animaux sont traités comme un matériau poétique, ce n’est pas un dispositif rhétorique ou une métaphore sans vie. L’âme et les religions du Japon imposent toujours un profond respect de la nature qui n’est jamais considérée comme « autre » ou subordonnée à l’homme, mais plutôt comme une totalité dont l’homme fait partie.

3 Culture de cour et culture populaire

Tant à la cour que dans la culture populaire, la nature est d’une part vénérée, d’autre part redoutée à cause de ses manifestations catastrophiques mais aussi des événements, à plus petite échelle, qui peuvent cependant ruiner de manière imprévisible la récolte et entraîner la famine sur le territoire. La représentation de la nature, sous une forme poétique ou d’art visuel ou théâtral, est utilisée pour apporter un sentiment d’harmonie dans un monde désordonné et tumultueux.

À l’époque de Nara (710-794), la nature a une fonction de talisman à la fois pour conjurer les calamités (mort, fléaux, catastrophes) et pour invoquer la chance (une récolte abondante, une longue vie, une bonne santé). Dans le Man’yōshū, on voit les éléments naturels jouer le rôle d’intermédiaires entre les hommes et les divinités, ces dernières pouvant être bienveillantes ou malfaisantes. Les représentations talismaniques ne suivent pas la succession des saisons car elles se veulent être des points solides, fixes, au-delà des transformations constantes et imprévisibles du monde.

Voyons les éléments talismaniques qui nous intéressent le plus ici car ils sont fréquemment représentés dans la peinture des paravents : herbes et fleurs printanières, pin, bambou, grue et phénix.

Depuis l’Antiquité, on croit que les feuilles vertes et les fleurs colorées qui poussent au printemps sont porteuses d’une force vitale. Les chants décrivant des fleurs épanouies et des arbres feuillus sont une façon de les louer et de puiser dans leur force vitale. L’arbre le plus important et le plus populaire parmi les symboles talismaniques est le pin. Il est utilisé pour le bois de construction et les torches mais il est également connu pour sa longue durée de vie et être toujours vert. Il est alors devenu un arbre sacré associé à la longévité.

Le pin est un homophone du verbe ‘Matsu’ (attendre) et dans les Waka, il est associé à l’émotion d’attendre l’être aimé : « Si la fleur de Prunus fleurit et se fane, je serais le pin qui attend et je me demande si mon bien-aimé viendra ou non » (Man’yōshū, 10 : 1922)

Dans les paravents peints de la période Heian, le pin devient un élément indispensable.

Une autre plante talismanique importante est le bambou, symbole de longévité en raison des nombreux nœuds de sa tige.

 

Dans ce paravent, ci-dessous, le bambou est représenté de très près afin de mettre en valeur ses nœuds. La perspective inhabituelle semble nous mettre directement à l’intérieur du bosquet.

 

 

 

 

Illustration 6

 

 

 

 

 

Dans les paravents d’oiseaux et de fleurs de douze mois, la grue est représentée au dixième mois et sert à la fois d’image talismanique et de représentation saisonnière. Elle représente la longévité et la sagesse.

Le phénix, oiseau mythique, symbolise la paix et la bonne gouvernance. La robe la plus extérieure de l’empereur est décorée de motifs de bambou, de paulownia et de phénix. À l’époque Momoyama (1568-1615), les seigneurs de la guerre veulent que le phénix soit peint sur les paravents. Cette pratique se poursuit jusqu’à l’époque Edo et même on le retrouve sur les couvre-lits pour éloigner, la nuit, les mauvais esprits.

 

 

Face à un tableau, il faut être prudent. Il y a deux manières d’interpréter les plantes :

– l’une indique telle ou telle saison et le sentiment qui lui est associé, par exemple la saison des chrysanthèmes.

– L’autre indique la longévité et l’immortalité comme l’emblème impérial du chrysanthème qui indique la longévité et non pas l’automne.

Le phénix, oiseau mythique et magique, est un sujet populaire dans les peintures « Oiseaux et fleurs », qui voient le jour au 12ème siècle et prospèrent à l’époque Edo. Ces peintures sont une spécialité des écoles Kanō et Tosa parrainées respectivement par le gouvernement militaire et par la cour impériale. Elles sont souvent données lors d’occasions importantes à des personnalités de haut rang et ont pour fonction rituelle soit de porter chance soit de reconnaître l’autorité ou la valeur de la personne à qui elles sont dédiées.

 

Les valeurs saisonnière et talismanique des fleurs et des plantes sont souvent évoquées dans la poésie et les arts traditionnels comme l’Ikebana. Les compositions Rikka, par exemple, associent généralement un feuillage persistant, élément principal, vertical (Shu-shi) au centre de l’arrangement à une fleur de saison comme auxiliaire horizontal.

 

Héritage secret d’Ikenobō Senkō (1542), le premier traité systématique sur le Rikka, fournit la liste de plantes pouvant être utilisées comme Shu pour chacun des douze mois :

 

Mois              Végétaux
Printemps 1er Pin, prunus
2ème Saule, Camellia
3ème Pêcher, iris (kakitsubata)
Été 4ème Deutzia
5ème Paeonia
6ème Bambou, Acorus calamus aromatique, lis, lotus
Automne 7ème Campanule (Kikyo), Lychnis coronaria (Coquelourde des jardins)
8ème Chamaecyparis obtusa (Cupressus japonica ‘Honoki’), Chamaecyparis lawsoniana
9ème Chrysanthemum, Celosia cristata (crête de coq)
Hiver 10ème Cornus chinois, Nandina
11ème Narcissus, aster
12ème Eryobotria japonica (néflier du Japon), Prunus précoce.

 

Ici, Shu-shi a une fonction double : représenter la saison ou le mois et être le pilier de la structure de la composition.

Il est également possible que les associations végétales prescrites pour la composition de paysages traditionnels de l’École Ohara tiennent compte de la valeur symbolique de chaque plante et fleur mais aussi de la cohérence saisonnière.

 

Dans les racines religieuses anciennes de l’ikebana, nous pouvons trouver une clé pour comprendre le rôle talismanique des plantes. Dans le bouddhisme, la sphère céleste est souvent décrite comme un lieu plein de fleurs. L’intérieur des temples bouddhiques sont décorés de fleurs pour reproduire la sphère céleste de notre monde. L’image de Bouddha se voit offrir fleurs, encens et bougies, offrande à partir de laquelle l’art de l’ikebana a peut-être commencé. Mais même avant l’introduction du bouddhisme au Japon, on croit que les plantes peuvent incarner ou transmettre le pouvoir des dieux (Kami) que l’on pense habiter la nature.

Dans les rites bouddhiques et de dévotion aux dieux, les images de la nature en particulier des fleurs sont, certes, le symbole du caractère éphémère du monde mais elles sont aussi un moyen des dieux eux-mêmes de se manifester et d’éloigner les maladies et la précarité de la vie.

 

La tradition classique inspirée de la noblesse et de la cour représente les éléments naturels à partir d’objets esthétiques tandis que la culture populaire s’appuie sur des éléments quotidiens (relatifs à l’agriculture, à la chasse aux proies ou aux animaux nuisibles). Ces deux esthétiques fusionnent à partir du 16ème siècle : les éléments de la culture populaire apparaissent dans des descriptions poétiques et des représentations picturales.

 

Ce paravent célèbre la riche moisson d’automne et témoigne de l’union des deux esthétiques, celle de la noblesse et celle de classe la populaire. Le millet mûr attire de nombreux oiseaux, moineaux, passereaux et mésanges charbonnières, chers à la culture paysanne. Nous voyons également une clôture en bambou, un filet pour attraper des oiseaux et des hochets d’épouvantail suspendus à des fils tendus, rappelant la présence d’une ferme. À leurs côtés, sont peintes des herbes d’automne, motif traditionnel de la « culture de la noblesse ».

 

 

 

 

Illustration 7

 

 

 

 

Enfin, les saisons sont très importantes car chacune est associée un point cardinal, selon le Feng-Shui importé de Chine (voir Article 9, Feng-Shui et Ikebana). C’est une vision de l’univers basée sur la croyance que la terre contient des forces vitales devant être sauvegardées pour le bien-être de ses résidents. Les villes sont alors conçues en gardant ces critères à l’esprit, de même que chaque maison. Le jardin «Feng-Shui» de printemps à l’est, de l’été au sud, l’automne à l’ouest et l’hiver au nord devient un idéal culturel.  Des jardins se créent où vous pouvez voir les quatre saisons en regardant dans les quatre directions. Cette époque utopique se retrouve dans la littérature (par exemple dans l’histoire de Genji) et dans l’art pictural.

Chaque saison est représentée par un groupe de fleurs : par exemple l’été par des iris, des lys et des œillets. Les groupes saisonniers répondent à la position traditionnelle des saisons selon le Feng-Shui.

4 Le flux du temps et la magie qui l’arrête

 

Les changements au cours des saisons sont pris comme une métaphore de la fugacité de la vie et des changements imprévisibles du monde. Ce point de vue a trouvé un solide écho dans la croyance bouddhique selon laquelle toutes choses sont impermanentes. L’exemple le plus frappant est celui des cerisiers en fleurs qui perdent leurs pétales dès qu’ils ont fleuri.

Nijō Yoshimoto, poète classique, a écrit : « Quand vous pensez que c’est hier, aujourd’hui c’est fini, et quand vous pensez que c’est le printemps, c’est l’automne. Quand on pense que les fleurs ont fleuri, les choses se transforment en feuilles colorées de l’automne».

Éviter le cours du temps est certainement impossible, mais d’une manière ou d’une autre, l’homme a besoin de ralentir le passage précipité des jours. Cela peut être fait en créant des images qui cristallisent certains moments de la vie et ainsi à y revenir quand nous le voulons.

En particulier, représenter les quatre saisons ensemble réunies nous rappelle le passage d’une saison à l’autre qui se produit de manière singulière. Le cycle est un mouvement rassurant car il revient infailliblement, similaire à lui-même et est donc, au moins partiellement, prévisible. Pris dans son ensemble, c’est le type de mouvement le plus stable et le plus robuste qui soit.

C’est ce qui m’a fasciné dans les paravents peints des quatre saisons.

 

4.1. Les paravents peints

 

Les paravents, en japonais Byōbu, qui nous intéressent ici ont une lointaine origine chinoise (dynastie des Han, 206 avant J.-C. – 220 après J.-C.). Ils sont introduits au Japon à la fin de l’époque Nara, vers le 8ème siècle.  Byōbu signifie littéralement « mur pour le vent » dont le but originel est de bloquer les courants d’air fréquents dans les maisons japonaises à plan libre. Les paravents sont aussi une manière habile et souple de scinder les espaces, de protéger des regards ou d’atténuer la lumière. Au cours de la période Heian qui a suivi, la conception des paravents évolue passant d’un simple paravent à un seul panneau à des paravents à deux, six ou parfois huit panneaux. Ils sont pliables et portables, généralement produits par paires.

 

Sur un simple cadre et un treillis de bois de cryptomeria, l’artisan applique, en les collant, sept couches différentes de papier étirées sur la surface du treillis. Chacune couche est formée de nombreuses feuilles superposées à base de mûrier à papier (Broussonetia papyrifera). En couches alternées, les feuilles sont collées uniquement sur les bords plutôt que sur toute la surface, laissant ainsi des poches d’air qui augmentent la résistance et la durabilité du paravent. Les couches les plus externes de chaque côté du cadre sont les surfaces à peindre mais généralement un seul côté est utilisé. Après la mise en place des peintures et de la bordure de brocarts bien choisi, un mince cadre en bois laqué rouge ou noir est ajouté pour protéger la structure.  Dans les temps anciens, les panneaux sont reliés par des cordes de soie ou de cuir (période Nara 710-794) et à partir de la période Heian (794-1185), ils sont attachés grâce à des charnières métalliques ‘zeni-gata’ en forme de pièces de monnaie. Plus tard, à l’époque de Muromachi (1336-1573), les ‘Zenigata’ sont remplacés par des charnières de papier plié, rendant les panneaux plus légers à transporter, plus faciles à plier et plus résistants aux jointures. Surtout, cette technique permet la représentation picturale de larges scènes ininterrompues.

Aux périodes Azuchi-Momoyama (1568-1603) et Edo (1603-1868), la popularité des paravents peints ne cesse de croître et les seigneurs féodaux ou nobles les affichent dans leurs maisons comme symboles de richesse et de pouvoir.

 

Deux styles différents caractérisent les grandes peintures de château :

 

le style à l’encre représente un mode d’expression plus personnel et plus traditionnel. Il se développe à l’époque Muromachi (1392-1568), sous l’influence des modèles chinois. Il est principalement utilisé pour les monastères et les appartements privés où les seigneurs se réunissent pour discuter et boire du thé.

 

Tosatsu, élève de Sesshu, connait bien les peintures chinoises d’oiseaux et de fleurs du début de la période Ming, en particulier, les œuvres de Lu Ji qui traitent le même thème.

 

Tosatsu peint sur ce paravent (ci-dessous) une scène dramatique dans laquelle un faucon fond sur des hérons terrifiés qui s’enfuient vers le bambou et le lotus. Un autre oiseau de proie, tenant un lièvre dans ses griffes, observe l’action. Les plantes précisent les saisons (de droite à gauche) : fin de l’hiver, printemps et début de l’été. Dans un autre paravent, alors que la nature passe de l’été à l’automne, la chasse aux rapaces se poursuit. Le thème des peintures est le pouvoir des oiseaux de proie et Tosatsu, fils d’un samouraï, savait bien ce que cela signifiait pour les hommes.

 

 

La peinture à l’encre de Chine a également fourni le symbolisme de certaines plantes. Par exemple, les quatre végétaux appelés « les quatre gentilshommes » symbolisent les quatre saisons, les quatre âges de l’homme et les quatre vertus du gentilhomme selon les canons des lettrés chinois :

– Prunus : caractère fort et patient

– Orchidée : grâce et noblesse d’esprit

– Chrysanthème : pudeur et pureté 

– Bambou : capacité être ferme et énergique mais flexible (comme le bambou est creux à l’intérieur, il se plie mais ne se casse pas).

 

Chacune de ces plantes est aussi une leçon de peinture à l’encre.

Dessiner l’orchidée est le premier niveau, un exercice sur le trait et sur le mouvement libre du bras.

Ce n’est qu’après que l’on peut passer au bambou pour lequel des coups courts et vigoureux sont nécessaires.

La représentation du Prunus implique une combinaison des deux premiers mouvements avec l’ajout de l’expérience du sec et de l’humide.

Enfin la quatrième et dernière leçon, qui concerne le chrysanthème, sert à apprendre l’usage du clair-obscur et pour y parvenir, il faut savoir dessiner les trois premiers.

 

le style de peinture à l’or et en couleurs, très différent, est réservé aux espaces publics, comme les salles d’audience. On pense que Kanō Eitoku a été le premier à utiliser un fond de feuille d’or dans de grandes peintures (voir paravents quatre saisons plus bas).

Eitoku a vécu à l’époque Azuchi-Momoyama (1568-1600). Il est le peintre le plus important de sa génération et l’initiateur du nouveau style « des palais ».

Son histoire familiale et son ambition le mettent en contact avec tous les grands seigneurs de guerre de son temps : Oda Nobunaga, pour qui Eitoku et ses élèves passent quatre ans à décorer les immenses salles d’audience du château d’Azuchi. Il fait de même dans les châteaux d’Osaka, à Juraku-dai et au château de Fushimi de Toyotomi Hideyoshi. Il peint aussi dans le palais impérial. C’est un travail gigantesque. Par exemple, en 1588, Toyotomi Hideyoshi fait créer un chemin avec une centaine de paravents peints pour que ses invités, arrivant à la fête, admirent les cerisiers en fleurs ‘Hanami’.

Cependant, Eitoku qui vit à une époque mouvementée, la plupart de ses œuvres a suivi le sort de ses propriétaires. Avec l’assassinat de Nobunaga, le château d’Azuchi est incendié jusqu’à ses fondations deux ans seulement après qu’Eitoku a fini de le peindre.

 

4.2. Oiseaux et fleurs des quatre saisons : trois exemples

Cette catégorie picturale, dont nous avons également vu quelques exemples ci-dessus, est un classique de tout l’Extrême-Orient. En particulier, j’ai fait référence aux canons esthétiques japonais qui précisent les caractéristiques des éléments naturels en lien avec la vie humaine. Les oiseaux interviennent pour donner du mouvement aux scènes peintes et les enrichir de leur propre symbolique.

 

Le long des douze panneaux de ces deux paravents « arbres, fleurs et oiseaux des quatre saisons » de Kanō Eitoku (1543 –1590), des oiseaux et des fleurs symboliques à profusion célèbrent le cycle des saisons.

 

Dans le 1er paravent, de droite à gauche, des arbres en fleurs et des fleurs printanières accompagnent une grue avec ses petits tandis que, plus à gauche, une souche de Lilium annonce le passage à l’été. Un groupe de bambous que l’on aperçoit dans les nuages qui occupent les panneaux du centre.

 

 

 

Paravent « arbres, fleurs et oiseaux des quatre saisons » de Kanō Eitoku (1543 –1590)

 

Dans le 2ème paravent, ci-dessous, un hibiscus blanc et rose marque la transition de la fin de l’été à l’automne. La grande finale est un pin enneigé qui étend ses branches courbes à-travers le paravent. Elles encadrent une paire de grues adultes se regardant majestueusement. La peinture réaliste et détaillée des éléments naturels au premier plan, typique de l’école Kanō, est équilibrée avec des nuages ​​et d’autres éléments de fond plus abstraits ainsi que de grands espaces vides.

 

Paravent « arbres, fleurs et oiseaux des quatre saisons » de Kanō Eitoku (1543 –1590)

 

Cette magnifique composition célèbre la longévité avec le motif auspicieux des grues, parle de force virile et d’imperturbabilité avec le pin et rappelle le caractère éphémère de la beauté et de la vie avec le cerisier en fleurs. Elle présente aussi les symboles d’autres plantes qu’un observateur de l’époque n’a pas eu de mal à lire clairement : le fleuve du temps coule de l’un à l’autre des paravents mais il ne coule pas, étant seulement peint. Il est comme un ‘souvenir’ mais le scénario dans lequel il est placé est si harmonieux, si beau et si brillant que son flux ne suscite pas de pensées tristes.

 

 

 

Paravent de Sakai Hōitsu (1761-1828)

 

La forme des paravents fait que les deux scènes qui s’ouvrent sur les saisons sont comme deux fenêtres, deux tableaux dans le tableau. Le passage du temps semble être interrompu, séparé par le vide entre une saison et une autre. Le fond abstrait rend encore plus évident l’aspect symbolique des scènes. Ce paravent semble dire : « Regardons l’automne et l’hiver ».

La feuille d’or appliquée sur l’envers de la soie donne aux paravents une légère luminescence et une impression de profondeur.

 

Dans le 1er paravent, À droite, les sept herbes d’automne avec les chrysanthèmes et les hibiscus représentent l’automne dans ses différentes phases. À gauche, l’hiver est évoqué par des jonquilles, des camélias Sasanqua et des Prunus et toujours des oiseaux liés à la saison.

Il ne nous reste plus le double écran de celui-là, censé représenter le printemps et l’été.

Au fil des saisons, au-dessus de la traditionnelle rivière, court la brume de printemps puis le brouillard de l’automne. Un moineau ‘Uguisu’ sur une branche de Prunus en fleurs annonce le printemps. Au-delà la kerria, symbole du début de la saison, vient l’été symbolisé par les iris, les oiseaux et les fleurs des marais.

 

Dans le 2ème paravent, les herbes d’automne et les plantes enneigées sont illuminées par une lune argentée, que l’on voit maintenant brunies par le temps.

 

 

 

 

 

 

Illustration 11

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Illustration 12

 

 

 

 

 

 

Le dessin, simple et élégant, reflète le style de l’École Rimpa d’Edo (aujourd’hui Tokyō), dirigée par Sakai Hōitsu.

Ses compositions adhèrent au modèle de Kōrin tant dans les couleurs que dans la rareté audacieuse des éléments.

On voit très bien, sur le tronc du Prunus, que Hōitsu utilise la technique Rimpa du ‘Tarashikomi’ (littéralement égoutter). Elle consiste à faire passer un second pigment sur le premier encore humide. De cette manière, des taches et des fusions de couleurs se forment, en partie involontaires, augmentant ainsi l’intérêt visuel. Dans la peinture Rimpa, le contraste entre le dessin très stylisé et épuré des fleurs et cette technique plus rustique appliquée à d’autres éléments est très recherché.

 

On voit que peu, très peu, suffit à évoquer le sentiment de la saison. Ce qui compte dans ces peintures, aux mêmes motifs reproduits et datant de centaines d’années, c’est l’émotion que l’artiste parvient à recréer chez l’observateur/observatrice. Ici, il me semble qu’il y a de la solitude et du détachement : vous ne voyez pas, ou peut-être de façon subjective vous ne savez pas, comment chaque saison passe dans la suivante car tout est voilé. Chaque phase peut sembler isolée les unes des autres : au lieu d’une symphonie, c’est une série de notes « détachées ». Musique moderne.

5 Conclusions

Après tout ce qui a été dit, on pourrait objecter que les saisons sont importantes dans toutes les cultures du monde. Cependant, ce qui rend la culture japonaise des quatre saisons vraiment impressionnante, c’est la saisonnalité culturelle, en particulier, la subdivision précise des éléments naturels en phases et en catégories saisonnières avec ses associations spécifiques. Impressionnante aussi par le fait qu’elle fonctionne depuis plus d’un millénaire.

Les premières associations poétiques entre les éléments naturels et éléments culturels n’ont pas vraiment changées au fil du temps mais elles se sont plutôt partiellement modifiées et enchâssées à de nouveaux éléments. Ainsi, les croyances sur les pouvoirs talismaniques des plantes et des animaux, apparues pour la première fois à l’époque de l’Antiquité et de Nara, continuent de coexister avec les élégantes représentations de la nature basées sur la couleur, l’odeur et la voix de la culture aristocratique et de la cour de la période Heian. Ces pouvoirs talismaniques, à leur tour, restent présents dans les paysages monochromes d’influence chinoise à l’époque médiévale. Au cours de la période Edo, la perception la plus traditionnelle des saisons se poursuit conjointement aux nouvelles perspectives sur la nature fournies par la recherche scientifique.

Le résultat est un ensemble de connaissances complexes et denses bien ancrées dans la culture japonaise. Les détails font partie d’un vocabulaire canonique à tel point que, par exemple, les titres des paravents sont généralement attribués par les conservateurs contemporains des musées. En effet, lors de leur création, les paravents n’ont pas besoin de porter un nom : ils sont regardés et à première vue, la charge émotionnelle liée aux associations saisonnières qu’ils portent en eux est ressentie.

 

Dans ce travail, je n’ai pas pris en considération les nombreux autres aspects affectés par les associations saisonnières tels que les vêtements, les congés annuels, les relations interpersonnelles, la cérémonie du thé. Je n’ai pas suivi le développement du système de mots saisonniers ‘Kigo’ depuis sa création dans la poésie Waka jusqu’au Haïku moderne. Je n’ai fait aucune mention, non plus, des relations sociales dont cette vision de la nature est l’expression. La simple liste des implications émotionnelles des japonais pour les saisons montre le rôle central que tiennent les saisons dans la culture de ce pays et la complexité riche et fascinante de ce thème.

 

Bibliographie

Far Eastern Art, colloque organisé par Gabriele Fahr-Becker, Könemann 2000.

Graf, Mauro : www.maurokorangraf.ch/ art. N° 59.

Lippit, Yukio: Ink Painting and the Rinpa Tradition, Conférence au Metropolitan Museum, New York, 30/09/2012.

Masera, Maria : Notes d’orientation sur l’école de peinture Rimpa « École des fleurs et des herbes », polycopié du cours d’Ikebana.

Momoyama – Japanese Art in the Age of Grandeur, Catalogue de l’exposition tenue au Metropolitan Museum, New York, 1975.

Shirane, Haruo : Le Japon et la culture des quatre saisons – Nature, littérature et arts, Columbia University Press, New York 2012.

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65. « Les erreurs à éviter »

Les règles de construction des arrangements de l’École Ohara proviennent principalement de celles du Seika qui, lui-même, vient de la simplification des règles de composition du Rikka créées au 15ème et perfectionnées au 16ème siècle.

Dès le début de la création des règles de construction du Rikka, les différents auteurs mettent en évidence les « erreurs à éviter ».

 

Dessin anonyme d’un Rikka avec une liste de 13 « erreurs à éviter », toujours valables aujourd’hui pour tous les types d’Ikebana liés à la tradition. Citons les plus fréquentes :

– La symétrie entre les éléments.

– Le chevauchement des éléments.

– « L’ascension sociale » d’un seul élément. Ce dernier désigne un élément qui, par sa position,  perd sa fonction et en assume une autre créant presque un doublon.

 

Avec l’apparition des Shōka/Seika, les mêmes erreurs sont illustrées dans différents textes.

 

 

Liste d’erreurs, auteur anonyme.

 

 

Textes surtout de langue anglaise.

 

Parmi les nombreux exemples, ceux cités par Mary Cokely Wood et tirés des livres qu’elle possède sont datés de 1688 et 1750.

Des croquis et des dessins simplifiés et exagérés illustrent les « erreurs » que l’ikebaniste doit éviter.

 

 

Quelques exemples.

 

 

Dans le Rikka, au moins jusqu’à la période Edo, seules les branches sont utilisées comme éléments principaux désignés ensuite par l’École Ohara Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi.

Les fleurs sont disposées seulement l’intérieur de la composition.

 

Le texte le plus ancien qui nous soit parvenu « Kao Irai no Kadensho » (1486) présente que des branches pour illustrer les « erreurs à éviter ».

 

 

 

L. Sadler, dans son Art of Flower Arrangement in Japan, montre des schémas assortis d’explications.

 

  1. Poitrine de pigeon. Un angle désagréablement pointu.
  2. Escalade sociale. Le secondaire ne doit pas rivaliser avec le principal.
  3. Opposés de même longueur. Trop symétrique.
  4. Branche qui pique les murs. Sortir horizontalement vers l’arrière. La même projection vers l’avant est appelée branche d’invité et si elle est dirigée vers le haut ou vers le bas, le ciel ou la terre.
  5. Pointage vers la terre. Toutes les branches doivent tourner vers le haut.
  6. Tombant des deux côtés à la fois.
  7. Branches malades. Avoir une apparence faible et effilochée.
  8. Découpe de fenêtre. Aucun croisement de branches n’est autorisé.
  9. Voir la coupe. Une autre variété de la même chose.
  10. Feuilles d’un seul côté uniquement.
  11. Feuilles mortes. Avoir un regard tombant et sans vie.
  12. Feuilles d’épée. Démarquez-vous à plat et raide et suggérez une lame d’épée.
  13. Ciblez les fleurs. Exactement face au spectateur comme un œil de bœuf.
  14. Fleurs étagées. Désagréablement symétrique.
  15. Côtés égaux. Latérales doivent toujours être de longueur inégale.
  16. Yeux de sanglier. Fleurs en grappe régulière symétrique.
  17. Branche d’ongle tordue. Les virages serrés réguliers ne sont pas agréables.
  18. Grattage de vase. Aucune partie de l’arrangement ne doit toucher le vase.
  19. Coupe de couleur ou sandwichant. Une couleur en divisant régulièrement une autre en alternance.
  20. Un morceau de feuillage obscurcissant un autre ou la tige.
  21. Pliez l’arc des branches. Mauvais augure car suggère l’agression et le militarisme comme 12.
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64. Ikebana et triade bouddhique

Le syncrétisme religieux est une des caractéristiques de la culture japonaise et se retrouve dans la symbolique de l’Ikebana.

 

Alors qu’en Occident il y a eu des guerres de religion provoquées par la réforme protestante et le schisme anglican, au Japon le dicton « le nouveau s’ajoute à l’ancien sans le supplanter » a toujours été appliqué. Les nouvelles religions ou philosophies sont incorporées dans les systèmes préexistants. Les moines-guerriers (Sōhei) qui se battent le font, non pas pour défendre leur religion, mais pour avoir ou maintenir des privilèges sur leurs territoires, sur les impôts ou encore sur la nomination des moines généralement décidée par la cour impériale.

 

Ci-contre, reconstitution historique du Sōhei médiéval.

 

               

Le bouddhisme, introduit au Japon en 538 après J.-C., s’est mêlé à la religion native shintō et dans les quelque neuf cents ans qui se sont écoulés avant l’apparition de l’Ikebana au XVe siècle, les symboliques de ces deux religions se sont combinées. Les règles de l’Ikebana se sont formées, en partie, sur ces bases religieuses.

 

Le style « primordial » ou originel des Tatebana et Rikka, dont dérivent tous les autres styles traditionnels de toutes les Écoles, correspond à ce que l’École Ohara appelle le style Chokuritsu-kei dans lequel la branche la plus importante est au centre et en position verticale.

Les branches principales du Rikka sont au nombre de 7 ou 9. Dans l’image ci-contre sont indiqués, parmi les 9 éléments principaux, ceux qui deviendront les trois éléments principaux dans le Chokuritsu-kei de l’École Ohara. Dans le Rikka, il est à noter :

– A : Shu-shi et Fuku-shi sont relativement proches tandis que Kyaku-shi est plus éloigné.

– B : Shu-shi et Fuku-shi sont du côté Yang de la composition, au soleil tandis que Kyaku-shi est du côté Ying, à l’ombre (Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

 

À l’époque Edo, le Rikka simplifié devient les Shōka/Seika, ne gardant seulement trois branches. Les règles sont maintenues :

– A : Shu-shi et Fuku-shi sont relativement proches alors que Kyaku-shi est plus éloigné (Voir Article 62, Utilisation des nombres impairs en Ikebana).

– B : Shu-shi et Fuku-shi, étant du côté Yang de la composition, sont de même végétal Yang (branche) par rapport à Kyaku-shi qui doit être Yin (fleur) par rapport au groupe Shu-shi/Fuku-shi

– C : Des sept ou neuf branches principales du Rikka, trois seulement sont conservées.

 

Ces trois concepts A, B et C dérivent de l’union d’un symbole bouddhique, la triade bouddhique avec un symbole taoïste, le Tai-ji divisé en côté Yang et côté Yin.

 

La triade bouddhique est introduite au Japon (au début de la période Asuka, vers 550 après J.-C.) avec les peintures représentant Bouddha debout, toujours au centre et entouré de deux personnages mineurs, qui changent selon les besoins. Le personnage à la droite de Bouddha est proche tandis que celui à sa gauche est plus éloigné.

 

 Dès l’époque Heian (794-1185), trois pierres représentant la triade bouddhique sont placées dans les jardins ou peintes sur des kakemono.

 

– Le rocher central 1 et celui à sa droite 2 sont relativement plus proches et représentent la partie Yang/masculine du Tai-ji.

– Le troisième rocher 3, à la gauche du rocher central, est relativement plus éloigné et plus en avant représente son Yin/partie féminine.

(Voir Article 53, De l’Ikebana à la cuisine et à la technique photographique).

 

 

 

 

Intéressant ce triptyque d’Utagawa Kunisada (1786-1865) représentant l’un des serviteurs du dieu Fudō Myōō : deux fleurs de lotus et une feuille sont dessinées selon le modèle de la triade bouddhique.

Soulignons également l’ouverture différente des deux lotus et la subdivision de 3 en 2 + 1 avec le côté Yang/fleurs et le côté Yin/feuille (Voir Article 62, Utilisation des nombres impairs en Ikebana).

 

La disposition selon la triade bouddhique se retrouve fréquemment dans la peinture et plus tard, à l’époque moderne, dans les photographies.

 

Kakejiku, encre sur papier de Gessai Gabimaru (1789-1818)

 

Le peintre surréaliste belge, René Magritte (1898-1967), utilise ce schéma de composition dans deux peintures célèbres. L’agencement des éléments reprend la forme de la triade bouddhique avec 5 = 3 + 2 (Voir Article 69, Naissance des styles en Ikebana).

 

 

Dans la publicité occidentale, le schéma de triade est fréquemment utilisé. C’est le cas du cirque américain Barnum dans laquelle les trois plus gros ours sont disposés selon ce schéma. Le plus gros de tous est au centre avec, à sa droite proche, un mâle et la troisième, plus en avant, une femelle. Les plus petits ours et les hommes ne sont que des auxiliaires.

De même, dans cette publicité suisse plus récente de Coca Cola où les montagnes suisses sont idéalisées et dessinées dans une variante de la triade (le troisième plus petit élément est en arrière des deux autres).

 

 

En revenant à l’Ikebana, les règles de construction issues de la triade bouddhique sont maintenues par l’école Ohara.

 

– A : Shu-shi et Fuku-shi sont relativement proches alors que Kyaku-shi est plus éloigné.

– B : Shu-shi et Fuku-shi, étant du côté Yang de la composition, sont de même végétal. Ils sont Yang (branche) par rapport à Kyaku-shi qui est Yin (fleur).

– C : L’esprit de la triade est présente dans l’utilisation de trois Yaku-eda (Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi).

 

 

 

 

 

 

Le concept de la triade bouddhique est encore appliqué dans la disposition des cinq pommes de pin.

– Deux grandes masses pour Shu-shi et Fuku-shi et trois petites dans le rôle de Chukan-chi, côté Yang.

– Kyaku-shi est la fleur rouge Yin placée dans le coin.

 

 

 

Cette composition de Kawase Toshiro, actuel Maître ikebaniste bien connu, est intéressante.

La disposition en forme de triade bouddhique est explicite. Le Kakemono, élément le plus important, est au centre. Le deuxième élément, à sa droite, est remarquable par sa « force » moyenne (haut daï rouge) et par sa proximité. La branche de pin s’étire vers l’élément principal-kakemono et même le recouvre.

Le troisième élément, à la gauche du Kakemono, est le « plus faible » des trois éléments : vase plus fin, sombre et sans couleur et plus « séparé » du kakemono.

 

 

 

 

 

 

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63. Les cinq éléments du Wu Xing et Ikebana

La théorie Wu Xing a influencé toute la culture japonaise et donc l’Ikebana. Pour le taoïsme, l’interaction du Yin et du Yang s’exprime à-travers cinq manifestations fondamentales de l’énergie que sont les cinq éléments : terre, eau, feu, métal et bois.

 

Le terme Wu Xing ne fait pas référence aux cinq éléments que l’on peut trouver n’importe où dans la nature. Il s’agit d’une métaphore faisant référence aux cinq formes d’expression du Ki dans l’univers.

Les cinq éléments sont simplement une figure symbolique des cinq phases du mouvement du Ki système de translittération Hepburn) ou Qi (système PinYin ).

 

 

Dans le schéma ci-contre, les cinq éléments terre, eau, feu, métal et bois sont représentés sous une forme symbolique appelée ‘Gorintō’ (Tour à 5 anneaux) ou ‘Gorinsotōba’.

 

 

Les Gorinsotōba sont courants dans les temples et les cimetières bouddhiques.

En accord avec le syncrétisme religieux japonais, les cinq éléments représentent le corps de Bouddha.

 

Tour à 5 anneaux : ‘Gorinsotōba’

 

 

 

 

Il n’est pas nécessaire à l’ikebaniste de connaître, en détail, la théorie complexe de Wu Xing.

Cependant d’après les anciens textes d’Ikebana, il est fascinant de constater que la théorie sur les règles de composition du Rikka formel/Shin (Voir Article 21, Shin, Gyō, Sō), à l’origine de tous les styles ultérieurs y compris ceux de l’École Ohara, est en concordance avec la théorie Wu Xing des cinq manifestations fondamentales de l’énergie que sont les cinq éléments : terre, eau, feu, métal et bois.

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Les différents croquis soulignent cette concordance.

 

Les noms utilisés par l’École Ohara Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi qui deviendront les trois Yaku-eda, ont été insérés au-dessus des branches du Rikka.

 

 

 

D’après les textes anciens, la concordance entre les hexagrammes du Yi jing ou I ching (oracles chinois) et l’Ikebana est également manifeste.

 

Il y a aussi concordance entre la disposition dans l’environnement, la construction et l’agencement spatial de la cabane de la Cérémonie du thé et les trigrammes du I ching (Livre des Mutations).

 

À l’époque Tokugawa (= Edo 1603-1868), le I ching est un texte d’une importance capitale, très suivi. La théorie du Yin-Yang et la théorie des cinq éléments, Xu Xing, sont les fondements théoriques de l’astronomie, la médecine, la mathématique, la botanique, l’architecture et bien d’autres arts, dont le Chanoyu, Cérémonie du thé, et l’Ikebana.

 

Voir Article 15,  Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji et Article 23,Tai-ji et École Ikenobō.

 

Avant 1600, ces théories sont connues par peu de gens (noblesse shogunale et impériale et hauts prélats bouddhistes). Elle se répandent, à l’époque Edo, auprès d’un nombre croissant de ‘Chōnin’, ces riches artisans et marchands qui, bien qu’au plus bas de l’échelle sociale Tokugawa, sont les créateurs et les mécènes des nouvelles formes d’art et contribuent, avec d’autres facteurs, à la fin du shogunat.

 

Quant à l’Ikebana, selon Wai-ming Ng, auteur de « The I ching in Tokugawa Thought and Culture », 1962, c’est dans cet art que ces principes sont les plus appliqués par rapport aux autres arts.

Dans un texte de 1700 (Transmissions orales de l‘École Sen’ Ikenobo) il est péremptoirement précisé que : « la composition, si elle n’est pas basée sur ces principes, n’est pas un Ikebana ».

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62. Utilisation des nombres impairs en ikebana

Voir Article 30, Asymétrie en Ikebana. Toutes les photos sont de © École Ohara.

 

Avant l’occidentalisation, les nombres impairs sont préférés dans la culture japonaise traditionnelle et aussi dans l’Ikebana car Yang, aux nombres pairs considérés comme Yin. Rappelons que 2 est le seul nombre pair accepté car il est la somme de Yang + Yin.

Dans les compositions à 3 ou à 5 éléments, il est intéressant de noter qu’en général, le nombre de 3 se répartit en 2 + 1 tandis que le nombre de 5 se répartit en 3 + 2 :

 

3 = 2 + 1 5 = 3 (2 + 1) + 2

 

Lorsque trois fleurs sont utilisées, généralement deux sont regroupées et plus proches du centre de la composition tandis que la 3ème est tenue plus loin, comme dans ces compositions de l’École Ohara.

 

3 = 2 + 1

 

Les fleurs du groupe de 2 du Tateru-Katachi qui apparaissent très proches vues de face ci-dessus, ne le sont en réalité pas.

Sur la photo ci-contre, la fleur courte mesure environ la moitié de Kyaku-shi.

 

Shikisai-Moribana Chokuritsu-kei (Moribana couleur vertical) avec le groupe »Bande couleur» intermédiaire dans lequel les 3 célosies rouges sont regroupées 2 + 1.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

 

NB 1 : Dans les arrangements Shikisai-Moribana Chokuritsu-kei (vertical) et Keisha-kei (incliné), les plus utilisés de l’École Ohara et les plus liés à l’origine historique de l’Ikebana, les points d’insertion des trois Yaku-eda (éléments principaux) sont également répartis en 2 + 1.

 

soit 2 pour Shu-shi et Fuku-shi plus proches et

+ 1 pour Kyaku-shi plus éloigné.

 

 

 

(Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

 

 

NB 2 : En plus d’apparaître optiquement répartis en 2 + 1, les points d’insertion propres aux 3 fleurs qui forment généralement le groupe Kyaku-shi dans les styles Chokuritsu-kei et Keisha-kei sont aussi répartis en 2 + 1.

 

Dans le Chokuritsu-kei-ci-après, le chrysanthème jaune Kyaku-shi et son Chukan-shi bas (auxiliaire) sont insérés rapprochés dans le kenzan antérieur et son Chukan-shi haut est inséré plus loin sur le Kenzan postérieur, devant Shu-shi.

 

 

Cette manière d’associer trois ou cinq éléments est courante dans les arts plastiques. Voici quelques-uns des nombreux exemples avec 3 éléments.

 

 

Trois parapluies distribués en 2 + 1.

 

Triptyque de Toyohara Kunichika, (1835 – 1900).

 

Pour éviter la monotonie et si cela est possible, la subdivision 2 et 1 ne correspond pas à la répartition 2+1  en termes de formes ou de couleurs, par exemples :

Un élément du groupe de 2 est similaire à celui qui est isolé

L’autre élément du groupe de 2 est différent : ci-dessus : parapluie abaissé et ci-dessous : petite chauve-souris, couleur claire des kakis, papillon dans un des lis de Koson et grue blanche de Ōkyo.

 

 

 

Dans ce célèbre dessin de Sengai, les trois éléments sont répartis en 2 + 1.

En lisant de droite à gauche, le cercle et le triangle se chevauchent partiellement, ce qui est différent du carré gris, le plus séparé des deux autres formes.

 

Les trois Sages : Bouddha, Confucius, Lao-Tseu testant le vinaigre, la disposition 2 + 1 est évidente.

 

Dans ces trois panneaux d’un paravent de Kanō Tan’yu (1602-1674), les 3 canopées de pin se répartissent en 2 + 1.

 

La répartition de 3 en 2 + 1 se retrouve également dans la disposition des aliments de la cuisine Kaiseki.

 

 

5 = 3 + 2.

 

Dans ce dessin extrait d’un livre d’Ikebana dans lequel il est recommandé de mettre de l’eau sucrée à l’intérieur des calices des fleurs de Camellia pour éviter leur chute brutale, nous avons une répartition des feuilles en 5 et en 3 avec les subdivisions de 5 en 3 + 2 et 3 en 2 + 1.

 

Dans ce dessin, la courtisane a 5 fleurs de Camellia dans sa main répartis en 3 (2 petits + 1 grand) + 2 (1 grand + 1 petit).

 

Dans un Ikebana, les trois fleurs sont regroupées en 2 + 1 mais elles sont toujours de même espèce et de même couleur et différenciées les unes des autres suivant un concept différent (Voir Article 56, Les six kakis de Mu Qi).

 

Généralement lorsqu’il y a 5 fleurs, l’association est 3 + 2 comme on le voit dans le groupe «Bande Couleur» de ces deux Moribana dans lesquels les 5 œillets et les 5 célosies sont regroupés en 3 + 2.

 

© École Ohara

 

 

On retrouve sur ce dessin de Koson, cette même manière :  le groupe de 5 aigrettes se différencie en 3 au cou plié et 2 au cou tendu.

 

 

 

Dans ces estampes Moineaux et Salix de Koson et de Hokusai, on retrouve le même schéma de répartition tant dans la forme des groupes que dans leur couleur.

 

– Pour Koson : 2 + 1 oiseaux répartis en 2 noirs et 1 blanc/noir. Un moineau du groupe de 2 est similaire au moineau isolé en terme de couleur : noire.

 

 – Katsushika Hokusai : 3 + 2 moineaux répartis 3 blancs/noirs + 2 noirs. Un moineau du groupe de 3 (2 blancs/noirs + 1 noir)  est similaire au groupe de 2 (2 noirs).

 

Ohara Koson (1877-1945) Katsushika Hokusai (1760-1849)

 

Dans cette autre estampe de Katsushika Hokusai (1760-1849), on retrouve la même organisation spatiale que l’estampe avec les moineaux ci-dessus.

Il est intéressant de noter que le groupe de 3 femmes est à son tour subdivisé en 2 + 1, c’est-à-dire que les deux femmes sont unies par la toile qu’elles tiennent.

 

 

 

Même subdivision avec les fleurs d’iris et le papillon de Kiitsu Suzuki.

 

Parmi les iris,

– En haut un groupe de 5 répartis en 3 ouverts + 2 fermés mais de couleurs différentes, 3 clairs + 2 sombres.

 

– en bas un groupe de 3 répartis en 2 ouverts + 1 fermé de manière différente mais tous de même couleur.

Détail du kakemono de Kiitsu Suzuki.

 

Autres estampes

– Ohara Koson : Deux oiseaux en vol plus rapprochés, deux canards regroupés au sol, le cou tendu et un canard isolé le cou rentré.

– Imao Keinen : deux grenades avec un perroquet.

– Shiro Kasamatsu : trois daims vus de dos contre deux vus de face. Les deux groupes, 3 + 2, ne se chevauchent pas.

 

 

Sur cette photo réalisée sur ordinateur et qui a reçu un prix en 2014, on retrouve la même distribution traditionnelle 5 = 3 (2 + 1) + 2.

 

Pour l’ikebaniste Ohara, il est intéressant de noter que les subdivisions 3 = 2 + 1 et 5 = 2 + 3 se retrouvent dans la disposition des feuilles d’Iris des arrangements Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I Hagumi (Paysage traditionnel aquatique, technique Hagumi), © École Ohara.

Dans le groupe de feuilles avant, qui indique la saison, il y 5 feuilles au printemps et 3 feuilles en été qui se répartissent en :

 

Été : 3 = 2 + 1, 2 « grandes » feuilles + 1 « petite » feuille. Printemps : 5 = 3 + 2, 2 « grandes » feuilles + 3 « petites » feuilles. (les 3 petites feuilles se divisent encore en 2 devant et 1 derrière).

 

 

 

 

Dans l’Emakimono de Kanō Sanraku (1559-1635), intitulé cent Camellia, on retrouve souvent les subdivisions

5 = 3 + 2 et 3 = 2 + 1.

 

Cette répartition 5 = 3 + 2 se retrouve encore dans la disposition des aliments.

Sur la table basse il y a 3 récipients ronds + 2 objets allongés (vaisselle + baguettes).

 

 

Dans de nombreuses autres situations, les subdivisions 3 = 2 + 1 et 5 = 2 + 3 sont présentes.

 

Sur ces images de boîtes d’allumettes, le thème des subdivisions 3 = 2 + 1 et 5 = 2 + 3 se répètent avec de petites variations.

 

Dans tous ces dessins, la hiérarchie est évidente et est similaire à celle de l’Ikebana. Autant dans l’arrangement à 3 éléments que dans celui à 5 éléments, les 2 éléments les plus importants (semblables à Shu-shi et Fuku-shi) sont associés à trois éléments moins importants (éléments semblables aux 3 Chukan-shi du groupe Shu-shi/Fuku-shi.

 

 

 

Dans un Ikebana, contrairement à la plupart des peintures montrées plus haut,  les 5 fleurs du groupe Bande couleur sont divisées en 3 + 2 mais elles sont de même espèce et de même couleur, sans ou avec peu de différenciation entre elles. Ici intervient un concept différent (Voir Article 56, Les six kakis de Mu Qi).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Feuilles d’érable tombées.

Cette façon de diviser les nombres impairs 3 = 2 + 1 et 5 = 3 + 2 se retrouve dans la disposition des 3 ou 5 feuilles d’érable dans les compositions d’automne »Feuilles d’érable tombées» (Voir Article 59, Saisonnalité de la nature).

 

Notez aussi la subdivision 2 + 1 des 3 groupes de chrysanthèmes jaunes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Trois fruits jaunes ronds avec deux qui ont séché.

 

Dans ce Rimpa-Cho avec 5 chrysanthèmes jaunes, la subdivision de ces fleurs en deux groupes est évidente : (2 + 1 = ) 3 + 2 = 5.

Très probablement, cette façon d’arranger 3 ou 5 objets découle de la tradition comme l’arrangement des pierres qui à son tour découle de la triade bouddhique associée au taoïsme (Voir Article 39, Suiseki et Ikebana).

 

«Le nouveau s’ajoute à l’ancien sans le supplanter».

 

Détail d’une illustration du XIIe siècle de Genji monogatari :  5 pins, divisés 3 + 2, dessinés sur un Fusuma (Portes coulissantes).

 

Sur ce paravent réalisé par l’un des derniers représentants du style Rimpa, Kamisaka Sekka (1866-1942), les trois seuls iris blancs sont divisés en 2 + 1.

 

La fugacité exprimée par l’épanouissement différent des trois fleurs est également mise en évidence (Voir Article 22, Influence du bouddhisme sur la structure de l’Ikebana).

 

 

 

Photo publicitaire de poupées japonaises montrant une actualisation de la règle dans laquelle les 5 poupées sont divisées en 3 + 2 et les 3 grandes divisées en 2 + 1.
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61. Le Camellia dans la culture japonaise et Ikebana

 

Le Suédois Karl von Linné (1707-1778), plus connu sous son nom latinisé de Linnaeus, est l’auteur de la taxonomie des espèces végétales et animales. Sa nomenclature en noms latins est reconnue plus tard dans toutes les langues du monde. Lorsqu’il doit trouver un nom scientifique pour le genre Camellia, il le choisit en l’honneur de Joseph Kamel (1661-1706), jésuite tchèque, botaniste et pharmacien en utilisant son nom latinisé Camellus. Kamel n’a probablement jamais vu de camellia car missionnaire actif aux Philippines et non au Japon ou en Chine où cette espèce est native.
Karl von Linné Joseph Kamel

 

Les deux espèces les plus utilisées en Ikebana sont Camellia japonica et Camellia Sasanqua tandis que Camellia Sinensis est utilisé pour la production de thé.

 

Camellia japonica, ‘Tsubaki’ en lecture Kun japonaise, fleurit au printemps. Sa fleur ne tombe pas pétale par pétale mais se détache brusquement et tombe entière.

 

 

 

Kanji

Lecture On Chin
Traduction Camellia
Lecture Kun Tsubaki
Traduction Arbre Printemps

 

 

Sa lecture On est ‘Chin’, que l’on retrouve dans le mot ‘Chinji’, mot composé de deux kanji signifiant «Camellia» et «ce qui se passe» c’est-à-dire ce qui se passe comme dans le camellia = quelque chose de soudain, ou accident bizarre.

En lecture Kun se dit ‘Tsubaki’, du kanji composé d’arbre et de printemps. (Voir Article 50, Langue japonaise).

 

 

Le Camellia d’automne ou Camellia de Noël, Camellia fleur de thé (du japonais Sazanka (山茶花), « thé de montagne »), fleurit en hiver et ses pétales tombent un à un, comme chez la plupart des fleurs.

Sasanqua est composé de trois Kanji.

 

 

 

Kanji

Lecture On San Cha ou Sa Ka
Lecture Kun Yama Hana
Traduction Montagne Thé Fleur

 

Ces trois Kanji nous rappellent que le thé se fait aussi bien avec les feuilles de Camellia japonica qu’avec celles de Sasanqua, même si sa teneur en théine est plus faible et qu’il est moins apprécié que le thé Camellia sinensis.

 

Dans la tradition d’avant l’époque Edo, le Camellia rouge, originaire du Japon et donc abondant, est considéré comme « populaire » par opposition au blanc, rare, considéré comme « noble ». Il est, selon la légende, offert pour la première fois à l’empereur Tenmu (631-686), 40ème Tenno du Japon.

 

Exemples de peintures sur paravents avec du Camellia blanc uniquement.

 

« Pins et Camellia » de Yusho Kaiho, début 1600.

 

 

Sakai Hōitsu

(1776-1828).

Aux époques Nara et Heian, le Camellia n’est pas un sujet de prédilection de l’art ou de la littérature. D’autres plantes lui sont préférées comme les branches de ‘Matsu’ (pin), les branches fleuries de ‘Ume’ (Prunus, abricotier du Japon), de ‘Tachibana’ (mandarinier), de ‘Sakura’ (cerisier).

 

Dans l’article 59, on évoque la saisonnalité de la nature en soulignant les plantes privilégiées dans les arts et l’Ikebana. Cette saisonnalité est tirée de la poésie. Or, le Camellia n’est mentionné que dans 9 poèmes sur 4516 du Man Yō-Shū alors qu’il n’apparaît jamais dans les 1111 poèmes du Kokin Waka Shū. Pour cette raison, même dans les premières formes d’Ikebana, Tatebana et Rikka, il est peu utilisé compte tenu, également, de sa fragilité déjà mise en évidence dans l’un des 9 poèmes du Man Yō-Shū, d’auteur inconnu.

 

Fleurs de Camellia

près de mon entrée

Sans que ma main te touche

Tomber par terre.

Poème, auteur inconnu.

 

Aux périodes d’unification de Kamakura-Muromachi (1185-1600), les samouraïs ont comme principale référence la culture de l’aristocratie impériale à laquelle ils ajoutent la leur (Cérémonie du thé et Ikebana). Les végétaux préférés sont ceux qui sont très appréciés par la cour impériale, principalement les branches fleuries et les conifères.

 

Le Camellia japonica, déjà peu aimé par la noblesse aux périodes Nara et Heian, l’est encore moins des samouraïs en ces périodes de combats incessants en raison de la particularité de sa fleur à se détacher soudainement et à tomber entière au sol. Un clair rappel aux samouraïs de haut rang qui risquent d’être décapités à la guerre, pratique courante à voir le nombre d’ennemis tués, la tête étant montrée comme une preuve concrète de la victoire.

 

 

Déjà dans un ancien texte spécifique à l’Ikebana, le Sendenshō, daté de 1445, il est écrit :

« N’utilisez pas les fleurs de Camellia et de rhododendron car toutes deux se détachent facilement, l’érable dont les feuilles se flétrissent et se recroquevillent en quelques heures et d’autres végétaux au même comportement « inopportun« .

 

Pour toutes ces raisons, le Camellia est peu utilisé en Ikebana avant 1600, début de la période Edo (1603-1838).

 

Trois exemples de Rikka dans lesquels le Camellia est ajouté avec parcimonie et uniquement à la base de la composition.

 

 

Peu considéré dans les périodes précédentes, le Camellia connaît son « âge d’or » à la période Edo (1600-1868). Les trois premiers Shoguns Tokugawa, qui règnent sur le Japon de 1600 à 1651, l’aiment beaucoup. Par imitation, les différents Daimyō (obligés par le Sankin-kōtai obligatoire d’avoir une résidence à Edo) et la classe de riches citoyens marchands/artisans commencent à cultiver diverses espèces de Camellia dans leurs jardins privés. Le Camellia devient alors très populaire.

Par conséquence, il s’utilise dans les nouveaux styles Shōka/Seika apparus à cette période historique.

 

Le Camellia est d’abord utilisé uniquement pour Kyaku-shi (troisième Yaku-eda de l’École Ohara).

 

Puis comme élément principal, groupe Shu-shi/Fuku-shi.

 

 

La popularité du Camellia parmi les samouraïs se confirme par le fait qu’il devient un élément de décoration du Tsuba (protection de main sur l’épée) ou des casques de parade. Maintenant qu’il n’y a plus de guerre et sans risque de perdre la tête, les samouraïs arborent le Camellia comme ornement sur l’armure lors des défilés militaires, même par ceux appartenant à la caste des guerriers devenus bureaucrates. Le Camellia perd son symbole de mauvais augure.

Tsuba (protection de main d’épée).  

 

Interdits par la loi, les riches commerçants/artisans ne peuvent pas afficher leur richesse dans leurs vêtements. Aussi payent-ils généreusement des artistes à produire de beaux Netsuke, soumis à aucune loi restrictive, avec des motifs de Camellia blanc.

 

À l’époque Edo, les feuilles de Camellia sont utilisées comme substitut au tabac, coûteux, introduit par les Portugais. Les feuilles sont finement tranchées et utilisées en pipe ou entières, enroulées comme une cigarette.

 

 

Toujours à l’époque Edo, l’utilisation de la pipe devient une mode chez les courtisanes de haut rang.

Une courtisane allume sa pipe avec celle d’une autre courtisane.

 

Une autre nettoie sa pipe avec du papier.

 

Le Camellia rouge, désormais très en vogue, apparaît fréquemment avec le Camellia blanc dans les motifs de paravents, éventails, kakemono, arts de la table. Il est représenté seul ou, selon la tradition, associé à des plantes à fleurs, au pin, au saule, associations que l’on retrouve dans l’Ikebana traditionnel.

 

Sakai Hōitsu (1776-1828)

 

 

 

Camellia 5-7 couleurs, 1929, Gyoshu Hayami,

(1894-1935).

 

 

 

 

 

Plat, Anonyme Kakemono par Utagawa Hiroshige (1797-1858)

 

 

 

Paravent, Hasegawa Totetsu,

XVIIe siècle

 

 

Le musée Nezu à Tokyō possède deux Emakimono intéressants attribués à Kanō Sanraku (1559-1635), intitulés « Dessin de cent Camellia ».

 

Sur les Emakimono, 100 qualités différentes de Camellia sont présentées dans diverses situations agrémentées de poèmes écrits par 49 poètes différents dont certains sont membres de la famille impériale, des Daimyō ou des hauts prélats bouddhistes.

 

 

 

 

 

 

La popularité du Camellia se confirme avec au moins 100 variétés différentes couramment cultivées au début de l’époque Edo.

 

 

Le Camellia fait également l’objet de divers Haiku. Parmi les auteurs les plus connus : Bashō et Buson.

 

Camellia blanc

dans la boue pour une bosse

involontaire

Matsuo Bashō (1644-1694)

Le Camellia est tombé

dans l’obscurité

du vieux puits

Yosa Buson (1716-1785)

 

Devenu très populaire, le Camellia s’utilise comme branche principale dans les nouveaux styles apparus à l’époque Edo (Shōka et Seika).

 

Pour l’ikebaniste, il est intéressant de comparer les motifs ci-dessous d’un éventail d’Ogata Kōrin (1652-1716) avec le dessin « botanique » occidental. Dans le motif de Kōrin (à gauche), la hiérarchie des « forces » est branche-feuilles-fleurs : une branche forte clairement visible avec des feuilles et des fleurs (montrées en partie seulement), donnant un excellent équilibre entre les forces des différentes composantes.

Dans le dessin occidental naturaliste (à droite), la force des fleurs prédomine suivie de celle des feuilles alors que la branche est fine, très faible.

 

L’ikebaniste Ohara, lorsqu’il traite le Camellia, doit se référer à la manière de Kōrin et non à la façon occidentale.

 

 

Quelques exemples d’arrangements du Camellia par l’École Ohara. © École Ohara

 

 

 

 

 

 

Quelques exemples d’arrangements du Camellia par l’École Sogetsu

 

 

 

 

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60. Origine des choix et associations de plantes en Ikebana

La saisonnalité de la Nature, décrite dans le précédent article (Voir Article 59, Saisonnalité de la nature), ainsi que les religions et philosophies de l’époque ont influencé le choix et l’association des plantes dans les compositions d’Ikebana.

 

Avec l’apparition de la classe des samouraïs aux époques Kamakura (1185-1333) et Muromachi (1336-1573), la cour impériale perd son pouvoir politique mais garde sa suprématie culturelle. Une noblesse se forme dans la classe des samouraïs qui conserve cependant la culture de la cour comme référence tout y en ajoutant la sienne (la Cérémonie du thé et l’Ikebana sont nées au sein ou avec le patronage de la classe des samouraïs).

Les végétaux préférés de la noblesse impériale sont les branches persistantes (chères au shintoïsme) et fleuries, cultivées dans les jardins. Cette préférence assimilée par la noblesse shogunale est appliquée à l’Ikebana.

 

Dans les premières formes codifiées d’Ikebana, les Tatebana et les premiers Rikka, toutes les branches principales (dont dérivent les trois branches principales Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi de l’École Ohara) sont exclusivement des branches persistantes ou des branches fleuries tandis que les feuilles ou les fleurs peuvent être insérées dans le « corps » de la composition, en son centre comme observables sur les images ci-dessous.

 

Structure de base du Rikka avec les 7 branches principales.

Dans l’image de droite, des feuilles ou des fleurs sont ajoutées aux branches principales uniquement en tant qu’auxiliaires, à l’intérieur et au centre du Rikka. Les éléments principaux ne sont que des branches fleuries ou des conifères. Ce Rikka réalisé avec 7 ou 9 branches ne peut être interprété que par des personnes très spécialisées.

 

À l’époque Edo (1603-1868), la classe des samouraïs maintient toujours sa suprématie politique et culturelle. Elle est néanmoins «flanquée» d’une classe naissante de marchands/artisans sans aucun pouvoir politique mais qui a le pouvoir de l’argent et qui développe sa propre culture spécifique.

À cette période historique, le Rikka continue également d’être exposé dans les situations formelles tant à la cour impériale que shogunale. L’arrangement étant trop compliqué pour la classe naissante de commerçants/artisans, elle en préfère la version simplifiée, c’est-à-dire le Shōka et le Seika réalisés avec trois branches principales seulement sur les sept ou neuf présentes dans le Rikka. Ces nouvelles compositions s’interprètent plus aisément par un étudiant compétent que le Rikka qui demande une analyse pointue de spécialiste.

 

Ci-contre, Shōka/Seika avec seulement 3 branches principales.

 

À cette époque, apparaissent les premiers jardins de la bourgeoisie des villes, également que les samouraïs se mettent à imiter. En effet, Les Daimyō (nobles et samouraïs dite de noblesse militaire) doivent vivre une année sur deux à Edo en raison du Sankin-kōtai (rotation de services) que leur impose le Shōgun. C’est ainsi que deux cultures, celle des citoyens ordinaires et celle des samouraïs se combinent.

 

Ci-contre, jardin de ville attaché à un château.

 

Aux branches fleuries et aux branches de conifère préférées par la noblesse s’y ajoutent des fleurs herbacées cultivées dans les jardins de la ville tant par la bourgeoisie que par les samouraïs.

 

Cette transformation se voit en Ikebana. Ainsi des Shōka/Seika d’origine dans lesquels seules des branches sont utilisées, on passe à des compositions dans lesquelles des fleurs herbacées sont utilisées pour le groupe Kyaku (terminologie de l’École Ohara).

 

 

Shōka/Seika du début de la période Edo : des branches avec des fleurs

 

Vers la fin de la période Edo, on en vient à n’utiliser que des fleurs herbacées dans la composition.

 

Ci-contre,  croquis  des groupes Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi composés d’iris exclusivement.

 

 

Du point de vue de l’ikebaniste, il est intéressant de comprendre que, partant de la poésie puis de la littérature et reprises plus tard par les peintres de paravents et de kakemono, poursuivies ensuite par les artistes qui ont produit des netsuke, des dessins de kimono et d’autres objets commun, la saisonnalité de la végétation a également influencé l’Ikebana à sa naissance au 15ème siècle. Ainsi, les choix de plantes et de leurs associations ne sont pas inventés par les Maîtres ikebanistes mais ils sont repris de la culture déjà existante. Ces choix imposés par les Écoles jusqu’à la fin de l’époque Edo (1868) ne laissent aucune liberté. Il faut suivre les choix traditionnels codifiés de chaque École.

L’École Ohara est la première à donner la liberté de choix des végétaux pour la réalisation des Moribana et des Heika, ne gardant les choix et les associations de végétaux que pour les Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I et les Shikisai-Moribana Yoshiki Hon-I (Paysages et Moribana couleur traditionnels), les Rimpa-Cho et les Bunjin-Cho.

Il est intéressant de souligner que, même si des branches et/ou des fleurs sont actuellement utilisées, l’habitude de n’utiliser que des branches pour les éléments principaux de la composition se perçoit dans la façon de nommer ces éléments principaux par certaines Écoles.

 

Pour l’École Ohara, les trois Yaku-eda sont appelés Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi.

 

Le Kanji ‘Shi’, commun aux trois noms, signifie «branche» (Shi en lecture On, Eda en lecture Kun). 

 

Kyaku-shi est souvent traduit par « la fleur de l’invité » car il est le plus souvent constitué de fleurs actuellement mais, en réalité, il signifie « la branche de l’hôte ».

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59. Saisonnalité de la nature

1) L’origine des choix et des associations de plantes en poésie et son influence sur

2) L’origine des choix et associations de plantes en Ikebana (Voir Article 60, Origine des choix et associations de plantes en Ikebana).

 

En Ikebana, depuis son origine au XVe siècle, les choix et les associations de végétaux utilisés dans les compositions n’ont pas été imaginés de toutes pièces par les Maîtres des écoles d’Ikebana mais sont tirés de la culture déjà existante. La connaissance des végétaux trouve avant tout son origine dans la poésie : les préférences, les choix, les associations de végétaux sont décrits dans les poèmes et les contes (qui à leur tour citent également des poèmes). Dans ces poèmes, écrits par des aristocrates instruits vivant dans les capitales Nara et Heian (actuelle Kyōto) et rarement en contact direct avec le monde rural, la nature y est idéalisée. Tout un vocabulaire et une codification de la nature liés spécifiquement aux saisons s’élaborent.

 

Les deux principaux recueils de poèmes sont :

– Le Man Yō-Shū (Recueil de dix mille feuilles), paru à l’époque de Nara (710-784), contient 4516 poèmes et 1600 citations de noms de plantes.

– Le Kokin Waka Shū (Recueil de poèmes anciens et modernes), paru à l’époque de Heian (794-1185), contient 1111 poèmes et de nombreuses citations de noms de plantes.

Dans ces deux recueils, environ 20 % des poèmes sont écrits par des femmes.

 

Les nombreux poèmes présents dans ces deux textes (et d’autres parus plus tard) constituent une partie essentielle de la culture de la noblesse impériale et, plus tard, shogunale, masculine et féminine. Les références aux poèmes sont très fréquentes dans les échanges de correspondances et dans les discours de tous les jours. À l’époque Edo, ce savoir devient essentiel pour les Chōnin, la classe moyenne urbaine aisée.

 

Divers jeux de société de la noblesse sont basés sur la connaissance d’un grand nombre de poèmes.

Par exemple celui du Kai-Awase dans lequel des coquilles de mollusques bivalves doivent être appariées en citant un vers voire une poésie complète et en nommant son auteur/autrice, informations inscrites sur les coquilles.

 

 

Geishas jouant au Kai-Awase, période Edo.

 

Les coquillages sont posés sur le tatami, le côté concave retourné. Le jeu consiste à soulever une valve et, après avoir reconnu le poème ou l’auteur/autrice, à se rappeler où se trouve la valve associée, peut-être soulevée précédemment.

 

 

Les boîtes de jeux contiennent 360 paires de coquillages. Ceux qui jouent doivent connaître au moins 360 poèmes par cœur. Traditionnellement, ces jeux sont donnés aux mariées car les coquillages font allusion à la fidélité conjugale (fidélité obligatoire uniquement pour l’épouse). Chaque valve ne correspond qu’à une seule autre valve à laquelle elle est appariée. À l’époque Edo, une variante est introduite avec les thèmes de fleurs ou de scènes d’histoires traditionnelles dessinées qui doivent être appariées.

 

                       

Après l’introduction des cartes à jouer par les Portugais, un même type de jeu d’associations devient à la mode. Le Karuta-Awase consiste à apparier des poèmes et leurs auteurs/autrices. Près de 100 poèmes, différents de ceux présentés dans le Kai-Awase cité précédemment, sont écrits sur ces cartes.

 

 

 

 

Paravent de Tosa Mitsuoki  (1617- 1691)

 

Une mode d’écrire des poèmes et de les accrocher aux arbres apparaît parmi la noblesse de la période Heian. On retrouve cette coutume dans les peintures sur paravents qui montrent des poèmes d’auteurs/autrices célèbres du Man Yō-Shū et du Kokin Waka Shū.

 

Avec les poèmes, se profilent des préférences pour des citations de certaines plantes plutôt que d’autres, probablement favorisées par le fait qu’il existe de nombreux Kanji homophones qui, bien qu’ils s’écrivent différemment et ont une signification différente, ils ont le même son (Voir Article 50, La langue japonaise). Par exemple, le «Pin» se lit «Matsu» et est homophone du verbe « attendre». Dans les poèmes, le pin est utilisé plus souvent que d’autres noms de plantes puisqu’il peut aussi sous-entendre, par exemple, attendre l’être aimé.

 

Un autre exemple est le mot «Lotus» lu «Ren». Avec son kanji homophone, il est intéressant à utiliser dans les poèmes car il peut signifier «Aimer, compatir, tenir à quelqu’un».

 

Pour ces raisons et d’autres, dans la culture des périodes Nara et Heian, la nature commence à être «saisonnalisée» : à un élément naturel, végétal, animal ou humain, est associé une saison spécifique. En effet, ce qui est présent en réalité tout au long de l’année ou à différentes saisons (comme les oiseaux, les plantes, les animaux) n’est, en fait, mentionné qu’en lien à une saison spécifique pour en devenir le symbole. Parfois, même des « lieux célèbres » du Japon (lieux connus et visités ou reproduits sur les paravents) en sont venus à être saisonnalisés, à n’être représenter qu’à une saison précise, généralement le printemps et l’automne. La peinture religieuse s’est aussi saisonnalisée comme la représentation de Bouddha à une saison donnée symbolisée par des feuilles rouges en automne, des fleurs de cerisier au printemps, les sept herbes d’automne ou des pins en hiver.

 

Paravents de Sakai Hōitsu (1771-1828)

 

Le poème de Eihei Dōgen (1200-1253) illustre cette saisonnalité :

La pleine lune, en particulier celle du huitième mois de l’ancien calendrier lunaire (= notre mois de septembre), est considérée la plus belle comme dans la poésie chinoise.  Bien que la pleine lune apparaisse tous les mois, elle est principalement mentionnée en lien avec l’automne.

 

Au printemps les cerisiers en fleurs

En été le coucou

En automne, la lune et

En hiver la neige, lumineuse et froide

 

Dans ces quatre kakemono de Mochizuki Gyokuse (1834-1913) intitulés Moon in the Four Seasons, la pleine lune n’est représentée qu’en automne.

 

 

 

Si l’on considère l’automne, on trouve de nombreux poèmes, estampes et même des céramiques associant cette saison à des animaux, des plantes, des lieux.

 

 

Parmi les nombreux poèmes, ce poème est assez typique. En plus de la lune d’automne, il mentionne (le retour) des oies sauvages, elles aussi rattachées à la saison automnale.

 

 

Blancs sont les nuages

et battant harmonieusement des ailes,

les oies sauvages volent,

il est clair que vous pouvez les compter

au clair de la lune d’automne.

Poème, auteur inconnu, Kokin Waka Shū.

 

 

 

Même notion de saisonnalité dans la conception de cette estampe où la pleine lune d’automne constitue le fond duquel l’oie sauvage s’envole au-dessus des herbes d’automne.

 

 

Certains insectes sont également saisonnalisés comme le criquet mentionné principalement en automne, bien qu’il soit présent à d’autres saisons.

 

 

Dans le champ d’automne

l’appel du criquet se fait entendre

il attend quelqu’un

Allez, je vais lui demander

si je suis l’attendu

Poème, auteur inconnu, Kokin Waka Shū.

 

Certains animaux le sont aussi, par exemple les cerfs, présents toute l’année, sont associés à l’automne, comme dans ce poème qui mentionne des thèmes typiques de l’automne : la lune, comprise comme étant pleine, la tristesse (le cerf se plaint). Le mont Ogura fait partie des « lieux célèbres » qui sont également saisonnalisés. Cette montagne, évidemment présente toute l’année, est principalement décrite en automne et non à d’autres saisons.  

Sous la lune opaque du soir

au Mont Ogura

un cerf se plaint

avec son brame, peut-être,

l’automne se couche-t-il ?

 

Ki no Tsurayuki, Kokin Waka Shū

 

Dessin avec des références typiques à l’automne : branches d’érable, pleine lune et cerf.

 

Les sentiments sont également saisonnalisés : par exemple la tristesse, qui peut être perçue en toute saison, est associée à l’automne probablement parce que ‘Aki’ = «Automne» a un homophone qui signifie «Fatigue».

 

Je vois la lumière

de la lune qui goutte

à-travers les arbres.

Ah voici l’automne

épuiser l’âme de tristesse

Poème, auteur inconnu, Kokin Waka Shū.

 

 

Exemple de lieu célèbre lié à l’automne : la rivière Tatsuta, mentionnée dans divers poèmes, est associée aux feuilles d’automne rouges, généralement l’érable, qu’elle entraîne en aval formant un brocart rouge à la surface de l’eau.

Si aucun feuille rayonnante

flottait dans le courant

de la rivière Tatsuta

qui remarquerait

l’automne dans l’eau ?

 

On retrouve ce thème dans les estampes, comme celle-ci de Hokusai (1760-1849) : des érables visibles au loin sur les montagnes qui forment le fond du décor et des feuilles emportées par le courant vers l’estuaire de la rivière Tatsuta où elles forment un brocart rouge.

 

À l’embouchure du fleuve

où s’en va l’automne

coulée flottante

les vagues ondulent

d’un cramoisi profond

Poème de Sosei (? -909)

 

La rivière Tatsuta, saisonnalisée,  est associée aux feuilles d’érable d’automne.

 

 

Plat réalisé par un anonyme et deux soucoupes d’Ogata Kenzan (1663-1743) sur lesquelles sont peints des tourbillons et des vagues de la rivière Tatsuta emportant des feuilles d’érable.

 

 

Quelle est la raison de cette saisonnalité ?

 

Entre autres causes probables, il y a le fait que la noblesse, aux époques de Nara et de Heian, ne quitte pas la capitale, surtout les femmes. Elles sont presque confinées à la maison, à l’abri des étrangers par divers types de paravents. Elles ne sortent de la ville que pour les pèlerinages et, dans ce cas, elles sont bien cachées dans les chariots tirés par des bœufs.

 

 

 

 

Pour la noblesse, principale autrice de la plupart des poèmes de l’époque, elle n’a, comme seuls référents de la nature, les jardins, la littérature et la peinture sur les paravents et sur les portes coulissantes.

 

1) Les jardins

Aux deux périodes historiques Nara et Heian, les jardins se composent principalement d’eau, de rochers et d’arbres à feuilles persistantes et d’arbres à fleurs.

 

Jardin typique avec le ruisseau qui serpente du nord au sud, des rochers, des arbres à feuilles persistantes et des arbres à fleurs.

 

 

 

Paravent avec les mêmes éléments typiques : eau, rochers, arbres à feuilles persistantes et à fleurs.

 

 

2) La littérature poétique et non romanesque.

L’autre source « d’informations » sur la nature, en plus des jardins, sont les poèmes et la littérature (qui à son tour citent les poèmes).

 

L’intérieur d’une demeure avec des peintures sur les portes coulissantes et une étagère où reposent des recueils poétiques et littéraires.

 

 

 

 

3) Les peintures sur les portes coulissantes

À l’intérieur des résidences, les motifs des portes coulissantes reproduisent à leur tour les plantes mentionnées dans les poèmes et la littérature de l’époque.

 

Cette saisonnalité de la Nature conduit les artistes peintres à dessiner des thèmes récurrents : « fleurs, arbres et oiseaux des quatre saisons » en faisant varier les associations traditionnelles de ces trois thèmes. La nature peinte sur les paravents, les portes coulissantes ou sur le kakemono représente des arbres et des oiseaux des quatre saisons ou des fleurs et des oiseaux ou seulement des arbres et des fleurs. Les quatre saisons peuvent chacune être peintes sur un seul paravent ou le printemps et l’été sur l’un et l’automne et l’hiver sur l’autre tandis que sur le kakemono, généralement, les arbres, les oiseaux et les fleurs sont dessinés pour chaque mois.

 

Deux paravents « arbres, fleurs et oiseaux des quatre saisons » de Kanō Eitoku (1543 –1590).

La lecture des paravents se fait de droite à gauche.

 

Le printemps et l’été

 

 

L’automne est symbolisé par l’érable rouge et l’hiver par le pin et le camellia blanc.

 

 

 

 

 

12 kakemono dessinés par Sakai Hōitsu (1776-1828) de la série Arbres, fleurs et oiseaux des quatre saisons.

 

 

Exemple de combinaisons de couleurs de 6 kimonos selon la saison.

 

 

Ce concept de saisonnalité de la Nature influence tous les arts y compris l’habillement. Les kimonos aux couleurs des différents végétaux aimés et saisonnalisés dans les arts littéraires et visuels, sont les « plus à la mode » que les autres.

 

Ci-contre, Femme noble vêtue d’une superposition de kimonos (jusqu’à 12) aux couleurs des végétaux privilégiés, période Heian.

 

Croquis préparatoires pour kimonos.

 

 

Sur les kimonos de l’époque Edo, les motifs de végétaux sont principalement ceux qui sont saisonnalisés.

 

Cette saisonnalité de la nature, commencée dans la poésie des périodes Nara et Heian puis étendue à la littérature et plus tard aux arts visuels, est intégrée à la culture nipponne. D’abord impériale, elle est incorporée par la classe des samouraïs lorsque l’Ikebana apparaît au 15ème siècle. Les végétaux préférentiels, arbres et fleurs, déjà existants dans la culture de l’époque, vont être choisis pour réaliser les compositions florales, comme nous le verrons dans le prochain article.

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58. L’importance d’un point de croissance unitaire de la composition

 

En Ikebana, le point de sortie des végétaux du contenant est très important.

 

 

À la fin du XIXe siècle, l’école Ohara, en plus d’introduire des compositions dans des bassins suiban, modifie l’une des règles de base de l’Ikebana existant depuis sa naissance au XVe siècle et restée inchangée jusqu’à la fin de la période Edo : on passe d’une sortie unitaire/compacte des végétaux hors du vase, haut ou bas, à une sortie «non unitaire/répartie sur une surface».

Dans le Moribana (composition dans un suiban), les trois Yaku-eda (éléments principaux) sont insérés en trois points distincts éloignés les uns des autres, leurs Chukan-shi (auxiliaires) étant placés dans la zone du triangle scalène typique formé par ces trois Yaku-eda.

 

Avant l’introduction du Moribana, dans toutes compositions Tatebana, Rikka, Shōka/Seika et Nageire, les branches et les tiges sortant des grands vases sont en contact très étroit et n’occupent qu’une partie de l’embouchure du vase :  il y a une unité du point de croissance de tous les végétaux de la composition comme on peut le voir sur les images ci-dessous.

 

 

 

Même s’ils sont réalisés moins fréquemment, les arrangements dans des bassins bas sont toujours avec une sortie très compacte des végétaux :

1) Le Suna no mono, composition informelle du Rikka, réalisé dans un vase bas contenant du sable, à gauche ci-dessous.

2) Les Shōka/Seika, à l’époque Edo, sont également réalisés dans des contenants bas, les végétaux sortant d’un seul point comme le montre l’estampe de Hosoda Eisho (1789-1801), à droite ci-dessous.

 

 

À la fois dans le Suna no mono d’abord puis dans les Shōka/Seika, des variantes existent pour séparer ce que l’École Ohara appelle le groupe Shu-shi/Fuku-shi du groupe Kyaku-shi. Mais on continue à maintenir la sortie du groupe Shu-shi/Fuku-shi et ses auxiliaires et celle du groupe kyaku et ses auxiliaires, très compactes comme on peut le voir sur les croquis ci-dessous.

 

 

 

Garder les végétaux étroitement unis à la sortie du vase fait qu’un point de croissance unitaire « renforce » la composition tandis qu’un point de croissance dispersé « l’affaiblit« .

 

Ci-dessous, les compositions de gauche avec les végétaux qui occupent tout ou presque l’embouchure du vase apparaissent « plus faibles » que les compositions (école d’Ikenobō) de droite.

 

 

Le proverbe « l’union fait la force » est évident dans les compositions Ikenobō dans lesquelles les plantes qui sortent d’un seul point donnent à la composition une sensation de « force » par opposition à la sensation de « faiblesse » donnée par les compositions de gauche.

Bien que l’école Ohara ait introduit l’insertion espacée des différents végétaux dans le Moribana, toutes ses compositions ne suivent pas ce même schéma. De nombreuses compositions conservent une compacité à leur base typique de tous les styles qui existaient avant l’introduction du Moribana.

 

Hana-isho, Tateru-Katachi,

© École Ohara.

 

Fait intéressant, bien qu’elle soit célèbre pour avoir créé le Moribana avec des points d’insertion des végétaux répartis dans un triangle scalène, l’École Ohara commence son programme d’enseignement aux débutants par les Hana-isho : des formes de base dans lesquelles chaque végétal doit être inséré, dans le kenzan, juste l’un derrière l’autre pour que la composition soit compacte avec un point de sortie unitaire.

 

Par conséquent, l’école Ohara maintient un point de sortie unitaire dans les compositions suivantes :

1 Hana-isho, formes de base

 

 

Dans les compositions Ohara, fréquemment, le point de sortie du vase est recouvert de plantes et donc non directement visible. La vérification que le point de départ des végétaux est unitaire est donnée par le fait que les lignes de tous les végétaux convergent en un seul point, indiqué par le cercle rouge sur le croquis.

2 Heika

 

Cette unité des végétaux à la sortie de l’embouchure du vase, même si elle existe, elle n’est pas très visible car des végétaux cachent l’embouchure du vase (Neijimari).

Cependant, vue de profil, l’unité du point de sortie des plantes est bien visible.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara.

 

3 Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I En-kei (Paysage traditionnel, perspective éloignée)

 

Le groupe Shu-shi/Fuku-shi représente un arbre dont tous les éléments sont insérés dans un seul cercle du shippo, en rose clair sur l’image.

 

 

 

4 Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I Chu-kei (Paysage traditionnel, perspective moyenne)

 

Le groupe Shu-shi/Fuku représente un buisson dont la base, bien que moins compacte que le tronc de la vue lointaine, est unitaire. Shu-shi et Fuku-shi et leurs trois Chukan-shi sont insérés les uns derrière les autres dans les cinq espaces des deux cercles du Shippo, en vert sur le dessin.

 

Une seule exception : lorsque les branches utilisées sont volumineuses et prennent beaucoup de place, on n’utilise pas un seul Shippo à deux cercles mais deux shippos distincts et positionnés suffisamment éloignés pour que les branches ne se touchent pas. Ces deux Shippo contiennent l’un Shu-shi et Fuku-shi. Avec le Shippo du groupe Kyaku-shi, ils forment le triangle scalène typique des Shikisai-Moribana ou des Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I Kin-kei (vue rapprochée).

 

 

5 Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I Kin-kei (Paysage traditionnel, perspective rapprochée)

 

Dans le Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I Kin-kei, où l’on utilise des branches, des herbes et des fleurs qui dans la nature poussent dispersées, les végétaux ne sortent pas du bassin regroupés, serrés comme dans les paysages de perspectives lointaine et moyenne.

Le placement des végétaux suit les règles canoniques du Moribana. Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi sont insérées dans trois shippos différents et forment un triangle scalène, plus ou moins espacé selon le type de végétaux entrant dans la composition.

 

 

Vue latérale d’un paysage en vue rapprochée :  Le groupe Shu-shi/Fuku-shi est inséré dans deux shippos différents. Le troisième shippo, vide pour l’instant, contiendra les végétaux du groupe Kyaku.

 

 

                                             

 

 

 

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57. Vases Raku

La poterie Raku est introduite dans la Cérémonie du thé Chanoyu par Sen no Rikyū en 1582 avec l’utilisation de tasses raku noires ou rouges.

Sen no Rikyū est l’un des cinq Maîtres de la Cérémonie du thé au service de Toyotomi Hideyoshi, deuxième unificateur du Japon. Il pratique la Cérémonie du thé à la fois « à la manière du palais » pour le Daimyō, permettant au pouvoir Hideyoshi de s’afficher et à la manière Wabi-cha, façon Zen.

 

À un potier de Kyōto, d’origine coréenne nommé Chōjirō, qui a créé les tuiles du nouveau château de Hideyoshi (appelé Juraku-tei ou Juraku-dai), Sen no Rikyū lui donne des instructions pour créer des tasses. Chōjirō en réalise en noir ou en rouge, sans utiliser le tour comme il est d’usage à l’époque pour les tasses à thé. Il n’utilise que ses mains et recourt à un procédé de cuisson particulier que l’on appellera plus tard Raku. Ces tasses ont les mêmes caractéristiques Wabi-Sabi que les Cha-no-yu de Rikyū.

 

Deux tasses originales de Chōjirō conservées au musée de la Famille Raku à Kyōto.

 

                         

Ces nouvelles tasses utilisées par Sen no Rikyū pour la cérémonie du thé Wabi-cha plaisent à Hideyoshi. Selon la légende, Hideyoshi attribue le nom de Raku à Chōjirō, ce qui signifie « plaisir, joie » en prenant un kanji du nom de son château de Kyōto appelé Juraku no Tei 聚楽第. Dans ce château, Sen no Rikyū construit une simple cabane pour la cérémonie du thé Wabi-cha et utilise les tasses créées par Chōjirō.

 

La technique de cuisson du raku a été relancée et modifiée par les américains après la seconde guerre mondiale pour ensuite être « exportée » en Europe. Aujourd’hui elle est utilisée pour créer tout type de vase.

 

Pour un ikebaniste, pouvoir créer des contenants raku pour ses propres compositions est très satisfaisant puisqu’il n’y a pas de vases adaptés à l’Ikebana sur le marché. Ces contenants doivent avoir certaines formes et ne doivent pas attirer l’attention plus que la composition elle-même, ce qui est plutôt le cas avec des vases en raku créés par des artistes-potiers qui ne connaissent pas l’Ikebana.

 

La sortie de cuisson des vases raku s’effectue à l’extérieur alors qu’ils sont encore incandescents. Si elle est effectuée dans l’obscurité de la nuit, elle devient un « rituel magique » dans lequel :

– Les éléments brûlent, le vase est incandescent.

– L’eau est jetée sur l’objet incandescent pour un refroidissement rapide.

– L’air soufflé sur le vase à l’aide d’un roseau, à la fois pour faciliter la réduction des émaux et pour accélérer le refroidissement.

– La terre, à la fois l’argile du vase lui-même et la terre sur laquelle l’incandescent vase repose pour recevoir la sciure de bois.

– le bois s’enflamme en dégageant une fumée qui pénètre et met en évidence les fissures typiques de l’émail créées par un refroidissement rapide.

Quelques photos prises lors de la sortie du four d’un vase, dans l’obscurité nocturne avec le vent jouant avec la sciure de bois.

Le vase, après la procédure ci-dessus expliquée, est placé sur une table pour enlever les restes de sciure de bois, puis est refroidi et nettoyé.

 

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56. Les six kakis de Mu Qi

Mu Qi (1210-1275) ou Mu Chi, moine chinois (appelé Mokkei au Japon) est l’un des principaux représentants de l’école de peinture chinoise Chan très appréciée des Shoguns Ashikaga. Il est l’auteur de la peinture ci-dessous en noir et encre bleue sur papier, aujourd’hui conservée au Daitoku-ji de Kyōto, titrée : Six kakis.

 

L’un au centre, noir, est entouré de trois kakis de couleur grise, et deux autres kakis plus extérieurs en blanc.  Considérant la composition des kakis dans son ensemble, on va du centre foncé/noir puis on passe à une zone grise intermédiaire pour arriver à la périphérie claire/blanche. Le passage des couleurs du kaki au centre noir en passant par les trois kakis gris pour arriver aux deux kakis blancs en périphérie symbolise les règles de la Nature, chères au taoïsme, concernant la croissance des plantes.

Autrement dit, des concepts équivalents peuvent être convoqués :

Le centre du dessin est noir ou foncé, lourd, vieux ou ouvert.  Si ce sont des fleurs, on dirait dense/épais.

– La périphérie se caractérise par des termes opposés : blanc ou clair, léger, jeune ou fermé et si ce sont des fleurs :  clairsemé/aminci.

Entre le centre et la partie externe, le tableau se caractérise par des termes de transition : entre noir-blanc, lourd-léger, vieux-jeune, ……..

 

Ces caractéristiques sont visibles, par exemple, dans ce buisson :

– Le centre est plus épais, plus dense, plus «sombre» et «optiquement lourd», au regard de sa périphérie qui est plus mince, «claire» et «optiquement légère».

– Au centre du buisson, les fleurs sont «plus âgées», à un stade d’ouverture plus avancée, que celles en périphérie «jeunes» et encore fermées.

 

 

 

Le même concept de couleur qui va du foncé au centre au clair en périphérie, exprimé dans la peinture de Mu Qi se retrouve dans ces roses, dans l’agencement de la nourriture avec l’élément le plus foncé au centre et dans les deux dessins avec des chiens et des lapins de Maruma Ōkyo (1733-1795).

 

 

 

 

Les compositions d’Ikebana, depuis ses premières formes codifiées Tatebana/Rikka, ont été construites en respectant ces règles visibles dans la nature. La référence à la conception du dessin des six kakis de Mu Qi aide l’ikebaniste Ohara à prendre des décisions pendant son arrangement.

Nous retrouvons encore fréquemment ces notions aujourd’hui dans les règles de composition des styles traditionnels (mais parfois aussi à ceux plus actuels) : sombre au centre, clair en périphérie.

 

Dans ces deux Moribana, la bande couleur au centre de la composition est plus foncée que les groupes Shu-shi-Fuku-shi et Kyaku-shi, groupes à la périphérie de la composition © École Ohara.

 

 

 

Dans ce Hana-isho, Narabu-katachi, la couleur de la fleur Shu-shi avec ses Chukan-shi (auxiliaires) au centre de la composition est plus foncée que les fleurs des groupe Fuku-shi et Kyaku-shi (à la périphérique dans la composition).

 

 

 

 

 

 

 

 

`© École Ohara.

 

 

La règle sombre au centre, clair en périphérie n’est pas appliquée si l’un des deux Yaku-eda (Shu-shi/Fuku-shi et Kyaku-shi) est de couleur plus sombre que la bande couleur « intermédiaire ». Dans ce cas, la bande couleur sera de couleur claire comme dans ces deux exemples. © École Ohara.

 

 

Se souvenir de la disposition des 6 kakis de Mu Qi aide également l’ikebaniste à décider de la façon de disposer la fleur Kyaku-shi et ses Chukan-shi haut et bas :

– Vieille au centre, jeune en périphérie ou

– Ouverte au centre, fermée en périphérie, ou

– « Plus âgée » au centre de la composition « plus jeune » à sa périphérie.

 

 

Dans les 2 arrangements ci-dessus, la fleur « plus âgée », ouverte est au centre de la composition tandis que la fleur « plus jeune », encore semi-fermée, est à sa périphérie.

 

– Dans le moribana avec Sansevieria (photo de gauche), parmi les trois roses qui composent le groupe Kyaku-shi, la « vieille » fleur est le Chukan-shi bas, la plus centrale, la fleur « plus jeune » est le Chukan-shi haut, plus périphérique et celle où la fleur Kyaku-shi est moyennement ouverte est positionnée entre le centre (Chukan-shi bas) et la périphérie (Chukan-shi haut).

 

– Dans le Moribana avec la bande couleur (photo de droite), la fleur de lys «plus ancienne » est au centre tandis que la deuxième fleur, plus périphérique, est encore fermée.

 

De même, nous avons les mêmes caractéristiques dans les 2 arrangements ci-dessous :

La fleur plus ouverte est au centre de la composition tandis que la fleur encore semi-fermée est à sa périphérie.

 

Dans le Hana-isho de base, Kyaku-shi est au centre. Il y a une rose « ancienne » ouverte et son Chukan-shi en périphérie est plus jeune, encore semi-fermé, © École Ohara.

 

 

L’utilisation de fleurs à différents stades d’ouverture met en évidence la fugacité, chère au bouddhisme. Cependant, les fleurs à différents stades d’éclosion ne sont pas positionnées au hasard, elles suivent le schéma illustré par les six kaki de Mu Qi.  Si nous considérons les trois fleurs du groupe Kyaku, la plus ouverte est au centre (Chukan-shi bas) la plus fermée à la périphérie de la composition (Chukan-shi haut) et la semi-ouverte (Kyaku-shi) entre les deux. « Grand » au centre, « petit » en périphérie

 

En Occident, si vous achetez des fleurs, elles sont généralement toutes au même stade de développement, aussi est-il difficile d’en révéler la fugacité dans une composition. Dans ce cas, utilisez des fleurs de grosseur différente : la plus grande fleur au centre comme Chukan-shi bas, la plus petite comme Chukan-shi haut à la périphérie et celle du milieu est de grosseur intermédiaire comme Kyaku-shi.

 

Dans ce Moribana, les fleurs de Kyaku-shi et ses Chukan-shi sont « adultes » (à en juger par les feuilles). D’après la règle, nous avons :

– Chukan-shi bas (au centre de la composition) :  fleur la plus « grosse ».

– Chukan-shi haut (à la périphérie de la composition) :  « plus petite » fleur.

– Fleur Kyaku-shi (entre le centre et la périphérie) : « taille moyenne ».

la tendance actuelle de composition de l’École Ohara est celle-ci, contrairement aux règles de composition florale occidentale qui veut que la fleur la plus « belle » soit au point le plus important, à savoir Kyaku-shi. 

© École Ohara.

 

Dans ce Shikisai-Moribana les règles des « 6 kakis de Mu Qi » sont visibles dans l’arrangement du groupe intermédiaire couleur :

– Couleur plus foncée (au centre) par rapport aux couleurs plus claires des groupes Shu-shi/Fuku-shi et Kyaku-shi en périphérie.

– Choix de la taille des fleurs, plus ouverte au centre de la composition et plus fermée à la périphérie.

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara.

 

Si la bande couleur intermédiaire est composée de 5 fleurs, elle se distribue en deux groupes de 2 +3

(Voir Article 62, Utilisation des nombres impairs en ikebana).

 

 

Le groupe le plus proche du centre de la composition (qu’il soit composé de 2 ou 3 fleurs) est « plus lourd, plus épais, plus dense » que le groupe le plus éloigné du centre de la composition dans lequel les fleurs sont « plus légères, plus claires et plus espacées ».

Les règles des « 6 kakis de Mu Qi » s’appliquent sur l’ensemble de la composition, Épais au centre, aminci en périphérie, plus foncé au centre, plus clair à la périphérie, ce qui donne :

Au centre, couleur plus foncée avec les célosies rouges (photo de droite) mais couleur plus claire avec les œillets puisque les amaryllis sont déjà de couleur foncée (photo de gauche).

À l’intérieur de la bande couleur, le groupe de fleurs le plus proche du centre de la composition est « plus compact et les fleurs plus proches les unes des autres » tandis que,

À la périphérie, le groupe de fleurs le plus éloigné du centre apparaît plus « léger » avec des fleurs plus espacées.

 

En général, le centre des compositions est relativement dense par rapport à sa périphérie. Dans ce Hana-isho, Hiraku-katachi et dans le heika de style Keisha-kei (incliné), comme dans tous les autres exemples précédents, le centre de la composition est « dense », compact, « lourd » tandis que la périphérie est « éclaircie », aérée, « légère ».

© École Ohara.

 

 

 

 

Exemple qui ne suit pas les concepts des «6 kakis de Mu Qi»

 

La fleur « la plus épaisse »/la plus ancienne n’est pas le Chukan-shi bas mais Kyaku-shi.

Le Chukan-shi bas est de « taille moyenne ».

Ce choix est probablement dû au volume de chacune des fleurs

par rapport au vase et à l’ensemble de la composition.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara.

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55. Ikebana Ka-dō

Ikebana, art traditionnel et voie éthique de Maria-Teresa Guglielmettie.

 

Dans la culture japonaise, le terme ‘Geiju-tsu’, art qui englobe également les arts traditionnels ‘Dentōgeinō’ : danse, chant, musique, théâtre (1), littérature, peinture, création de jardins Zen, céramique, calligraphie, art de la laque, Ikebana et Cérémonie du thé. Par conséquence, la conception des jardins et le Chanoyu (2) relèvent également des arts traditionnels qui, selon les critères de la culture occidentale, appartiennent à un domaine différent de celui de l’art. Au Japon, il n’y a pas de distinction entre les arts majeurs et mineurs : une peinture à l’encre, une céramique fine et un Ikebana ont une égale dignité artistique.

De ces constats, se pose la question du dénominateur commun à tous les arts inclus dans le terme ‘Dentōgeinō’ composé de différents Kanji (3) : ‘Den’ = transmettre tout réuni, ‘Nō’ = compétences, techniques et ‘Gei’ même caractère que l’on retrouve dans Geiju-tsu et qui fait référence au concept d’art. Ainsi, l’élément commun des arts définis comme traditionnels est mis en évidence : la transmission ou le respect, compris comme vénération et observance des enseignements des Maîtres du passé (4). Cette tradition telle qu’elle s’est formée et transformée au fil du temps, jalousement gardée et transmise oralement depuis des siècles (5), plonge ses racines dans la religiosité japonaise : le shintoïsme, religion native centrée sur la vénération des Kami, entités sacrées présentes partout tant dans la nature que dans les créations de l’homme, indissociable du bouddhisme, la religion d’origine indienne arrivée au Japon au VIe siècle après avoir reçue les apports taoïstes et confucéens de la Chine (6). L’inscription du Chanoyu dans les arts traditionnels devient alors compréhensible : l’essentialité raffinée de la cérémonie du thé marquée par des gestes ritualisés, l’unicité et l’irrépétabilité de chaque instant vécu, l’attention dans l’ici et le maintenant comme l’expriment les mots ‘Ic higo ichie’, littéralement une vie, une fois (7), c’est-à-dire la rencontre avec les autres participants et, à un niveau plus subtil, les perceptions sensorielles nouvelles, visuelles, auditives, tactiles, gustatives et olfactives que suscitent le déroulement du Chanoyu, d’instant en instant.

Une précision s’impose : le rapport entre art traditionnel et religion n’est guère exprimé et défini par les Japonais avec la clarté et l’objectivité que l’on recherche en Occident. La composante religieuse s’est plutôt diluée dans l’art devenant, au fil du temps, avant tout une pratique de vie quotidienne et artistique. Cette préférence donnée à l’activité concrète versus la pensée conceptuelle définie est à relier à la fois au shintoïsme, qui valorise la vitalité de l’homme et au pragmatisme du bouddhisme sino-japonais qui privilégie l’activité méditative dans les actions quotidiennes aux conceptions doctrinales élaborées.

Pour ne pas méconnaître ces religions, le lecteur occidental, tant croyant que laïc, doit se dépouiller de la manière souvent inconsciente de les considérer selon des concepts culturels de matrice chrétienne. Le bouddhisme et le shintoïsme, malgré leurs différences, placent le pivot de la religiosité dans la vie, participant à l’éternel devenir du cycle cosmique : pour le shintō, dans les actes de la vie quotidienne la plénitude vitale est atteinte et, pour le bouddhisme, c’est la libération de la souffrance. Le shintō place les vertus de sincérité et de pureté du cœur-esprit « Kokoro » (8), dans le comportement visant à atteindre et à maintenir une profonde harmonie non seulement avec les autres mais aussi avec la nature et le cosmos. Le bouddhisme conduit, par la méditation, au détachement de l’ego, à la libération des attachements par l’observation, sans choix ni jugement et préjugé, des réalités externe et interne toutes dignes de l’attention.

Au regard de la vie, l’humain, comme élément parmi tous les autres du microcosme et du macrocosme, a un lien profond avec la nature qui s’exprime, depuis près de deux millénaires, dans l’harmonie du peuple japonais avec les variations saisonnières et dans l’acceptation de toutes les manifestations naturelles, même les plus dramatiques et les plus destructrices. Avant l’ouverture des frontières à l’époque Meiji, le terme nature compris comme un monde matériel extérieur à l’homme n’existait pas dans la culture japonaise : « […] comme substituts au concept abstrait de nature, des termes concrets tels que Ten, Chi, San, Sen (ciel, terre, montagne, rivière) ou San, Ka, Sō, Boku (montagne, fleur, herbe, arbre) » sont utilisés (9). L’homme est l’une des manifestations de la nature au point de ne pouvoir penser détaché d’elle.

Dans les définitions San, Ka, Sō, Boku apparaissent trois éléments fondamentaux des compositions d’Ikebana : branches d’arbre, herbes et fleurs. Cela met ainsi en évidence combien l’origine et le développement de cet art sont intimement liés à une pensée éthique religieuse dans laquelle le soi trouve sa plénitude dans le rapport harmonieux et profondément en phase avec les manifestations du microcosme et du macrocosme.

Significatif à cet égard est le témoignage du talentueux professeur Itō Takumi de l’école Ohara (10) qui, parlant de l’Ikebana inspiré par la nature d’Oirase, (photo ci-dessous) déclare : « Avec cette composition j’ai essayé de réaliser la beauté d’Oirase. Si vous y allez, vous vous sentirez comme un objet de la nature. Immergé dans la nature, je n’ai pas de vie autonome, ça me fait vivre, je fais partie de cette nature » (11).

 

La nature d’Oirase, Itō Takumi, Soka juin 2012.

 

Admirez l’ombre du vert dans la beauté d’Oirase.

 

 

Si l’étude de l’Ikebana passe par la compréhension des transformations de la nature liées au passage cyclique du temps, la maturité dans la pratique de cet art passe par la compréhension des variations de la nature liées aux manifestations météorologiques à différents moments de la journée, des mois, des saisons : vent, neige, humidité dans la saison des pluies, lumière, fraîcheur etc… comme dans les compositions du Maître Itō qui reflètent la fraîcheur de la nature du début de l’été : fleurs dans l’eau, paysage au coucher du soleil ou encore, vent qui passe sur une étendue de fougères.

 

Fleurs dans l’eau, Itō Takumi, Soka juin 2012

 

Le vent passe sur une étendue de fougères,

Itō Takumi, Soka juin 2012.

 

De cette façon, nous arrivons à palpiter à l’unisson avec les différentes expressions de la végétation, de la nature, à la fois à grande échelle comme les bois, les vallées, les montagnes mais aussi à plus petites dimensions non moins émouvantes dans leur délicatesse et leur perfection, comme les herbes, fleurs et buissons au bord d’une route de campagne. Seule, la réalisation de cette harmonie (c’est-à-dire comprendre et approfondir les caractéristiques des plantes), permet d’inclure ces plantes dans la composition tout en respectant leur nature la plus intime et donc aussi leur vitalité. Ainsi, le sens du terme Ikebana de donner une nouvelle vie aux fleurs est pleinement réalisé.

L’identification aux végétaux génère en elle-même cette éthique de respect de la nature dont est né cet art et qui se manifeste à la fois dans les faits de ne pas abîmer la forme des arbres et arbustes, de ne pas saisir avidement plus que ce qui est strictement nécessaire à la composition pour ne pas endommager irrémédiablement l’environnement naturel, même sans commettre de véritables crimes (12) mais seulement en menant un mode de vie dont les conséquences sont prises en compte.

La méditation bouddhique conduit également à une immersion empathique dans la nature comme celle des peintres chinois et japonais qui, dans l’Antiquité, observaient le sujet à peindre jusqu’à ce qu’il ne fasse plus qu’un avec lui tandis que le concept bouddhique d’impermanence est en consonance parfaite avec la nature et ses variations continues, elles aussi présentes dans le shintō. Ces exemples montrent à quel point il est impossible de toujours séparer clairement les apports des deux religions.

L’utilisation du suffixe Dō (voie) dans la désignation de l’Ikebana Ka-dō, Voie des fleurs (13) et d’autres arts Chadō, voie du thé, Sho-dō, voie de la calligraphie, Sō-dō, voie de l’encens, indique une relation très étroite avec le bouddhisme, en particulier le bouddhisme Zen et ses composantes taoïstes et confucéennes. Dō dérive de Dao, la force unificatrice qui imprègne tout le cosmos et est au centre de la religion taoïste comme en témoigne le kanji Dō si intimement lié à la pensée philosophique et à la religiosité chinoise : « […] on peut distinguer une lecture confucéenne selon laquelle la Voie est le respect des règles, l’accomplissement de rites sociaux appropriés et une lecture taoïste, selon laquelle la Voie est la recherche de l’union avec le principe même du mouvement universel […] les deux courants de pensée s’entremêlent en réalité […] (14).

Comme l’ont démontré Giangiorgio Pasqualotto (15) et le professeur de l’École Ohara Mauro Graf (16), les règles que nous appliquons aujourd’hui dans l’Ikebana sont d’origine religieuse. Cependant, leur assimilation est insuffisante : pour réaliser l’esprit profond d’un art traditionnel, l’apport d’une créativité alliée à une conscience méditative est indispensable, dont la force conduit, de manière totalement indépendante de toute forme de volonté, à une union cosmique (17).

Dans le bouddhisme, et en particulier le Zen, l’être humain est le protagoniste du cheminement éthique qui peut se réaliser dans tous les aspects de sa personnalité. Comme l’a bien résumé le moine Zen et Maître de jardin Matsuo Shunmyō avec l’affirmation « Tout lieu est Dōjō » (18). La méditation n’est pas seulement une pratique formelle réservée à la salle de méditation des monastères et des retraites pour les laïcs ou à la solitude de sa maison, elle peut et doit impliquer tous les aspects de la vie. La confection d’un Ikebana devient ainsi un moment privilégié de pratique. L’engagement dans une activité relaxante et joyeuse se déroule, bien que de manière plus limitée et moins radicale, dans les mêmes conditions environnementales que les retraites de méditation : isolement dans un espace protégé loin des soucis de la vie quotidienne. De cette façon, les conditions idéales sont créées pour atteindre ce niveau de conscience qui est en soi une source de croissance morale. L’observation des mouvements de notre esprit avec les pensées, les souvenirs et les images qui se succèdent, surgissent et disparaissent extrêmement rapidement et sans interruption, nous fait entrer en contact avec le moi caractérisé par la relativité et l’imperfection. Le concept d’ego commence à s’effondrer en tant qu’entité qui nécessite continuellement sa propre affirmation. Les espaces en nous, saturés jusqu’alors de pensées et de comportements visant à la sauvegarde continue d’un ego raidi comme un bloc de glace (19), se libèrent et la vraie nature de l’homme commence à émerger caractérisée par la bonté et la positivité. Ce qu’exprime la métaphore du bouddhisme Zen est mis en œuvre : dans le cœur de chacun se trouve un diamant qu’il suffit de nettoyer pour qu’il brille de toute sa splendeur. Ces potentiels se réalisent et s’expriment dans la joie de vivre, dans la sérénité, dans le détachement de soi et dans la compassion qui apaisent la souffrance causée par les blessures de l’esprit critique et l’inévitabilité de la maladie et de la mort.

Chacun de nous, avec ses relations, constituent la société et déterminent ses caractéristiques. La pratique de l’Ikebana comme Ka-dō a ainsi des implications qui vont bien au-delà de la transformation de l’individu. Le détachement de soi conduit à la modestie et à l’humilité, qualités fondatrices des arts traditionnels japonais. Dans la culture actuelle des pays occidentaux, caractérisée par l’expression maximale de l’individualisme, la pudeur n’est plus une vertu. Le terme modestie a perdu ses valeurs positives et est le plus souvent interprété comme synonyme de médiocrité et de pauvreté. Or les comportements animés par la modestie et l’humilité véhiculent, dans tous les domaines d’action d’un individu, la positivité, la sérénité et la confiance en la vie. Les relations avec les autres sont basées sur le respect et la discrétion, la souplesse remplace la dureté de l’attachement à ses propres opinions, la bienveillance remplace la lutte pour l’affirmation continue de soi aux dépens de la communauté.

 

Notes

  1. Le théâtre Kabuki et les trois genres du théâtre classique japonais : Nō, Ningyō-jōruri, théâtre de poupées, aussi appelé Bunraku, théâtre de marionnettes, et Kyogen, action scénique courte d’un personnage farfelu.
  2. Cha no yu signifie littéralement eau chaude pour le thé. La traduction dans les principales langues européennes comme Tea Ceremony (anglais), Cérémonie du thé (français), Teezeremonie (allemand ) a sa propre justification, à la fois parce qu’elle s’adresse à tout le monde, même à ceux qui ne connaissent presque rien à la culture japonaise et Zen, et parce que toute une série d’actes rituels se déroulent dans le salon de thé.
  3. Caractères idéographiques chinois utilisés dans la langue japonaise, pour chacun desquels deux lectures sont possibles : une Japonaise appelé Kun et une chinoise On.
  4. Les arts martiaux traditionnels Dentō bujutsu n’ont pas été volontairement répertoriés car ils ne relèvent pas des arts du Dentōgeinō et, bien qu’ils partagent tous ensemble la transmission, ils nécessitent une discussion qui dépasse largement les thèmes de cet article.
  5. Ce n’est qu’après l’ouverture des frontières du Japon que les enseignements de certains arts ont commencé à être accessibles à tous grâce aux premières publications. Eugen Herrigel, Gusty Herrigel, Zen et l’art d’arranger les fleurs, SE Studio Editoriale, Milan, 1986, pp. 42-45.
  6. Les relations entre bouddhisme et shintoïsme sont complexes. À certains égards, il y a eu des chevauchements et des fusions de type syncrétique mais les deux religions restent distinctes et pratiquées le plus souvent en parallèle avec des prêtres shintoïstes qui officient des rites de passage de la naissance à l’âge adulte, les rites de purification et les mariages. Les moines bouddhistes célèbrent les funérailles. « Selon les statistiques de l’Agence [japonaise] pour la culture, le Japon comptait en 1997 95 117 730 bouddhistes et 104 533 179 shintoïstes sur seulement 127 millions d’habitants » Bouisson, Jean-Marie, Histoire of Contemporary Japan, Il Mulino Publishing Company, Bologne, 2003.

 

  1. Ces paroles qui incarnent l’esprit de la Cérémonie du Thé sont attribuées à Yamanoue Sōji, élève de Sen no Rikyū (1522-1591)
  2. Le concept holistique de Kokoro cœur-esprit est également présent dans le bouddhisme
  3. AAVV, Raku : une dynastie de potiers japonais, Turin, Allemandi, 1997. San, sen, sō, boku étaient également utilisés pour définir la nature, c’est-à-dire une combinaison des termes des deux définitions mentionnées dans le texte. Voir remarque 18.
  4. L’une des trois grandes écoles d’Ikebana créée à la fin du XIXe siècle par Unshin Ohara.
  5. Soka, Admirer la nuance de vert, juin 2012, pp. 9 – 13. Oirase est un célèbre parc national de la région d’Aomori et est réputé à la fois pour la beauté de sa nature et pour avoir été fréquenté par le poète Bashô (1644-94).
  6. Malheureusement, cette éthique qui faisait partie de l’héritage religieux et culturel de tout le peuple japonais tout au long de la période Edo a, avec l’industrialisation, été abandonnée par les détenteurs du pouvoir politique et économique jusqu’à la récente catastrophe de Fukushima, la dernière et la plus grave d’une série de drames environnementaux comme ceux de Minamata, dont les débuts remontent à 1908, de la rivière Agana, Yokkaichi et Toyama, pour ne citer que les cas les plus sensationnels.
  7. Un Ikebana peut être fait avec des fleurs, des feuilles, des branches et des herbes. Le terme Ikebana peut aussi désigner une composition de feuilles uniquement, de branches uniquement ou d’herbes uniquement, ainsi le mot Hana, combiné avec Ike, désigne tout type de végétal, Ka est la lecture On du terme Hana. Cependant, je garde la traduction du terme « Ka-dō » par « Voie des fleurs » car elle est consolidée à la fois par l’usage et par le sens fleur, dans le langage courant, du mot Hana/ka.
  8. Nagayama, Norio, Sho dō, style libre, Casadei Libri Editore, Padoue, 2005
  9. Pasqualotto, Giangiorgio, Esthétique du vide, Art et méditation dans les cultures de l’Orient, Venise,
  10. Graf, site Web de Mauro www.maurokorangraf.ch
  11. Je cite quelques exemples de formation à la méditation par des maîtres japonais des arts traditionnels. Raku Kichizaemon XV, op. cit. en note 9, a écrit une page, hors texte et insérée entre les photographies de tasses Raku, sur la relation intime entre la méditation et sa création artistique, sans que l’auteur n’utilise jamais le terme « méditation ». Déjà au début, quelques lignes conduisent le lecteur au cœur d’un stade très avancé de la méditation personnelle. Le professeur de l’école Urasenke, Sen Soshitsu, XV, Chadō, le Zen dans l’art du thé, Promolibri, Turin, 1986 et le professeur des écoles Ikenobō et Koryu, Ando Mei Keiko, Ikebana, Art Zen, 2009, travail auto-imprimé, parlent de leur formation à la méditation Zen dans un monastère.
  12. Dō (Voie) Jō (lieu), endroit pour apprendre la Voie. Ce terme fait généralement référence à la salle de méditation dans les monastères.

Masui Sachimine, Testini Beatrice, San Sen Sou Moku, Padoue, Casadei, 2007

  1. C’est une image du bouddhisme tibétain : l’esprit-cœur non travaillé par la conscience méditative est rigide comme un bloc de glace mais fond grâce à la focalisation de l’attention et prend les caractéristiques d’adaptabilité, de fluidité et de douceur de l’eau.

Dans l’article et dans les notes, les noms japonais sont mentionnés avec le nom de famille précédant le nom.

 

Merci à mon ami Matsumoto Jun pour les traductions et les précieuses informations sur les termes japonais.

 

Copyright : © Maria Teresa Guglielmettie, 2013. Tous les droits sont réservés. Aucune partie de ce texte ne peut être reproduite sans l’autorisation de l’auteur.

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54. Évolution de l’Ikebana au-travers de la lecture des Kanji

Lire d’abord l’article 50 sur la lecture On ou Kun du kanji.

Les compositions d’Ikebana sont « filles de leur temps » c’est-à-dire qu’elles reflètent la vision de la vie de leurs auteurs dans les différentes périodes historiques, une vision qui a changé plusieurs fois depuis le premier Ikebana structuré de la fin des années 1400 jusqu’aux compositions d’aujourd’hui.

L’évolution historique de ces compositions, du Kuge au Tatebana, puis au Rikka et aux Shōka/Seika et enfin jusqu’à l’apparition du mot Ikebana à la fin de la période Edo, est également perceptible dans le type de Kanji utilisé mais aussi dans le choix de type de lecture On (chinois, cultivé) ou Kun (japonais, populaire). Même ceux qui ne parlent pas japonais peuvent comprendre cette évolution en voyant les signes des Kanji et leur signification.

 

‘Kuge’, pierres tombales sculptées, Temple de Fusai, Tachikawa, Tokyō, représentant des offrandes rituelles (1322).

 

Le ‘Kuge’ est considéré, par certains auteurs, comme un proto-Ikebana réalisé sur les autels bouddhiques et gravé sur les pierres tombales. Bien qu’il ne soit composé que de fleurs et n’ait pas de règles de composition (ce qui le différencie du Tatebana ayant « règles primitives » et composé principalement de branches persistantes ou de branches fleuries auxquelles s’ajoutent quelques fleurs herbacées), les Kanji avec lesquels ‘Kuge’ s’écrit le rattachent aux futures formes d’Ikebana puisque les deux kanji de son nom le sont.

Kuge

 

 

Description Kanji Lecture On Lecture Kun Traduction
 

 

Le 1er kanji se lit ‘Ku’ en lecture On.

 

 

Ku-Kyō

 

 

 

 

Offrir, attendre

 

2ème kanji se lit ‘Ka, Ge’ en lecture On et ‘Hana’ en lecture Kun.

 

Ka Ge

 

Hana

Fleur épanouie

Ostentatoire

Chine

   

Kuge

 

 

Le 2ème Kanji se décompose. Kanji Traduction
 

Il est formé du radical «Herbe» qui désigne les plantes en général et est placé au-dessus du signe «fleur épanouie»,

 

Herbe

Ce Kanji «fleur épanouie» est polysémique. Il signifie aussi »Ostentatoire» et «Chine» probablement parce que la Chine se considérait comme un pays en « pleine floraison culturelle » supérieur à tout autre pays et aussi pour indiquer le Chinois en général. C’est donc un kanji important.  

Fleur en pleine floraison

Ostentatoire

Chine

 

Dessin des cinq objets sacrés placés dans ce qui deviendra le tokonoma.

Ce sont  l’encensoir, le bougeoir et trois Tatebana apparus à l’époque des Shogun Ashikaga, dans la première moitié des années 1400.

Les Shoguns Ashikaga introduisent l’habitude d’afficher une triade de kakemono dans leurs palais représentant, initialement,  Bouddha au centre avec deux personnages mineurs de part et d’autre.  Ils placent une triade d’objets dont un décor « floral » au pied du kakemono représentant Bouddha appelé Tatebana.

 

Ci-contre, 3 Tatebana avec des fleurs herbacées.

 

Voir Article 12, La naissance de l’Ikebana selon la tradition et Article 13, La naissance d’Ikebana d’après les documents historiques, Article 32, Ikebana et histoire : période Asuka a Kamakura (552-1333) et Article 35, Ikebana et histoire : périodes Meiji (1868-1912), Taisho (1912-1925) et Shōwa (1926-1989).

 

Mais les premiers Tatebana sont composés, comme on peut le voir ci-contre (tiré d’un traité spécifique d’Ikebana) principalement de plantes ‘Ki-Mono’, Yang, c’est-à-dire de branches persistantes ou fleuries associées à quelques fleurs herbacées ou herbes, végétaux ‘Kusa-Mono’ Yin, (Voir Article 2, Le concept de fort et de faible et Article 70, Esthétique Basara et Ikebana).

 

 

Le nom Tatebana s’écrit avec les Kanji suivants :

 

Description Kanji Lecture On Lecture Kun Traduction
 

Le 1er kanji se lit ‘Ri’ en lecture On et Tatsu-Teru en lecture Kun.

 

 

Ri

 

Tatsu/Teru

Tateru

 

 

Grandir droit

 

2ème kanji se lit ‘Ka, Ge’ en lecture On et ‘Hana en lecture Kun.

 

Ka Ge

 

Hana

Fleur épanouie

Ostentatoire

Chine

 

Rikka

 

Tatebana

 

Le Kanji « Offrir », visible dans le nom ‘Kuge’, est désormais remplacé par le Kanji « se tenir droit ». Le deuxième Kanji de ‘Kuge’ est maintenu car il vise à mettre en valeur toute la « beauté » d’un végétal, en rappelant que ce Kanji signifie aussi « Ostentatoire » et « Chine ».

 

Tatebana signifie fleurs (+ ses autres significations : Ostentatoire et Chine) placées droites. Ces Kanji spécifiques soulignent la fonction symbolique et représentative de la composition.

Ainsi, même s’il n’y a apparemment aucun lien particulier qui lie le ‘Kuge’, simple assemblage de fleurs, aux futures compositions d’Ikebana, le second Kanji avec lequel s’écrit ‘Kuge’ (lire Ka ou Ge en lecture On et Hana en lecture Kun), reste dans le nom ‘Tatebana’, nom de la première composition structurée. L’offrande de fleurs sur l’autel de Bouddha (‘Kuge’) est transférée aux demeures « laïques » des palais Ashikaga et son nom (et sa fonction) d’offrande « fleurs » (au sens de ‘Kuge’) se change en « fleurs » droites « (au sens de Tatebana) en l’honneur de Bouddha, non plus sur l’autel mais dans un contexte plus profane. Le premier Kanji avec lequel s’écrit Tatebana souligne l’importance de ceux qui font l’offrande, c’est-à-dire le Shogun et la classe dirigeante des samouraïs.

 

Dans les cinquante dernières années de la période Azuchi/Momoyama, vers 1500, le Tatebana évolue vers le Rikka.

Alors que dans le Tatebana il y avait peu de règles codifiées, l’important étant de mettre des végétaux « droits », le Rikka devient une composition très codifiée avec 9-11 branches principales, un côté Yang et un côté Yin. Imposant, grand, le Rikka est réalisé pour « frapper », impressionner» par son exubérance élégante, sa grandeur.

Le nom Rikka est la lecture On, chinoise et cultivée, des deux mêmes Kanji du nom Tatebana (en lecture Kun, japonaise et populaire). Il s’ensuit que la composition Rikka a plus d’importance que le Tatebana.

 

Par conséquence, Tatebana et Rikka sont la lecture, respectivement, Kun et On des deux mêmes kanji et les deux signifient : plantes redressées.

.

 

Dans la première partie de l’époque d’Edo (1603-1863) où la riche bourgeoisie urbaine de marchands-artisans commence à émerger, le Rikka, basé sur des symboles chers à la noblesse shogunale et impériale lui est trop difficile à créer et à interpréter. Il est alors simplifié et ne garde que trois éléments principaux. . Toutes les Écoles d’Ikebana l’appellent Seika sauf l’École Ikenobō qui le désigne du nom de Shōka car la disposition des trois éléments dans l’espace est différente dans les deux formes, (voir Article 24, Shintoïsme et Ikebana : du Rikka au Shōka et Seika).

Les principaux praticiens d’Ikebana sont désormais les riches marchands qui perçoivent la nouvelle composition d’une manière différente de celle du Rikka désormais «obsolète, plus à la mode».

 

Par conséquence, les Kanji de Shōka/Seika sont différents des Kanji de Rikka/Tatebana, compositions qui continuent d’être préférées de la noblesse shogunale et impériale.

« Droits », le Tatebana et surtout le Rikka sont réalisés pour impressionner les invités alors que les Seika/Shōka montrent une relation nouvelle aux végétaux perçus comme « vivants ».

 

Ci-contre, Seika.

Description Kanji Lecture On Lecture Kun Traduction
 

Le 1er kanji se lit ‘Ri’ en lecture On et Tatsu-Teru en lecture Kun.

 

 

Sei, Shō

Nama,

Ikiru, Umu,

Umameru, Haeru

 

Donner la vie

Laisser vivre

 

2ème kanji se lit ‘Ka, Ge’ en lecture On et ‘Hana’ en lecture Kun.

 

Ka

 

Hana

Fleur

Herbe

Végétal

 

Seika/Shōka

 

Ikebana

 

Par conséquent, le « nouveau » Kanji ‘Ka’ conserve le son original ‘Ka’ en lecture On et ‘Hana’ en lecture Kun mais il est remplacé par un nouveau Kanji.

 

Description Kanji Lecture On Lecture Kun Traduction
 

Le Kanji ‘Ka’ de Rikka en lecture On et de Tatebana en lecture Kun  devient le Kanji ‘Ka’ de Seika/Shoka en lecture On et de Ikebana en lecture Kun.

 

Ka

 

Hana

Fleur épanouie

Ostentatoire

Chine

 

Ka

 

Hana

Fleur

Herbe

Végétal

 

Ce nouveau Kanji, par rapport au précédent qui mettait en évidence la beauté d’une fleur entièrement ouverte, met désormais en évidence le caractère éphémère, le changement.

 

Le 2ème Kanji se décompose. Kanji Traduction
 

Le kanji ‘Ka’ utilisé maintenant est composé du même radical «Herbe» présent dans le kanji de Rikka.

Mais son signe en-dessous change.

 

Herbe

Avec le nouveau Kanji, on passe de « fleur complètement ouverte » à « changement » soit : homme debout suivi d’homme assis = homme vieillissant = changement. Homme debout suivi Homme assis (= Homme vieillissant, changement)

 

Même le kanji qui se lit ‘Sei’ ou ‘Shō’ en lecture On montre une vision différente qui n’est plus « se tenir droit et impressionner » du Rikka mais « donner la vie, laisser vivre les plantes ».

La lecture des deux kanji est toujours active tout comme la lecture de Rikka.

 

Dans la seconde moitié de l’époque d’Edo, les compositions Seika/Shōka sont interprétées et appréciées non seulement par la classe (relativement restreinte) des riches marchands et artisans mais par un nombre toujours croissant de citoyens, même les moins fortunés. L’augmentation de sa popularité conduit à lire les deux Kanji, non plus en lecture chinoise et cultivée On mais en lecture japonaise et populaire Kun prononcés «Ikebana». Le choix de la lecture Kun «Ikebana» plutôt que la lecture On «Seika/Shōka» indique que l’arrangement floral issu d’un art pratiqué auparavant uniquement par de petits groupes restreints (noblesse shogunale et impériale avec le Rikka, et petits groupes de citoyens riches avec les Seika/Shōka), s’étend également à une bonne partie de la population y compris féminine.

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53. De l’Ikebana à la cuisine et à la technique photographique

Ce blog insiste sur le fait que les règles de composition de l’Ikebana ne sont pas exclusives à cet art mais font partie de la culture traditionnelle japonaise. Ces règles sont communes à d’autres arts nés avant l’époque Edo lorsque la « pensée des temps anciens » ‘kodaishisō’ était une vision de la vie basée sur un syncrétisme entre diverses formes de religiosité (principalement shintoïsme, bouddhisme, taoïsme, confucianisme) et de « croyances populaires » (principalement théories du Yin-Yang, Feng-Shui), seuls outils à pouvoir comprendre et expliquer les lois qui régissent le cosmos. On retrouve les concepts du ‘kodaishisō’ dans les symboles de toutes les formes d’art jusqu’au milieu de la période Edo puis, à mesure que l’occidentalisation s’amplifie cette « pensée des temps anciens » est supplantée par une vision cartésienne occidentale. Si la « pensée des temps anciens » est remplacée par d’autres visions de la vie, ses symboles, exprimés dans les règles des différents arts (Ikebana, Cérémonie du thé, cuisine Kaiseki, disposition des pierres, jardin sec et objets du tokonoma, bonsaï et autres) restent inchangés. Il est intéressant de les retrouver sur cette photographie parue sur le net, élaborée sur ordinateur, de jeunes moines s’amusant au ballon.

 

© École Ohara
 

Les trois images, apparemment, n’ont rien en commun.

 

On a un Ikebana Chokuritsu-kei (style vertical) de l’école Ohara, de la nourriture disposée selon les règles de la cuisine Kaiseki et la troisième une photographie de jeunes moines bouddhistes élaborée sur ordinateur.

La beauté et la « force » de la photographie des joueurs résident également dans la disposition des garçons établie sur les mêmes principes esthétiques de l’Ikebana et de la nourriture dans le plat typique de la cuisine Kaiseki.

 

L’agencement des trois éléments se réfère à la fois :

– À La triade bouddhique où l’élément principal est au centre et entouré à droite et à gauche de deux éléments moins importants.

– Au concept taoïste suivant lequel les deux éléments les plus importants sont proches l’un de l’autre puisqu’ils représentent le côté Yang tandis que le troisième élément est plus espacé puisqu’il représente le côté Yin de la composition.

(Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana, Article 39, Suiseki et Ikebana).

 

 

Les trois pierres représentant le Tai-ji avec au centre la plus grande, la seconde moins volumineuse, à sa droite et rapprochées tandis que la troisième, la plus petite, est à sa gauche et relativement détachée des deux premières.  La plus petite représente le côté Yin/faible par opposition aux deux autres représentant le côté Yang/fort.

 

 

La disposition des éléments sur les trois photographies reproduit la triade bouddhique avec l’élément le plus important au centre (Shu-shi de l’Ikebana, deux morceaux de poisson dans l’assiette, jeune homme plus grand A avec un ballon) tandis qu’à son côté droit est le deuxième élément le plus important (Fuku-shi de l’Ikebana, B dans l’assiette et les joueurs). Shu-shi, Fuku-shi et A/B sont plus proches l’un de l’autre que le plus petit élément (Kyaku-shi de l’Ikebana et C dans l’assiette et les joueurs).

Sur la photo des garçons, les trois groupes de joueurs sont à la même distance mais A et B sont « plus proches » du fait que les joueurs sont face au ballon et par conséquent, le groupe B regarde vers A. Cela les rend plus unis que les joueurs du groupe C. L’utilisation du nombre impair 5 doit être soulignée (les nombres impairs considérés comme Yang, sont préférés aux pairs considérés comme Yin).

Les groupes Kyaku-shi et C dans l’assiette et les joueurs sont plus petits et plus distants car ils représentent le côté Yin des trois compositions.

En Ikebana, Shu-shi, Fuku-shi sont proches l’un de l’autre et du même bois végétal/Yang par rapport à Kyaku-shi, fleur/Yin. De même dans l’assiette, les aliments A et B sont proches l’un de l’autre par rapport l’aliment C et sont  » liés » par la présence de feuilles de fougère qui rendent A et B Yang/fort par rapport à la nourriture C Yin/faible.

Les trois images, Ikebana, la nourriture dans l’assiette et les cinq joueurs, sont des compositions Hongatte/à droite (Voir Article 16, Origine des positions ‘Hon-Gatte’ et ‘Gyaku-Gatte et Article 17, Composition à gauche et composition à droite).

 

Il est fascinant de constater que l’assemblage des éléments composant la photo des jeunes moines, œuvre primée en 2014, reprend exactement les mêmes concepts qui régissent (entre autres) l’Ikebana et l’agencement des nourritures dans la cuisine Kaiseki. L’utilisation des nombres impairs (Yang, préféré aux nombres pairs Yin) et la « beauté » de la photo montrent comment les règles de disposition issues du kodaishisō, la pensée des temps anciens, conservent leur validité encore aujourd’hui.

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52. Genèse et évolution du style Kansui-kei

Les premières compositions d’Ikebana structurées s’appellent Tatebana, du verbe ‘Tateru’ = se tenir droit et de ‘Hana’ = « fleurs » (= branches, fleurs, herbes, feuilles, …) donc Tatebana signifie « fleurs » droites (Voir articles précédents).

Les végétaux regroupés émergent du centre du contenant.

L’élément principal de l’École Ohara, appelé Shu-shi, est toujours central, droit car l’un des différents symboles représentés dans le Tatebana/Rikka est la triade bouddhique avec Bouddha au centre entouré de deux figures mineures qui, dans la composition, sont Shu-shi au centre entouré par Fuku-shi et Kyaku-shi.

 

 

 

Au fil du temps, Shu-shi central prend des courbures et les branches latérales se placent de façon asymétrique.

 

La composition s’appelle Rikka en lecture On, auparavant Tatebana en lecture Kun.

Voir Article 54, Évolution de l’Ikebana dans la lecture des Kanji.

 

 

 

Comme il est possible de créer une composition « en miroir », une différenciation entre composition Hon-Gatte/à droite (du kakemono) et composition Gyaku-Gatte/à gauche (du kakemono) est introduite.

Voir Article 16, Origine des positions ‘Hon-Gatte’ et ‘Gyaku-Gatte et Article 17, Composition à gauche et composition à droite.

 

Du Rikka de l’époque Edo, on est passé à des formes plus simples d’Ikebana appelés Shōka et Seika composées seulement de trois éléments principaux et d’éléments auxiliaires. On a, alors,  Shōka/Seika Hon-Gatte et Shōka/Seika Gyaku-Gatte.

 

Dans les Moribana et Heika, l’École Ohara, en cohérence avec la nomenclature de droite et de gauche, place la composition Hon-Gatte/main droite à droite du centre du vase et la composition Gyaku-Gatte/main gauche à gauche du centre du vase (Voir Article 16, Origine des positions ‘Hon-Gatte’ et ‘Gyaku-Gatte).

© École Ohara

 

 

Dans les premières formes d’Ikebana, la seule manière de disposer les végétaux dans le vase est celle avec Shu-shi au centre et à la verticale soit le style Chokuritsu-kei (style vertical) de l’École Ohara.

Toutes les règles de composition des autres styles se basent sur ce style Chokuritsu-kei originel. Les règles des styles Keisha-kei (incliné), Kasui-kei (cascade) et Kansui-kei (se reflétant dans l’eau), apparus plus tard, sont des petites modifications du style Chokuritsu-kei (vertical).

 

 

Laissant de côté les différentes étapes intermédiaires et simplifiant grandement l’explication, on peut dire qu’avec le passage du Rikka aux Shōka/Seika, Shu-shi change de position soit « inclinée » soit « en cascade » tandis que Fuku-shi et Kyaku-shi restent inchangés quant à leurs positions relatives à Hon-Gatte/droite et à Gyaku-Gatte/gauche. À noter, les positions de Fuku-shi et Kyaku-shi ne changent pas dans les trois styles.

 

Avec les Shōka/Seika, les arrangements Hon-Gatte et Gyaku-Gatte basés sur Shu-shi au centre et Fuku-shi et Kyaku-shi sur les côtés, doivent suivre une évolution, croquis ci-dessous.

 

Étant donné que la différence entre le style Chokuritsu-kei et les styles Keisha-kei et Kansui-kei réside uniquement dans le changement de position de Shu-shi, les positions de Fuku-shi et de Kyaku-shi, au regard du placement Hon-Gatte et Gyaku-Gatte, restent relativement inchangées.

 

Le style Kansui-kei, se reflétant dans l’eau, a été créé comme une variante du style Keisha-Kei, simplement en déplaçant le kenzan sur le côté opposé du vase. La relation entre les différents Yaku-eda (Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi) est inchangée, seuls les points d’insertion sont modifiés. Les points d’insertion de Shu-shi et de Fuku-shi sont plus rapprochés réduisant ainsi la surface du triangle scalène.

 

 

 

La nouvelle composition toujours Hon-Gatte devient Hon-Gatte non plus à droite mais désormais à gauche du centre du vase.  Dans les textes, l’arrangement est défini, à juste titre comme Hon-Gatte, de gauche. Idem pour la composition « miroir » Gyaku-Gatte, de droite.

 

 

La définition des arrangements Hon-Gatte/à droite et Gyaku-Gatte/à gauche, utilisés en Ikebana dès les premières formes codifiées il y a plus de quatre cents ans, n’est plus applicable dans le style Kansui-kei. Pendant longtemps, l’École Ohara maintient cette incongruité dans sa nomenclature et désigne la composition de style Kansui-kei Hon-Gatte mais de gauche et Gyaku-Gatte mais de droite.

 

Au fil du temps, l’École Ohara change la position de Fuku-shi. Partant de la position du style Keisha-kei, la position de Fuku-shi est modifiée par étapes successives jusqu’à atteindre la position actuelle.

 

Position de Fuku-shi du style Kansui-kei, vue de dessus :

Sa position, d’abord derrière Shu-shi et identique à celle du style Keisha-kei, est déplacée vers la position actuelle derrière Kyaku-shi.

 

Ayant maintenant changé la position de deux (Shu-shi et Fuku-shi) des trois Yaku-eda sur lesquels repose la définition de Hon-Gatte et Gyaku-Gatte, le Style Kansui-kei n’est plus classable comme Hon-Gatte ou Gyaku-Gatte.

 

Recherchant alors une homogénéité de position du Kenzan entre les autres styles Chokuritsu-kei et Keisha-kei, l’École Ohara définit la position Hon-Gatte/droite et Gyaku-Gatte/gauche selon la position du kenzan par rapport au centre du bassin, schéma ci-contre.

 

 

L’École Ohara, attachée aux traditions autant que possible, ne modifie la nomenclature originale que pour le style Kansui-kei. La définition Hon-Gatte/à droite et Gyaku-Gatte/à gauche, dans les styles créés avant les années 1930, est indépendante du point de sortie des plantes du vase mais dépend uniquement du rapport des positions respectives des trois éléments principaux.

 

Ci-dessous, compositions Rikka dans lesquelles les végétaux jaillissent toujours du centre du vase.

 

 

Les Seika, selon les différentes écoles, partent soit du centre, soit de la droite soit encore de la gauche de l’embouchure du vase.

Ci-dessous, exemples de trois Seika tous Gyaku-Gatte/à gauche, que les végétaux partent de la droite ou du centre ou de la gauche de l’embouchure du vase car ils sont exécutés par trois écoles différentes.

 

 

De ces quelques exemples, il ressort que les dénominations Hon-Gatte/à droite et Gyaku-Gatte/à gauche décrivent (avant la création du Moribana) la relation entre les trois éléments principaux Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi. Elles sont indépendantes du point de sortie des végétaux à l’embouchure du vase.

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51. Ikebana miroir des saisons

 

La composition, en plus d’être parfaite dans son exécution technique, doit donner à l’observateur/observatrice des sensations en lien avec la saison qui y est exprimée.

Sen no Rikyū (1522-1591), parlant de la Cérémonie du thé, dit : « en été, donnez la sensation de fraîcheur, en hiver celle de chaleur », principes qui peuvent aussi s’appliquer à l’Ikebana.

Si l’on considère l’été dans l’ancienne capitale Kyōto, on atteint 30°-40° de chaleur humide. La sensation prédominante qui doit être perçue est la fraîcheur que l’on recherche à l’ombre, mieux près de l’eau (rivière, lac, étang ) ou encore l’air apporté par la brise ou le vent.

 

Purification shintoïste à l’eau.

 

Il est à noter que les éléments eau et vent sont associés, pour les Japonais, à la fois à la purification (le shintoïsme prévoit deux voies de purification : par l’eau et par le vent) et à la naissance de la divinité shintoïste la plus importante, la déesse Amaterasu dont l’empereur est directement issu. La déesse est née de l’œil gauche (le gauche est Yang, plus important que le droit, Yin) lors du rite de purification à l’eau de son père Izanagi après sa sortie des enfers, au terme de sa vaine tentative pour récupérer sa femme Izanami morte des brûlures subies en donnant naissance au kami du feu.

 

La sensation de fraîcheur, en Ikebana, s’obtient :

  1. En utilisant des plantes aquatiques avec une grande surface d’eau ou des plantes non aquatiques (végétaux de prairie, forêt, colline, montagne) positionnées légèrement courbées pour que la sensation de fraîcheur de la brise ou du vent soit perçue à la vue des végétaux courbés.

 

  1. En montrant les plantes couvertes de rosée (aspergées avec le vaporisateur), on augmente la sensation de fraîcheur, tout comme voir dans le suiban une surface d’eau étendue par rapport à la surface limitée occupée par les plantes.

 

  1. En choisissant des végétaux aux formes et couleurs spécifiques :

– les différentes nuances de bleu, vert-bleu et blanc donnent la sensation de fraîcheur ainsi que les couleurs vives et lumineuses, même si la couleur elle-même n’a pas un ton « frais ».

 

– le rouge et le jaune sont des couleurs « chaudes » mais l’orange mandarine ou le jaune citron, s’ils sont vifs et lumineux, donnent aussi une sensation de fraîcheur.

– les formes rondes ou carrées sont plus « chaudes » que les formes triangulaires.

– les plantes ou fleurs à tiges courbes sont « plus fraîches » que celles droites ou verticales (garder droit ou vertical contre la force de gravité implique l’utilisation d’énergie = chaleur).

– les lignes sont « fraîches » alors que les masses (avec leur « lourdeur ») sont « chaudes ».  La « légèreté » d’un matériau le rend frais tandis que sa « lourdeur » le rend chaud. Il s’ensuit qu’en été, les lignes sont préférées tandis qu’en hiver les masses sont préférées.

– peu de couleurs et un faible nombre d’espèces (pas plus de 3) donnent plus la sensation de fraîcheur que beaucoup de couleurs ou un grand nombre de plantes. En d’autres termes, la fraîcheur est basée sur la simplicité.

– les vases participent aussi à la sensation de fraîcheur : vases aux couleurs et formes simples.

 

  1. En privilégiant certains styles :

Le style Chokuritsu-kei en Moribana et en Heika, avec Shu-shi vertical « utilisant de l’énergie » pour grandir, est moins apte à donner la sensation de fraîcheur que les styles Keisha-kei, Kansui-kei ou Kasui-kei.

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50. La langue japonaise

L’ikebaniste étant en en contact avec des noms japonais, quelques indices sur la langue japonaise sont nécessaires.

– il n’y a pas d’accents : par exemple Nageire se prononce na-ge-ire et non nagèire ou nageìre.

– 4 modes d’écriture sont utilisés :

 

Kanji Kan = Han = dynastie chinoise + Ji = signes, c’est-à-dire : signes des Han. Ce sont les idéogrammes importés de la langue chinoise.
Hiragana Hira = usage courant, facile + Kana = caractère empruntée.

Syllabaire phonétique de 46 caractères également dérivés (emprunt) de parties de Kanji

Katakana Kata = partie, utilisé pour les mots d’origine étrangère. Syllabaire phonétique de 46 caractères également dérivés de parties de Kanji, différents de ceux des Hiragana.
Roma-Ji Utilisation de l’alphabet latin.

 

Pour écrire le japonais en utilisant des caractères latins, on utilise le système Hepburn dans lequel les voyelles sont prononcées comme en latin tandis que les consonnes sont prononcées comme en anglais.

– CH se prononce toujours comme C

– F toujours expiré

– G se prononce toujours Gue comme Guitare

– H se prononce comme en allemand, fortement inspiré

– J se prononce DJ au début d’un mot et J à l’intérieur d’un mot (Jiyu = Djiu)

– S se prononce comme S comme dans Saucisson

– SH se prononce toujours CH comme dans Cheveu

– R se prononce comme un L, Ryu se prononce « lyou »

– W se prononce toujours comme OU

– Y se prononce toujours comme un I

– Z se prononce toujours comme le Z de Zen

– TSU tel qu’il est au début d’un mot et comme le sucre Z à l’intérieur

– U est presque silencieux en TSU et SU, surtout s’ils sont en position finale, entre « ou » et « eu« , mais plus proche de « ou« .

– ni le L ni la lettre V n’existent

– dans les mots composés : le H devient B (par exemple ike-Hana devient Ike-Bana)

– le trait au-dessus des voyelles les prolonge comme dans Ka-dō, et s’appelle « macron ».

 

Chaque Kanji peut être lu de deux manières :

En lecture On ou lecture chinoise (langage académique) : La prononciation devient japonaise lorsqu’un kanji spécifique est importé au Japon. Étant donné que la langue chinoise, comme toutes les langues, a changé au fil du temps et que le même Kanji peut avoir été importé à différents endroits du Japon et/ou à différentes périodes historiques, il peut y avoir différentes lectures On du même Kanji.

En lecture Kun ou lecture japonaise (langage courant, populaire) :  Il peut y avoir différentes lectures Kun d’un même Kanji puisque différents mots peuvent correspondre à la même idée ou bien la même idée peut exister sous la forme d’un nom, d’un verbe, d’un adjectif, ….

 

 

 

 

Exemples

Le Kanji ‘Ka’ signifie : « herbe » qui change ou « végétal qui change, qui se transforme, qui vieillit » et sa signification ne se limite pas au mot «fleur», comme traduit habituellement par Ka-dō (= «Voie des fleurs»), mais il désigne pratiquement toutes les plantes utilisables en Ikebana.

La traduction de ‘Ka’ par « fleurs » découle du fait qu’en Occident les maisons/lieux de rencontre/églises sont décorés seulement par des fleurs et par des femmes. En effet, au début, l’Ikebana est perçu comme une « manière japonaise » de décorer. Contrairement à cette idée, l’Ikebana est né d’une construction symbolique avec un sens esthétique. Les branches utilisées comme éléments principaux avec des fleurs expriment des concepts philosophico-religieux (Voir Article 2, Le concept de fort et de faible). À la création de l’Ikebana, la composition est placée uniquement dans le tokonoma, lieu « sacré » de la maison et seuls les hommes ont accès à cet art.

Pour cette raison, le terme « fleurs » lorsqu’il fait référence à Hana est placé entre guillemets pour indiquer qu’il inclut toutes les plantes.

Notez que les mots «fleur» ou «végétal» des langues européennes donnent une idée statique alors que le Kanji ‘Ka’ donne une idée de mouvement dans le temps «d’herbe qui se transforme, qui vieillit», c’est-à-dire il met en évidence la fugacité chère au bouddhisme.

 

Autres exemples

 

Il existe de nombreux Kanji homophoniques. Par exemple, il existe une quarantaine de Kanji différents ‘Shi’ et l’un d’eux signifie la mort, un autre signifie 4, raison pour laquelle le chiffre 4 n’est pas utilisé en Ikebana puisque le kanji de 4 en lecture On est associé à la mort.

 

Puisqu’il existe trois systèmes de translittération différents, le même Kanji est translittéré en utilisant différentes lettres de l’alphabet selon le système utilisé.

 

 

Kanji désignant les trois Yaku-eda (éléments principaux) utilisés par l’École Ohara :

 

Le deuxième kanji, le même dans les trois noms, se prononce ‘Shi’ et signifie branche. Ce mot rappelle qu’à ses origines, seules les branches comme éléments principaux sont utilisées en Ikebana. La dénomination Kyaku-shi persiste de nos jours, alors que des fleurs ou des feuilles sont principalement utilisées pour ce Yaku-eda.

 

 

La langue japonaise officielle est le dialecte de Tokyō, formé à l’époque d’Edo à partir du mélange des dialectes du Nord à ceux de la cour de Kyōto. Déclarée langue officielle en 1868 par le gouvernement Meiji, elle n’a ni masculin ni féminin ni singulier ni pluriel.

Elle n’a pas de genre et la traduction pose le problème du genre utilisé. Généralement, on préfère utiliser le masculin mais de nombreux auteurs utilisent le genre du mot correspondant à la langue de traduction. Par exemple Katana (épée) sera traduit par «le» mais de nombreux auteurs, pensant qu’en latin, l’épée est féminine, utilisent «la» katana.

Dans la mesure du possible, l’article est omis et lorsqu’il ne peut l’être, le masculin est préféré.

Ikebana est utilisé au masculin pour souligner à la fois que cet art est né et pratiqué exclusivement par des hommes jusqu’à l’arrivée de la culture occidentale et pour se différencier clairement de la décoration florale, féminine.

On peut écrire « l’influence du Zen sur le kyudo et le kendo … » Écrire plutôt sans article : Chabana, Zen, Chanoyu, Kakemono, Wabi, Sabi, Sumi-e (peinture à l’encre), Fusuma (panneau coulissant), Satori (éveil bouddhique), Katana, …

Par exemple, « Parmi les accessoires du katana (épée), l’élément principal est la tsuba (poignée ou garde-main) qui sert à protéger la main. Dans la tsuba, on pense à la fonctionnalité …… »

Certains mots japonais sont maintenant entrés dans les langues latines et sont utilisés avec leur genre comme : « la geisha »

Attention : les noms étrangers ne changent pas au pluriel. « J’ai divers handicaps, je pratique de nombreux hobbies, j’ai parlé à deux hôtesses, j’ai vu trois films, deux geishas, trois katana, deux kakemono, beaucoup d’Ikebana, deux chabana, deux kimonos, trois fusuma, j’ai lu deux haiku, utilisé deux Kenzan, … »

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49. Les supports en Ikebana, de la paille au Shippo et au Kenzan

La Paille

 

Dans les premières compositions Tatebana réalisées dans de grands vases comme le montre cette peinture chinoise du XIVe siècle ci-contre, des herbes ou autres petits végétaux sont probablement utilisés pour soutenir les végétaux.

Dynastie Yuan ou vase japonais en bronze, avec lotus, daté 1330.

 

Dans le Tatebana et le Rikka, premières formes codifiées d’Ikebana, le vase dans lequel les végétaux sont insérés est rempli de paille, appelée ‘Komiwara’, afin d’assurer le maintien vertical des plantes comme le nom des compositions l’indique (Voir Article 54, Évolution de l’Ikebana dans la lecture des Kanji).

 

Ci-contre arrangement Rikka.

 

 

 

Les différents végétaux ne sont pas insérés directement dans le Komiwara.

Comme on peut le voir sur ces croquis, les branches sont attachées à des bâtons pointus puis sont embrochées dans la paille.

Les fleurs et les feuilles sont insérées dans des contenants réalisés avec de cannes de bambou remplis d’eau servant ainsi de « vases » et dont une partie des cannes dépasse le bord du Komiwara.

 

Croquis des points d’insertion dans le Komiwara des éléments principaux et auxiliaires, en tout une quarantaine.

 

 

 

Exemple actuel de construction d’un Rikka

 

 

 

Avec le passage du Rikka aux arrangements plus simples des Shōka/Seika réalisés « directement » avec moins de végétaux, un ‘Hana-Kubari’ est introduit. C’est une fourchette en bois en forme de Y réalisée en attachant deux morceaux de branche ou en coupant une branche fourchue.

 

Le morceau de branche perpendiculaire placé à l’arrière du Hana-Kubari sert à enfermer les végétaux dans la fourchette.

 

 

Exemple de Seika avec cinq branches de pin numérotées et leur position dans le Kubari.

 

Il convient de noter que la subdivision de la composition en partie Yang (branches végétales 1, 2 et 3) à gauche et en partie Yin (fleurs végétales 4 et 5) à droite, est maintenue un niveau de l’insertion des branches simples dans le Kubari.

 

 

Les compositions Moribana dans des bassins déjà en usage sont beaucoup plus rares que celles réalisées dans des vases.

Il y a deux versions :

1. Shu-shi-Fuku-shi et Kyaku-shi tous unis en un seul groupe.

2. Shu-shi-Fuku-shi regroupés et séparés du groupe Kyaku-shi.

 

Avec la diffusion de cette nouvelle façon de disposer les végétaux introduite par l’École Ohara et après les résistances levées, toutes les écoles adoptent des supports créés pour être placés dans un suiban.

 

Exemple de support utilisé au début de l’introduction du Moribana.

 

Shippo

 

Apparition du shippo ensuite.

Les deux Kanji du mot Shippo signifient « 7 joyaux ».

 

Le nom Shippo, comme support, vient de trois significations différentes :

1ère signification. Pour le bouddhisme, Shippo indique sept valeurs spirituelles associées à sept joyaux qui les représentent. Ils sont répertoriés dans divers sutras. Étant donné que les différents noms sanskrits ne sont pas toujours compréhensibles par les traducteurs chinois, les noms des « 7 joyaux » diffèrent dans les différents sutras. Les Joyaux et les valeurs spirituelles communes à toutes les listes sont :

 

Sept joyaux Sept valeurs spirituelles associées
1. Or

2. Argent

3. Aigue-marine ou lapis-lazuli ou turquoise,

4. Perles ou ambre ou cristal

5. Corail blanc ou agate

6) Perles de corail ou rubis

7) Ambre ou émeraude ou agate ou jade

1. Trésor de croyance

2. Trésor de vertu

3. Conscience

4. Altruisme

5. Écoute

6. Générosité

7. Sagesse

2ème signification. À l’ère Heian, même si ni le chiffre 7 ni les joyaux répertoriés dans les sutras n’apparaissent pas dans le dessin chinois parvenu au Japon, il est aux yeux de la noblesse japonaise « brillant comme un joyau, comme un bijou ». Le dessin appelé ‘Shippo’ basé sur l’intersection de cercles est considéré comme d’un «bon présage ».

                                                                                                                                            

 

 

Le motif des cercles entrecroisés est considéré comme un porte-bonheur car il peut se multiplier à l’infini, dans toutes les directions. Il est utilisé à la fois dans les motifs de tissu et comme amulette.

 

Certains auteurs prétendent que le nom du dessin vient du jeu de mots : ‘Shi-ho’ = quatre directions.

Amulette de la période Heian Tissu

 

Shippo dessinés sur le kimono d’une vendeuse itinérante, Musée Chiossone, Gênes.

 

 

Tsuba en forme de Shippo (sur une arme japonaise, et notamment le katana, la garde s’appelle tsuba). Bouton d’uniforme.

 

Acteur de kabuki 1849

 

  1. 3ème signification. Le nom Shippo signifie aussi « Cloisonné », nom français d’une technique (utilisée notamment en joaillerie) consistant à couler de l’émail fondu coloré dans de petites alvéoles, alvéoles suggérées par l’intersection des cercles du Shippo.

 

Broche chinoise décorée de cloisonnés. Tsuba orné de motifs de Shippo porte-bonheur.

 

Motif de Shippo comme arrière-plan de l’estampe.

Yoshima Gakutei vers 1890.

 

 

 

Boîte en forme de Shippo. Boite à nourriture.

 

 

Il est intéressant de voir le dessin du Shippo présent sur les tissus qui recouvrent les murs de cette fresque de Giotto.

 

 

 

 

 

 

 

Sol en mosaïque de l’époque romaine (IVe siècle après J.-C.) trouvé en 1955 lors d’une fouille sur la Piazza Duomo à Parme.

 

Kenzan

 

Le Kenzan, peu utilisé par l’école Ohara au début mais plus facile d’utilisation que le Shippo, est désormais le support de toutes les compositions basses à l’exception des compositions « traditionnelles » (Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I et Shikisai-Moribana Yoshiki Hon-I) où le Shippo reste obligatoire.

Fidèle au dicton japonais – le nouveau s’ajoute à l’ancien sans le supplanter – le Kenzan rappelle, dans une tonalité moderne, le concept des bottes de paille du Rikka où les tiges de paille sont remplacées par des pointes de fer.

 

 

Kenzan en forme de Shippo avec deux ou trois anneaux

 

 

Mors de chevaux

 

D’autres écoles traditionnelles d’Ikebana (comme Enshū, Misho, Koryu) utilisent encore des supports végétaux, mais de moins en moins du fait de leur difficulté d’utilisation ou encore des mors de chevaux dont on a répertorié au moins 50 formes standardisées différentes.

 

 

Autres supports

 

Supports en forme de tortue ou de crabe ou utilisation d’objets du quotidien tels que des ciseaux ou des éventails

 

 

 

 

Le charbon de bois

 

Il est surtout utilisé pour absorber principalement l’humidité (par exemple, dispersé en grande quantité dans les maisons traditionnelles) ou pour absorber les mauvaises odeurs dans les cuisines mais rarement comme support en Ikebana.

 

Lors de la cérémonie du thé, le charbon de bois utilisé par l’École Koryu pour chauffer l’eau est disposé selon des règles précises. Le type de charbon de bois appelé Ikeda-zumi (charbon Ikeda) produit par la carbonisation du chêne est particulièrement apprécié tout comme celui appelé Kikyo-zumi (charbon de chrysanthème) en raison de sa forme particulière qui rappelle la fleur.

 

 

Les morceaux de fusain servent également de support à de petites compositions, comme en témoigne ce tableau d’un anonyme, daté de 1665, représentant une courtisane insérant de petites fleurs dans trois morceaux de Kikyo-zumi.

 

Exemples d’utilisation actuelle du charbon de bois comme support visible d’un Ikebana dans des compositions libres.

 

 

 

 

 

 

 

Keita Kawasaki, Mami Flower Design School.                                   Toshiro Kawase.
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48. Vanneries dans l’Ikebana et la Cérémonie du thé : Chanoyu seconde partie

Lire d’abord l’article 21, Shin formel, Gyō semi-formel et Sō informel.

 

Les vanneries dans le Chanoyu (Wabi-Cha) : Chabana

Selon les écoles, la cérémonie du Chanoyu a de nombreuses variations. Elle se réalise dans un cadre rituel avec collation préliminaire, ou non, de Kaiseki, saké, sucreries ou bien avec le service des deux thés, thé léger ‘Usucha’ et thé dense ‘Koicha’ ou encore une cérémonie au charbon de bois. La peinture dans le tokonoma est remplacée par une très simple composition florale ‘Chabana’. De nos jours, toutes deux restent dans le tokonoma.

Au fil du temps, chaque école de thé a changé certaines règles, les moins importantes de l’époque de Rikyū pour se différencier les unes des autres (comme cela s’est produit pour les écoles d’Ikebana qui ont conservé les règles de base de l’École d’Ikenobō).

 

La composition Chabana doit être simple, sans prétention. Elle ne suit pas les règles de l’école mais les végétaux sont placés « comme s’ils avaient grandi dans les champs », selon les règles de Sen no Rikyū.

Les compositions se font dans de simples vases en bronze, céramique, bambou, bois, posés sur le sol ou suspendus dans le tokonoma.

Les contenants posés au sol, accrochés au mur ou suspendus par des chaînes au plafond sont classés selon leur caractère :

– Shin (formel) : vases en bronze ou chinois ou en porcelaine.

– Gyō (semi-formel) : faïence brillante.

– Sō (informel) : terre cuite semi-brillante ou opaque, vanneries.

Les vases en bambou, introduits par Rikyū, sont considérés comme Gyō ou Sō.

Les contenants ne doivent pas avoir de dessins ni de décorations.

Les vanneries ne sont utilisées que pendant les mois lunaires chauds, de mai à octobre, lorsque l’eau pour le thé peut bouillir sur le Furo (= « feu dans le vent » c’est-à-dire le brasero portatif), au centre de la pièce.

Les vanneries ne sont pas utilisées les autres mois.

 

Exemple de Furo.

 

 

Pendant les mois d’hiver, l’eau est bouillie sur le Ro = « foyer » fixe creusé au centre de la pièce.

 

Les vases sont suspendus ou reposent sur des plateaux rectangulaires en bois mais pas les vanneries. Dans ce cas, les fleurs sont insérées dans un vase en bambou contenant de l’eau placée à l’intérieur de la vannerie qui sert de support.

 

Les plateaux en bois sont de trois styles :

– Shin ou formel : planches laquées noires avec coins et bords carrés.

– Gyō ou semi-formel : planches laquées avec bords et coins arrondis.

– Sō ou informel : planches de Paulownia ou de cèdre laissées au naturel.

 

Les vanneries se répartissent selon les mêmes styles :

– Shin ou formel : vanneries de forme symétrique avec des « lignes ondulées » précises et élaborées en bambou.

– Gyō ou semi-formel : vanneries de forme symétrique mais avec des ondulations moins précises.

– Sō ou informel : vanneries de forme irrégulière et des ondulations irrégulières.

 

Seules les compositions avec plateaux classées Sō sont aspergées d’eau, pour donner la sensation de fraîcheur.

 

Évidemment le type de végétaux se choisit en fonction du type de contenant (Shin, Gyō, Sō), le contenant se choisit en fonction du type de cérémonie (Shin, Gyō, Sō) et le type de cérémonie se choisit en fonction de l’invité ou de l’occasion (formelle, semi-formelle ou informelle).

 

Composition Shin ou formelle avec fleur Shin et plateau Shin

 

Principales Fleurs Shin :

Camellia, probablement en raison de sa relation botanique avec le thé.

Certaines variétés de chrysanthème, le symbole de l’empereur.

Paeonia, en raison de son origine chinoise.

Lotus, la fleur de Bouddha.

 

Les végétaux doivent être en nombre impair mais 2 sont autorisés. Rikyū a déclaré que dans une petite pièce, un seul élément devait être utilisé, deux au maximum.

 

Des plantes « simples » sont utilisées : fleurs bourgeonnantes mais aussi l’Hypomea et l’hibiscus si la fleur est ouverte), fleurs herbacées, herbes, lianes, branchages. Pour leur choix, on se réfère fréquemment aux plantes citées dans le Man’yōshū première anthologie de Waka, poésie japonaise des environs de 760.

 

Dans le Nambō-Roku (selon la tradition écrite par Nambō, disciple de Rikyū, vers la fin des années 1500) est citée une longue liste de végétaux dont l’usage est interdit dans le Chabana :

 

1. Fleurs aux couleurs violentes ou voyantes ou aux formes très particulières, c’est-à-dire tout ce qui est contraire à l’esprit Wabi, donnant le sentiment d’extravagance ou d’arrogance.

2. Fleurs qui n’ont pas de lien spécifique avec une seule saison, par exemple le Skimmia.

3. Fleurs trop parfumées qui entrent en conflit avec l’odeur de l’encens brûlant qui purifie l’environnement, comme le daphné odora, la rose, le gardénia).

4. Fleurs à l’odeur désagréable mais le patrinia oui, même si au bout d’un moment l’odeur devient désagréable.

5. Fleurs aux noms disgracieux, par exemple crête de coq.

6. Branches avec des fruits mais Physalis Alkekengi, oui ou avec des épines mais elles peuvent être enlevées ou encore des végétaux avec des poils épais.

7. Fleurs qui sont habituellement utilisées pour les offrandes sur l’autel de Bouddha.

8. Légumes qui se mangent mais des fleurs de navet, oui.

 

Bien que ce ne soit pas une règle écrite, le pommier blanc préféré de Rikyū est rarement utilisé par respect pour lui (en référence à l’épisode Hypomea/liseron avec Hideyoshi).

Ni les gentianes ni les chrysanthèmes ne sont utilisés car Rikyū n’aimait pas les fleurs qui «durent trop longtemps et ne montrent pas la beauté du moment transitoire de la vie».

 

Les petites vanneries sont choisies parmi les nombreuses formes qui, dans le passé, étaient utilisées quotidiennement pour la collecte de baies, de poissons, de racines, de cigales, de fleurs, … Même si ces activités ne sont plus d’actualité, des vanneries aux formes caractéristiques et spécifiques pour contenir les fleurs sont toujours créées par les artisans

 

L’utilisation de ces vanneries par les Maîtres du thé a eu un impact sur :

1. L’Ikebana, en introduisant une manière « libre » de disposer les végétaux du Nageire comparée à la manière du Rikka « contraint par des règles ».

2. La production accrue et davantage différenciée de vanneries après la propagation du Sen-cha dō.

 

Au Japon, il existe des trésors nationaux vivants, c’est-à-dire des Maîtres des arts manuels qui préservent les techniques et les savoir-faire artistiques en danger de disparition, parmi lesquels se trouvent divers artisans qui fabriquent des vanneries.

Celles créées avec des lamelles de bambou ressemblant aux vanneries «utilitaires» n’ont plus de finalité pratique de nos jours mais sont largement utilisés aujourd’hui en Ikebana.

 

Dans les vases à petite encolure, seul un ou deux éléments sont utilisés. Si l’embouchure du vase est plus large, plusieurs éléments sont possibles, généralement en nombre impair.

Les végétaux doivent être humbles, herbes, lianes, branchettes, fleurs sauvages et, avec parcimonie, des branches fleuries.

Le vase et son contenu sont aspergés d’eau afin de donner l’impression que l’ensemble est couvert de rosée ou mouillé par la pluie.

 

La composition, simple et sans prétention, ne doit durer qu’une seule journée. La présentation des fleurs varie selon l’heure de début de la cérémonie du thé, soulignant aux invités l’harmonie avec la nature, l’unicité du moment et la « répétition impossible » de cette rencontre : «ichi go, ichi-e» (= une rencontre, un moment) :

– Matin : Fleurs épanouies.

– Début d’après-midi : Fleurs ouvertes.

– En fin de soirée : Fleurs très ouvertes.

 

Les journaux décrivant les conseils de Rikyū évoquent :

– La préférence pour une ou deux «fleurs» dans des vanneries aussi grandes que neuves. Si le nombre est plus grand, c’est toujours un nombre impair.

– À la sortie du contenant, les tiges sont nues ou allégées des feuilles inutiles.

– Les fleurs peuvent retomber sous l’ouverture de la vannerie, (position cependant interdite par les écoles d’Ikebana).

Parmi les principes de composition énumérés par Rikyū mis en vers (Waka), on note :

  1. «Les fleurs doivent être comme celles qui poussent dans le pré» c’est-à-dire qu’elles ne doivent pas être encombrées à l’excès mais nettes pour exprimer l’esthétique Zen.
  2. »Les fleurs sont le calendrier du salon de thé» c’est-à-dire qu’elles doivent exprimer la saison.

 

Utilisation de vanneries dans une composition Ikebana

 

Les vanneries ne se soulèvent jamais par l’anse, surtout si elles sont grandes et fines, mais par le dessous avec des mains couvertes d’un chiffon pour éviter que la graisse des mains ne les abîme.

 

 

La composition dans la vannerie doit donner une impression de naturel, de raffinement, de dépouillement,  de modestie et de rusticité. Elle est toujours de type « réaliste-végétatif », jamais « moderne-non-réaliste ».

Pour l’École Ohara, La plupart des compositions de son cursus, Hana-isho, Moribana, Heika, Hanamai, Rimpa-Cho Ikebana et Bunjin-Cho Ikebana peuvent utilisées les vanneries.

Le volume des plantes, au regard du contenant, est réduit comparativement au volume utilisé dans des contenants en céramique. Les dimensions des plantes ne sont pas nécessairement basées sur celles de la vannerie, généralement les végétaux sont de taille plus petite.

Le choix des végétaux est libre, en petite quantité (2 ou 3 espèces).

Éviter les fleurs trop grosses ou criardes ou sophistiquées (comme les roses cultivées, œillets, glaïeuls, arum, gerberas, les fleurs d’origine tropicale à l’exception des petites orchidées).

Placer les groupes de feuilles ou de fleurs à la base, à droite ou à gauche, de manière à laisser libre l’anse de la vannerie.

Si l’anse est traversée par une longue branche, celle-ci croise à environ 1/3 de l’anse à partir de la base.

Si une masse est utilisée, elle ne cache l’anse que dans la partie inférieure sur environ 1/3.

Les 2/3 de l’anse doivent être laissés libres.

 

Kawase Toshiroo, dans « Le livre de l’Ikebana » cite une phrase classiques: « la fleur très ouverte pour conserver la forme de toutes les autres fleurs » c’est-à-dire mettre une fleur (relativement) grande et ouverte à la base de la composition (Neijime = bon équilibre)) donne plus d’unité à la composition, surtout si diverses « herbes délicates », assez similaires par leur finesse, sont ajoutées ou si une seule branche de forme élégante est placée.

 

École Ohara : tous les styles du Moribana sont utilisés dans les vanneries y compris le Shikisai-Moribana Kansui-kei (Style se reflétant dans l’eau).

 

© École Ohara       
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47. Vanneries dans l’Ikebana et la Cérémonie du thé : Chanoyu première partie

La coutume d’utiliser des vanneries comme contenants pour l’Ikebana va principalement de pair avec l’introduction de deux façons codifiées de boire le thé.

 

– La première, apparue à l’époque Muromachi (1336-1573), est basée sur l’esthétique Wabi-Sabi.

Chanoyu = thé dans l’eau bouillante ou cérémonie du thé (Chadō / Sadō = voie du thé) qui utilise le matcha, feuilles vertes réduites en poudre.

 

– La seconde, apparue à l’époque Edo (1603-1868), Sen-cha dō = voie du thé infusé, est à base de Sen-cha feuilles vertes laissées entières (Voir Article 36, Introduction historique à la composition Bunjin : les Literati).

Wabi-cha

Sen-cha

 

Histoire succincte

 

Au début du shogunat Ashikaga (1338-1573), les contacts avec la Chine (inactifs depuis l’époque Heian 794-1185) reprennent. L’art et la culture d’origine chinoise redeviennent à la mode au sein de la caste shogunale. Yoshimitsu (1358-1408), 3ème Shogun, dans son Pavillon d’Or (Kinkaku-ji), pose les canons d’une culture basée sur l’esthétique et l’art. Dans des lieux décorés de peintures chinoises et agrémentés de précieux vases chinois, le thé est versé dans de précieuses tasses chinoises.

Thé, saké abondant et plats délicieux sont servis lors de somptueux banquets dans les grandes salles du palais pour souligner la richesse et le statut social. Le luxe s’affiche en exposant bronzes, céramiques, peintures, laques, objets précieux Karamono exclusivement chinois et des peaux de tigre et de léopard sur lesquelles se reposer.

 

À cette époque, la mode est aux concours de comparaisons. Elle consiste à comparer des choses entre elles : « Mono » = choses et « Awase » = comparaison.

En est ainsi du concours de connaissances sur les origines diverses des différents thés à partir de leur arôme et de leur saveur tout en distinguant ‘Honcha’ = le vrai thé du non-thé = ‘Hicha’.

À l’issue des concours dans une ambiance de chants, de danses et de musique, de riches lots sont remis aux concurrents, notamment le paravent Namban.

 

Ci-contre, boutique vendant des épées et des peaux de tigre et de léopard, début de la période Edo.

 

Dans son Pavillon d’Argent (Ginkaku-ji), Yoshimasa (1434-1490), 8ème Shogun et petit-fils de Yoshimitsu, commence la japonisation des futurs Arts Traditionnels dont le Cha-no-yu, Cérémonie du thé, telle que nous la connaissons encore aujourd’hui. Il s’entoure de Dōbōshῡ (préposés) dont les plus connus sont :

So’ami, Mon’ami et Ritsu’ami (maîtres en peinture et Tatebana), Senjun Ikenobō (Tatebana), Zen’ami (concepteur de jardins), Sen’ami, No’ami et Gei’ami (les trois ’ami conservateurs des œuvres d’art du Shogun et experts en Tatebana et Ikkyu (Maître Zen).

La cérémonie du thé, à l’époque des Ashikaga, s’appelle style Shoin (= style du palais) et Yoshimasa y expose ses collections chinoises de services à thé, bonsaï, Suiseki (pierres), peintures, calligraphies, Tatebana dans des vases et vanneries chinoises.

 

La tradition raconte que les vanneries d’importation chinoise ‘Karamono’ s’utilisent déjà à cette époque.

‘Kara’ = chinois, lecture Kun du kanji 唐 Tang.

En lecture On, ‘Wa’, = japonais, ‘Kōrai’ = coréen.

 

Tous les objets d’art et d’artisanat (vanneries, vases, théières, braseros, kakemono, …) utilisés pour la Cérémonie du thé sont appelés :

– Karamono = « choses » chinoises, si d’origine chinoise.

– Wamono = « choses » japonaises, si d’origine japonaise.

– Kōraimono = « choses » coréennes si d’origine coréenne.

 

À l’époque des Ashikaga, tous Karamono et Kōraimono, même pauvres, sont préférés par la cour shogunale à tous Wamono, même les plus beaux.

 

Ci-contre, vanneries de style chinois.

 

 

À cette période, le processus de «conversion» aux objets chinois commence grâce principalement à trois riches marchands de la ville de Sakai, Shuko, Jōō et Rikyū. Ils servent le thé selon les normes venues de Chine. Petit à petit, d’une façon de servir le thé en référence à la Chine, on passe à une façon unique et complètement japonaise.

Murata Shuko (appelé aussi Murata Jukō, 1423-1502), élève du Dōbōshῡ No’ami, est le premier que l’on puisse appeler Maître de la cérémonie du thé. Né dans une famille de marchands, il devient moine Zen à l’âge de 30 ans.

Il modifie le style Shoin-cha pratiqué par la classe des samouraïs :

–  Il crée un style influencé par le Zen (futur Wabi-cha).

– Il abandonne les précieux objets chinois pour les remplacer par des céramiques japonaises (Bizen, Shigarachi, Iga).

– Il simplifie l’utilisation des fleurs (préférant le style Nageire au Tatebana de Ikenobō)

– Il transporte le salon de thé à l’extérieur du bâtiment dans une petite hutte.

– Il diminue à la fois le nombre de participants et le nombre d’accessoires et l’atmosphère passe de la « manière de montrer la richesse matérielle » à la « manière de montrer la richesse spirituelle « .

– Il définit enfin les règles selon lesquelles la Cérémonie du thé peut être formelle, semi-formelle ou informelle (Voir Article 21, Shin, Gyō ou Sō).

 

 

Takeno Jōō (1502-1555), également appelé Takeno Shoo, est son successeur comme Maître de la cérémonie du thé. Il est aussi paysagiste, peintre, poète et céramiste.

– Il affine et poursuit la transformation Zen de cette cérémonie en rejetant les ustensiles « bruyants » (décorés ou aux couleurs non naturelles).

– Il utilise la céramique japonaise.

– Il fixe un standard pour l’utilisation de la nourriture (cuisine kaiseki simple et pauvre au lieu de la nourriture abondante et élaborée en usage alors).

– Il insiste sur la « préparation spirituelle » des participants avant d’entrer dans une pièce où le thé est servi.

 

Sen no Rikyū (1521-1591), élève de Jōō, porte la Cérémonie du thé à son apogée, telle qu’elle est encore pratiquée aujourd’hui.  Il est nommé Maître de la Cérémonie du thé au service du premier unificateur du Japon, Oda Nobunaga et du deuxième, Toyotomi Hideyoshi.

Bien qu’il soit un expert en Shoin-cha et très doué pour créer de grands Rikka exubérants pour Nobunaga et Hideyoshi aptes à renforcer le pouvoir de la classe guerrière, il est considéré comme celui qui a amené le Wabi-cha à sa splendeur.

La tradition reconnaît en lui le créateur du style Nageire (Voir Article 14, Nageire ou Heika) dont dérive le Chabana. De la composition « Tateru » (= composer) initié par le Dōbōshῡ des Ashikaga et perfectionné par les Ikenobō, on passe à la liberté avec « Nageru » (= jeter dedans). Ainsi, on passe des arrangements publiques, formels comme le Tatebana et le Rikka, à des compositions privées, informelles, le Nageire.

 

Sen no Rikyū est forcé au suicide rituel (seppuku) en 1591 par Hideyoshi.

 

De Sen no Rikyū, nous sont parvenus :

 

1. Quelques vases qu’il a fabriqués à partir de segments de bambou.

 

Il a été le premier à utiliser des vases en bambou lors de la cérémonie du thé.

 

Ci-contre, ce vase, spécifique sur le côté, est traditionnellement considéré comme le premier en bambou utilisé par Rikyū en tant que contenant pour fleurs lors de la Cérémonie du thé.

 

Irrité par sa simplicité, Sen no Rikyū jette le vase dans le jardin qui atterrit sur une pierre et se fissure (réparation visible le long de la ligne sombre de laque avec deux clips métalliques). La fissure a augmenté sa valeur les années suivantes puisque dans le concept Wabi-Sabi, l’imperfection augmente la « beauté » de l’objet.

 

2. La poterie Raku introduite dans la Cérémonie.

Deux tasses de Chojiro 1er (? – 1589) ancêtre de la dynastie Raku.

Selon la tradition, Raku (= plaisir) est le nom donné à Chojiro par Hideyoshi, nom qui est une contraction du nom de son palais ‘Jurakutei’ ou ‘Jurakudai’.

 

 

3. Les règles pour le Chabana (« Fleurs du thé), écrites par ses disciples (Voir Article 46, La cérémonie du thé).

Tout ce qui touche au Chanoyu (Cérémonie du Thé dans le style Wabi-Sabi) doit être ‘Shibui’ (d’un goût irréprochable), ‘Wabi’ (simple et sans luxe), ‘Sabi’ (rustique non prétentieux, avec des imperfections anciennes), ‘Fura’ (pur amusement de la vie), car toute la cérémonie est simplicité, harmonie, tranquillité et pureté.

Épurée et expressionniste,  l’arrangement Chabana reflète l’ascétisme des Maîtres Zen.

 

Vases et vanneries en bambou de divers auteurs utilisés lors de la cérémonie du thé.

 

 

 

 

 

Furuta Oribe (1544-1615)

 

Sen no Rikyū est remplacé par Furuta Oribe comme Maître de la cérémonie du thé, d’abord auprès de Hideyoshi et plus tard auprès du second Shogun Tokugawa Hidetada.

Oribe est un Daimyō appartenant à la classe des samouraïs contrairement à Rikyū issu de la classe marchande.

Oribe abandonne la vaisselle Wabi-Sabi de Rikyū et crée des tasses et des récipients déséquilibrés et colorés. Il modifie encore la cérémonie du thé et apporte des changements dans la maison de thé.

 

Tasses de type Oribe
 

Vase en bambou avec son étui créés par Oribe

 

L’École Ohara utilise également des vases de style Oribe : bassins Rimpa avec des motifs de type Oribe.

 

 

 

 

Oribe meurt aussi par seppuku, sur ordre de Hidetada, deuxième Shogun Tokugawa. Avec sa mort, le style Momoyama (celui de Rikyū) de la cérémonie du thé prend fin.

 

Kobori Enshū (1579-1647)

 

Kobori Enshū remplace Oribe. Daimyō cultivé, sculpteur, peintre, céramiste, paysagiste et Maître de la cérémonie du thé, il est au service du 3e Shogun Tokugawa Iyemitsu. Il combine le style Rikyū à celui d’Oribe, donnant naissance au « style Daimyō ».

Ce nouveau style est adapté à la période historique où la précarité (éphémère) de la vie des guerriers n’est plus à l’ordre du jour comme à l’époque de Sen no Rikyū, les Tokugawa ayant obtenu une paix stable grâce à l’assujettissement de tous les clans auparavant constamment en guerre les uns contre les autres.

 

 

Le Chanoyu (Cérémonie du thé Wabi-cha), à l’époque des deux premiers unificateurs Nobunaga et Hideyoshi, prend une telle importance qu’il est utilisé politiquement comme récompense ou marque de reconnaissance pour un vassal. Par exemple, Hideyoshi, un des généraux de Nobunaga, ne reçoit la permission de Nobunaga de mener sa première cérémonie du thé en sa présence qu’à l’âge de 42 ans en guise de récompense pour avoir remporté une bataille.

Hideyoshi, arrivé au pouvoir à la mort de Nobunaga, imite le Shogun Ashikaga Yoshimasa qui offrait à l’Empereur du thé dans une tasse en or posée sur un plateau d’argent. Hideyoshi fait alors construire un salon de thé, amovible et transportable, recouvert d’or, y met tous les accessoires également en or. Utilisé lors de deux invitations successives de l’Empereur, ce salon de thé devient l’emblème de sa grande réussite sociale (d’origine modeste, devenu samouraï, il en est venu à assumer toutes les plus hautes fonctions de la cour impériale).

 

Reconstitution du salon de Hideyoshi en or, démontable et transportable pour la Cérémonie du thé Wabi-cha.

 

Les vanneries sont utilisées à la fois dans le Chanoyu et le Sen-cha dō, petites et simples et d’un usage quotidien pratique.

Sous l’impulsion du Sen-cha dō, les artisans japonais de la période Edo se mettent à produire de nouvelles formes de vanneries, de grandes tailles et adaptées à l’Ikebana. Ils commencent également à apposer leur signature sur leurs créations soulignant le fait que, désormais, ils ne copient plus les vanneries chinoises mais créent leur propre style.

Voir Article 36, Introduction historique à la composition Bunjin : les Literati et Article 46, La cérémonie du thé.

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46. La Cérémonie du thé

Il y a tellement de façons de savourer une tasse de thé.

 

 

La « naissance historique » de l’Ikebana et certaines de ses formes particulières sont associées à trois manières différentes de boire le thé, ‘Cha’ au Japon.

 

Selon la légende, le théier est né lorsque Bodhidharma (483-540 après J.-C.) a introduit le Zen au Japon.

Voulant absolument rester éveillé pendant la méditation, il se coupe les paupières : celles-ci, jetées au sol, donnent naissance au théier. Pour cette raison, il est fréquemment représenté les yeux complètement ouverts.

 

Au Japon, Bodhidharma s’appelle Daruma. Toujours selon la légende, Daruma a eu les jambes et les bras atrophiés pour être resté immobile, en méditation pendant 9 ans.

Son image est liée aux figurines votives utilisées pour exprimer des vœux et sont considérées comme des porte-bonheur.

Les poupées qui le représentent les yeux grands ouverts, sans jambes ni bras, sont vendues avec les yeux inachevés.

Selon la tradition, la pupille gauche est peinte en premier lorsqu’un vœu est exprimé. L’autre pupille n’est ajoutée que lorsque le vœu s’est réalisé.

Le côté gauche du corps humain – y compris l’œil – est Yang par rapport au côté droit et est donc plus important et préféré. Rappelons aussi que la Kami Amaterasu, déesse du soleil, est née du lavage rituel purificateur de l’œil gauche de son père Izanagi.

 

Daruma, avec les deux pupilles peintes, empilés sous un auvent près d’un temple, signe que les souhaits exprimés se sont réalisés.

 

 

Depuis l’introduction du bouddhisme au Japon, le thé est bu par les moines pendant la méditation pour rester éveillés. Comme les ecclésiastiques de haut rang qui dirigent les différentes écoles bouddhiques sont choisis parmi les membres de la famille impériale, la cour s’intéresse très tôt à cette nouvelle boisson. Déjà, à l’époque Heian, la noblesse se plaît à organiser des dégustations et à faire des concours pour reconnaître différents types de thé, jusqu’à une centaine : leur nom, leur origine géographique et leur qualité (Voir Article 47, Vanneries dans l’Ikebana et la cérémonie du thé : Chanoyu première partie).

 

À l’époque Heian (794-1185), les palais de la noblesse comprennent différentes constructions sur plancher en bois dont deux bâtiments galeries construits à droite et à gauche d’un grand pavillon central appelée ‘Shinden’ (= Palais dormant). L’espace intérieur du pavillon Shinden est libre,  sans aucune cloison. Pour avoir des espaces plus restreints, des paravents sont utilisés et déplacés au besoin. Ce type d’architecture s’appelle Shinden-Zukuri (Zukuri = construction).

 

Ci-contre, croquis d’un palais idéal avec un grand pavillon central ‘Shinden’, conçu sans le toit afin de montrer l’intérieur et sans cloison fixe.

 

Exemple de paravent mobile.

 

Avec la prise du pouvoir par les samouraïs ayant des besoins différents de la noblesse impériale, le style de construction des bâtiments change.   

Les planchers sont recouverts de tatamis.

La grande salle est divisée en ajoutant des parois à portes coulissantes, Fusuma.

Le tokonoma avec des étagères est créé.

Ce style architectural, ainsi conçu, est appelé Shoin-Zukuri (Shoin = salle d’études dans les temples ou salon dans les résidences de l’élite militaire, Zukuri = construction) destinée à la réception des hôtes.

 

Tokonoma contemporain avec des étagères sur le côté.

 

 

Les Shoguns introduisent une façon de boire le thé, manière qui prit le nom de la salle où se tenait la réception : Shoin-cha (= «thé de style palais»). Créé à l’origine par des moines dans les monastères, le Shoin-Zukuri/ Salon est petit. Les Shoguns l’agrandissent pour tenir des réunions bondées avec des Daimyō, des samouraïs et des ecclésiastiques de haut rang.

Le but de l’invitation à boire le thé est d’épater les invités en exposant sur les étagères les objets précieux collectés, d’origine chinoise. On parle alors de «thé de style palais» et non pas de «thé de style salle d’études», comme le mot ‘Shoin’ l’indiquait à l’origine.

Ci-contre, Étagères d’exposition avec un Suna no mono (Rikka de style informel/Sō).

 

 

C’est dans ce contexte du Shoin-cha, «thé de style palais» organisé par le Dōbōshῡ, que naît Ikebana (Voir Article 13, La naissance d’Ikebana d’après les documents historiques et Articles suivants). Les Ikebana réalisés sont d’abord le Tatebana puis le Rikka et le Suna no mono (Rikka de style informel/Sō).

 

Ainsi l’Ikebana, créé par le Dōbōshῡ et développé plus tard par l’École Ikenobō dont dérivent toutes les autres écoles, est né dans le cadre de la dégustation du thé de style Shoin-cha ou de palais.

 

Ci-contre, Tatebana/Rikka.

 

Le tokonoma n’occupe qu’une petite partie de l’espace eu égard aux étagères et aux objets exposés. Ci-dessous, dessin réalisé par le Dōbōshῡ au service du huitième Shogun Ashikaga montrant les objets exposés lors du Shoin-cha.

 

 

Pour impressionner les invités, le Shoin-cha est pratiqué à la fois par les Shoguns Ashikaga et les 3 unificateurs :

Oda Nobunaga,

Toyotomi Hideyoshi,

Ieyasu Tokugawa.

 

À la même époque, sous le patronage de Nobunaga de 1573 à 1582 puis de Hideyoshi de 1582 à 1598, naît une autre façon de boire le thé influencée par le Zen et codifiée par le moine Sen no Rikyū : le Chanoyu ou Wabi-cha, la Cérémonie du Thé.

Alors que dans le thé de « style palais », la boisson est préparée dans les cuisines, apportée au Shoin avec du saké et diverses nourritures et servie aux nombreux invités, dans le Wabi-cha, le thé est préparé directement devant quelques invités.

Ci-contre, Salon de thé Wabi-cha.

 

Contrairement aux grandes salles où se tient le Shoin-cha, le Wabi-cha se déroule dans une petite pièce, deux tatamis et demi selon Sen no Rikyū , ou dans une hutte à l’extérieur de la demeure principale.

Dans le cadre du Wabi-cha, également appelé Cha-dō ou Sadō, se développe une manière d’arranger les fleurs dans le tokonoma influencée par le Zen, le Chabana, composition simple avec peu de végétaux qui mettent en valeur la saison, végétaux « disposés comme dans les champs » selon Sen no Rikyū .

 

À la différence du Rikka, très codifié et utilisé dans le cadre du Shoin-cha, «thé de style palais», il n’y a pas de règles à suivre pour réaliser un Chabana. Peu d’éléments suffisent, agencés selon une esthétique Zen. Le Chabana, comme toute la Cérémonie du thé, met en évidence à la fois les caractères unique et éphémère de la rencontre : ‘ichi-go, ichi-e’ (= une fois, une rencontre).

 

Alors que divers types de thé sont utilisés dans le Shoin-cha/thé de style palais, seul le thé vert en poudre, Matcha, l’est dans le Chanoyu/Wabi-cha.

Les deux manières de boire le thé, Shoin-cha de style palais et le Chanoyu Wabi-cha ne s’opposent pas. L’une et l’autre sont proposées en fonction des circonstances.

 

Sen no Rikyū, au service de Toyotomi Hideyoshi, exécute un Rikka gigantesque et opulent dans le cadre du Shoin-cha, thé de style palais, et compose un Chabana très humble dans le cadre du Chanoyu, thé de style Wabi-cha.

.

 

 

Chabana attribué à Ikenobō Senkō, Iemoto de l’école homonyme, contemporain et connaissance de Sen no Rikyū .

 

Après le Shoin-cha/thé de style palais, associé à la naissance de l’Ikebana, au cours duquel des expositions et des compositions florales Rikka « émerveillent » les invités puis, la cérémonie du thé Wabi-cha imprégnée d’une simplicité raffinée Zen au cours de laquelle des ustensiles liés au Chabana sont utilisés, apparaît au début de la période Edo ou Tokugawa (1600), une nouvelle façon de boire le thé, à la chinoise. Cette façon chinoise s’appelle Sen-cha dō, la voie du Sen-cha, nom dérivant du thé vert utilisé avec des feuilles entières et « infusé  » dans l’eau.

Boire le thé « à la chinoise, déjà en usage dans la population citadine, est adoptée par les Bunjin (les lettrés japonais) à la fois parce qu’ils souhaitent imiter les lettrés chinois mais aussi pour se différencier des samouraïs qui pratiquent le Wabi-cha.

Voir Article 36, Introduction historique à la composition Bunjin : les Literati, Article 47, Vanneries dans l’Ikebana et la cérémonie du thé : Chanoyu première partie et Article 48, Vanneries dans l’Ikebana et la cérémonie du thé : Chanoyu seconde partie.

 

Au cours de ces réunions « à la chinoise », les Bunjin, lettrés japonais, créent des compositions florales au « goût chinois » dont le Sen-cha dō est imprégné. Ces arrangements ‘Bunjin-Cho’ diffèrent de l’Ikebana des écoles car il n’y a pas de règles de composition. Ils diffèrent aussi du Chabana des samouraïs par le choix et l’exubérance de végétaux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

« L’autoportrait ironique » d’un Bunjin, lettré japonais.
 

 

 

 

Théière typique utilisée pour le Sen-cha.

 

 

 

 

Wên-Jên : Lettrés chinois imités par les Bunjin japonais.

 

 

 

 

 

 

 

 

En résumé, les 3 manières de déguster le thé donnent naissance à 3 compositions d’Ikebana enseignés par les Écoles :

  1. Shohinka lié au Shoin-cha – thé de style palais.
  2. Chabana lié au Wabi-cha ou Chanoyu.
  3. Bunjin-Cho lié au Sen-cha des Literati.

 

© École Ohara

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44. Rimpa-Cho : École de Hōitsu et Kiitsu

La tradition Rimpa, solidement ancrée grâce à Korin et Kenzan Ogata mais toujours attachée aux idéaux du passé, survit à la dernière période Edo grâce à de nouveaux mécènes. Les acheteurs potentiels d’œuvres d’art sont désormais les riches marchands et artisans des villes et non plus la noblesse impériale et shogunale cultivée et désormais pauvre. Ces nouveaux clients n’ont certes pas la culture raffinée chère à la cour de Kyōto mais ils sont fascinés par les thèmes Rimpa des «fleurs sauvages des quatre saisons ».

Pour cette raison, les artistes Rimpa de la dernière période Edo abandonnent les sujets « anciens » liés à la littérature savante mais gardent le thème des végétaux. Outre les fleurs et plantes choisies selon leur signification symbolique représentant une saison, les artistes mettent en scène aussi les végétaux avec lesquels ils sont en contact dans la vie quotidienne.

Bien que la manière de composer une peinture Rimpa se réfère aux trois écoles, les peintures de cette troisième période ont, de façon quasi exclusive, comme thème le végétal. Cette 3ème École représentée par Sakai Hōitsu et Suzuki Kiitsu est la plus significative de l’ère Edo.

 

Sakai Hōitsu (1761-1828), fils d’un Daimyō, suit une formation picturale auprès d’un maître Kanō. Après diverses expériences dans différents genres picturaux (style chinois, style naturel et même la gravure Ukiyo-e de maisons et théâtres populaires), il devient moine bouddhiste à 37 ans.

Fasciné par l’art Rimpa, il quitte Edo pour Kyōto où il peut examiner les œuvres de Kōrin grâce à l’un de ses ancêtres qui fut, lui, le protecteur de Kōrin. Pour célébrer le centenaire de la mort de Kōrin, il publie « 100 œuvres choisies dans le répertoire de Kōrin ». Cette publication est imprimée pour démasquer les nombreux faux de Kōrin qui circulent. Il étudie la compilation des œuvres de Kōrin faite par Ikeda Koson (1802-1867). Il fait ainsi découvrir les œuvres de Kōrin au grand public, ce qui suscite un intérêt général pour ce style qu’on appelle à tort Rimpa, pensant que l’initiateur de l’école est Kōrin.

Il concilie avec brio le caractère décoratif et somptueux du Rimpa avec la technique de la peinture à l’encre.

 

Suzuki Kiitsu (1796-1858) étudie et collabore avec Hōitsu. Il introduit un sens du réalisme et de la poésie dans ses œuvres.

 

Autres artistes Rimpa célèbres actifs de l’époque à Osaka et Edo : Kagei Tatebayashi, Sori Tawaraya, Hocu Nakamura.

 

Œuvres de Sakai Hōitsu

 

Paravent à deux panneaux, Pin de Chine et fleurs d’automne, 35 x 123 cm, utilisé pour la Cérémonie du thé.

 

 

 

Paravent à deux panneaux, Herbes d’automne, fleurs et arbustes, 164 x 181 cm.

 

 

 

 

Kosode avec des branches de Prunus Ume en fleurs peint par Sakai Hōitsu.

 

 

 

Œuvres de Suzuki Kiitsu

 

Paravent à six panneaux, Torrent en été et Torrent en automne, 165 x 362 cm.

 

 

 

Œuvre de Ikeda Koson

Paravent à deux panneaux, Fleurs des quatre saisons, 56 x 179 cm.

 

Œuvre de Tawaraya Soori

Deux panneaux du paravent à six panneaux,  Érable, 69 x 212 cm.

 

 

Œuvre de Nakamura Hōchū

Paravent 6 panneaux, Prunus Ume et oiseau, 133 x 264 cm.

 

 

D’autres artistes ont utilisé et utilisent encore le style rimpa. Parmi tant d’autres :

 

 

Sakai Dōitsu (fin 1800-début 1900)

 

 

 

Kamisaka Sekka (1866-1942)

 

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43. Rimpa-Cho : École Ogata Kōrin et Ogata Kenzan

Ogata Kōrin (1658-1716) et son frère Ogata Kenzan (1663-1743) à Kyōto et Edo.

 

Enfants d’un riche marchand de textiles de Kyōto qui bénéficie de la protection impériale et de la classe militaire, ils reçoivent, durant leur jeunesse aisée et insouciante, une éducation dans divers arts. Kōrin, d’un caractère très extraverti et exubérant devient un célèbre acteur de Nō mais surtout un calligraphe de renom tandis que Kenzan, de tempérament opposé, érudit discret, voué à la Cérémonie du Thé, au Zen et à la céramique. Ils étudient tous deux, la peinture avec un artiste du courant Kanō.

En 1687, à la mort de leur père et en raison de difficultés économiques concomitantes, ils sont contraints de trouver des moyens de subsistance.

Le frère cadet prend le nom de Kenzan (= Montagne du nord-ouest, endroit à la périphérie de Kyōto), où il ouvre un four. Il produit de la poterie que son frère Kōrin peint. Pendant quelques années, ils réalisent certaines des plus belles poteries de la période Edo puis se séparent. Kōrin commence à peindre en prenant comme source d’inspiration les idéaux esthétiques de Sōtatsu et Kōetsu qui ont vécu environ un siècle plus tôt. Son habileté est telle et ses œuvres si demandées que des imitations commencent à circuler. Pour cette raison, cent ans plus tard en 1815, Sakai Hōitsu et Ikeda Koson publient deux livres pour répertorier les authentiques œuvres de Kōrin (les deux volumes contiennent plus de 300 exemples de peintures et de dessins de Kōrin).

 

Idéaux de Sōtatsu et Kōetsu qui caractérisent l’art Rimpa et repris par Kōrin :

 

Peinture Rinpa Arrangement Rimpa-Cho Ikebana
1 – Références à la poésie, à la prose et aux thèmes des classiques de la littérature de la cour impériale de la fin de la période Heian.

2- Techniques de peinture particulières (ex. Tarashikomi).

3- Utilisation abondante de l’or et de l’argent pour éclairer les fonds.

4- Répétition stylisée de motifs végétaux.

5- Emphase et omission.

 

1 – Références aux plantes citées dans les classiques de la littérature de la cour impériale.

 

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3- Paravent doré placé derrière les arrangements.

 

4- Répétition stylisée de motifs végétaux

5- Emphase : L’échelle naturelle des dimensions des végétaux n’est pas respectée tant dans les peintures que dans l’Ikebana

Omission : Certains éléments sont omis dans les peintures, découpés dans le Rimpa-Cho Ikebana.

 

La peinture Rimpa doit mettre en évidence :

– la beauté des fleurs pleinement épanouies (rarement en bouton) : fleurs de pêcher et de cerisier, chrysanthèmes, hortensias et autres sont peints de façon plate et frontale. Les plus belles fleurs sont présentées avec leur tige (pivoine, lys, iris, coquelicot, hibiscus, hémérocalle, etc.) et positionnées comme si elles se balancent au vent, avec la partie interne de la corolle partiellement visible.

– La beauté des feuilles, clairement identifiables, sont toujours frontales, rarement de profil ou à l’envers (célosie, coquelicots, Althea, etc.)

– Les parties des plantes qui recouvrent le «coup de pinceau» ne sont pas représentées ou sont coupées : par exemple, les grandes feuilles de célosie qui recouvrent la fleur ou les feuilles « en négatif » doivent être placées de manière « décorative », ornementale.

 

À partir de 1704, Kōrin partage son temps entre Kyōto et Edo puis, peu satisfait de l’environnement, il passe les dernières années de sa vie en la sympathique compagnie de l’aristocratie déclinante de Kyōto.

Kenzan, séparé de son frère, continue sa production d’art de la table avec beaucoup de succès. En 1731, il s’installe à Edo où il ouvre un four et produit de splendides objets.

 

Autres peintres Rimpa contemporains : Shikō Watanabe (1682-1755), Roshu Fukae (1698-1757).

Œuvres de Ogata Kōrin

 

Paravent à six panneaux, Iris, 150 x 339 cm.

Quelques panneaux du paravent aux chrysanthèmes.

 

Kimono dessiné à la main par Ogata Kōrin.

 

 

Paravent à deux panneaux avec Althea.

 

 

 

 

Prunus Ume à fleurs blanches et rouges (abricotier japonais).

 

 

Ogata Kōrin utilise brillamment la technique de Kouhakubai-zu dans ce Fusuma en ajoutant un pigment vert rokushou 青 au noir des troncs pour créer un effet de taches de mousse.

 

Fleurs d’Althea, 54 x 13 cm.

 

Céramiques des frères Ogata.

 

 

 

Les peintres suivants appartiennent au courant des frères Ogata.

 

Œuvre de Roshu Fukae

Paravent à six panneaux, Plantes des 4 saisons.

 

 

Les paravents japonais se regardent de droite à gauche (comme l’écriture japonaise). Les végétaux de printemps sont à notre droite tandis que ceux d’hiver sont à l’extrême gauche. La seule exception concerne les paravents de style Namban, qui se regardent de gauche à droite, comme les écritures occidentales.

 

 

 

 

Œuvre de Watanabe Shikō

Paravent à six panneaux, Fleurs de cerisier à Yoshino yama, 150 x 362 cm de la période Edo (1603-1767).

 

 

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42. Rimpa-Cho : École Kōetsu et Sōtatsu

À l’époque Momoyama (1573-1603) coexistent diverses tendances artistiques.

A. Le clan des artistes Kanō

 

Ce courant exprime le goût du shogunat d’influence chinoise. Les œuvres opulentes, rigoureuses, sur de grandes surfaces sont exposées dans les châteaux.

 

Thème de Kanō Sanraku (1559- 1635) : « Prunus et faisan ».

B. Le clan Tosa

 

Tosa Mitsuyoshi (1539-1613) appartient à une famille de peintres qui fait remonter sa généalogie à la période Heian, sans preuves historiques attestées.

 

Ce style de peinture décorative et aux couleurs fortes, apparu à l’époque de Heian (794-1185) se démarque des influences chinoises. Leurs représentants sont les peintres de la cour impériale, gardiens de la peinture traditionnelle typiquement japonaise Yamato-e.

 

C’est essentiellement un art narratif dont l’un des meilleurs exemples est le Gengi monogatori (ci-contre).

 

 

 

 C. Le style pictural appelé Namban (= Barbares du Sud)

 

L’arrivée des Européens donne naissance à ce courant.

Tandis que les thèmes peints sur les paravents japonais se regardent de droite à gauche, les paravents de style Namban se regardent de gauche à droite, comme les écritures occidentales actuelles.

 

Ci-contre, Kanō Naizen (1570-1616), production d’art japonais dans le style occidental.

 

Il est intéressant de rappeler que les dessins des vases de la Grèce antique se lisent de droite à gauche puisque le grec, à cette époque, s’écrivait de droite à gauche.

 

Ci-contre, vase Grec dit François (du nom de l’archéologue qui l’a découvert) actuellement au Musée Archéologique de Florence, daté de 550 av. J.-C.

La représentation de scènes mythologiques ou décoratives est centrée sur le cycle narratif du personnage d’Achille, qu’il faut « lire » de droite à gauche.

 

Les empereurs Goyozei (1571-1617) et Go-mizunoo (1596-1680) tentent, avec un petit groupe d’amis dont de riches marchands de Kyōto, de s’opposer au shogunat en train de prendre le pouvoir (à partir de 1600). Ils aspirent à faire revivre les canons artistiques du passé, en particulier ceux de la fin de la période Heian (894-1185). Ils proposent à nouveau les thèmes des œuvres littéraires de cette époque et privilégient la peinture de style Yamato-e.

Dans ce groupe de parrainés, deux artistes se distinguent : Hon’ami Kōetsu et Tawaraya Sōtatsu.

Ils sont à la fois habiles en peinture mais aussi en calligraphie, céramique, objets laqués ou métalliques utilisés dans la cérémonie du thé. Ils expriment, dans tous ces domaines, les canons esthétiques soutenus par les deux empereurs.

 

Alors que les membres des écoles Kanō et Tosa appartiennent à leur clan respectif avec un chef nommé de façon héréditaire, les artistes des trois principaux courants Rimpa ne se connaissent pas car ils ont vécu à des époques différentes. Cependant, ils sont liés par les mêmes idéaux d’expression artistique.

 

École de Hon’ami Kōetsu (1558-1637) et de Tawaraya Sōtatsu (1570? – 1643) à Kyōto

Hon’ami Kōetsu et Tawaraya Sōtatsu posent les bases théoriques et pratiques de la peinture Rimpa. Au début de leur collaboration, ils réalisent des œuvres de petit format, à usage personnel, confectionnant des rouleaux et des Shikishi (petites feuilles de 18 cm de côté maximum utilisées seules ou reliées en petits blocs) appréciés des nobles. Sōtatsu interprète la partie picturale avec des motifs tirés des contes d’Ise ou de Genji. Kōetsu retranscrit des vers du recueil du Kokinshū désigné aussi Kokin Wakashū (1205) composé de 1 111 Wakas en vingt livres et représentant un siècle et demi de création poétique ou encore, des vers d’autres sources de la fin de l’époque Heian.

 

 

Kōetsu est issu d’une famille de polisseurs de sabres au service de la cour impériale. Calligraphe expert et admiré, il est aussi un expert de la Cérémonie du Thé (il fut l’élève le plus important de Furuta Oribe, successeur de Sen no Rikyū ). Il réalise à la fois des céramiques (créateur de bols de thé Raku) et d’autres objets pour cette cérémonie.

Sōtatsu peint et vend des éventails, des paravents ‘Byōbu’ et des portes coulissantes ‘Fusuma’ dans sa boutique de Kyōto.

Après de nombreuses années de collaboration, ils se séparent et produisent, séparément, de nombreux chefs-d’œuvre.

Sōtatsu reçoit du Shogun Ieyasu Tokugawa un terrain au nord-est de Kyōto où il se retire pour mener une vie semi-religieuse et créer une communauté d’artistes qui produit de la poterie et des objets laqués.

 

Autres artistes Rimpa contemporains : Koho Hon’ami (1601-1682), Sōsetsu Kitagawa (?).

 

Œuvres de Hon’ami Kōetsu

Flûte à décor de cerf sacré du temple Katsuga à Nara en nacre et laque d’or.

 

Coffret en bois laqué.

 

 

Shikishi : Décors sur fond or et argent. Partie du rouleau des grues,  13 mètres de long, 35 cm de haut : dessins de Sōtatsu avec 36 Wakas transcrits par Kōetsu.

 

 

Tasse à thé Raku créée par Kōetsu, qui a collaboré avec Jōkei, le 2ème descendant du clan Raku.

 

Paravent à double feuilles du dieu du vent et dieu du tonnerre de Sōtatsu.

 

 

 

 

 

Paravent à six portes Sōtatsu, 166 × 370 cm, représentant Matsushima.

 

 

Quatre des six portes du paravent « fleurs d’automne » de Tawaraya Sōtatsu, appartenant à cette école.

 

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41. Rimpa-Cho : introduction

Le nom ‘Rimpa’, ou celui moins utilisé ‘Rinpa’, dans l’histoire de l’art se réfère à un groupe hétérogène d’artistes qui a vécu à différentes époques et produit d’étonnantes peintures, calligraphies, céramiques, laques, dessins sur éventails et kimonos et autres objets.

Le nom Rimpa est inventé après 1800, lors de la publication de 2 ouvrages :

– L’un de Sakai Hōitsu (1558-1637) : « 100 œuvres sélectionnées du répertoire de Kōrin »

– L’autre écrit peu de temps après, par son élève Ikeda Koson (1615-1868) : « Autres 100 œuvres sélectionnées du répertoire de Kōrin ».

La raison de ces publications est que, pendant des années, de nombreuses fausses œuvres de Kōrin ont circulé.

À cette époque, pensant que Kōrin a créé ce style, Hōitsu parle de Kōrin-ha = École de Kōrin à (Ko)Rin-ha à Rin-ha à Rim-pa à ne sachant pas que ce sont Kōetsu et Sōtatsu les premiers à l’avoir présenté 100 ans avant Kōrin.

La peinture à la Rimpa est réalisée sur des objets de tailles différentes : petites boîtes laquées, éventails, portes coulissantes et paravents, kimonos. Aussi, les arrangements Rimpa-Cho Ikebana vont de la taille d’un petit bassin à un grand bassin et même jusqu’à plusieurs bassins alignés.

 

L’ikebaniste commence par de petites compositions en référence à l’Uchiwa, éventail chinois puis poursuit en réalisant des arrangements plus grands en référence à l’Emben ou Sensu, éventail japonais.

 

L’ikebaniste passe ensuite à des compositions encore plus grandes, dans deux bassins, en référence aux décors des portes coulissantes ‘Fusuma’ et des ‘Byōbu’, paravents à plusieurs panneaux.

 

Fusuma : portes coulissantes

                              

 Byōbu : paravents à plusieurs panneaux

 

Exemples de contenants de l’École Ohara et leur disposition, © École Ohara.

 

Le Rimpa-cho Ikebana, bien qu’il puisse être réalisé dans différents contenants, des bassins spécifiques sont créés de forme allongée ou de forme en « éventail japonais ». Avec ces derniers et dans la plupart des cas, le côté concave du vase (comme celui des pierres Suiseki ou du bonsaï) est tourné vers l’observateur/observatrice puisque « le concave accueille », le côté convexe « repousse » est moins utilisé.

Exemples de contenants et les dispositions de l’École Ohara, © École Ohara.

 

 

 

 

D’autres exemples, © École Ohara.

 

 

 

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40. Morimono, Ikebana, Suiseki et …. plus

Fréquemment évoquées dans les articles précédents, les règles de composition de l’Ikebana (son positionnement dans le tokonoma et sa signification) n’ont pas été créés spécifiquement pour l’Ikebana. Elles sont aussi présentes dans de nombreuses autres situations. Il est fascinant de constater que les mêmes règles de composition sont partagées avec des situations apparemment sans rapport avec l’Ikebana comme la disposition des pierres dans le jardin, celle de la nourriture dans les assiettes, la disposition des objets dans le Tokonoma, l’arrangement et la forme des bonsaïs et la disposition des Suiseki (Voir Article 39, Suiseki et Ikebana).

De toutes les situations citées, la disposition des pierres dans le jardin est probablement la plus ancienne, déjà pratiquée à l’ère Heian (794-1185) en même temps que l’introduction de la triade bouddhique tandis que le tokonoma et l’Ikebana apparaissent plus tardivement, au milieu du XVe siècle.

Dans un texte récent (première édition datée de 1980) sur l’agencement des pierres dans un « jardin japonais » écrit par trois auteurs dont l’un est un maître ikebaniste de l’école Ohara, les suggestions suivantes sont données :

 

 

Éviter la disposition selon deux axes orthogonaux et préférer celle en diagonale ou en triangle scalène.

 

On retrouve ce schéma de deux éléments en diagonale dans la disposition des aliments sur le plateau.

 

En général, nous préférons utiliser trois éléments puisque les nombres pairs sont considérés comme Yin tandis que les nombres impairs sont Yang.

Sur les 3 photographies ci-contre et ci-dessous, le troisième élément ajouté aux deux disposés en diagonale est, dans les 3 cas, la paire de baguettes en bambou posée en-travers du plateau ou du plat.

 

Aliments arrangés dans un plat en céramique de Ogata Kenzan (1663–1743).

 

 

Le schéma des trois éléments en diagonale se retrouve dans la disposition des aliments dans l’assiette.

 

Théière posée sur la diagonale des deux éléments dans l’assiette. Poisson le long de la diagonale du plat qui, dans la cuisine kaiseki, doit avoir la tête sur notre gauche.

 

Agencement des pièces principales en diagonale dans une demeure seigneuriale japonaise traditionnelle.

 

 

 

Le même concept s’applique dans l’agencement du Bunjin-Cho Morimono de l’École Ohara où les éléments sont placés le long d’une diagonale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Arrangement de l’École Chicō.

 

 

 

 

 

Arrangement en diagonale dans ce simple Bunjin-Cho Morimono « contemporain ».

 

 

 

Le daï lui-même est positionné en oblique si les différents éléments qui composent le Bunjin-Cho Morimono sont trop importants pour être positionnés nettement sur la diagonale du daï.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Comme dans la triade bouddhique, l’Ikebana, le Suiseki en forme de montagne au loin et le bonsaï, la disposition en triangle scalène se retrouve aussi dans l’alimentation.

 

 

 

 

Mais aussi dans l’arrangement Bunjin-Cho Morimono « contemporain » de l’école Ohara.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Autre exemple de Bunjin-Cho Morimono.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Comme dans le Shikisai-Moribana Chokuritsu-kei (style vertical), des Chukan-shi (auxiliaires) peuvent être ajoutés aux trois Yaku-eda (éléments principaux), d’autres plantes peuvent aussi être ajoutées dans le Bunjin-Cho Morimono mais celles-ci doivent être plus faibles que les trois plantes principales disposées en triangle.

 

 

 

 

 

 

Parfois, l’arrangement traditionnel de l’École Ohara ne suit pas la règle de l’arrangement des trois Yaku-eda en triangle scalène du Shikisai-Moribana Chokuritsu-kei. Les éléments d’un arrangement Bunjin-Cho Morimono sont placés selon deux schémas possibles :

– soit ils sont sur la diagonale du daï (ou si le daï est très étroit, celui-ci est placé en diagonale).

– soit ils forment un triangle scalène (photo ci-dessus), identique au style Moribana Chokuritsu-kei.

 

 

Les deux contenants, de même forme puisqu’ils font partie d’un casier transportable, sont disposés en diagonale par le photographe. Les deux manières d’arranger la nourriture sont visibles :

– les deux éléments du premier contenant sont sur une diagonale différente de la diagonale qui joint les deux contenants (pour éviter une répétition) et

– les positions des trois éléments du second contenant forment un triangle scalène.

 

Il est intéressant de regarder ces photographies prises au Japon vers 1860 par Felice Beato, photographe italo-anglais. Il photographie de nombreux sujets dont des personnes, en les faisant poser.

Il est évident que la position des trois personnes est exactement celle de la triade bouddhique (Voir Article 64, Ikebana et triade bouddhique) ou du style Moribana Chokuritsu-kei.

La personne au centre est la plus grande et la plus reculée. À sa droite et plus près, la deuxième personne la plus grande, placée légèrement en avant, et à sa gauche encore plus en avant et détachée, la troisième personne la plus petite.

Les trois hommes sont à égale distance l’un de l’autre mais celui au centre et celui à sa droite se croisent les yeux, paraissant plus « unis » que le troisième qui détourne le regard et paraît plus « détaché ».

 

Autre photographie de Felice Beato de conception quasi équivalente. Position des 3 Yaku-eda dans l’arrangement de style Moribana Chokuritsu-kei.
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39. Suiseki et Ikebana

Forme d’art et de collection qui consiste à agencer des pierres aux aspects particuliers trouvées dans la nature.

 

Les canons esthétiques sur lesquels reposent le choix, l’agencement et la signification des pierres sont communs à l’Ikebana et au bonsaï. La coutume d’arranger les Suiseki dans le tokonoma, selon la tradition, commence avec Sen no Rikyū  (1521-1591). Elle est introduite environ cent ans après la naissance historique de l’Ikebana et utilisent les mêmes règles dispositives de l’Ikebana.

Ci-contre représentation du Mont Sumeru, Sublime Meru.

 

Le Rikka, première forme d’Ikebana avec des règles fixes et le Suiseki en forme de montagne, première forme de pierres collectées, ont la même origine symbolique. Tous deux représentent la montagne bouddhique idéalisée Meru ou Sumeru.

 

Le bonsaï est introduit dans le tokonoma à l’époque Edo, après 1600, car on pense jusqu’à cette époque que le caractère sacré du tokonoma ne peut être souillé par de la terre. Ses règles de disposition dans le tokonoma sont similaires à celles de l’ikebana.

 

 

Dans le Japon ancien, les pierres en forme de montagne sont les premières à être collectées. La forme idéale préférée reproduit la forme du Kanji de la montagne (ci-dessus).

 

 

 

Ci-contre : la pierre verticale la plus courte à gauche est jointe (plus proche) à la pierre verticale centrale. Les deux sont légèrement en retrait de la 3ème pierre à droite.

 

On retrouve cette position, avec de petites variations, à la fois dans les trois pierres formant la triade bouddhique et dans les trois pics formant la montagne au loin, l’idéal de l’arrangement Suiseki.

 

Comme dans l’Ikebana, les premières formes de Suiseki sont appréciées pour leur beauté naturelle inextricablement associée au symbolisme religieux et philosophique du Japon.

 

Les huit immortels

 

Pour les bouddhistes, les pierres représentent la montagne mythique Sumeru ou Meru, la même qui est représentée dans l’arrangement Rikka (Voir Article 22, Influence du bouddhisme sur la structure de l’Ikebana).

 

Pour les taoïstes, selon les récits mythologiques chinois, il y a deux montagnes/îles d’immortalité, l’une à l’est Penglai (‘Hōrai’ en japonais) et l’autre à l’ouest Kunlun. Ces deux montagnes mythiques sont associées à l’immortalité.

 

À l’ouest, le mont Kunlun où poussent des herbes d’immortalité.

Ici, la Reine Mère de l’Ouest réside dans un palais de jade et garde le verger des pêchers d’immortalité.

Les pêches sont distribuées aux invités par la reine mère lorsqu’elles sont mûres, une fois tous les trois mille ans.

 

Ci-contre, Reine mère d’Occident aux pêches d’immortalité, Kanō Tan’yu (1602-1674).

 

À l’est, dans la Mer orientale, ‘Penglai’ en chinois, ‘Hōrai’ en japonais. Elle est dépeinte avec ses avenues d’or et de platine, ses arbres couverts de perles et de joyaux, ses pagodes de lapis lazuli.

À Penglai, siège des huit Immortels terrestres, pousse le champignon de l’immortalité.

 

 

Reishi ou champignon d’immortalité.

 

À Penglai pousse le champignon de l’immortalité utilisé par les huit Immortels, tandis qu’à Kunlun poussent les pêches de l’immortalité.

 

Champignon de l’immortalité utilisé dans un Morimono de l’École Ohara.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Il est intéressant de noter que dans le mot d’origine chinoise qui désigne les 8 Immortels Xian (), il y a le Kanji montagne.

 

Selon la légende, le premier empereur chinois Qin Shi Huangdi (260 av. J.-C.-210 av. J.-C.) ordonne deux expéditions navales dans le but de retrouver Penglai/Hōrai et de voler aux Immortels leur secret d’immortalité. Le secret n’est pas retrouvé car selon les croyances de l’époque, les Immortels se déplacent en volant sur des grues.

Dans les jardins impériaux chinois, on construit l’île mythique de Penglai à petite échelle dans les étangs et les lacs, espérant tromper quelques Immortels de passage et les inciter à s’arrêter pour avoir leur secret.

Cette coutume s’est d’abord étendue à la noblesse puis est entrée dans la tradition, d’abord en Chine puis au Japon.

 

Ci-contre, le mont Hōrai reproduit dans un petit lac.

 

Vol d’un immortel, auteur inconnu.

 

Immortel volant, Kiyohara Yukynobu (1643 – 1682).

 

Plus tard, le mont Hōrai/Île mythique est reproduit en réalisant des « paysages miniatures » dans des bassins.

Dans le Japon ancien, les pierres sont considérées comme des êtres vivants au même titre que les plantes. Toutes deux possèdent le Ki, la Force de Vie présente dans tous les composantes de l’univers car les pierres ont accumulé beaucoup de Ki durant la longue période de leur formation.

Chaque pierre, comme chaque végétal, a son propre côté Yang et Yin, un «dessus» et un «dessous», un devant et un arrière.

 

Ci-contre, paysage miniature représentant Hōrai.

 

Dans le jardin de l’époque Heian (794-1185) et de Kamakura (1185-1333), les principaux éléments ne sont pas, comme en Occident, les plantes mais de grosses pierres et l’eau auxquelles s’ajoutent quelques arbres à feuilles persistantes ou à fleurs ou des arbustes tels qu’ils sont visibles sur le dessin ci-contre daté de 1160 après J.-C.

 

Les pierres et le ruisseau sont les principaux «interprètes» des jardins avec quelques arbres et arbustes.

 

 

Déjà à l’époque Heian, la structure des jardins est constituée de grosses pierres disposées selon les règles du Fēng-Shui.

Le plus ancien manuscrit sur la création esthétique des jardins est le ‘Sakuteiki’, compilé vers l’an mille et le second ‘Sensui narabini nogata no zu’ écrit au XVe siècle affirment que placer ne serait-ce qu’une seule pierre dans un jardin sans « la respecter », c’est-à-dire sans tenir compte de sa nature et de son Ki, peut provoquer la maladie voire la mort du propriétaire. Si elle est mal placée, elle ne peut pas protéger l’habitation des forces naturelles négatives.

 

Le Sakuteiki traite des aspects religieux et philosophiques de la conception des jardins. S’y retrouvent des influences shintō, Feng-Shui et bouddhiques notamment dans les instructions relatives à l’usage de la boussole, la position que doivent occuper les pierres par rapport au bâtiment ou la direction dans laquelle un courant doit circuler à travers le jardin.

 

Pages du Sakuteiki :

Il est écrit : »…. utiliser une pierre qui dans la nature est droite en position inclinée ou placer une pierre qui dans la nature est inclinée en position verticale, si cela est fait, ces pierres non positionnées selon la nature causeront une malédiction au propriétaire ou à sa famille».

 

 

 

Pour le shintoïsme, les rochers sont le siège des Kami, comme les deux fameux rochers de Futamigaura.

 

 

Dans les temps anciens, les pierres sont placées, comme les végétaux en Ikebana, dans des suiban contenant de l’eau. En effet, le nom Suiseki est composé de Sui = eau et Seki = pierre = pierre dans l’eau. L’eau Yin sert à équilibrer la présence de la pierre Yang.

 

Ci-contre, extrait de 36 vues du Mont Fuji : vue de Satta dans la baie de Suruga.

 

On retrouve la confirmation de l’importance des pierres et de l’eau dans la composition du jardin sec ‘Karesansui’ Kare = sec, Sansui = jardin, des Kanji San = montagne et Sui = l’eau.

 

Aujourd’hui encore, dans les jardins secs (Karesansui), les rochers sont entourés de gravier blanc représentant l’eau de la mer, auquel on donne la forme de vagues par ratissage.

 

Le traité ‘Sakuteiki’ énumère cinq styles esthétiques d’architecture de paysage fondés sur les principaux concepts religieux et philosophiques mais aussi sur le sentiment poétique du concepteur : style océan, style montagne, style large rivière, style zones humides et style roseau. Chaque style comprend des sous-groupes.

Pour montrer les nombreuses similitudes entre l’Ikebana et le Suiseki, il est intéressant de considérer le classement selon leur forme. L’ikebaniste s’intéresse particulièrement à la catégorie «Pierres en forme de montagne au loin » et au sous-groupe «Pierres rappelant un paysage naturel».

 

La collection des pierres est d’origine chinoise. Avant que les Suiseki-pierres ne soient collectés individuellement, les pierres sont d’abord utilisées dans des paysages miniatures. Elles représentent l’idéal des montagnes. Les «Pierres en forme de montagne au loin» sont la première forme de pierres collectées dont les similitudes avec l’Ikebana sont les plus évidentes. En effet,  le choix de la forme des montagnes et l’agencement des trois principaux éléments de l’Ikebana sont une idéalisation d’une montagne symbolique.

 

Ci-contre, paysage miniature offert à l’impératrice Suiko, Tenno de 592 à 628, par l’empereur chinois.

 

Pierres formant la triade bouddhique, Kakemono de Hakuin Ekaku (1685-1768).

 

Paysage avec 3 pierres formant la « Trinité ou Triade Bouddhique », Tiger Hill Park Suzhou, Chine.

 

 

 

 

 

 

Le premier style utilisé en Ikebana, dont dérivent tous les autres styles, est le style Chokuritsu-kei (vertical) de l’École Ohara dans lequel, l’élément principal en retrait est au centre (Shu-shi), le second à sa droite et avancé (Fuku-shi) et le troisième légèrement plus en avant sur sa gauche (Kyaku-shi).

 

 

Cette disposition des trois éléments principaux n’est pas propre à l’ikebana. Par exemple, dans l’agencement des jardins de l’époque Heian, on la trouve dans les pierres formant la « Trinité ou Triade bouddhique ».

La Triade bouddhique se retrouve nettement dans l’arrangement de Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi du style Shikisai-Moribana Chokuritsu-kei de l’École Ohara.

 

La triade bouddhique est toujours représentée par Bouddha au centre, personnage le plus important des trois, et deux personnages moins importants, un à sa droite et un à sa gauche qui changent selon les cas.

 

La trinité bouddhique sera abandonnée au profit du tokonoma avec la disposition des trois kakemono et la triade d’objets sacrés, encensoir, candélabre et arrangement Ikebana.

 

Ci-contre, Trinité ou Triade Bouddhique.

Exemples de trinité ou triade bouddhique avec le nom des jardins de pierres.

 

Dans la nature, on retrouve l’arrangement en trois éléments. Par exemple, cette corne d’un jeune cerf dans laquelle le motif de la trinité bouddhique est évident.

 

Les pierres de la triade bouddhique rappellent la montagne non seulement parce qu’elles sont des pierres mais aussi parce qu’elles ont la même disposition des traits verticaux du Kanji ‘Yama’, écrit ci-dessous dans le style formel. Signifiant Montagne, le Kanji a le tronçon principal au centre, le deuxième tronçon à sa droite et avancé, le troisième à sa gauche encore plus avancé.

 

 

 

Lecture du Kanji : Yama en lecture Kun, San en lecture On.

 

Ci-contre, triade bouddhique dans une estampe chinoise.

 

Il est intéressant, pour l’ikebaniste, de noter que la disposition des trois traits verticaux du kanji ‘Yama’ n’est pas seulement la même que la disposition des trois éléments principaux Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi du style Moribana Chokuritsu-kei (style vertical) de l’École Ohara mais c’est aussi la disposition des points d’insertion des trois éléments principaux dans le kenzan : Shu-shi qui correspond en importance à la pierre centrale de la triade est au centre et en arrière, Fuku-shi qui correspond à la deuxième pierre en volume est avancé à sa droite et Kyaku-shi qui correspond à la plus petite pierre est à sa gauche encore plus avancé.

 

La forme idéale d’une montagne n’est pas celle que l’on trouve dans la nature, à quelques exceptions près. C’est une forme basée sur la symbolique de la triade bouddhique associée au symbole du Tai-ji taoïste. On retrouve cette forme idéalisée de montagne dans les Suiseki répertoriés comme ‘Yamagata-ishi’, «Pierres en forme de montagne au loin ».

 

Ci-contre, les premières formes de Suiseki collectées dans lesquelles les volumes et les positions des trois pierres de la triade sont incorporées en une seule pierre avec un pic central visible (parfois en arrière), un pic inférieur à sa droite (parfois avancé) et un pic plus bas encore à sa gauche (parfois avancé) exactement comme dans le Moribana Chokuritsu-kei et les trois pierres de la trinité bouddhique.

Notez que les pics « Shu-shi » et « Fuku-shi » sont plus proches l’un de l’autre que le pic « Kyaku-shi » puisque, comme dans l’Ikebana, ils représentent la partie Yang du symbole Tai-ji tandis que le pic « Kyaku-shi » représente sa partie Yin (Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

 

Comme un Ikebana peut être Hon-Gatte/à gauche ou Gyaku-Gatte/à droite, les «pierres en forme de montagne au loin » peuvent être aussi en position à Hon-Gatte/à gauche ou Gyaku-Gatte/à droite.

 

Selon la tradition, la coutume de placer le Suiseki dans le tokonoma a commencé avec Sen no Rikyū vers la fin des années 1500. Leurs règles de placement dans le tokonoma sont similaires à celles de l’Ikebana déjà en usage à la fin des années 1400. Dans le Moribana Chokuritsu-kei Hon-Gatte ou Gyaku-Gatte, le kenzan n’est pas placé au centre du bassin mais à gauche ou à droite de son centre. Par conséquence, la pierre droite ou gauche est également placée dans le suiban ou sur un daï suivant les mêmes règles, la pierre droite placée légèrement à sa droite et inversement (Voir Article 16, Origine des positions ‘Hon-Gatte’ et ‘Gyaku-Gatte’ et Article 17, Composition à gauche et composition à droite).

 

Suiseki Gyaku-Gatte situé à gauche du centre du daï.
 

Suiseki Hon-Gatte situé à droite du centre du daï.

 

La pierre Hon-Gatte est à droite du kakemono tandis que celle Gyaku-Gatte est à gauche du kakemono.

 

 

 

Une autre particularité à souligner est l’orientation du Suiseki . C’est « la partie concave qui accueille le regard ». Si une pierre a une partie concave, celle-ci est tournée vers l’observateur/observatrice. On voit aussi ce concept dans l’ouverture des bras pour accueillir quelqu’un.

 

Suiseki « Toyama Ishi » ci-dessus.

 

 

 

 

 

On voit que « le concave accueille le regard » dans l’agencement des pierres formant la triade bouddhique dans laquelle la plus grosse pierre est au centre et en retrait des deux autres, sur ses côtés.

 

 

On le retrouve ce mouvement dans l’Ikebana Moribana Chokuritsu-kei (style vertical).

Shu-shi est plus important et en arrière. Fuku-shi est moins important et plus avancé que Shu-shi et Kyaku-shi est le plus petit et le plus avancé des deux autres, exactement comme les trois pierres.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

 

Pour les bonsaï, le concept selon lequel la forme concave accueille tandis que la forme convexe repousse est appliqué : le tronc est décalé par rapport au feuillage. Le côté concave de la courbure, la plus importante du tronc, doit faire face à l’observateur/ observatrice.

 

 

Les bassins en éventail Rimpa illustre aussi ce concept. En général, il est préférable de mettre la partie concave vers l’observateur/ observatrice, même si parfois, c’est la partie convexe du bassin qui est représentée et s’il y a un motif particulier.

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

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38. Symbolique des végétaux

Puisque dans la culture occidentale actuelle, la créativité individuelle est préférée aux traditions, il est important de connaître les aspects traditionnels de l’Ikebana, parmi lesquels on a la symbolique des végétaux.

 

 

Chaque culture a sa propre symbolique associée aux plantes qui, par exemple en Occident, peut être reliée à la religion (lys), aux armées (feuilles de chêne), au sport (couronne de laurier), aux superstitions (trèfle), à la poésie (la rose), à l’héraldique ou science des blasons (lys du roi de France) et plus encore.

Le symbolisme japonais vient de diverses sources à dominance chinoise, en lien avec les cérémonies religieuses du bouddhisme et du confucianisme, auxquelles se sont ajoutés des symbolismes autochtones d’origines diverses mais surtout de la poésie.

 

 

L’œillet des montagnes, Nadeshiko, (Dianthus superbus) est mentionné dans vingt-six poèmes du Man’yōshū et symbolise la grâce féminine.

 

Ci-contre, éventail avec des Dianthus superbus ‘Nadeshiko’.

 

Fête des garçons le 5ème jour du 5ème mois (aujourd’hui aussi pour les filles) : poupées et objets virils sont exposés pour souhaiter courage et force aux enfants.

 

Remarquez les iris. Les feuilles d’iris rappellent les épées et sont utilisées le 5ème jour du 5ème mois pour la fête des enfants.

 

 

Soulignions l’importance de l’homophonie dans la langue nippone. Par exemple le pin ‘Matsu’ est homophone du verbe ‘Matsu’ qui signifie attendre. On le retrouve mentionné dans 71 poèmes du Man’yōshū.

Des fleurs spécifiques symbolisent les quatre saisons ou un mois spécifique de l’année. La liste des plantes peut différer selon le cadre dans lequel les plantes sont utilisées (par exemple la Cérémonie du thé), selon les groupes (par exemple les Bunjin), selon les différentes écoles d’Ikebana, ….

En général, les plantes sont considérées comme masculines (Yang) par rapport aux fleurs et aux herbes, et certaines plantes. Il peut y avoir des plantes masculines ou féminines par exemple, Pinus Thunbergii est considéré comme masculin (Kuro-matsu et O-matsu) par rapport à Pinus densiflore, femelle (Aka-matsu et Me-matsu) comparé à Thunbergii.

Certaines combinaisons de végétaux sont bien connues pour leur symbolisme :

 

 

 

 

Végétaux représentant les 3 amis de la saison froide, symboles mis en scène lors du réveillon de nouvel an :

Le pin symbolise la longue vie.

Le bambou, la dévotion.

Le Prunus Ume (abricotier du Japon), le courage.

Végétaux représentant les quatre saisons.

Les quatre gentilshommes (ou quatre nobles) :

L’orchidée : printemps.

Le bambou : été.

Le chrysanthème : automne.

Le Prunus Ume: hiver.

 

Les végétaux utilisés dans cette composition créée en 1935 par Koun Ohara, représentent les sept herbes d’automne Aki No Nana Kusa.

Dans le Man’yōshū, premier recueil de poèmes japonais de 750 après J.-C. comprenant 10 000 feuilles, il y a un tanka de Yamanoe No Okura intitulé Aki (automne) No Nana (sept) Kusa (herbes) qui évoque :

Miscanthus sinensis (Eulalia), Puearia, Patrinia scabiosifolia, Eupatorium cannabis (valériane) Dianthus (œillet des montagnes), Liseron.

 

Depuis lors, les « sept herbes de l’automne » sont connues de tous comme un symbole de l’arrivée de l’automne. Au fil du temps, peintres et poètes citent ou font référence à ce poème, parfois en modifiant soit le nombre (5 ou 7) soit en remplaçant une ou plusieurs espèces. Les « sept herbes » sont présentes dans les peintures, sur les éventails, sur les paravents et portes coulissantes, sur les kakemono et bois laqués, sur les kimonos et obi, dans les compositions des écoles d’Ikebana.                          © École Ohara

 

Actuellement, l’École Ohara n’utilise que quatre des sept herbes dans un paysage d’automne traditionnel. Puisque le nombre total utilisé doit être impair, le Lycopodium, qui ne fait pas partie des 7 herbes d’automne, est prescrit par l’école Ohara qui l’inclut dans ce décompte, comme 5ème élément.

 

Dessins de composition Ohara de 1934. Dans le premier on utilise les sept « herbes » alors que dans le second on n’en utilise que deux, gentiane et patrinia, auxquelles s’ajoutent deux autres herbes typiquement automnales (Wax et Anthistiria Arguens).

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara. Fait intéressant, cette composition est définie comme un Moribana influencé par le style Rimpa.

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37. Origine mythologique du Japon

L’une des nombreuses raisons pour lesquelles l’Ikebana s’est développé uniquement au Japon, parmi tous les pays de religion bouddhique, est le fait que la relation à la Nature, dans la tradition japonaise, est très différente de celle de l’Occident. Connaître les mythes shintoïstes sur la création du monde et les comparer à nos mythes chrétiens nous aide à mieux comprendre la raison de cette différence de rapport à la nature, notamment aux plantes. Avec l’introduction du bouddhisme au Japon en 522 après J.-C., le besoin s’est fait sentir d’inventer le ‘Shintō’ comme la « religion » native.  Par ordre impérial, deux livres sont écrits pour transmettre les mythes de la naissance du Japon mais aussi pour renforcer l’idée que le clan impérial descend directement de l’astre le plus important du firmament, à savoir la déesse solaire Amaterasu.

 

le Kojiki (livre des mots anciens) en 712 après J.-C.

les Nihongi ou Nihon Shoki (Annales du Japon) en 720 après J.-C.

Contrairement au christianisme où un Dieu crée le monde, le shintoïsme défend l’idée que l’univers existe sans qu’un dieu l’ait créé. Les premiers dieux apparaissent spontanément et pour eux-mêmes :

-«Le Ciel, au départ se sépare de la Terre, doux, incohérent, dispersé».

– «Des divinités primordiales apparaissent : cinq mâles « qui cachent leur corps de la vue » et résident au Ciel suivis de « sept générations divines » qui font apparaître les forces de la nature sous la forme de pouvoirs divins ‘Kami’ appariés.

Le dernier couple frère-sœur/épouse-mari généré est celui d’Izanagi, celui qui invite, et Izanami, celle qui invite.

 

 

Les Dieux Primordiaux ordonnent au couple frère-sœur de consolider la Terre. Depuis le Pont Suspendu du Ciel (qui permet de descendre sur la Terre) et avec une lance, le couple déplace les eaux boueuses. La première île naît de la boue qui en coule.

– Alors que la première expérience sexuelle dans le monde divin a lieu : Izanami, parlant le premier, s’unit à Izanagi et de leur union inexpérimentée naissent un fils raté et une île.

– Face à cet échec partiel, ils retournent au Ciel. Les Dieux Primordiaux disent que c’est au mâle de prendre l’initiative. Le couple observe une paire de bergeronnettes qui s’accouplent. Le couple revient sur terre et une nouvelle union sacrée a lieu. Le mâle ayant parlé le premier, les huit îles du Japon et divers Kami des eaux, des plaines et des montagnes, etc. surgissent qui, à leur tour, génèrent d’autres Kami. Les îles et les Kami se génèrent à la fois sexuellement et par auto-génération et dans le monde des Kami, tout découle de tout.

 

– Izanami meurt en accouchant du Kami du Feu qui lui brûle les organes génitaux mais elle engendre six divinités à partir de son vomi, de ses excréments, de son urine (symboles du pouvoir sacré du biologique) telles que le Prince et la Princesse de la mine et de l’argile, la princesse de l’irrigation et la princesse de la riche nourriture.

– Izanagi venge sa sœur épouse en tuant le Kami du Feu et c’est à nouveau l’occasion de nouvelles naissances : huit Kami issus des gouttes de son sang et huit autres des différentes parties de son corps. Ce sont tous des Kami résolus aussi violents que le tonnerre ou les eaux violentes des vallées ou les sifflements du vent.

– Izanagi descend aux Enfers pour récupérer sa femme décédée, sans y parvenir.

Il revient sur terre et doit se purifier, ayant été en contact avec la mort. C’est à nouveau l’occasion de procréer de nouveaux Kami :

– douze issus de ses vêtements et objets personnels qu’il jette.

– quatorze de son bain purificateur, parmi eux :

– de l’œil gauche la Déesse Amaterasu, associée au Soleil.

– de l’œil droit Tsuki-Yomi, Kami masculin associé à la lune.

– du nez Susanoo, Kami masculin associé à l’ouragan, au vent, à la mer. Notez que le côté gauche, étant Yang par rapport au droit, est le côté le plus important.

– Izanagi répartit les tâches entre ses trois enfants. Amaterasu obtient le pouvoir de domination sur ses deux frères  (qui doivent devenir les futurs empereurs, en compensation).

– Susanoo conteste la suprématie de sa sœur. Izanagi les réconcilie en leur faisant procréer d’autres Kami en mâchonnant des objets qu’ils leurs donnent (son épée à la sœur, ses bijoux au frère) : trois filles sortent de la bouche d’Amaterasu et cinq fils de la bouche de Susanoo. Notez la préférence pour les nombres impairs, Yang sur les nombres pairs.

– Susanoo détruit les barrages et les rizières de sa sœur Amaterasu et ose déféquer sur son trône (symbole de la violation globale de l’ordre du monde).

– Amaterasu, offensée par le comportement de son frère, se retire dans la Grotte du Ciel dans un état de « black-out » total. Des myriades de Kami se rassemblent et tentent en vain de la faire sortir avec des danses, montrant des branches de Sakaki ornées de morceaux de papier (manière que l’on retrouve encore aujourd’hui dans les rites shintoïstes) et faisant chanter tous les oiseaux à l’unisson afin de lui faire croire qu’un autre soleil s’est levé et la rendre ainsi jalouse. Mais tous leurs subterfuges échouent.

 

 

– la déesse Ameno renverse un tonneau vide, se met à l’intérieur en exécutant une danse «obscène» (montrant seins et organes génitaux), ce qui déclenche le rire des «huit myriades» de Kami. intriguée par le rire, Amaterasu regarde dehors, voit son visage dans un miroir spécialement placé devant son visage. Persuadée qu’il y a un autre Kami, elle sort et se fait fermement empoigner. L’entrée de sa grotte refuge est bloquée et le soleil brille à nouveau sur Terre.

– Susanoo est exilé à Izumo, sur la mer du japon, où règne son fils.

– Pour assurer sa descendance au Japon, Amaterasu envoie son neveu Ninigi sur terre à Kyushu, équipé des « 3 objets divins » (miroir – épée – bijoux). Le petit-fils de Ninigi, futur empereur Jinmu (cinquième descendant direct de la Déesse Amaterasu), se dirige vers le nord, conquiert Izumo et d’autres terres, arrive à Yamato (mot désignant les plaines et monts autour de l’ancienne capitale, Nara) où il est proclamé Empereur.

 

Afin d’inciter au respect que l’ikebaniste doit avoir envers les plantes lorsqu’il crée un Ikebana, rappelons la façon dont le shintoïsme considère la relation entre l’individu et le monde entier, y compris l’humanité, les êtres vivants et non vivants, les morts, la terre, les corps célestes et les Kami. C’est une relation de «consanguinité». Pour le shintoïsme, l’ikebaniste et la plante sont « consanguins », les parties de plante entrant dans la composition comme celles qui sont jetées sont considérées et respectées de la même manière et traitées en conséquence.

 

 

La description de l’apparition de divers végétaux dans le Kojiki est également intéressante. Par exemple, la naissance de certains arbres nés des poils de Susanoo : l’un de la barbe est né le cryptomeria, l’autre de la poitrine le cyprès, de ceux des fesses le pin noir, des cils le camphre. On y indique l’usage : le cryptomeria et le camphre sont pour la construction de bateaux, le cyprès pour les maisons, le pin pour les cercueils.

 

Dans un autre article, l’origine des céréales est expliquée : Susanoo tue le Kami de la nourriture Oh-getsu-hime et de ses yeux naissent les graines de riz et les épis de mil, du nez les haricots rouges, des organes génitaux le blé et de l’anus le soja. Beaucoup d’autres plantes sont générées par d’autres Kami.

La naissance de l’homme et des animaux n’est jamais décrite !

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36. Introduction historique à la composition Bunjin : les Literati

Nous connaissons le Japon avant tout comme la patrie de la « Voie », de la « Méthode » (Dō) où l’accent est mis sur la discipline et où il n’y a pas de place pour les esprits libres. Cependant, il y a eu des mouvements artistiques qui se sont s’écartés de la vision Zen de la vie : l’un d’eux, le ‘Bun-Jin-Ga’ constitué d’artistes-peintres issus des couches supérieures éduquées de la société japonaise (Bun = lettres, Jin = homme, Ga = peinture), « peinture des Littéraires » aussi appelée École Nanga.

En Chine, le terme « peinture littéraire » (Wên-Jên Huain en chinois, qui devient Bun-Jin-Ga, en japonais) ne désigne pas un style particulier de peinture, mais plutôt une catégorie de peintres, les lettrés, répondant à des critères exigeants : naissance aristocratique + rang social élevé + érudition + humeur positive (par opposition aux peintres artisans-professionnels). En Chine, les lettrés n’ayant aucun problème d’argent, ne peignent pas pour gagner leur vie. Ils sont donc hors des diktats officiels du goût et peuvent être plus spontanés et individualistes que les artistes liés à leurs mécènes. Les œuvres des peintres artisans-professionnels sont quant à elles, considérées comme inférieures à celles des amateurs instruits Wên-Jên.

 

En 1654, alors que le 4ème Shogun Tokugawa Ietsuna est au pouvoir (1651-1680), un moine Zen chinois nommé Ingen Ryūki (1592-1673) entre en scène à Kyōto et prêche un Zen plus austère que les courants Zen présents à cette époque.

Le jeune Shogun, alors âgé de 18 ans, est fasciné par Ingen et lui offre un vaste terrain et un soutien financier pour qu’il s’installe au sud de Kyōto. En opposition aux sept autres sectes Zen existantes, il fonde le siège de sa nouvelle secte Zen, appelée Obaku, fait construire le temple de Manpuku-ji, dans le pur style chinois en important de l’étranger tout le matériel coûteux nécessaire à sa construction.

Ci-contre portrait de Ingen Ryūki.

Ci-dessous, temple Manpuku-ji, Kyōto.

 

Le shogunat poursuit ses subventions et permet à la secte Obaku Zen de construire des centaines de temples à-travers le Japon. A sa tête, vingt et une générations de moines chinois se succèdent pendant environ cent vingt ans, à l’exception d’un ou deux japonais, jusqu’à ce que les Japonais interviennent faute de moines immigrés chinois.

Ingen Ryūki introduit la calligraphie de style Ming au Japon et le ‘Sen-cha dō ‘= Voie du thé infusé, une manière chinoise de déguster le thé en feuilles entières. C’est une pratique différente du Matcha, thé en poudre, utilisée dans la cérémonie Wabi-Sabi par les Maîtres du thé. Le thé préparé en infusant les feuilles entières, déjà populaire, est vendu par les marchands ambulants des grandes villes.

 

Cérémonie du thé : différences d’environnement et de disposition des ustensiles entre la pratique chinoise et la cérémonie japonaise.

 

 

Aujourd’hui encore, le Manpuku-ji est le siège national des différentes écoles de thé Sen-cha.

 

Pendant le service du Sen-cha, les convives sont assis sur des chaises comme c’est la coutume en Chine.

 

 

La pratique du Sen-cha est beaucoup plus détendue que celle du Matcha. Elle implique un minimum de cérémonie et un maximum de jeu. La cérémonie du Sen-cha est souvent dans la nature, près d’une rivière ou dans les montagnes, lieux où l’on chante, compose des poèmes et des peintures en discutant et en buvant du thé.

 

 

L’origine des lettrés japonais (appelés Bunjin) se trouve en Chine. Les lettrés chinois (appelés Wên-Jên) sont une classe dont la vie est consacrée à l’art et à la littérature considérés comme les connaissances les plus élevées qui soient, un hybride du confucianisme et du taoïsme.

Leur aspect sérieux, cultivé, studieux vient du confucianisme.

« Si vous voulez gouverner l’état, pacifiez votre famille d’abord.

Si vous voulez pacifier votre famille, disciplinez-vous d’abord.

Si vous voulez vous discipliner, redressez d’abord votre cœur. »

 

Pour les lettrés chinois « le cœur se redresse » en pratiquant «les trois perfections», poésie, peinture et calligraphie auxquelles s’ajoute la musique, uniquement des instruments à cordes.

 

                                                                 

Au fil du temps, la pratique « lettrée » s’étend à tous les arts depuis le traitement du bambou et du métal, jusqu’à la céramique, la fabrication du papier, de l’encre, des pinceaux, des pierres à encre.

Cependant, cette pratique des « perfections » seules n’est pas toujours très attrayante. Aussi, les lettrés, en se référant au principe taoïste de liberté d’esprit, se veulent libres comme l’eau ou le vent. Ils sont idéalement des sages, des ermites qui ne veulent rien de plus que se retirer de la poussière du monde et profiter d’une « conversation pure » avec des amis.

 

À l’époque de la dynastie chinoise Ming (1368-1644), la figure de l’homme de lettres se distingue nettement : sans problème d’argent, il vit idéalement en semi-isolement dans un ermitage où il reçoit des amis.

 

Ci-contre, Wên-Jên, lettrés chinois.

 

Un célèbre lettré de l’ère Ming a dit : « L’idéal est de vivre au sommet d’une montagne, sinon à la campagne, sinon hors des villes. Même lorsqu’il n’est pas possible d’habiter entre les cimes et les vallées, la maison de l’homme de lettres doit avoir l’apparence d’un lieu éloigné du monde terrestre : arbres centenaires et fleurs exotiques dans le jardin, objets d’art et livres d’études dans le bureau ou l’atelier. Ceux qui séjournent dans cette maison ne sauront pas que les années ont passé et les invités oublieront de partir ».

 

Le développement des lettrés jusqu’au XVIe siècle ne se produit qu’en Chine. Le Japon, quant à lui devient le pays des arts martiaux, par opposition aux arts littéraires.

 

Même si on ne les désigne pas ainsi, les premiers « lettrés » japonais sont, comme les maîtres du thé du XVIe siècle, protégés des guerres et des bouleversements de leur temps grâce aux institutions Zen de Kyōto.

Ils adoptent l’idéal Ming de l’ermitage en développant la maison de thé Wabi-Sabi dans laquelle ils se réfugient en fuyant les mondanités. Ils s’intéressent à tous les arts des lettrés : calligraphie dans le tokonoma, poésie, céramique, bambou, pierre et fer.

 

Furuta Oribe (1544-1615), successeur idéal de Sen-No-Rikyû et Maître de thé auprès du Shogun crée des tasses à thé aux bords déséquilibrées, tordus et inégaux et aux couleurs et motifs typiques.

 

 

 

 

 

 

 

Kobori Enshū (1579-1647) est le successeur de Furuta Oribe. Il surprend ses invités, après une averse, en jetant un seau d’eau dans le tokonoma au lieu de la composition habituelle de Chabana.

 

 

 

Grâce à l’assouplissement de l’interdiction d’importer des livres étrangers imposée par les Tokugawa, des nouvelles des lettrés chinois arrivent au Japon et leurs idées commencent à germer dans l’esprit de certains lettrés japonais. Les Bunjin se mettent à contester le système de pouvoir shogunal et certains d’entre-eux publient des livres dans lesquels ils attaquent le Shogun. Ils appellent au retour du pouvoir impérial, préparant ainsi le terrain à la chute du Bakufu (= le pouvoir shogunal).

Le temple fondé par Ingen Ryūki est pris comme point de référence par les Bunjin à la fois :

– parce que les moines Zen venus directement de Chine sont également peintres,

– en plus d’avoir des nouvelles de première main sur la culture chinoise, ils boivent du Sen-cha. Cette façon de boire le thé est adoptée par les Bunjin pour se différencier des samouraïs qui utilisent le Matcha.

 

La tapette à mouches (‘Hossu’ en japonais), un des ustensiles typiques du Sen-cha souvent placé dans le Tokonoma, a pour signification symbolique d’enlever les « mouches », les soucis de la vie. En garder une à portée de main signifie qu’on s’apprête à se consacrer, pendant le Sen-cha, à la « conversation pure ».

 

 

Bien que le même terme Bunjin soit utilisé pour les savants chinois et japonais, il y a une différence fondamentale de statut. De nombreux lettrés chinois font partie de la classe bureaucratique dirigeante et la classe militaire lui est subordonnée. En revanche, au Japon, la classe militaire dirige la pays et les lettrés japonais sont subordonnés à la classe des samouraïs dont ils dépendent économiquement.

Les lettrés chinois forment donc une classe homogène bien définie, composée d’intellectuels qui travaillent ou ont travaillé dans l’appareil bureaucratique chinois alors que les lettrés japonais sont des gens très différents les uns des autres, ayant en commun l’attrait pour le goût et mode de vie des Wên-Jên.

Alors que les Wên-Jên chinois sont de riches peintres amateurs ne faisant pas le commerce de leurs œuvres, contrairement aux peintres artisans-professionnels, de nombreux Bunjin japonais vendent leurs peintures pour gagner leur vie.

 

Quant aux compositions «florales», les Wên-Jên les mettent de façon libre partout dans leurs demeures tandis que les Bunjin les placent dans le tokonoma.

 

 

En tant qu’esprits libres, les Wên-Jên chinois et les Bunjin japonais ne peuvent pas s’adapter aux règles imposées par les différentes écoles d’Ikebana et refusent de réaliser des compositions « florales » comme le Chabana qui leur rappelle le Matcha de la classe guerrière. Il en est de même pour tout arrangement d’Ikebana de toute École qui, en raison des lois strictes de composition, les privent d’une liberté d’expression. Ils réalisent alors des Ikebana libres et personnalisés, appelés Bunjin, dans lesquels, tout en conservant les règles esthétiques communes à l’Ikebana, la liberté individuelle prévaut.

 

La référence à l’origine chinoise de leur mouvement intellectuel reste très forte et visible dans les matériaux choisis, depuis le type de plantes à fortes références symboliques chinoises jusqu’aux vases chinois ou objets ajoutés aux compositions comme l’utilisation de plumes d’oiseau dans la composition.

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

© École Ohara Racines de l’orchidée expressément visibles

 

Suivant la mode chinoise qui aime les couleurs fortes et vives, les lettrés utilisent des fleurs aux couleurs vives, très différentes du Chabana réalisé pour la cérémonie du thé matcha. Les végétaux sont choisis avant tout pour leur signification symbolique chinoise. Ils utilisent également des branches avec des fruits dont l’usage est interdit par les écoles d’Ikebana.

Le courant de la peinture Nanga (ou Bunjin-Ga) s’appelle aussi « style sud-chinois » puisqu’il est né dans le sud de l’empire chinois situé en zone tropicale. Par conséquence, le Bunjin Ikebana se compose avec des végétaux tropicaux typiques de cette région et se place sur un daï (tablette de bois). Pour le Bunjin-Morimono, le support peut avoir la forme de larges feuilles de plantes tropicales.

 

Même si les deux formes de composition sont utilisées en fonction du type de cérémonie du thé, le Chabana et le Bunjin-Cho Ikebana sont très différents.

 

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35. Ikebana et histoire : périodes Meiji (1868-1912), Taisho (1912-1925) et Shōwa (1926-1989)

L’ère Meiji débute avec une « occidentalisation à marche forcée » et tout ce qui est japonais, y compris l’Ikebana, devient impopulaire et remplacé par ce qui vient de l’étranger.

 

L’empereur Meiji avec des femmes nobles

 

Empereur Meiji, très jeune, en habit traditionnel

 

L’empereur Meiji avec sa femme et son fils.

Une immense composition florale occidentale est mise en évidence.

Il est intéressant de noter que, malgré l’occidentalisation évidente, les schémas culturels japonais se maintiennent. Le «nouveau s’ajoute à l’ancien, au lieu de le supplanter».

 

 

 

 

L’empereur Meiji en famille. Les hommes sont positionnés à gauche de la table centrale tandis que les femmes à sa droite. La gauche est considérée comme plus importante puisque Yang, masculine, tandis que la droite, moins importante, est Yin, féminine. La Kami Amaterasu, déesse du soleil, dont descend la famille impériale, est né de l’œil gauche de son père Izanagi.

Remarquez l’arrangement floral occidental. Sur la table il y a trois objets qui rappellent les trois objets sacrés ‘Mitsu-Gusoku’ : encensoir-bougeoir-Ikebana  (Voir Article 13, La naissance de l’Ikebana d’après les documents historiques) mais leur distribution est occidentale. La composition florale occidentale (associée au féminin) remplace l’Ikebana et est placée du côté (Yin/féminin) des femmes tandis que le bougeoir et l’encensoir, considérés comme des « objets masculins » sont du côté des hommes.

 

Vêtements, vase, instrument de musique, motifs décoratifs de tissus, meubles, sol : tout est occidental.

 

Remise de diplômes dans une école de « décoration » florale occidentale.

 

Le dernier Shogun Tokugawa
En tenue de cérémonie japonaise.             Dans des vêtements occidentaux.

 

Dans certains anciens rescrits impériaux (actes administratifs), il est prescrit que les femmes doivent être «de bonnes épouses et de sages mères». L’Ikebana fait partie des devoirs qui caractérisent cet idéal de la femme.

Avec le rescrit impérial sur l’éducation de 1890, le gouvernement introduit l’enseignement de l’Ikebana uniquement dans les écoles de filles car en Occident, le commerce des fleurs est une activité uniquement féminine. De nos jours, certaines écoles enseignent l’Ikebana aux élèves mais l’essentiel de l’enseignement se fait dans des clubs périscolaires.

 

L’École Ohara, née en 1895, est la première à introduire l’utilisation des fleurs « étrangères » et le style Moribana.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Sous la devise «Ikebana hors du Tokonoma», de nouvelles tendances se forment selon lesquelles la révolution culturelle conduit à voir l’Ikebana comme un art qui «doit s’adapter aux temps nouveaux». Les plantes sont associées à d’autres matériaux en créant un arrangement libre, Jiyu-Bana.

En 1930, le «Manifeste des nouveaux styles d’Ikebana» paraît. Le passé de l’Ikebana avec ses styles (Kata), ses concepts philosophiques, ses restrictions sur l’utilisation des plantes est rejeté. L’utilisation libre des contenants, les formes libres et le sentiment d’être en phase avec la vie moderne sont proclamés. Les arrangements ont une forte connotation artistique «occidentale» dans lesquels l’ikebaniste laisse «la marque de sa propre personnalité».

 

La vision traditionnelle de l’Ikebana avec toutes ses contraintes « artificielles » imposées, comme le fait de toujours placer les plantes au premier plan, est une représentation de la Nature comme résidence des Dieux. À cette période historique une nouvelle vision s’affirme, traitant les plantes comme des « choses ou objets » pouvant être manipulés (d’un point de vue occidental) comme des « choses » sur lesquelles l’artiste occidental imprime sa personnalité. L’Ikebana se banalise, se transforme en un passe-temps artistique simple basé sur une vision occidentale de la Nature.

 

Dans un écrit de 1950 intitulé «l’Ikebana d’avant-garde», Shigemori Mirei déclare : « Il faut se débarrasser de l’idée que c’est la nature ou le végétal qui constitue le matériau de base de l’Ikebana, sinon on n’arrivera jamais à faire de l’Ikebana un art au sens plein du terme (………). Le végétal n’est rien d’autre qu’un morceau de matière isolé qui, en soi, n’a ni sens ni contenu (…). Il n’y a qu’à voir des lignes, des couleurs et des masses dans les végétaux».

Il est important de rappeler que ces mouvements artistiques parlant de l’Ikebana-objet sont aussi une réponse «politique» pour forcer à un changement de mentalité dans la société.

 

À partir des années 1960, certaines écoles refusent de réduire l’Ikebana à un objet et donnent à la matière végétale une valeur en créant le concept d’‘Ikeru’, «faire vivre les fleurs». Elles soulignent la différence entre la matière solide et les végétaux «vivants» et recentrent l’Ikebana sur la dimension vivante des plantes et non plus seulement sur leurs formes, volumes et couleurs. Au cours de cette période historique il y a de grands changements, diverses écoles d’Ikebana apparaissent ou disparaissent. Actuellement, parmi les nombreuses écoles, trois d’entre elles sont considérées comme les plus importantes :

L’École Ikenobō « modernise » ses techniques et les styles et garde la plupart de leurs élèves.

L’École Ohara crée le Moribana dont le style est intégré dans le programme de toutes les écoles d’Ikebana.

L’École Sogetsu, créée par Sofu Teshigahara en 1927, se veut être en rupture avec le classicisme des deux autres courants. Elle introduit un style inspiré d’une conception sculpturale et basé sur une plus grande liberté d’expression.

Ces trois écoles restent, à ce jour, les plus importantes et populaires au Japon :

Ikenobō : École la plus traditionnelle, conservatrice. En plus du Moribana, elle enseigne toujours le Rikka et le Shōka dans ses versions «classique» et «moderne».

Ohara : École à mi-chemin entre l’Ikenobō traditionnelle et la «moderne» Sogetsu.

Sogetsu : École la plus «moderne» mêlant des végétaux à d’autres matériaux et laissant beaucoup de place à la subjectivité de l’élève.

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34. Ikebana et histoire : période Edo 1603-1868

La naissance « historiquement avérée » de l’Ikebana a lieu dans les résidences des Shoguns Ashikaga au XVe siècle, dans le cadre du Kazari, décoration et agencement des objets de collection.

 

Cet art se répand parmi la noblesse guerrière de la classe des samouraïs mais il est ignoré, au départ, par la noblesse impériale tout comme la Cérémonie du thé. La cour impériale commencera à pratiquer la Cérémonie du Thé et l’Ikebana une génération après celle de la noblesse guerrière. Notons cependant que Hideyoshi fait réaliser, par Sen no Rikyū, deux fois la Cérémonie du thé dans un »salon» en or transportable et déplacé dans la résidence du Tenno (Empereur), cela en la présence de quelques membres de la famille impériale (voir Article 47, Vanneries dans l’Ikebana et la Cérémonie du thé).

Les journaux intimes des nobles qui entourent l’empereur font mention d’arrangements avec des fleurs dont certains sont réalisés notamment pour Go-tsuchimikado (1442-1500), 103ème empereur. Plus tard, les compositions sont effectuées par les maîtres Ikenobō mais c’est plutôt l’exception et non la règle. À cette époque, les auteurs de ces compositions sont toujours des hommes, moines et laïcs.

 

Période Edo ou Tokugawa (1603-1868)

 

Les Rikka, tant dans les demeures des Shoguns et des Daimyō que dans celles des empereurs et des nobles, sont réalisés par des moines. Vers 1620, grâce à l’empereur Go-mizunoo (1596-1680), 108e empereur), la réalisation de Rikka devient une activité régulière même au sein d’une partie de la noblesse masculine impériale.

Go-mizunoo, seul empereur à pratiquer personnellement l’Ikebana, se passionne tant qu’il devient l’élève d’Ikenobō Sensho/Senkō II.  

Il organise des rencontres hebdomadaires avec un groupe socialement hétérogène, talentueux dans ce l’art, pour étudier l’Ikebana. Composé de nobles, de prélats de haut rang choisis parmi la famille impériale et de quelques riches artisans-marchands, la plus basse de l’échelle sociale Tokugawa,  ce groupe étudie et crée des Rikka avec divers maîtres. Souvent le Tenno appelle Sensho Ikenobō pour juger les compositions.

 

En 1628, avec 49 autres ikebanistes, le Tenno et Sensho Ikenobō organisent une exposition de Rikka à l’intérieur du palais impérial de Kyōto, ouverte au public de tous horizons.

L’exposition répétée pendant plusieurs années contribue à populariser l’Ikebana dans toutes les couches sociales.

 

Exposition de Rikka de 1790.

À noter la présence d’un public des deux sexes et toutes les couches sociales.

 

 

Dans les journaux rédigés par les membres du groupe parrainé par le Tenno, on évoque la recherche des végétaux hors de la ville, dans les jardins de la noblesse, et dans les jardins des temples, mais aussi « cueillis » dans les jardins des riches marchands ou artisans qui, évidemment, ne peuvent s’opposer à leur cueillette.

Go-mizunoo ordonne que les Rikka créés par Senkō II soient dessinés et rassemblés dans un livre qui a survécu, avec 250 dessins. Ci-dessous, deux des dessins de Rikka réalisés par Senkō II.

 

 

 

Sur ordre de Iemitzu, 3ème Shogun Tokugawa (1623-1651), le Iemoto Ikenobō vient de Tokyō à Edo pour réaliser trois Rikka dans le palais shogunal.  

Chaque fois qu’un nouveau Iemoto Ikenobō s’établit, on prend l’habitude de l’inviter, pratique qui va se répéter jusqu’à la chute des Tokugawa, en 1868.

 

Au cours de la période Edo (dit aussi période Tokugawa), la classe sociale des marchands/artisans s’accroît progressivement tant en nombre qu’en richesse au détriment de la classe des samouraïs. Ces «nouveaux bourgeois riches» souhaitent s’approprier la culture dominante et imiter les compositions florales de la noblesse.

La culture des cours impériale et shogunale, pendant les cent premières années de la période Tokugawa, est reprise lentement par les « gens ordinaires » de la classe marchande/artisanale (la plus basse de l’échelle sociale Tokugawa) habitant les grandes villes. Au 18ème siècle, l’héritage culturel, n’appartenant jusqu’alors qu’à la noblesse impériale et guerrière et aux hauts dignitaires du clergé, est au moins largement connu des citoyens fortunés. Parmi les « connaissances de base », on trouve par exemple la poésie Waka, les passages les plus célèbres du théâtre Nō, l’histoire du Genji ou l’épopée des Heike (Heike monogatari), la poésie Haiku, le théâtre Kabuki, les célèbres lieux et temples du Japon tous connus grâce à l’utilisation généralisée de manuels imprimés, vendus ou prêtés moyennant des frais par de nombreux vendeurs ambulants des grandes et petites villes.

 

Colporteur de manuels de calligraphie, Torii Kiyonobu 1720. Poupée de marchand ambulant datée de 1823.

 

Manuel expliquant comment bien servir les repas.

 

Manuel expliquant comment bien servir le saké.

 

Les samouraïs sont attirés par cette culture citadine car bien plus vivante et spontanée que celle que leur impose le Bakufu. Des groupes de samouraïs et de « nouveaux citoyens riches » voulant les imiter apparaissent. Ces derniers suivent des écoles pour apprendre les arts traditionnels tels que la Cérémonie du thé, les chants, le théâtre Nō, l’Ikebana, les compositions poétiques Waka, les manières à table ou en présence d’une personne appartenant à une classe sociale supérieure, etc. Les manuels se répandent par l’intermédiaire de marchands ambulants qui les vendent ou bien les louent.

Au début, ces écoles sont exclusivement masculines mais vers le milieu du XVIIIe siècle, elles s’ouvrent aux femmes. L’Ikebana, exclusivement masculin, commence à être pratiqué par les femmes.

 

Ci-contre manuel d’Ikebana.

 

 

La pratique de l’Ikebana par les femmes se développe de façon lente et variable selon la classe sociale considérée :

– Pour la noblesse shogunale et impériale, les femmes apprennent l’Ikebana en regardant les leçons données aux frères ou maris mais n’y participent pas directement. C’est comme en Italie où la peinture est pratiquée uniquement par des hommes. Les quelques peintres femmes sont des épouses de peintres dont les maris ou les pères, vont à contre-courant des règles sociales de l’époque.

 

– Pour la classe des marchands-artisans, une autre raison est évoquée. Cette classe sociale assume le pouvoir monétaire mais reste la plus basse des quatre classes établies par les Tokugawa. Les jeunes femmes obtiennent la meilleure « carte de visite » dans leur propre classe sociale si elles sont éduquées.  On les envoie alors « en service » pendant quelques années chez un Daimyō ou un samouraï important. Grâce au « séjour obligatoire » (Sankin-Kōtai) imposé aux Daimyō par le Shogun, ces jeunes femmes ont l’opportunité tant convoitée de servir la noblesse shogunale et, par conséquent, de développer une culture. Cependant, pour être embauchées,  elles doivent démontrer qu’elles ont déjà une bonne base culturelle et connaître ce que les familles de Daimyō pratiquent ou valorisent (y compris l’Ikebana). Pour cette raison, les riches parents dépensent des sommes très importantes pour envoyer leurs filles à l’école (art de la table, Ikebana, cérémonie du thé, poésie, théâtre Nō, etc.) afin qu’elles soient acceptées et ainsi augmenter encore leur culture.

 

La stabilité politique des Tokugawa repose dès l’origine sur un contrôle total du pays, obtenu grâce à un régime bureaucratique et policier et à un système social rigide. Les arts y compris l’Ikebana, soumis à une censure shogunale, perdent progressivement en créativité. Le système Iemoto devient la règle pour tous les arts et les expositions d’Ikebana sont organisées dans les restaurants. Les journaux parlent de cet art et citent le nom des Écoles et des Maîtres-ikebanistes qui ont le plus de succès.

 

L’exposition de Rikka reste l’apanage des membres de la cour impériale et du shogunat.  

Mais pour la bourgeoisie urbaine aisée naissante (Chōnin), ces compositions basées sur sept ou neuf branches principales auxquelles s’ajoutent de nombreux auxiliaires sont trop compliquées. Il faut trop de temps pour les créer et de grands espaces pour les exposer. Aussi, les différentes écoles créent un nouveau style, plus simple, avec trois des sept/neuf branches principales. Cette nouvelle forme est appelée Shōka par l’École Ikenobō et Seika par des autres écoles (Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

Ci-contre, Seika avec trois éléments principaux, les deux branches et la fleur auxquels s’ajoutent deux fleurs auxiliaires.

 

Vers 1820 apparaissent les premières compositions de Bunjin-Cho réalisées par les Lettrés.

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33. Ikebana et histoire : périodes Muromachi (1336-1573) et Azuchi Momoyama (1573-1603)

Période Muromachi 1333-1568 ou Ashikaga, deuxième shogunat

C’est à cette période que l’Ikebana, historiquement prouvé, apparaît comme élément de décoration et d’agencement (kazari) d’objets présentés aux invités par les Shoguns Ashikaga.

En prenant le pouvoir, le clan Ashikaga déplace le siège du shogunat à Heian-Kyō (qui à l’époque est déjà rebaptisée Kyōto), lieu de résidence de l’empereur et de sa cour.

Les moines Zen deviennent officiellement les conseillers du Shogun.

La classe guerrière est en contact direct avec la cour impériale. La caste shogunale, dès l’époque du troisième Shogun, se substitue à la cour impériale et développe une nouvelle culture largement influencée par la culture chinoise tandis que la cour impériale défend la culture japonaise.

 

Deux Shoguns Ashikaga influencent grandement les arts (Voir Article 12, La naissance de l’Ikebana selon la tradition et Article 13, La naissance d’Ikebana d’après les documents historiques) :

 

Yoshimitsu (1358-1408), 3ème Shogun de 1368 à 1394

Yoshimasa (1436-1490), 8ème Shogun de 1443 à 1473

 

Avec lui, l’art et l’esthétique Zen s’affirment. Il fonde un monastère Zen qui devient le centre de l’école des peintres paysagistes et de la peinture à l’encre ‘Suiboku-Ga’. Il favorise la naissance du théâtre Nō (créé par Kan’ami et son fils Ze’ami), promeut l’art du Karesansui (jardin sec). Il jette les bases du développement de la Cérémonie du thé en tant que manifestation esthétique, diffuse la poésie Renga. Enfin il est un grand homme politique.

 

Petit-fils de Yoshimitsu et mauvais politicien, il provoque la fin du règne des Ashikaga. Il est le dernier grand mécène des arts Zen.

Se retirant du poste de Shogun et s’installant dans le pavillon d’argent, Yoshimasa privilégie tous les arts que nous connaissons aujourd’hui comme typiquement japonais.

 

Les principaux artisans de ces changements culturels de la période Ashikaga sont les moines de la secte Ji. Ils sont reconnaissables au suffixe ‘ami’ dans leur nom, (en l’honneur de Bouddha Amida), que leur attribue le Shogun Yoshimitsu. Employés des Ashikaga comme préposés, ils sont des dōbōshῡ ou « compagnons », personnes d’origine modeste dont la culture est appréciée et admirée de tous. Ils sont aussi les arbitres incontestés du bon goût et, à ce titre, divulguent les normes de la culture du shogunat à tout le pays.

Kan’ami et son fils Ze’ami sont supposés être les fondateurs du théâtre Nō. Comme confirmation de leur importance, le Shogun Yoshimitsu leur accole le suffixe ‘ami à leur nom bien qu’ils soient acteurs. Cet honneur leur donne droit au même respect dû aux moines de la secte Ji.

Parmi les vrais moines de la secte Ji au service des Ashikaga, on retient :

– So’ami, Mon’ami et Ritsu’ami qui, en plus d’être des peintres de renom, sont connus pour leurs compositions Tatebana. Mon’ami écrit le Mon’ami Densho, livre sur le Tatebana.

– Zen’ami, célèbre paysagiste

– Sen’ami, No’ami et Gei’ami, grand-père-père-fils dit « les trois ‘ami », sont célèbres à la fois comme artistes et comme conservateurs et recenseurs des œuvres d’art chinois des Shoguns.

 

Pour souligner aux invités la richesse et le bon goût du Shogun Ashikaga, le Dōbōshῡ, expert de l’agencement (kazari) et du décor, expose les nombreux objets chinois de la collection privée. En particulier, des vases qui, au début sont vides et admirés uniquement pour leur beauté.  Au fil du temps, ils sont utilisés comme des contenants à végétaux. Leur nombre se réduit et une importance plus grande est accordée aux compositions florales qui, au début, sont réalisées avec des règles simples. Simultanément le lieu où sont exposées ces compositions est structuré et devient le Tokonoma (Voir Article 13, La naissance d’Ikebana d’après les documents historiques).

Les premiers créateurs de compositions structurées, appelés Tatebana, sont les moines de la secte Ji.

Un moine de la secte Tendai entre alors au service de Yoshimasa. Son habileté à composer le Tatebana impressionne tellement le Shogun qu’en 1479, il lui décerne le titre de ‘Dai Nippon Ka-dō no Iemoto‘ c’est-à-dire celui qui est à l’origine de l’art de la Voie des « fleurs ». Son nom est Senjun Ikenobō.

 

Le nom, Senjun Ikenobō, apparaît pour la première fois en 1462, dans le journal d’un moine évoquant l’une de ses compositions réalisée dans un vase d’argent qui a émerveillé les habitants de Kyōto. Ses compositions commencent à être préférées à celles des Dōbōshῡ de la secte Ji. Avec la chute des Ashikaga en 1573 et la disgrâce conséquente de la secte Ji trop liée aux Ashikaga, les Ikenobō prennent le monopole de l’Ikebana qu’ils conservent pendant plus de deux siècles. À l’époque Edo, d’autres écoles apparaîtront, toutes issues du courant Ikenobō. Les deux premiers Iemoto de l’École Ohara seront également élèves de l’École Ikenobō.

 

Les premiers manuscrits sur l’Ikebana qui nous sont parvenus apparaissent sous le shogunat de Yoshimasa.

 

– Le Sendenshō, écrit par divers auteurs anonymes, daté 1445 par son premier propriétaire Fu’ami et 1536 par Ikenobō, son dernier propriétaire.

L’ouvrage décrit cinquante-trois compositions appelées Tatebana et quelques Nageire, réalisés non pas dans une visée esthétique mais plutôt à but cérémoniel comme le mariage, le passage à l’âge adulte, le retrait de la vie active, le départ pour la guerre, le fait de devenir moine, etc. Aucun nom technique n’est donné en dehors de la branche principale, toujours verticale et centrale, appelée Shin et des branches secondaires désignées indifféremment Soe-mono. Les positions Hon-Gatte et Gyaku-Gatte sont précisées et le nombre 4, homophone de la mort, est banni. Chacune des cinquante-trois compositions est réalisée dans le cadre de l’agencement Mitsu-Gusoku = « trois objets sacrés » : le brûle-parfum, le bougeoir et le vase à fleurs. Les trois objets sacrés deviendront plus tard cinq, Go-Gusoku, avec l’ajout de deux vases avec « fleurs » sur les côtés (Voir Article 13, La naissance d’Ikebana d’après les documents historiques).

Mon’ami Densho dont l’auteur Mon’ami est moine de la secte Ji. Il contient des interprétations bouddhiques des compositions.

Hisamori-Ki est composé de huit volumes écrits à la main par le samouraï Isamori Osawa de 1460 à 1492. Les styles Shin, Gyō, Sō sont mentionnés pour la première fois.

Senno Kuden premier texte écrit par les Ikenobō daté de 1542 montre une nette différenciation entre compositions Ikenobō et celles réalisées par les « ’ami ».

Ikenobō Sen’ei Densho écrit en 1545, énumère les sept branches principales du Rikka.

 

Période Azuchi-Momoyama 1573-1603 (période des trois unificateurs)

 

 

 

 

 

Les Ikenobō sont les maîtres incontestés de l’Ikebana.

 

En raison de l’introduction des armes à feu et pour accroître leur pouvoir, les trois unificateurs construisent des châteaux forts avec des salles très vastes. Le Tatebana se transforme en Rikka, montré pour afficher la richesse et le pouvoir des chefs guerriers.

 

Le Zen n’est plus soutenu officiellement comme à l’époque des Ashikaga mais continue fortement d’influencer une partie de la vie quotidienne des samouraïs.

 

Pendant la période Muromachi, la Cérémonie du thé atteint son apogée avec Sen no Rikyū, l’un des cinq Maîtres de la Cérémonie du Thé au service de Hideyoshi.

Il influence également la manière de concevoir l’agencement et les ornements en général dont l’Ikebana. Il oppose aux compositions formelles du Tatebana-Rikka la simplicité informelle du Nageire-Chabana. Le Rikka et le Nageire sont tous deux utilisés dans la vie de tous les jours, le premier dans des situations officielles et le second dans des situations informelles.

L’art de la Cérémonie du thé a évolué depuis les premiers Ashikaga. Au début, elle se tient dans les grandes salles du palais shogunal et sert à souligner la richesse du Shogun. Le dōbōshῡ préposé y expose les objets précieux de la collection Ashikaga, pour la plupart d’origine chinoise appelés Karamono = «objets» en lecture Kun du Kanji Tang, c’est-à-dire chinois par opposition au Wamono = «objets» japonais et au Kōraimono = «objets» coréen.

Il est intéressant de noter que Sen no Rikyū exécute des compositions selon les circonstances. À côté des immenses Rikka réalisés au palais, il fait de minuscules Chabana pour le Wabi-cha, cérémonie qui peut se tenir soit dans une humble hutte en bois Wabi-Sabi soit dans le salon de thé transportable en or qu’Hideyoshi met en avant pour impressionner ses invités lors de campagnes militaires ou par deux fois, la cour impériale.

 

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32. Ikebana et histoire : période Asuka à Kamakura (552-1333)

Préambule

Dans les compositions qui utilisent des matériaux fraîchement cueillis, tels que des branches, des feuilles, des herbes, des fleurs se révèle la relation qu’une civilisation entretient avec son environnement naturel projetée plus ou moins inconsciemment. Ce rapport à la nature a une origine religieuse au Japon et il est important de souligner les différences entre religions japonaises et religions européennes.

 

– Europe chrétienne : Dans la Genèse, le monde et les êtres humains qui y vivent, originellement immortels, sont créés par un Dieu conçu essentiellement sous forme humaine. A cause de la désobéissance à Dieu (la pomme mangée), les hommes, les animaux et la nature perdent leur sacralité et connaissent la souffrance et la mort.

Ainsi une scission est faite entre l’homme et son environnement naturel dans lequel l’homme doit lutter pour obtenir son gagne-pain. L’homme doit dominer l’environnement et la nature qui l’entourent.

 

– Japon : La cosmogonie sino-japonaise est organisée d’un point de vue plus large.  Elle rend compte d’un cosmos dans lequel chaque phénomène fait partie intégrante d’un ensemble. A l’origine, à la place d’un Dieu créateur, on retrouve les manifestations multiples d’une force universelle Ki, conçue sans forme mais dotée d’une contraction rythmique, un « souffle », qui donne lieu à la distinction entre Yang et Yin. L’interaction entre ces deux forces est le principe organisateur essentiel de tout l’univers et génère les éléments naturels, les êtres humains et tout le monde phénoménal.

Le mal n’est pas séparé du bien. On parle de manifestations positives ou négatives, strictement interdépendantes, d’une énergie universelle qui change perpétuellement grâce au mouvement cyclique du Yang et du Yin.

De plus, pour le shintoïsme, l’homme et les plantes sont « consanguins » puisqu’ils sont engendrés par le même Kami, ce qui explique le respect des plantes.

 

Histoire de l’Ikebana

 

Avant la période Muromachi (1333-1573), les informations historiques proviennent de journaux intimes, de peintures profanes et religieuses, d’annotations personnelles sur la vie quotidienne et d’Emakimono, rouleaux horizontaux enluminés, espèces de bandes dessinées pouvant atteindre dix mètres de long à lire de droite à gauche.

 

Exemple d’Emakimono

 

Période Asuka 552-710 après J.-C.

La cour impériale, tout en maintenant le shintoïsme natif, accepte le bouddhisme comme religion salvatrice de l’État et le confucianisme, tous deux venus de Chine via la Corée. Avec eux pénètrent également les manifestations artistiques chinoises et coréennes, tour à tour influencées par l’art indien, persan, romain et grec, avec une préférence marquée pour les couleurs criardes et brillantes, pour l’or, pour l’agencement somptueux et symétrique des objets, pour l’ornement, la sculpture, le brillant, la magnificence des rites et des cérémonies. Ce goût prévaudra jusqu’à l’apparition du Zen à l’époque de Kamakura (1185-1233).

 

 

 

 

 

Figure tirée de l’Emakimono Choju Giga, fin de l’époque Heian, représentant Bouddha-grenouille, devant lequel se trouve un moine bouddhiste, un singe.

Les trois fleurs de lotus dans le vase devant Bouddha montrent déjà la « substance » de l’Ikebana, ses trois éléments principaux et sa disposition à droite (puisque le vase n’est pas placé au centre de la table mais légèrement à la droite du Bouddha-grenouille) appelée aussi Hon-Gatte.

La composition est dite de droite ou Hon-Gatte en référence à la position relative des trois éléments puisque le lotus fleuri et plus volumineux est au centre de la composition, le deuxième lotus en bouton, moins volumineux, à sa droite et le troisième, le plus petit des trois, à sa gauche.

La fugacité est également mise en valeur avec les trois fleurs à différents stades d’éclosion.

 

 

 

Voir Article 16, Origine des positions ‘Hon-Gatte’ et ‘Gyaku-Gatte’ et Article 17, Composition à gauche et composition à droite.

 

À-travers des gravures des pierres tombales, les Kuge sont des offrandes florales non structurées, sans règle de composition, sur l’autel bouddhique.

L’usage du nombre impair de 5 éléments est déjà visible, divisé en 3 fleurs (2 ouvertes + 1 fermée) + 2 feuilles (Voir Article 62, Utilisation des nombres impairs en ikebana).

 

 

 

C’est à cette période que, selon la tradition mais pas l’histoire, l’Ikebana apparaît (Voir Article 12, La naissance de l’Ikebana selon la tradition et Article 13, La naissance d’Ikebana d’après les documents historiques).

 

Pour certains auteurs, l’origine de l’Ikebana est due à l’utilisation combinée de branches persistantes venant des rites shintō et de fleurs venant des offrandes florales faites à Bouddha.

 

Du shintō arrive l’usage droit, vertical de l’élément Shu réalisé avec des branches (future partie Yang) et du bouddhisme vient l’usage de Kyaku avec des fleurs inspiré des offrandes à Bouddha (future partie Yin).

 

Aujourd’hui, les shintoïstes utilisent des branches à feuilles persistantes en particulier, le Sakaki (Cleyera japonica), plante indispensable aux rituels dans les sanctuaires shintō (Photo ci-contre).

 

Divers auteurs pensent que le Tateru-Kuge dérive du ‘Yorishiro’, sorte de leurre, encore utilisé aujourd’hui, formé de branches persistantes attachées au sommet d’un poteau. Les shintoïstes placent les Yorishiro dans des espaces vides, momentanément sacralisés par une corde ‘Shimenawa’. L’idée est d’aider les Kami à retrouver leur chemin lorsqu’ils descendent sur terre.

 

Sur les photos, ci-dessus, les formes de Yorishiro peuvent être un vieil arbre majestueux déjà en place, entouré de la corde Shimenawa pour en souligner son caractère sacré ou des cônes de gravier.

Sakaki planté dans une rizière pour s’attirer les faveurs des Kami lors du repiquage des plants de riz.

 

 

 

La cérémonie shintō appelée “Tamagushi-Hoten” fait référence au morceau de papier “Tamagushi” attaché avec une cordelette de chanvre à une feuille de Sakaki. C’est un élément indispensable dans les rituels et les festivals shintō.  Par ailleurs, le Tamagushi permet aussi de rendre hommage, de manière formelle, lors des visites officielles.

 

Aujourd’hui encore, sur l’autel des rites shintoïstes, le Sakaki est utilisé.

 

La Kami Amaterasu, déesse du soleil, est fréquemment représentée avec une branche à feuillage persistant dans les mains.

 

 

 

À cette époque, l’’impératrice Suiko nomme son neveu Shotoku Taishi régent. Le cousin de Shotoku, Ono no Imoko est traditionnellement considéré comme le fondateur de l’école Ikenobō, sans preuve historique (Voir Article 12, La naissance de l’Ikebana selon la tradition).

 

Ono no Imoko Shotoku Taishi avec deux dignitaires. Le style vestimentaire est, à l’évidence, d’influence chinoise.

 

Période Nara 710-794

 

La cour impériale, qui change de siège à la mort de chaque empereur en raison du caractère impur de la mort selon le shintoïsme, s’établit à Nara, ville construite sur le modèle de la ville idéale chinoise, c’est-à-dire sur l’axe nord-sud avec le palais impérial situé au nord, comme le suggère le Feng-Shui (Voir Article 9).

L’influence chinoise sur le mode de vie de la cour impériale est toujours présente.

L’Ikebana, en tant qu’art, n’existe pas encore mais des religions et des philosophies se forment et se cristallisent dont les symboles seront repris dans les règles de composition environ 600 ans plus tard, à l’époque Ashikaga (1336-1573).

 

Période Heian 794-1185

 

Période caractérisée par l’utilisation très raffinée des couleurs dont les noms sont fréquemment associés aux noms de fleurs ou de plantes. D’après les descriptions des journaux des dames de la cour, on peut déduire qu’à l’intérieur des palais ou dans les cortèges, il y a de précieux vases avec au moins cinq branches fleuries disposées de manière naturelle, sans règle.

L’Ikebana n’existe pas encore. Se développe la vogue des jeux ‘Awase’ comparaisons entre des choses, poèmes, animaux et aussi entre des vases contenant des branches ou des fleurs. Dans ce dernier, l’intérêt se porte plutôt sur le bon goût tant dans le choix du vase d’origine chinoise que dans la beauté de la concordance harmonique vase/végétaux.

C’est à la fin de cette période qu’apparaît une identité japonaise qui n’est plus influencée par le goût chinois.

 

 

Période Kamakura (1185-1333) et premier shogunat

 

L’Ikebana n’existe toujours pas. Les guerriers du clan Minamoto prennent le pouvoir et s’installent à Kamakura, loin de la « douceur » de la cour Heian. Le clan Hojo en assume le pouvoir royal nominalement détenu par les Shoguns Minamoto. Ces guerriers préfèrent le bouddhisme Zen au bouddhisme traditionnel suivi par la cour impériale. Certains chefs Hojo deviennent des moines Zen.

À la culture « féminine » de la cour impériale jusqu’ici seul modèle culturel, existe une culture « masculine », simple, forte, taillée sur mesure pour les samouraïs. À l’usage somptueux des couleurs de la cour impériale s’oppose, sous l’influence du Zen, le simple noir et blanc du Suiboku-Ga, peinture à l’encre et le vide des Karesansui, jardins secs.

Les moines Zen deviennent les conseillers de l’influente famille dirigeante des Shoguns du clan Hojo. Ils prennent de plus en plus importance dans la culture et leur vision de la vie devient la norme de cette classe dirigeante de samouraïs.

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31. Haiku et Ikebana

Le fameux dicton : «moins est plus» est une composante des idéaux esthétiques de la culture Zen que l’on retrouve dans tous les arts influencés par lui. Parmi ceux-ci, il y a le Haïku.

 

Ze’ami (1364?-1443), fondateur du Nō comme art théâtral, écrit dans son livre Kakyō (le miroir de la fleur) : « Ce que l’acteur ne fait pas est intéressant« .

 

En poésie, le Haïku est composé de très peu de mots écrits qui font comprendre au lecteur l’immense non écrit.

Le proverbe taoïste dit : «ceux qui savent ne parlent pas, ceux qui parlent ne savent pas».

Roland Barthes écrit : «les voies d’interprétation ne peuvent que gaspiller le Haïku, le travail de lecture qui s’y rattache est de suspendre le langage, pas de le provoquer …… ».

Le Haïku se caractérise par 3 vers respectivement de 5 – 7 – 5 syllabes.

Haïku

—————-        5

——————      7

—————–       5

 

Cette caractéristique est perdue dans la traduction du japonais. Toutefois, certains Haïku, traduits en italien, français et anglais conservent ce schéma. J’en signale quelques un pour stimuler la curiosité des ikebanistes qui ne connaissent pas encore cette poésie.

 

 

 

 

Deux Haïku d’Alfredo Martini.

Maintenant repose-toi

sous l’herbe fine

rien ne subsiste

Après le reste

un parfum se répand

d’herbe mouillée

 

 

Deux extraits de « Haiku gourmand ».

 

Bouillon de poulet

et une pomme de terre bouillie

convalescence

Deux trois biscottes

et un œuf mollet

manque d’appétit

 

Par divers auteurs.

Le pain, on s’en fiche

on vient pour la boulangère

qui en croit ses yeux?

Jaques Bussy

Changement de garde-robes : les souvenirs de la naphtaline rebondissent

Stefano Ferrucci

Les vélos hivernent

sur les balcons

parmi les conifères.

Gianluigi Sacco

 

Une rose dans un vase

sent bon

mon jardin

Giovanna Negri Rizzi

Après être tombée,

elle demande aussi un pansement

pour sa poupée

Garry Gay

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30. L’asymétrie dans l’Ikebana

Dans un Ikebana, les dimensions des Yaku-eda (éléments principaux) et de leurs Chukan-shi (auxiliaires) sont différentes et leur agencement est asymétrique. Dans ce Shikisai-Moribana de l’École Ohara, les trois Yaku-eda forment un triangle scalène.

 

Une raison possible de la préférence pour l’asymétrie au Japon, comparée à la symétrie occidentale, est d’origine religieuse. En Occident il y a un Dieu, le centre de tout (dans la Grèce antique il y a Zeus) alors qu’au Japon, il y a « Huit mille Kami », un nombre infini, dont aucun n’est assez dominant pour être un centre.

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Statique, du grec statokòs = qui immobilise, qui pèse.

Le nombre pair de chandeliers est statique.

 

Dynamique, du grec dynamis = force, puissance = montrer force, puissance.

Le nombre impair de fleurs est dynamique.

 

La différence de cadrage est flagrante.

Le bateau apparaît immobile, statique dans le dessin « symétrique » à gauche.

Il est dynamique et apparaît en mouvement dans le dessin « asymétrique » à droite.

 

L’asymétrie typique de l’Ikebana se retrouve dans d’autres situations de la culture japonaise telles que :

 

– Les motifs des Kosode-Kimono.

 

– L’utilisation de récipients alimentaires où aucun n’est identique à un autre.

 

 

 

 

 

Manière occidentale où règnent la symétrie et la répétitivité qui contrastent avec l’asymétrie.

 

Et aussi dans la disposition des aliments dans l’assiette.

Notez le raffinement dans la disposition des trois aliments dans le récipient carré afin de ne pas répéter ni la forme carrée du récipient ni la forme rectangulaire et ovale des autres éléments.

Un aliment rectangulaire est disposé selon une diagonale.

L’autre, de forme ovale, le long de l’autre diagonale.

le troisième de forme ronde n’a pas de sens puisqu’il est rond.

 

 

À noter également, dans l’assiette ronde, les deux groupes d’aliments les plus importants sont « semblables » entre eux (en termes de « force »/volume) et sont dans la partie Yang de l’assiette alors que le troisième élément, composé uniquement de légumes, diffère et représente la partie Yin de l’assiette (le légume seul est « plus faible » que les deux autres aliments). Le même raisonnement, quoique moins évident, s’applique à la boîte carrée. Exactement comme dans l’Ikebana où Shu-shi et Fuku-shi sont du même matériau végétal « fort », représentant le côté Yang et Kyaku-shi de matière différente et « faible » par rapport Shu-shi et Fuku-shi, représentant le côté Yin.

 

À noter aussi la similitude entre l’Ikebana et la disposition des aliments selon la représentation du Tai-ji (voir Article 15, origine symbolique de l’Ikebana).

Un nombre impair d’éléments est utilisé.

Dans l’assiette ronde rouge, les trois éléments alimentaires sont disposés exactement dans la même position et ont la « Force » que Shu-shi, Fuku-shi et de Kyaku-shi du Shikisai-Moribana Chokuritsu-kei (Style vertical).

L’élément alimentaire le plus important est au centre et correspond à la position de shu-shi,

Le deuxième plus important est à son côté droit, correspond à Fuku-shi,

Le moins important des trois est sur son côté gauche, correspond à Kyaku-shi.

 

 

Dans le Karesansui (« jardin sec ») du temple Ryōan-ji à Kyōto, les cinq groupes de pierres sont disposés de façon asymétrique et forment des triangles scalènes.

 

 

Les tasses pour la cérémonie du thé, de style Wabi-cha, sont asymétriques.

 

Dans le tokonoma, on retrouve la même asymétrie.

Les trois éléments (Kakemono, Ikebana et petit contenant) ont chacun, respectivement, une force équivalente à chacun des Yaku-eda d’un Shikisai-Moribana Chokuritsu-kei.

Shu-shi/Kakemono est plus important que Fuku-shi/Ikebana, à son tour plus important que Kyaku-shi/petit objet.

Dans ce cas également, on retrouve la symbolique taoïste, le Tai-ji, associée à la triade bouddhique. En effet, le Kakemono, élément principal du tokonoma est au centre et entouré d’un Ikebana et d’un troisième objet.  Le Kakemono et l’Ikebana sont relativement proches et ils symbolisent la partie Yang.

Le troisième objet est relativement plus éloigné et « plus faible » et représente la partie Yin exactement comme dans le style Shikisai-Moribana Chokuritsu-kei et tous les autres styles dont ils dérivent.

Shu-shi/Kakemono et Fuku-shi/ Ikebana représentent la partie Yang du Tai-ji. Ils sont proches l’un de l’autre et plus important que Kyaku-shi/petit objet qui représente la partie Yin. La distance BA est inférieure à AC.

 

Autre exemple : peinture placée de manière asymétrique par opposition à la symétrie « occidentale ».

 

On retrouve l’asymétrie dans la façon d’utiliser le Furoshiki et dans la manière d’emballer des petits objets.

 

 

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29. Vision orientale de la beauté

D’une manière générale, nous avons toutes et tous une vision personnelle du monde qui s’est construite depuis la naissance,  à la fois à-travers la culture de nos parents, le lieu où nous sommes nés et à-travers nos expériences personnelles. Nous utilisons donc les définitions de « bon ou mauvais » « juste ou injuste », « correct ou incorrect », « normal ou anormal », basées sur des schèmes de beauté, de justice, d’équité, de normalité, que nous avons appris.

Ce modèle, même s’il est partagé par une majorité, familiale, ethnique, religieuse, culturelle, politique, sociale ou nationale, reste toujours un modèle acquis. Chaque événement de notre vie est classé selon ce schème cognitif. Ce n’est donc pas l’événement lui-même ou la chose qui a une connotation « bonne ou mauvaise », « juste ou fausse », « normale ou anormale », mais l’opinion que nous avons de l’événement ou de la chose ou plutôt «la lecture» que nous en faisons en fonction de nos schèmes personnels, subjectifs et intellectuels.

Dit de manière schématique, pour le bouddhisme, l’illumination ou Satori (Tori = supprimer, Sa = distinction) est le retour au schéma mental antérieur aux schèmes dualistes appris c’est-à-dire « supprimer les distinctions acquises ».

Dans des articles précédents, on a souligné que la plupart des règles de composition de l’Ikebana est une « mise en pratique » d’idées religieuses ou philosophiques comme, par exemples, la direction des trois éléments principaux, le vide, l’asymétrie, les proportions.

Même pour les Japonais traditionnels cultivés, le concept de « beauté » utilisé pour « juger » un Ikebana repose sur les mêmes concepts d’origine religieuse et philosophique qui sont à la base des règles de composition de l’Ikebana.

Dit de manière schématique, le beau est ce qui nous fait entrevoir, dans l’œuvre examinée, certains concepts religieux et philosophiques, en particulier shintō et bouddhiques.

 

  1. A) Concepts shintoïstes

Schématiquement pour le christianisme, la Nature et l’Homme sont créés par Dieu à des moments séparés, bien distincts, et l’Homme a toujours eu une attitude prédatrice envers la Nature.

Pour le Shintoïsme, l’Homme et la Nature sont les descendants directs des Kami. Certaines composantes de la Nature y ont même vu le jour :  pensez aux îles et au kami du Feu qui, lors de l’accouchement, brûle sa mère kami Izanami lui causant sa mort. Le Japonais de religion shintō perçoit la Nature comme son prochain, de même parenté « sanguine », comme un espace sacré qui l’amène à un respect pour elle, respect inconnu de la culture occidentale. L’attention (d’origine shintoïste) que l’homme porte aux objets communs tels que les épées, les bijoux, les branches d’arbres, les pierres, etc. est également importante car ces éléments sont considérés comme le siège de Kami qui peuvent déterminer, dans un sens positif ou négatif, l’état de santé de ceux qui les possèdent ou encore les utilisent. Même quand « l’investissement magique » aux objets-Kami a commencé à faiblir, un intérêt infime s’est maintenu ainsi qu’une attitude attentive à leur apparence, aux moindres détails de leurs formes, aux moindres nuances de couleurs et aux différentes possibilités de réfraction de la lumière.

Dit de manière schématique, la mise en avant de ces caractéristiques d’origine shintō est l’une des composantes de la définition du « beau ».

 

  1. B) Concepts bouddhiques

Les deux concepts religieux qui ont (directement ou indirectement) influencé la notion du beau sont l’impermanence et l’insubstantialité déjà brièvement évoquées (Voir Article 22, Influence du bouddhisme sur la structure de l’Ikebana).

 

1) Impermanence, changement (‘Mujo’ en japonais et ‘Anicca’ en pali)

Tout ce qui naît commence à se consumer dès qu’il voit la lumière et va inévitablement vers sa fin. Toute forme n’est pas permanente mais elle disparaît, se transforme, s’évanouit.

Le « Beau » est considéré comme ce qui renforce l’impermanence.

 

Les fleurs de cerisier qui ne durent que quelques jours à Yoshinogama.

Paravent, Watanabe Shikō (1683-1755).

 

 

La pleine lune, qui ne dure qu’une nuit.

Paravent, Sakai Hōitsu (1761-1828).

 

La branche ancienne et tordue, peut être couverte de lichens, sur laquelle fleurit une « jeune » inflorescence.

Pruniers et oiseaux, Kanō Sanraku (1559-1635).

 

2) Insubstantialité (‘Muga’ en japonais et ‘Anatta’ en pali)

Voir les Paravents de Watanabe Shikō (1683-175) et de Sakai Hōitsu (1761-1828) ci-dessus.

 

Chaque Moi, qu’il soit compris comme un simple élément physique ou comme un individu vivant unique, n’est ni constitué ni pensé comme une unité séparée, autonome et indépendante. Chaque réalité n’existe pas de manière isolée et autonome mais est en dépendance avec une série infinie de facteurs externes tant sur le plan biologique qu’éthique.

Dit de manière schématique, dans le concept de beauté, les relations jouent un rôle important. Pour l’Ikebana, il est important d’optimiser les relations de dimension de la plante en fonction de la dimension du contenant, les relations entre les formes, entre les couleurs, entre la composition et l’endroit où elle sera placée.

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28. Sumo et Ikebana

Le Sumo, forme ritualisée de combat et l’Ikebana vus « en surface » apparaissent comme deux pratiques n’ayant absolument rien en commun.

 

En observant plus attentivement, « en profondeur », on se rend compte qu’ils partagent des facteurs que l’on retrouve dans l’héritage culturel japonais, c’est-à-dire le même symbolisme sur lequel les deux reposent en partie.

–  le sacré : les deux se produisent ou sont placés dans un lieu « sacré ».

 

 Le Sumo est une pratique étroitement liée à la religion shintō et avant d’être exercée, le pratiquant doit accomplir quelques rites de purification avec de l’eau, du sel et du sable. Le ring lui-même est délimité par la corde sacrée (Shimenawara) qui sépare l’espace sacré/rituel dans lequel les lutteurs s’affrontent, de l’espace profane comme dans les temples shintō.

 

Ci-contre : des lutteurs saupoudrent le ring de sel pour purifier le lieu sacré où ils vont combattre.

 

 

L’arbitre porte une tenue traditionnelle et tient un éventail dans ses mains, semblable à celui que les généraux samouraïs utilisaient à la guerre pour guider les phases de la bataille. Cet éventail sert à indiquer le vainqueur. Il est aussi le support sur lequel le certificat des gains sont remis au vainqueur.

 

 

Particulièrement fascinant pour ceux qui s’intéressent aux végétaux est le fait que les lutteurs sont les seuls à pouvoir coiffer leurs cheveux en une touffe en forme de feuille de Ginkgo biloba.

 

Dans la maison traditionnelle japonaise, l’Ikebana est placé uniquement dans le seul espace « sacré » de la maison, le tokonoma qui, bien que non limité par la corde sacrée, est clairement séparé de l’espace profane du reste de la maison.

 

– La disposition spatiale

 

Estampe de la période Edo.

 

On retrouve, dans les deux situations, la même disposition spatiale conforme au symbole du Tai-ji et aux règles du Feng-Shui (Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji et Article 9, Feng-Shui et Ikebana).

 

Les quatre «pompons» suspendus sous le toit et au-dessus du ring ci-contre ou les quatre couleurs des poteaux de l’estampe de la période Edo ci-dessus, fixent l’espace de l’arène. Ils signalent les directions cardinales avec les couleurs symboliques associées aux quatre divinités protectrices :

Noir pour le nord (Tortue).

Blanc pour l’ouest (Tigre).

Rouge pour le sud (Phénix).

Bleu/vert pour l’est (Dragon).

Jaune pour le Centre (Serpent) absent du ring.

 

 

Dans un autre contexte : mêmes couleurs symboliques.

 

Schéma du Ring : les couleurs symbolisent les directions cardinales et la subdivision du ring en côté Yang et côté Yin, rappellent exactement les principes de réalisation d’un Ikebana.

 

Le seau d’eau est situé au sud, un point symbolique où l’eau est la plus nécessaire, puisque le point le plus chaud (Yang maximum dans le symbole Tai-ji).

Le sel, étant blanc, est situé à l’ouest, direction associée à la couleur blanche du tigre.

 

La zone de combat, avec les accessoires, prend la même position spatiale que le Rikka et le Shōka, c’est-à-dire :

La zone Yang (quadrants marqués sur le côté par le pompon rouge/phénix et le pompon bleu/dragon) est à gauche.

La zone Yin (quadrants marqués sur le côté par le pompon blanc/tigre et le pompon noir/tortue et) est située à droite du spectateur/spectatrice.

 

Comme dans un ring de combat de Sumo, la composition est divisée en une zone Yang, à notre gauche, qui contient des végétaux Yang et une zone Yin, à notre droite, qui contient des végétaux Yin.

 

En conclusion, aussi bien dans la pratique Sumo que dans celle de l’Ikebana, on retrouve la même sacralité et la même disposition symbolique, cohérentes avec les symboles du Tai-ji et du Feng-Shui.

 

Le côté à gauche représente le côté Yang (position Hon-Gatte de l’Ikebana ou du ring) tandis que le côté à notre droite représente son côté Yin.

Voir Article 9, Feng-Shui et la symbolique taoïste.

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27. Bouddhisme Zen et Ikebana

Un célèbre dicton Zen dit : « si vous rencontrez le Bouddha dans la rue, tuez-le ! »

 

Le Zen, issu de la rencontre entre le bouddhisme et le taoïsme, n’est pas considéré comme une religion par l’Église catholique s’il permet de devenir moines Zen.

Il est considéré comme une voie de développement personnel, un processus de connaissance et de croissance intérieure. C’est une méthode pratique, une discipline du corps et de l’esprit qui exige des efforts, de la persévérance et de la foi pour rendre possible l’illumination permettant l’acceptation active de la vie quotidienne et la reconnaissance, par le pratiquant, de ses qualités extraordinaires. Le but pratique du Zen est d’amener la personne à une expérience directe de la vie, supprimant le conditionnement des mots et des concepts accumulés au fil des années. « Avec l’étude du Tao rajoutons-nous, il décolle » et n’oublions pas que « Tao » et « Dō » sont deux lectures On du même Kanji.

 

Selon le Zen, l’illumination est atteinte par la méditation et la concentration sur les actions quotidiennes les plus humbles.

Alors que le Zen se répand au Japon, rencontrant la résistance et l’hostilité des autres sectes bouddhistes existantes, il met l’accent sur l’autonomie, l’autodiscipline de l’esprit et encourage ses adeptes à abandonner toutes les voies conventionnelles du bouddhisme, n’attachant aucune valeur aux écritures saintes ou au culte des icônes bouddhiques.

N’ayant pas besoin d’institutions religieuses, d’écritures sacrées, de temples et d’icônes utilisés par tous les autres courants bouddhiques, le Zen considère que toute activité humaine peut être « utilisée » comme un chemin – Voie, Dō – vers l’éveil, et que toute forme artistique est considérée comme appropriée à cette fin. Le Zen a influencé les arts déjà existants, les modifiant pour correspondre à ses besoins d’enseignement. Les arts traditionnels sont reconnaissables au suffixe ‘dō’ (Voie, tant au sens littéral qu’éthico-moral), arts qui mettent l’accent sur la spontanéité, la simplicité et la modération selon le concept : « moins c’est plus ».

Les arts les plus connus sont :

– Arts martiaux : Kyu-dō (Voie de l’arc), Ken-dō (Voie de l’épée), Karate-dō (Voie de la main vide), Iai-dō (Voie de l’épée).

– Autres arts : Cha-dō (Voie du thé), Sho-dō (Voie de la calligraphie), Kō-dō (Voie des parfums), Ka-dō (Voie des « fleurs » = Ikebana).

L’Ikebana, comme certains arts martiaux ou autres arts, est « utilisé », sous l’influence du Zen, comme une Voie «Dō» pour accéder à l’illumination.

 

Le Zen rencontre les faveurs du premier shogunat Kamakura (1185-1333) et devient le courant bouddhique préféré sous le second shogunat Ashikaga (1359-1368) non pas tant pour son aspect religieux que pour la culture qu’il développe. Avec Sen no Rikyū (1522-1591), au service du 2ème unificateur Toyotomi Hideyoshi (1537-1598) comme l’un de ses cinq Maîtres de la Cérémonie du Thé et comme conservateur de ses biens, se développe un usage de l’arrangement floral basé sur le Zen (Nageire/Chabana) et dissocié des techniques rigoureuses de construction transmises par l’École Ikenobō.

 

C’est à l’époque Edo (1603-1868) qu’apparaissent différentes écoles dispensant l’enseignement des arts se terminant par ‘dō’.  Jusqu’aux années 1930-40 (Voir : de Gusty Herrigel, Le Zen et l’art d’arranger les fleurs), l’Ikebana s’apprend encore auprès d’un maître dans le sillage du Ka-dō. Ensuite, les écoles d’élite s’ouvrent à l’ensemble de la population. Notons, par exemple, les cours radiophoniques organisés par la progressiste École Ohara et dispensés non seulement par des enseignants masculins mais aussi par des femmes.

 

Pour le Zen, suivre la Voie signifie se concentrer sur le processus de production et non sur le résultat, c’est-à-dire créer un Ikebana, exécuter les gestes et kata formalisés et codifiés par les écoles tout en appliquant les concepts bouddhiques déjà évoqués : fugacité, interdépendance, vide.

 

En composant un Ikebana, « enlever le superflu » des plantes c’est apprendre à « enlever le superflu » de sa vie.  Considérer l’interdépendance des dimensions des plantes nous apprend à comprendre notre dépendance au reste du monde. Faire le vide dans les branches, entre elles et autour de l’Ikebana, permet de « faire le vide » dans notre esprit afin de ne considérer les pensées qui nous viennent seulement comme des pensées et non comme des réalités.

Parmi les arts traditionnels, certains « produisent » un objet.  Dans le Sho-dō, c’est la calligraphie qui est produite, dans un Ikebana, c’est la composition « florale ». Dans les autres arts aucun objet n’est « produit » (arts martiaux, cérémonie du thé, voie des parfums).

Pour l’Ikebana, la présence de l’œuvre, la composition « florale », rend plus difficile la concentration sur le processus de production, c’est-à-dire sur la série d’actions qui créent l’œuvre, puisque la fierté d’avoir fait « quelque chose de beau » tend à renforcer l’ego de l’ikebaniste alors que la Voie a pour but de diminuer l’hypertrophie de l’ego, typique de la culture occidentale. Le Ka-dō est une Voie plus difficile à suivre que les autres puisqu’elle produit la composition Ikebana à laquelle « on peut s’attacher » ou sur laquelle on peut se concentrer (le but) au détriment du processus de création (la Voie) : pour le Zen, le but est le chemin.

 

Pour le bouddhisme, l’illusion qu’il y a quelque chose de substantiel et de permanent (la composition, dans le cas particulier de l’ikebaniste) crée les conditions pour que se développent toutes sortes d’attachements : attachement à l’objet, au désir de le posséder, au désir de s’en servir en vue d’un but, mais surtout attachement au Moi comme sujet de sentir, de posséder, d’utiliser. Ceux qui ignorent le caractère insubstantiel et impermanent de la réalité finissent inévitablement par s’attacher à quelque chose. Cet attachement devient une cause de souffrance lorsqu’il vient à cesser d’exister.

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26. Caractéristiques Zen des arts traditionnels japonais

Ikebana y compris Mono no Awase, Yugen, Wabi-Sabi.

La naissance du Zen, dans la tradition, est liée à une fleur :

Un jour, on demande à Bouddha de faire un sermon : il cueille alors une fleur et la montre silencieusement à ses disciples : un seul, le plus sagace Kashayapa, perçoit le message « silencieux » du Maître et sourit avec compréhension.  Ainsi naît l’enseignement silencieux du Zen et Kashayapa est le premier d’une série de Patriarches qui apportent le Zen de l’Inde à la Chine puis au Japon où la noblesse shogunale, à l’époque Kamakura (1185-1333), le préfère aux autres courants bouddhiques suivis par la noblesse impériale.

 

Le culture Zen donne à l’Ikebana les mêmes caractéristiques que celles données à toutes les manifestations du style idéal de vie de la noblesse shogunale, des arts martiaux aux autres arts non martiaux, apparus plus tard à la période des Shogun Ashikaga de Muromachi (1336-1573) comme la Cérémonie du thé, la poterie Raku, le théâtre Nō, la poésie Haiku, les «jardin sans eau ou jardin sec» Karesansui, la cuisine Kaiseki, le style de construction de maison, etc.

 

La culture Zen, contrairement à la culture occidentale, considère les caractéristiques suivantes comme positives :

Un : (par opposition à « beaucoup ») peu

Petit : peu

Pauvre : misérable

Vieux : laid, sale, dans le sens où il montre des signes d’usure

Sans : par exemple incomplet, incolore, etc.

Foncé: sombre

Calme : silencieux

Simple : sobre, sans fioriture

Arrêt : lent

 

Irrégulier : déformé (ex. tasses raku), asymétrique

 

Ces caractéristiques sont résumées par le moine Zen, philosophe, maître de la cérémonie du thé, professeur d’université à Kyōto, Shin’ichi Hisamatsu (1889-1980) dans son livre « Zen et les Beaux-arts ».

 

Caractéristiques générales applicables à tous les arts

 

Caractéristiques spécifiques à l’Ikebana

 

Simplicité Dans le choix du vase et des matériaux.
 

Austérité

 

Toutes les parties superflues des végétaux sont supprimées, ne laissant que les parties essentielles.

 

Asymétrie

 

En nombre, positions et inclinaisons

 

Naturel

 

 

Éviter tout signe d’artificialité : la composition doit donner l’idée que l’homme n’est pas intervenu.

 

Tranquillité d’esprit

 

La composition doit suggérer un sentiment de calme profond.

 

Profondeur subtile, mystérieuse ((Yūgen)

 

La composition doit dégager une force, un remarquable pouvoir de suggérer une qualité cachée.

 

2 Libération de toute attache

 

 

 

 

 

Les 5 premières caractéristiques sont relativement faciles à comprendre :

Par exemple, une tasse à thé Raku est simple, austère, asymétrique, elle paraît naturelle, elle donne un sentiment de tranquillité si elle est vue ou prise en main.  

 

Un Ikebana doit être simple, austère, asymétrique, paraître naturel comme si les plantes ont poussé spontanément dans le vase et la composition dans son ensemble doit donner une impression de calme.

 

Les deux dernières caractéristiques, profondeur mystérieuse et libération de toute attache nécessitent une explication.

 

  1. Profondeur mystérieuse: ce terme est lié à des concepts déjà présents dans la culture japonaise, dont les plus importants sont : Mono No Aware et Wabi-Sabi.

 

Mono No Aware

Concept qui caractérise la vie de la cour impériale de l’ère Heian (794-967). Il correspond à un sentiment de mélancolie, mais pas de pessimisme. Il dérive de l’expression «Aa Are» qui signifie : « oh, ce truc ! » transformé au fil du temps en «Aware» puis en «Mono No Aware» qui indique : ce qui amène l’âme, pour un instant bref mais éternel, à vibrer à l’unisson avec la vie tout autour.

Deux aspects différents à distinguer :

– l’enchantement de la nature, principalement lié au shintoïsme,

– la fugacité du temps, liée au bouddhisme.

 

« Aware » peut être traduit par :

cette merveille : arbres en fleurs, lever de la lune derrière la montagne, vers poétique improvisé.

cette nostalgie : la décadence de la beauté et de la jeunesse, le souvenir d’un lieu familier, la pensée de quelque chose d’attendu et encore loin.

cette intensité : l’amour d’une courte nuit, la joie d’une rencontre tant attendue, un regard plein de compréhension.

ce mal : le souvenir des gens disparus, la séparation des affections les plus chères, la ruine inexorable des choses.

cette beauté : la couleur de la robe, l’écume blanche des vagues, la splendeur de la lune reflétée dans l’eau.

 

Exemple de Aware dans le Waka (poésie) de Ariwara no Narihira (826-881) :

« Si dans ce monde il n’y avait pas du tout de cerisier

Le cœur au printemps serait plus serein

Même si tu es tombé, laisse-moi au moins ton parfum

Ou tes fleurs de prunier !

Ce sera pour moi le souvenir du moment

Où je me languis de toi ».

 

Au fil du temps, le concept de Mono no Aware se transforme en ‘Yūgen’ qui signifie profond, mystérieux, impénétrable. il fait référence à un état psychologique tendant vers la mélancolie causé par la présence de deux éléments qui se chevauchent, comme une troisième couleur obtenue en superposant deux verres colorés.

 

Yugen

Waka  de Fujiwara no Sadaie (1162-1241)

« À perte de vue, je ne vois pas les fleurs de cerisier, les feuilles aux couleurs d’automne mais seulement une hutte avec un toit de roseau près de la crique au crépuscule d’automne ». Dans ce Waka, le premier élément dont l’auteur se souvient est la couleur vive des fleurs et des feuilles d’automne qui se superpose au second élément, le gris du crépuscule d’automne associé à la hutte en jonc sans couleur, sobre sans fioriture. La superposition de ces deux éléments contrastés génère cette « mélancolie » définie par le Yūgen.

 

Avec l’introduction du Zen, le concept de beauté mystérieuse ‘Yūgen’ se développe dès l’ère Kamakura (1185-1333) pour devenir à la période Edo, avec Sen no Rikyū (1522-1591), une « manière ‘Wabi-Sabi’ », deux termes pratiquement équivalents et difficiles à expliquer même pour un Japonais :

– Wabi est utilisé dans tout ce qui touche à la Cérémonie du Thé.

– Sabi est utilisé dans l’art et la littérature.

 

Dans Yūgen un élément, même partiellement occulté par l’élément qui le recouvre, est encore visible

Dans Wabi-Sabi un élément recouvre totalement l’autre de sorte que l’élément complètement caché doit être perçu, deviné, ressenti avec le cœur par l’observateur/observatrice.

 

Murata Jukō (1423-1502), considéré comme le premier maître de thé connu, a déclaré : « Ce serait bien de garder un magnifique cheval dans une écurie au toit de chaume« . La simplicité, l’extrême pauvreté de l’élément totalement couvrant, l’humble écurie au toit de chaume, correspond à quelque chose de très significatif de l’élément couvert, le magnifique cheval.

Autre phrase qui lui est attribuée : « la lune sans nuages ​​n’est pas intéressante »

 

Bashō (1644-1694), plus de cent cinquante ans plus tard, exprime le même concept en seulement trois vers :

Brouillard et pluie

le Fuji ne se voit pas.

C’est suggestif.

 

Wabi-Sabi

C’est la beauté des choses imparfaites, temporaires, inachevées, humbles et modestes, inhabituelles, naïves, non sophistiquées, brutes et irrégulières, qui donnent un sentiment de protection, de calme et de tranquillité.

 

Concluant la tentative d’explication du concept de « profondeur mystérieuse », basée principalement sur le Wabi-Sabi, certains auteurs parlent également de « sublime austérité » ou encore de « sublime sécheresse », termes qui expriment aussi le passage des années, la maturation, la saisonnalité, la disparition de la chair et de la peau pour ne laisser que l’essentiel, que les « os ». À titre d’exemple vous pouvez imaginer un vieux pin qui a lutté toute sa vie contre les éléments, dont l’écorce est marquée par ces événements et dont il ne reste que l’essentiel de sa structure, ou encore le visage d’un vieux paysan à la peau ridée, marqué par l’âge, le soleil et la fatigue.

 

Est Wabi-Sabi toutes les formes d’art influencées par le Zen comme, parmi tant d’autres, le théâtre Nō, les jardins secs, la peinture à l’encre ‘Suiboku’, la céramique Raku, la cérémonie du thé.

En Ikebana, la seule forme véritablement Wabi-Sabi est le Chabana, une composition utilisée pour la Cérémonie du Thé.

Dans un Ikebana de n’importe quelle école, la composition est Wabi-Sabi si l’ikebaniste « marche sur le Chemin du Dō » et l’exprime dans sa composition, à la fois, par l’attitude mentale et corporelle et par le choix du type de végétaux et de contenant et si les caractéristiques énumérées par Shin’ichi Hisamatsu sont perceptibles dans la composition.

 

  1. Libération de toute attache

Elle est mise en évidence grâce à la liberté d’exécution, le détachement aux habitudes, conventions et coutumes, conceptions religieuses et règles d’école, l’abandon de son ego et du désir d’obtenir un résultat. Le concept de banalité (rien n’est banal), disparait.

 

Dans le Zen, nous parlons de la « règle de la non-règle ».

Le fait d’appartenir à une école d’Ikebana et de suivre ses règles exclut cette liberté. Cette septième caractéristique »Libération de toute attache» n’existe, en ce qui concerne l’Ikebana, que partiellement dans le Chabana où il n’y a pas de règles scolaires mais seulement des manières Zen de s’exprimer.

Pour parvenir à cette libération des attachements, il faut apprendre à contrôler l’exubérance de son ego, souvent hypertrophique et hypersensible chez l’homme ordinaire de la culture occidentale moderne. La pratique de tous les arts traditionnels japonais, à leur manière, aide dans ce sens.

 

Une phrase de Bashō (1644-1694), connu surtout comme l’auteur du célèbre Haïku sur la grenouille, dit :

« Tournez-vous vers le pin, si vous voulez tout savoir sur le pin et vers le bambou, si vous voulez tout savoir sur le bambou, et ce faisant, sortez de vos idées préconçues, sinon le sujet ne vous n’apprendra rien ».

 

Selon le Zen, la méditation est un élément essentiel pour atteindre « l’éveil », l’illumination (Satori). L’une des nombreuses manières possibles de « méditer » est celle pratiquée dans le Ka-dō par l’exécution d’un Ikebana.

 

 

La méditation utilisée dans le Zen n’est pas la méditation au sens occidental consistant à considérer attentivement et longuement une idée, un texte. Se concentrer sur une idée, sur un problème, c’est justement ce qu’il ne faut pas faire. Méditer, pour le Zen, c’est essayer de libérer son esprit des pensées liées aux problèmes personnels car elles limitent la concentration du sujet à ce moment-là. En méditant, on apprend à ne considérer les pensées que comme des pensées, sans se laisser influencer par leur contenu.

Ceux qui veulent utiliser le temps dédié à l’Ikebana comme pratique de méditation, après un bref moment de concentration sur la respiration, appliquent la règle de l’»ici et maintenant ». Ils se concentrent, conscients qu’ils utilisent la « Voie des fleurs » pendant le temps dédié à la composition, sur leur propre corps, sur les plantes et sur les règles de composition non pas de manière cartésienne mais dans une perspective bouddhique qui lui rappelle l’éphémère, l’interdépendance, la sobriété, l’essentialité et le respect.

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25. Omote et Ura

Dans les arts traditionnels japonais, on distingue 2 notions :

OMOTE, ce qui se voit en surface, au premier coup d’œil, facile à comprendre, qui ne nécessite pas une connaissance approfondie du sujet.

URA,  qui est en profondeur, qui doit être recherchée, qui demande une connaissance approfondie de l’art en question, qui est inaccessible au profane.

 

Pour avoir une idée, même approximative, des deux termes, regardons une partie d’un tableau « occidental », peint par David Bailly en 1651.

Omote, l’extérieur est ce qui nous frappe dès que nous voyons l’image, la beauté des formes et des couleurs des divers objets peints.

Ura est la partie cachée, non voyante ou non visible, mais d’importance égale à son côté Omote, c’est-à-dire les significations de ce que nous voyons dans la peinture.

 

Dans cette peinture, cinq sens sont représentés :

– les bulles de savon représentent la vue,

– la flûte, l’ouïe,

– les roses, l’odorat,

– les statues, le toucher,

– le verre de vin, le goût

– la pipe, les bulles de savon et le crâne représentent la fugacité de la vie et ainsi de suite.

 

Ces significations font partie de la culture commune du peintre, du client et du cercle de ses connaissances, c’est-à-dire que l’Ura de la peinture (sa signification profonde) est connue et comprise par ceux qui connaissent la peinture.

 

IKEBANA

 

Omote est ce qui attire toute personne lorsqu’il voit un Ikebana pour la première fois : la beauté des plantes, leur disposition spatiale, la simplicité de la composition, l’asymétrie, pour ne citer que quelques caractéristiques perceptibles au premier coup d’œil.

Ura est la partie historique, culturelle et philosophique. Ce que nous essayons de décrire sur ce site qui s’adresse surtout à ceux qui connaissent déjà les techniques de l’Ikebana, donc son Omote, et ressentent le besoin d’approfondir leurs propres connaissances.

 

Comme ceux qui regardent la peinture de Bailly aujourd’hui, n’ayant pas les connaissances dans leur bagage culturel (Ura), et n’admirent que l’Omote de la peinture, ils regardent aussi l’apparent de l’Ikebana contemporain.

Ce site s’adresse aux Ikebanistes « curieux » de toutes les écoles liées, même en partie, à la tradition, bien que l’École Ohara soit celle qui est prise comme exemple. Elles découlent toutes de l’École Ikenobō et c’est dans leur passé historique et philosophique commun que l’Ura de l’Ikebana s’est constitué.

L’Ura de l’Ikebana est un corpus de connaissances ordinaires d’auteurs et de pratiquants depuis la naissance de l’Ikebana au XVe siècle jusqu’au début de la période Edo (1603-1868), époque où la vision cosmique et mythique de l’existence et la perception sacrée de la nature commencent à décliner.

En même temps, c’est à cette période que s’amorce le processus de sécularisation des arts y compris de l’Ikebana.  Même au Japon, la symbolique liée aux époques passées est de plus en plus oubliée, oubli qui s’est accru avec son occidentalisation et de nos jours, toujours moins de gens ont un bagage culturel sur lequel s’appuyer.

À quelques exceptions près, en Occident, presque tous les arts traditionnels japonais, y compris l’Ikebana ne sont appréciés et enseignés que pour leur Omote puisque l’aspect le plus superficiel est celui qui s’enseigne le plus facilement.

Depuis quelques années, notamment dans le domaine des arts martiaux traditionnels, certains maîtres occidentaux commencent à ressentir le besoin de transmettre l’Ura de leur art à leurs élèves.

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24. Shintoïsme et Ikebana : du Rikka aux Shōka et Seika

Pour les curieux de l’histoire de l’Ikebana.

 

Le shintō (ou shintoïsme) a influencé les règles de composition de l’Ikebana.

Déjà à l’époque Nara (710-794 après J.-C.), première capitale stable, le Tenno (Empereur) est comparé à l’étoile polaire. Comme tout firmament, vu de la terre, tourne autour de l’étoile polaire, le Tenno est considéré comme le pivot autour duquel « tourne » le Japon.

Puisque l’étoile polaire est située au nord, le Tenno, dans les situations formelles, prend la place la plus au nord. Son palais est donc construit dans la partie la plus au nord de la ville impériale, à la fois à Heijō (Nara), à Nagaoka-kyō (siège de la cour pendant seulement 10 ans) et à Heian-Kyō (Kyōto). Tokyō, l’actuel siège de l’empereur, ne s’est pas élevée en tant que ville impériale mais s’est développée « désordonnée » autour de la résidence des Shoguns Tokugawa, aujourd’hui devenue le palais impérial, au centre de la ville.

 

 

 

 

Ces villes sont construites suivant les règles du Feng-Shui en copiant le modèle chinois, sur l’axe nord-sud, sans place mais avec des rues disposées en quadrillage. La résidence du Tenno, isolée, est située au nord de la ville.

(Voir Article 9, Feng-Shui et Ikebana).

 

Ci-contre plan de Heian-Kyō (Kyōto).

 

 

Les anciens Romains construisent leurs villes orientées nord-sud (Cardo) et est-ouest (Decumanus).

 

 

 

 

 

 

Depuis l’aube du christianisme il est de tradition d’orienter les lieux de culte est-ouest, avec l’abside à l’est.

 

 

 

Non seulement les châteaux mais les demeures de la noblesse sont aussi construites sur l’axe nord-sud.

Un ruisseau à l’est (le dragon bleu) descend du nord au sud et forme un petit lac au sud de la résidence (le phénix rouge) puis redevient ruisseau vers l’est (le tigre blanc) (Voir Article 9, Feng-Shui et Ikebana).

 

 

 

 

 

 

 

Kami Amaterasu, déesse du soleil.

 

 

 

Pour le shintoïsme, le Tenno descend directement de la Kami Amaterasu.

Dans les situations formelles, le Tenno se positionne de manière à faire face au sud /soleil/siège symbolique de son ancêtre, la déesse Amaterasu tandis que ses sujets prennent des positions de manière à regarder vers lui. Derrière lui, quelques personnes le protègent (en référence à la tortue, mur protecteur (Voir Article 9, Feng-Shui et Ikebana).

 

Ces positions protocolaires sont transférées à l’Ikebana. Shu-shi de l’École Ohara, élément le plus important de la composition, prend le rôle du Tenno et tous les autres éléments, Fuku-shi, Kyaku-shi et Chukan-shi (auxiliaires), celui de sujets.

 

 

 

 

 

Ce concept est clairement visible dans le Rikka et le Shōka, avec le soleil «derrière la composition, à gauche du spectateur», si la composition est Hon-Gatte/droite. Le côté Yang/positif de la feuille Shu (vert foncé sur le croquis) fait face (« regarde ») au soleil tandis que le côté Yang de toutes les autres feuilles fait face à Shu. Du fait de cette disposition symbolique, dans le Shōka, on voit « le dos » de la composition dans sa totalité puisque la partie négative/Yin (vert clair) de la plupart des feuilles est visible.

 

Ci-contre : Shōka d’Aspidistra Hon-Gatte de l’école Ikenobō

Shu regarde vers le soleil tandis que toutes les autres feuilles d’Aspidistra regardent vers Shu.

 

 

 

Ci-contre, la composition est vue du côté opposé au soleil puisque nous voyons l’ombre de cet arbre.

Symboliquement le soleil est placé au sud-est et celui qui regarde cet arbre est symboliquement situé au nord.

(Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

 

La classe des marchands et des artisans prend une importance croissante à cette époque. Avec leur désir d’imiter l’aristocratie shogunale et impériale, ils se sont mis à pratiquer l’Ikebana.

Les styles sont alors simplifiés. Du Rikka très compliqué et symbolique, on est passé à l’utilisation simplifiée de trois éléments principaux (Yaku-eda de l’École Ohara) uniquement.

 

Si l’École Ikenobō maintient la symbolique taoïste dans ses compositions, les autres écoles préfèrent adopter les symboles du néo-confucianisme et modifient la position du soleil et donc, la direction de Shu et de Fuku (Voir Article 9, Feng-Shui et Ikebana).

 

Pour se différencier des autres écoles qui ont changé la position de deux des trois éléments principaux, l’École Ikenobō appelle la nouvelle composition Shōka tandis que les autres écoles l’appellent Seika.

 

 

 

 

Shōka et Seika sont deux différentes lectures On des deux Kanji qui, en lecture Kun, seront lues ultérieurement Ikebana.

(Voir Article 50, Langue japonaise).

 

 

 

 

La transition du Rikka vers le Shōka ne change pas la position des trois éléments principaux.

En revanche, avec le passage du Rikka au Seika puis au Moribana et au Heika de l’École Ohara, le soleil et le sud sont déplacés de la position symbolique du Tai-ji (derrière et sur le côté du vase), vers le haut au-dessus de l’épaule droite de l’ikebaniste,  pour les compositions Hon-Gatte, et par-dessus l’épaule gauche, pour les compositions Gyaku-Gatte.

 

 

 

Pour le Shōka : Soleil et Shu-Fuku-Kyaku sont alignés sur la ligne droite qui unit symboliquement Ciel (Fuku), Homme (Shu) et Terre (Kyaku).

Pour le Seika : Soleil, Shu (ciel) et Fuku (homme) sont sur la nouvelle position devant et à notre gauche tandis que Kyaku (terre) reste comme avant.

 

Attention : l’École Ikenobō base le Shōka sur la symbolique taoïste. Elle appelle Ciel Fuku puisqu’il est dans le côté Yang/Ciel du Tai-ji et l’homme Shu. Les autres Écoles associent l’homme à Fuku et le Ciel à Shu puisqu’elles abandonnent le symbole taoïste au profit du néo-confucianisme (Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

 

Dans le schéma ci-contre, on voit :

Shōka : la composition est vue du nord, de son côté négatif, Yin.

Seika : il est vu du sud, du côté positif, Yang, position plus « naturaliste ».

Un arbre ou un buisson pousse principalement vers la lumière, vers le soleil placé symboliquement au sud. Regarder un végétal du sud équivaut à voir son meilleur côté, son côté positif. J’appelle «naturaliste» cette position du soleil du même côté que celui qui regarde, ce qui contraste avec la position « symbolique » du Rikka et du Shōka où l’observateur/observatrice positionné-e au nord, voit le végétal de dos, de son côté négatif, son moins « beau » côté pour les yeux occidentaux.

 

 

 

 

 

Il convient de noter qu’il n’est pas possible, en regardant un dessin ou une photographie sans références externes, de comprendre la direction des différentes branches et de savoir ainsi, si vous regardez un Shōka ou un Seika.

 

 

 

 

 

Les positions de Shu et de Fuku changent tandis que celle de Kyaku reste inchangée.

Dans le Shōka, Shu et Fuku sont dirigés vers l’arrière, c’est-à-dire vers la position symbolique taoïste du soleil.

Dans le Seika, Shu et le Fuku sont dirigés vers l’avant, vers une position « naturaliste » du soleil.

 

La règle selon laquelle Shu regarde vers le soleil et tous les autres éléments regardent vers Shu reste inchangée et s’applique :

Dans le Shōka, on voit plus le côté négatif/Yin des plantes.

Dans la Seika, le soleil « devant ». Ceux qui regardent l’Ikebana voient surtout le côté positif/Yang de tous les éléments.

Shōka ?

 

  Seika ?

 

Rikka/Shōka : l’ikebaniste est devant l’arrangement tandis que le soleil est derrière à gauche.

Seika : l’ikebaniste et soleil sont du même côté, devant la composition.

 

L’école Ohara a déduit ses règles principalement du Seika en déplaçant la position du soleil. Il est avec l’ikebaniste du même côté, devant le vase. On pourrait dire que l’École Ohara regarde la composition de face contrairement à l’école Ikenobō qui la regarde de dos.

 

 

 

 

 

Exemple de l’arrangement avec des feuilles de Sansevieria :

Quand les végétaux sont rigides et ne peuvent pas être courbées pour qu’ils regardent à la fois vers Shu-shi (leur base) et vers le soleil (la partie supérieure du végétal), la règle qui s’impose est qu’ils doivent regarder vers Shu-shi et non pas vers le soleil.

Lorsqu’il y a conflit entre la règle – tous les éléments regardent vers shu-shi – et la règle – tous les éléments regardent vers le soleil -, la première règle prédomine sur la seconde car elle est d’origine plus ancienne.

 

Cette règle est à l’œuvre dans la technique d’assemblage de feuilles du paysage traditionnel Hagumi où la fleur d’iris Shu-shi regarde vers le soleil et toutes les autres fleurs et feuilles ont leur côté positif/Yang tournées vers la fleur Shu-shi.

Initialement derrière le vase, le déplacement du point idéal du soleil devant le vase se produit lors du passage du Rikka au Seika dans les premières décennies de la période Tokugawa (Edo : 1600-1867), au moment même où de nouvelles écoles, toutes d’inspiration Ikenobō, se créent. Ce changement a pour but de satisfaire la demande toujours croissante de citoyens «nouveaux riches», marchands et artisans (à cette époque encore uniquement des hommes) qui souhaitent imiter la noblesse impériale et shogunale. En effet, pour cette classe, le Rikka lui paraît trop compliqué à exécuter et ses contenus religieux et philosophiques difficiles à comprendre. Pour ces raisons, une nouvelle version simplifiée du Rikka voit le jour, ne gardant que trois éléments principaux des sept/neuf du Rikka d’origine.

 

L’École Ikenobō appelle Shōka la nouvelle simplification dans laquelle est maintenue la position symbolique taoïste des trois éléments, comme dans le Rikka, alignés le long d’une ligne qui relie le point maximum Yang du ciel au point maximum Yin de la terre et où le soleil reste à l’arrière de la composition.

Toutes les autres écoles, considérant ce symbole taoïste dépassé, déplacent le soleil dans une position plus naturaliste afin de voir la composition, non plus du nord et de dos, comme le fait l’École d’Ikenobō, mais du sud.  En conséquence, les positions de Shu et de Fuku sont modifiées et la composition est appelée Seika. De plus, ces écoles adoptent une nomenclature descendante utilisant les noms Ciel-Homme-Terre pour Shu-Fuku et kyaku, (ciel l’élément le plus élevé, la terre l’élément le plus court, l’homme l’élément entre les deux), point de vue que les Tokugawa préfèrent à celui du taoïsme.

 

 

 

 

Il est intéressant de noter que les tenants de l’École Ikenobō maintiennent la conception taoïste. Le Shōka se basant sur la construction du Rikka, ils utilisent le terme «Terre» pour Kyaku, comme les autres écoles. Ceci, non pas parce Kyaku est le plus bas mais parce qu’il se dirige dans le schéma taoïste vers la terre.

Contrairement à toutes les autres écoles, ils donnent le nom «Ciel» non pas à Shu mais à Fuku puisque dans le schéma du Tai-ji, Fuku va dans la direction du soleil et donc est dans le ciel.

Enfin, ils utilisent le terme «Homme» pour Shu, étant entre le ciel et la terre.

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23. Tai-ji et École Ikenobō

Article pour les ikebanistes les plus passionnés !

 

Dans l’Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji, est expliqué comment l’Ikebana représente le symbole du Tai-ji en utilisant des végétaux Yang/forts/les bois, côté Yang et des végétaux Yin/faible/les fleurs/les herbes, côté Yin.

 

 
Shōka Hon-Gatte de l’École Ikenobō. Le symbole du Tai-ji est représenté en utilisant le Nandina du côté Yang et les petits chrysanthèmes du côté Yin.

À côté de la symbolique taoïste du Tai-ji, il y a aussi la symbolique shintō « Shu regarde vers le soleil tandis que toutes les autres plantes regardent vers Shu ».

 
 
Shōka Hon-Gatte de l’École Ikenobō aux feuilles d’Aspidistra.

Comme toute la composition est réalisée avec le même végétal,  on ne voit pas la différence entre le Yang/bois/plantes fortes, côté Yang et Yin /fleurs/plantes faibles côté Yin.

 

Dans la composition avec l’Aspidistra, Shu a son côté vert foncé qui « regarde » vers le soleil et le côté vert foncé de toutes les autres feuilles « regarde vers Shu ». Nous voyons aussi le côté vert clair de la plupart des feuilles c’est-à-dire que nous voyons la composition dans son ensemble depuis le nord (en bas). Pour mettre en évidence la différence entre le côté Yang d’une composition et son côté Yin, observons une particularité des feuilles d’Aspidistra.

 

 

 

 

Deux feuilles d’Aspidistra A et B, vues du côté Yin/négatif, verso.

 

On voit les deux moitiés inégales, la plus grande à notre droite dans l’exemple A,  la plus grande à gauche dans l’exemple B.

 

Ces feuilles, en plus d’avoir un côté Yang, devant et un côté Yin, arrière, ont aussi, de manière aléatoire sur chaque feuille et comme tous les limbes des feuilles,  deux moitiés inégales : la plus grande moitié est considérée comme Yang tandis que la plus petite moitié est Yin.

 

 

Ce fait «complique» le travail de l’ikebaniste puisque la face Yang de chaque feuille simple (la face) doit suivre la symbolique shintoïste (Shu regarde vers le soleil, les autres végétaux regardent vers Shu). Et en même temps, la partie Yang de chaque feuille simple ( = la plus grande partie de la feuille) doit également être en position Yang/soleil de la composition, que les feuilles soient derrière ou devant Shu.

 

La plus grande moitié de la feuille, qu’elle soit à droite ou à gauche, est identifiée Yang tandis que la plus petite moitié est identifiée Yin. La moitié Yang de chaque feuille doit être vers le côté Yang de la composition, celle où le soleil brille, tandis que la moitié Yin doit être vers le côté Yin de la composition, c’est-à-dire à notre droite dans le croquis ci-dessous.

 

Dans ce croquis d’une composition Hon-Gatte/de-droite, le côté clair de la feuille d’Aspidistra est le côté Yang, le côté sombre est le côté Yin.

La moitié de la feuille marquée du signe o est celle du Yang, plus grande.

 

Toutes les feuilles, aussi bien devant que derrière Shu, sont positionnées pour que leur plus grand côté/Yang soit du côté Yang/soleil de la composition à notre gauche, le soleil étant hypothétiquement derrière la composition et à notre gauche.

 

En résumé :

– Shu regarde vers le soleil et tous les autres éléments regardent vers Shu, c’est-à-dire la partie Yang/plus sombre de la feuille la plus haute (le Shu-shi de l’École Ohara) regarde vers le soleil tandis que toutes les autres feuilles montrent leur partie Yang/plus sombre, vers Shu.

– la moitié Yang de chaque feuille simple, la plus grande, est du côté Yang de la composition, celui vers le soleil, tandis que la moitié Yin de chaque feuille simple est du côté Yin de la composition, celui opposé au soleil.

 

Comme expliqué dans l’Article 24, Shintoïsme et Ikebana : du Rikka au Shōka et Seika, la position du soleil derrière le vase de l’école Ikenobō est déplacée devant le vase par toutes les écoles non Ikenobō, Ohara incluse.

 

Même si l’École Ohara ne tient pas compte de la différence entre les deux moitiés inégales de chaque feuille mais seulement de son « avant »/Yang/positif et de son « arrière »/Yin/négatif et sachant la façon dont l’École Ikenobō positionnait le végétal aide à comprendre les règles de composition de l’École Ohara.

 

Rappelons que la plupart des règles de composition de l’école Ohara dérivent des règles Ikenobō puisque les deux premiers Iemoto, Unshin et Koun, ont appris l’Ikebana dans cette école.

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22. Influence du bouddhisme sur la structure de l’Ikebana

Dans les articles précédents, est soulignée la façon dont les règles qui régissent encore aujourd’hui la construction d’un Ikebana symbolisent les religions, les philosophies et les croyances.

La structure du Rikka symbolise le mont Sumeru (ou Meru), montagne sacrée mythique pour le bouddhisme. Il a sept caractéristiques représentées par les sept branches principales qui, dans le Shōka et le Seika, sont réduites à trois (Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi de l’École d’Ohara).

 

 

Typique du syncrétisme religieux japonais, la représentation de cette montagne bouddhique mythique s’accompagne de la vision taoïste avec son côté Yang au soleil (‘Yō’ en japonais), et Yin à l’ombre (‘In’ en japonais). Les dessins ci-dessous montrent son idéalisation et sa transposition dans le Rikka, avec ses sept parties symboliques (le sommet, le côté Yang et le côté Yin : la colline, la cascade, le pied de la colline et la cité).

 

Rikka Représentation de la montagne bouddhique mythique.

 

Voir aussi Article 67, Symbolisme des compositions.

 

Dans les trois dessins ci-dessous, les étapes de la construction d’un Rikka.

 

Les 7 branches principales forment la structure de base du Rikka. Les 7 branches principales avec ajout des branches auxiliaires. Rikka complet

 

Ci-dessous : Photographie d’un Rikka (photo C) de l’École d’Ikenobō et deux dessins préparatoires A et B illustrant les étapes depuis le dessin idéal du Mont Meru jusqu’à sa représentation végétale.

 

                      

La partie supérieure du Rikka montre les perspectives issues de la peinture chinoise « au loin », la partie intermédiaire « à distance moyenne » tandis que la partie inférieure montre une perspective « rapprochée ».

Remarquez comment la branche Shu représente la partie « au loin », ses branches collatérales avec leurs frondes représentent les sommets des montagnes et son tronc principal délimite la vallée de ces montagnes (Voir Article 67, Symbolisme de la composition Ikebana dans son ensemble).

Avec le passage de Rikka aux Shōka/Seika dans les premières décennies de l’ère Tokugawa (= période Edo), période où la vision cosmique et mythique de l’existence et la perception sacrée de la nature sont abandonnées et les arts – dont l’Ikebana – sont sécularisés, le symbole bouddhique du mont Meru est abandonné alors que le Yang/Yin taoïste est conservé.

 

Il est intéressant de noter que l’École Ohara a maintenu ces trois perspectives du Rikka dans le paysage Moribana Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I (Paysages traditionnels) :

– Paysage en gros plan (Moribana Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I Kin-kei) qui dérive de la partie inférieure du Rikka.

– Paysage lointain (Moribana Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I En-kei) qui dérive de sa partie supérieure.

– Paysage à mi-distance (Moribana Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I Chu-kei) qui dérive de sa partie intermédiaire.

 

Bien que la représentation du Mont Sumeru soit complètement abandonnée lors du passage du Rikka à ses simplifications Shōka et Seika, une caractéristique du bouddhisme appliquée à l’Ikebana demeure, néanmoins, évidente, celle de la « beauté », concept esthétique qui, au Japon, est fortement influencé par cette religion : « Beau » est ce qui fait référence aux concepts bouddhiques d’impermanence et d’insubstantialité.

 

Un Ikebana est « beau » lorsque ces deux caractéristiques s’y expriment.

 

Très succinctement,

 

Impermanence (‘Anicca’ en langue pali) : pour le bouddhisme, tout ce qui naît commence à se consumer dès qu’il voit la lumière et se dirige inévitablement vers sa fin. Toute forme se définit non pas comme permanente mais comme disparaissant, se transformant, s’évanouissant.

« Beau » est ce qui renforce l’impermanence, la fugacité.

 

 

 

 

 

 

Fleurs de cerisier qui durent quelques jours.

Paravent : fleurs de cerisier à Yoshinogama, Watanabe Shikō (1683-1755).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La pleine lune qui ne dure qu’une nuit.

Paravent de Sakai Hōitsu (1761-1828).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Vieux » tronc ou rameau couvert de lichens sur lequel s’épanouissent de « jeunes » inflorescences.

Portes coulissantes : « pruniers et oiseaux », Kanō Sanraku (1559-1635).

 

 

 

 

Il est intéressant de noter que dans le Kanji ‘Hana’, qui forme le mot Ikebana, cette fugacité est visible. Il est composé du radical « herbe » au-dessus du Kanji « homme debout » suivi de « homme assis » ce qui signifie « changer ».

On peut imaginer qu’il représente un jeune homme, ce qui signifie « jeune herbe », qui se transforme, dans le même signe, en herbe au-dessus d’un vieil homme ou « vieille herbe ». Donc, le Kanji signifie « herbe qui vieillit » ou « végétal qui se transforme, qui vieillit ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Tao déclare : « la seule constante de la réalité est le changement ».

Dessin de Katsushika Hokusai.

 

Le Concept de fugacité ou d’impermanence est assimilé par les enfants japonais en apprenant à créer des origamis, des morceaux de papier carrés qui se transforment en se pliant, par exemple, en animaux. Le papier se transforme en un animal ou un objet qui à son tour, si on défait l’origami en tirant doucement sur les bords de la feuille, devient juste un morceau de papier. Mais surtout, les enfants l’assimilent lorsqu’ils mémorisent le premier syllabaire phonétique Hiragana à-travers un poème, appelé Iroha du nom des trois premières syllabes qu’il contient. Toutes présentes une fois, ce poème comprend les 47 syllabes Hiragana. Le poème est tiré du Sutra du Nirvana et la tradition l’attribue au moine Kukai qui, toujours selon la tradition, a introduit l’écriture Hiragana au Japon. Le poème dit :« Les fleurs peuvent avoir des couleurs éblouissantes mais elles sont toutes vouées à se faner. Alors dans ce monde, qui durera éternellement ? Aujourd’hui, traversant les montagnes de l’illusion humaine, je me libérerai des rêves éphémères, ne m’enivrerai pas davantage » (sous-entendu : par les plaisirs du monde).

Ces dernières années, les méthodes d’enseignement ont changé et la poésie n’est plus enseignée. L’Ikebana, éphémère par excellence par rapport aux autres arts traditionnels japonais car la composition finit à la poubelle au bout de quelques jours.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’impermanence est montrée dans l’exemple des fleurs à différents stades d’ouverture.

Dans ce Shōka, la fugacité est illustrée par une fleur fermée, une ouverte et une très ouverte.

 

Autres exemples d’impermanence en Ikebana :

– Si vous utilisez des branches fleuries ou des branches avec des baies et des feuilles, le caractère éphémère est mis en évidence en laissant une quantité différente de fleurs ou de feuilles sur chacune d’elles : l’une avec plus de fleurs/baies que de feuilles et l’autre plus de feuilles que de fleurs/baies.

– Les Chukan-shi (auxiliaires) du groupe Shu-Fuku sont des « jeunes » branches par rapport aux « anciennes » branches dont ils sont auxiliaires.

– On utilise des branches recouvertes de lichen (âgées) contre des branches collatérales fleuries ou à feuilles naissantes (jeunes).

 

Concept d’essentialité (Anattā en langue Pāli)

 

Pour le bouddhisme, chaque moi, qu’il soit compris comme un simple élément physique ou comme un individu vivant unique, n’est ni constitué ni pensé comme une unité séparée, autonome et indépendante. Toute entité est toujours et nécessairement constituée de relations, tant biologiques qu’éthiques.

 

L’Ikebana met en évidence les relations entre :

– Les dimensions de la plante et celles du contenant,

– La dimension des végétaux toujours en relation les uns avec les autres,

– Les masses, volumes, couleurs et lignes,

– La composition et son environnement.

 

Schéma de l’École Ohara indiquant la relation à la fois entre les dimensions des Yaku-eda (éléments principaux) et le contenant et entre les Yaku-eda entre eux.

 

 

Enfin, la dénomination Hon-Gatte  » à droite » et Gyaku-Gatte « à gauche », qui définit la position relative des Yaku-eda (Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi) implique une relation avec « quelque chose » à l’égard duquel l’Ikebana est placé à sa droite ou à sa gauche (Voir Article 5, Relation entre Ikebana et environnement).

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21. Shin, Gyō, Sō

Jusqu’à la fin de l’ère Meiji (1868-1912), l’esthétique japonaise répertorie les objets et les situations selon trois critères :

 

Shin = formel Lent, symétrique, important, solennel, imposant
Gyō = semi formel Entre les deux extrêmes Shin et Sō
Sō = informel Rapide, asymétrique, « décontracté », détendu

 

Ce système, d’origine chinoise et initialement appliqué uniquement à la calligraphie, s’est étendu en Chine mais surtout au Japon tant aux personnes qu’au comportement : tenue vestimentaire, type d’arc, cérémonie du thé, tokonoma, construction de jardin, Ikebana, dessins de tissus pour kimonos et arts martiaux (tant pour les styles que pour les objets utilisés tels que l’arc et l’épée).

 

Période Edo, d’après un traité sur les « bonnes manières » : la position assise

 

 

 

 

– arc formel ou Shin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

– arc semi-formel ou Gyō

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

– arc informel ou Sō

 

 

 

 

 

 

 

 

 

– debout, arc formel ou Shin

 

 

Par exemples, un jardin Shin est grand et public. Il appartient à un temple ou à une maison seigneuriale alors qu’un jardin Gyō a à la fois des aspects formels et informels comme ceux des maisons privées tandis qu’un jardin Sō est celui des paysans.

Pour comprendre à quel point l’utilisation de cette classification est répandue, prenons l’exemple du ‘Hojojutsu’ (art de bloquer un prisonnier au moyen d’une corde) utilisé par la police de la période Edo. Les trois modes Shin, Gyō, Sō – formel, semi-formel et informel, sont utilisés pour lier différemment les détenus, probablement selon leur position dans la hiérarchie sociale de l’époque.

 

 

En écriture, Shin correspond à nos lettres majuscules, Sō à l’italique, plus pratique et rapide, tandis que Gyō à la semi-cursive. Exemple de Kanji selon les trois catégories Shin, Gyō et Sō.

 

Kanji Dō = Voie, rue

Kanji Utsuwa = Poterie

 

Si l’on ne connaît pas le Shin correspondant aux mots «Rue» et  «Poterie», on voit la difficulté de comprendre que les signes « abstraits/stylisés » Sō indiquent les mêmes mots que le kanji du style Shin.

 

Encore de nos jours, les écoliers apprennent l’orthographe du style Shin, utilisé par toute la population. Le style Gyō est utilisé par beaucoup alors que la plupart des Japonais, s’ils n’ont pas suivi d’études particulières, ne savent pas lire le style Sō.

 

Pour le Chabana de la cérémonie du Thé, le choix des vases suit ce principe :

Shin : vases en bronze ou chinois ou porcelaine.

Gyō : vases en terre cuite vernissée.

Sō : vases et paniers en terre semi-brillante ou opaque.        

 

Les vanneries en bambou contenant des végétaux sont quant à elles classées :

Shin : de forme symétrique avec des lamelles de bambou en « vagues » précises et élaborées.

Gyō : de forme symétrique mais avec des « vagues » moins précises.

Sō : de forme irrégulière avec des « vagues » irrégulières.

 

Les tablettes sur lesquelles sont placés les contenants sont également classées :

Shin : planches laquées noires avec coins ou bords carrés.

Gyō : planches laquées avec bords et coins arrondis.

Sō : Planches de Paulownia ou de cèdre, laissées naturelles.

 

Il convient de souligner, dans toutes les situations où ce système de catégorisation esthétique est utilisé, qu’une cohérence est requise entre tous les éléments utilisés. Dans le cas de l’Ikebana, les choix du type de végétal, du contenant, du daï (tablette en bois) et la raison ou l’occasion pour laquelle la composition est exécutée doivent être cohérents. Tout est soit Shin, soit Gyō, soit Sō et vous ne pouvez pas mélanger des éléments Shin avec des éléments Sō ou Gyō.

 

Exemples de compositions pour la cérémonie du thé

 

Shin, formel Gyō, semi-formel Sō, informel

 

Lors de la cérémonie du thé, certaines fleurs sont considérées comme Shin, par exemples :

– Camellia, probablement en raison de son appartenance au même genre que le théier.

– Chrysanthème, symbole de l’empereur.

– Pivoine, symbole chinois.

– Lotus, fleur de Bouddha.

 

En général, les objets fabriqués par l’homme sont Shin par opposition à ceux Sō, laissés naturels et Gyō ceux qui contiennent les deux caractéristiques.

Du point de vue historique, les objets qui ont gardé leur forme d’origine, généralement importés de Chine et de Corée ainsi que les objets perfectionnés par les Japonais sont Shin.

 

Cette classification, à nos yeux occidentaux, est encore compliquée par le fait que chaque division Shin, Gyō, Sō est à son tour subdivisée en trois classes Shin, Gyō, Sō obtenant ainsi neuf catégories possibles, en référence aux neuf positions du Bouddha Amida « Trois corps et neuf formes ».

 

1- Shin No Shin : formel-formel

2- Shin No Gyō : formel-semi-formel

3- Shin No Sō : formel informel

4- Gyō No Shin : semi-formel-formel

5- Gyō No Gyō : semi formel-semi formel

6- Gyō No Sō : semi formel-informel

7- Sō No shin : informel-formel

8- Sō No gyō : informel-semi-formel

9- Sō No Sō : informel-informel

IKEBANA

 

La codification Shin, Gyō, Sō est déjà présente dans le Rikka, attestée par les manuscrits du samouraï Hisamori Osawa, datés de 1460-1492. À l’époque d’Edo, les Seika et les Shōka sont également codifiés selon cette nomenclature.

 

Exemples de Seika : Compositions Hon-Gatte

 

 

 

La différence technique entre les trois modes réside dans la courbure des éléments, tendant vers le droit dans le style formel Shin et plus courbé dans le style informel Sō.

 

Le sommet de la courbure de Shu d’un côté et la pointe du Kyaku de l’autre, ne doivent pas dépasser le bord du vase.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Compositions informelles Sō, avec ses trois subdivisions.

 

 

 

 

 

 

De nos jours, ces différenciations esthétiques ne sont plus utilisées et n’existent partiellement que dans la cérémonie du thé et dans quelques situations des arts martiaux.

 

 

 

 

Compositions informelles Shin, avec ses trois subdivisions.

 

Que reste-t-il de tout cela dans l’Ikebana de l’École Ohara ?

 

 

 

 

Beaucoup, même si les neuf différenciations ne sont plus utilisées. D’après le diagramme ci-dessous, il est évident que les trois principaux styles de Moribana et de Heika dérivent chacun de l’une des catégories Shin, Gyō, Sō du Seika.

 

 

 

 

 

Chokuritsu-kei dérive de Shin, Keisha-kei de Gyō et Kasui-kei de Sō.

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20. Le décalogue de l’ikebaniste qui cueille des végétaux

Apprendre à bien saisir les végétaux, selon la composition programmée, est un art. Geneviève Ausenda, du groupe d’étude de Milan devenu Chapitre Ohara de Milan écrit :

 

 

1.   Tôt le matin vous vous lèverez et la flore vous observerez,

2.   Vous vous en tiendrez au sujet de la leçon et vous réfléchirez à votre composition,

3.   Que des branches et des fleurs adaptées vous cueillerez, le gaspillage vous éviterez,

4.   La nature vous respecterez, les jeunes plantes qui vous fascinent,

5.   Peu de longues branches vous couperez, de courtes branches vous ne prendrez pas,

6.   Branches ramassées vous respecterez, vous les disposerez sur un torchon et vous les attacherez délicatement,

7.   S’il fait chaud, les branches vous les vaporiserez

8.   Dans un seau propre vous les disposerez, à l’ombre dans l’eau vous les laisserez,

9.   Avec amour vous les utiliserez,

10. Le Paradis de l’Ikebana que vous gagnerez si vous donnez la belle branche!

 

Commentaire complémentaire, se référant au décalogue de l’ikebaniste.

 

 

 

1- Si possible, arriver tôt le matin au lieu choisi. Après avoir garé la voiture à l’ombre, partez à la « chasse » avec des sécateurs adaptés, un grand tissu carré (minimum 1 m de côté) et un ou plusieurs récipients (par exemple des bouteilles en plastique dont on enlève la partie supérieure et le bouchon) contenant de l’eau, utiles si l’on doit cueillir des herbes, des fleurs ou des feuilles « fragiles ».

Ne vous précipitez pas pour saisir ce qui vous attire au premier regard mais explorez les lieux afin d’avoir une vue d’ensemble et cueillir les éléments au retour.

 

2- Avoir en tête les positions de chaque végétal dans la composition que vous souhaitez réaliser. Visualisez mentalement la position spécifique que chaque élément aura dans la composition. Choisissez l’élément qui a une croissance naturelle la plus proche de la position à prendre.

 

3- La tendance du débutant est de ramasser trop de végétaux. L’expert ikebaniste ne prend que le nécessaire, avec quelques éléments en plus, pour les imprévus.

 

4- Dans chaque style, on utilise des branches verticales et inclinées. Indépendamment du style choisi, récoltez des végétaux de position naturelle de croissance à la fois verticale et inclinée. Évitez de cueillir des plantes trop « jeunes » car elles se flétrissent très vite.

 

5- En fonction de la taille du contenant utilisé, cueillez les branches en conséquence. Par exemple, pour un Heika, la branche Shu-shi doit être d’au moins 1 m de longueur si l’on pense aussi à la partie qui rentre dans le vase.

Retirez immédiatement les brindilles latérales et les feuilles sur les 20 premiers cm à partir de la base. Attachez les ensemble en veillant à ce que la partie coupée de toutes les branches soit au même niveau pour que, une fois immergées, elles « boivent » toutes.

6-7- Disposez le « butin » sur la diagonale d’un torchon humidifié s’il fait très chaud, séparez les végétaux selon leur utilisation :  les grandes feuilles plates, les unes sur les autres, les herbes-fleurs-feuilles très fragiles mises à part dans des récipients avec de l’eau.

 

8- Au retour, conditionnez immédiatement les végétaux en les mettant dans un seau et en laissant propre l’endroit où ils sont déposés. Si vous ne connaissez pas le nom de certains végétaux, renseignez-vous.

 

9- Pour éviter de perforer le sac poubelle s’il est en plastique et pour minimiser le volume de végétaux jetés, coupez tous les végétaux non utilisés, notamment les branches, en petits morceaux.

 

10- Offrez le plus « beau » végétal que vous avez cueilli ………………………………

 

Les chérubins – détail de la Chapelle Sixtine

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19. Le Kata en ikebana/Ka-dō

 

 

Quand on considère l’Ikebana avec une mentalité occidentale, on a tendance à l’associer aux arts figuratifs, aux « beaux-arts », puisqu’on utilise les couleurs et les lignes comme en peinture, les masses et les volumes comme en sculpture ou en architecture.

Le terme art a, pendant des siècles dans notre culture occidentale, désigné toute activité manuelle exercée avec habileté. Déjà au Moyen Âge, le mot « chef-d’œuvre » désigne l’objet que l’apprenti présente à l’examen pour être admis parmi les membres d’une guilde.

 

© École Ohara

 

L’art est avant tout le savoir-faire d’un métier. Aujourd’hui encore, on parle d’arts médicaux, culinaires, graphiques, militaires, magiques. Si l’on prend l’exemple d’un menuisier ou d’un cordonnier, leur produit fini – table ou chaussure – peut être jugé beau ou laid mais, quel que soit ce jugement, il peut être évalué s’il a été réalisé « dans les règles de l’art » c’est-à-dire selon les techniques traditionnelles typiques du menuisier ou du cordonnier.

 

Le Zen, comme tous les autres courants du bouddhisme, s’oppose à la vision dualiste du beau/laid. Il reconnaît le « beau », l’art », non dans l’objet créé – table ou chaussure – mais dans la succession des actions entreprises pour le créer, c’est-à-dire s’il a été réalisé « dans les règles de l’art ».

 

Le Zen a influencé un ensemble (hétérogène, pour la culture occidentale) d’activités manuelles regroupées sous le nom d’Arts traditionnels japonais et reconnaissables au fait que leur nom se termine par «Dō » (= Tao = Voie).

Parmi les plus connus et pratiqués, on retrouve certains arts martiaux :

Ken-dō : Voie de l’épée

Kyu-dō : Voie de l’arc

Aiki-do : Voie de l’harmonie et de l’union

Iai- dō : Voie de tirer l’épée

 

 

D’autres arts esthétiques, apparemment dissemblables, qui englobent :

Cha-dō : Voie du thé

Sho-dō : Voie de la calligraphie

Kō-dō : Voie des parfums

Ka-dō : Voie des fleurs/Ikebana

 

 

Bien qu’aux yeux des Occidentaux, la pratique d’un art martial semble être quelque chose de très différent de la pratique de l’Ikebana, en réalité ces activités sont similaires. Le but ultime de la pratique de tous ces arts traditionnels japonais est le développement personnel, la connaissance et la croissance intérieure alors que les moyens d’y parvenir, seulement en apparence, sont très différents.

 

Toutes ces pratiques se terminant par ‘Dō’ n’apparaissent qu’à la période Edo. Les Tokugawa réussissant à imposer la fin des guerres entre les divers clans, introduisent des disciplines considérées comme des « voies » capables « de tuer l’ego ».

 

 

 

 

Avant que l’influence de la culture occidentale ne soit si écrasante, tous ces arts se terminant par Dō, y compris l’Ikebana, sont pratiqués exclusivement par les hommes, d’abord par ceux appartenant à la classe des samouraïs et à la noblesse impériale puis, plus tard à la période Edo, par la classe des riches marchands et artisans.

 

 

 

Ci-contre : Samouraïs admirant une exposition de Rikka.

 

Dans les arts traditionnels japonais, il y a un « Ura » (vision/perception profonde) et un « Omote » (vision/perception de surface), (Voir Article 25, Omote et Ura).

 

De même dans ces arts, une grande importance est accordée à l’utilisation du corps. Tous les mouvements sont très précis et basés sur le concept Zen « moins c’est plus » et sur le concept « d’effort minimum pour une performance maximum ». Tous les mouvements sont calibrés, essentiels, dépouillés du superflu. Ils suivent des critères précis imposés par la tradition de chaque art et de chaque École.

 

Certes, les mouvements d’un art martial comme le tir à l’arc ou l’utilisation de l’épée sont différents de ceux utilisés dans la Cérémonie du Thé ou dans la Voie de la calligraphie ou dans le Ka-dō/Ikebana mais tous, en plus d’être fonctionnels et efficaces, sont d’une élégante beauté.

 

 

 

Tous les arts traditionnels sont basés sur un ‘Kata’, mot qui, n’ayant pas d’équivalent dans la pensée occidentale, peut se traduire par : forme, type, moule.

Par Kata, nous entendons une «Séquence composée de gestes formalisés et codifiés sous-tendus par un état d’esprit ou orientés vers la réalisation de la Voie ou Dō».

La plupart de ces arts « ne produisent » pas d’objet, comme les Arts Martiaux, la Cérémonie du Thé, la Voie des Parfums, tandis que d’autres en produisent, comme l’Ikebana ou la Voie de la calligraphie.

Lecture Kun : Kata (Voir Article 50, Langue japonaise).

 

Pour le Zen, la production d’un objet, dans les arts traditionnels répertoriés, est potentiellement néfaste car elle détourne l’attention du processus qu’est la Voie (Dō).

Le besoin occidental d’évaluer une œuvre sur la base de sa forme fait souvent oublier un principe Zen très important : capacité à voir les actions invisibles, c’est-à-dire la série d’actions et de gestes qui ont produit l’œuvre, actions absentes parce que passées. C’est la clé de l’évaluation Zen.

La valeur de l’Ikebana réside dans la séquence d’actions accomplies pour le construire, l’enchaînement de gestes formalisés et codifiés par chaque école et sous-tendus par une esprit orienté vers la réalisation du Dō.

 

 

 

Aux yeux des Occidentaux, les Kata sont facilement reconnaissables quand on voit une personne qui, en s’entrainant en groupe, porte son attention sur l’enchaînement des gestes et la perfection technique. Ces Kata sont spécifiques à chaque école d’art martial. Dans le karaté, par exemple, les Kata sont cette série de gestes utilisés pour faire face à l’adversaire, gestes acquis lors de l’entraînement, rendus automatiques puis mis en pratique lors d’un combat.

 

Les kata existent aussi (c’est beaucoup moins évident) dans tous les arts non martiaux traditionnels japonais, y compris l’Ikebana. L’apprentissage d’un Kata vise à créer l’automaticité d’une série de gestes techniques transmis par la tradition et la parfaite réalisation des formes et des mouvements.

 

Pour l’Ikebana, l’automaticité consiste à placer chaque végétal qui vient d’être ramassé dans une position de croissance naturelle, à le couper à la longueur requise, selon sa fonction, à l’insérer dans la composition avec les inclinaisons fixées par l’école, etc.

Les Kata ne sont pas l’œuvre d’une seule personne mais le résultat d’un savoir traditionnel qui s’est cristallisé de génération en génération. Chaque Kata est la mémoire d’un mouvement développé depuis des années par les différents maîtres et leurs élèves.

Dans la notion de Kata, la technique occupe une place essentielle résumée par la formule « la technique c’est l’homme ». La technique s’acquiert avec un entraînement incessant. Parfois, l’exercice peut être répété sans progrès s’il n’y a pas, parallèlement, la qualité « spirituelle » du pratiquant, qu’il soit en Art martial, en Ikebana, en Calligraphie ou en Cérémonie du thé.

Pour les Japonais, la perfection est humaine (voir la performance des Maîtres dans la Cérémonie du thé ou des Maîtres en Calligraphie, en composition Ikebana, en Haïku ou encore en Karesansui (jardin sec).

 

LES KATA DANS L’IKEBANA

 

Étant aujourd’hui, à tort, focalisé sur le résultat ou la composition, on ne parle pas assez de l’importance des mouvements du corps de l’ikebaniste. Ces mouvements, jamais codifiés comme dans les autres arts, sont importants car ils révèlent « l’état d’esprit » de l’ikebaniste qui va influencer le résultat, c’est-à-dire la composition.

 

 

 

En Ikebana, les mouvements du corps, tout en étant libres et non codifiés, doivent suivre les mêmes critères de fonctionnalité et d’esthétique communs à tous les arts traditionnels.

L’ikebaniste doit avoir une utilisation consciente de son propre résultat, c’est à dire la composition.

 

Les Kata sont les styles de compositions inscrits dans la tradition de l’école.

 

 

 

 

Pour l’ikebaniste Ohara, les Kata, comme séquences de gestes qui, avec le temps, doivent devenir automatiques pour effectuer une composition correcte, sont désignés :

En lecture On : ‘Kei’,  Chokuritsu-kei, Keisha-kei, Kansui-kei, Kasui-kei.

En lecture Kun : ‘Kata’ (Voir Article 50, Langue japonaise).

 

Exemples d’actions, répétées jusqu’à ce qu’elles soient automatiques :

– Choix des plantes et contenants en fonction du matériel végétal ou inversement.

– Prise en main du végétal pour évaluer son « poids optique »,  l’adapter à une utilisation pour Shu-shi, Fuku-shi, Kyaku-shi ou Chukan-shi.

– Suppression du superflu.

– Coupe des végétaux en respectant les proportions tant avec le contenant qu’avec les autres éléments de la composition.

– Insertion avec les bons angles d’inclinaison.

 

Dans tous les arts traditionnels, il faut se concentrer avant de commencer sa pratique. La concentration sur le corps passe généralement par la respiration qui met instantanément en évidence la fugacité, l’impermanence (nous ne pouvons pas retenir notre souffle ) et l’interdépendance (nous dépendons de l’oxygène à son tour produit par les plantes). Cette simple observation devrait atténuer l’intrusion exagérée de notre Ego, cause d’insatisfaction de l’élève pendant le cours d’Ikebana.

 

Après la courte phase de concentration, l’ikebaniste doit idéalement se rappeler mentalement le Kata avec les végétaux qu’il a devant lui puis commencer l’arrangement tout en maintenant sa concentration sur son travail.

L’ikebaniste qui veut aller au-delà des apprentissages scolaires doit prendre l’attitude mentale de suivre le chemin des « fleurs »/Ka-dō et comprendre que son but n’est pas de créer une « belle » composition mais d’obtenir un changement de sa personne par la pratique de l’Ikebana.

 

 

 

 

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18. L’importance de connaître les œuvres d’art japonais

Pour un Gaikokujin (外国人 = étranger) qui étudie et pratique l’Ikebana, une fois qu’il a appris les règles de l’école, il doit développer la capacité à « représenter le tout à travers certaines de ses parties » : un arbre, un arbuste, des fleurs doivent être représentés dans un vase au moyen de quelques branches ou fleurs retirées de leur environnement naturel de croissance. Les végétaux doivent être « modifiés » afin qu’ils « représentent » la plante ou la fleur.

 

Pour apprendre à effectuer ces changements qui servent à « mettre en valeur l’essence de la plante« , il faut :

– Faire connaissance avec le végétal : Houn Ohara, 3ème Iemoto, disait : « Faites de l’Ikebana avec les pieds« , voulant souligner l’importance de marcher dans la nature pour l’observer.

– Surtout observer la façon dont les artistes japonais les plus célèbres ont représenté ces plantes tant dans les peintures que dans les estampes ou dans les motifs de kimonos ou d’éventails ou encore l’héraldique. Les modifications que l’ikebaniste apporte à la plante reposent également sur la représentation que les artistes en ont donnée, représentation qui est devenue un héritage culturel de la tradition japonaise.

L’Ikebana est l’un des arts traditionnels et la « tradition » est toujours présente chez ses interprètes. L’ikebaniste, en « travaillant » les végétaux, doit absolument observer les caractéristiques spécifiques des végétaux. Cependant il ne doit pas s’arrêter à cela mais doit être conscient de la façon dont les végétaux sont représentés dans l’imaginaire et dans la tradition picturale japonaise. Les peintures et les estampes de la période Edo, trouvent leurs origines dans la poésie. Le Man Yō Shū (Collection des mille feuilles), la plus ancienne anthologie poétique japonaise datée d’environ 759 après J.-C., comprend 4516 poèmes dans lesquels 1600 végétaux sont cités. Ces peintures de fleurs, d’arbustes et d’arbres des artistes japonais les plus connus font fréquemment référence aux poèmes qui mentionnent ces plantes (Voir Article 59, Saisonnalité de la nature et Article 60, Origine des choix et associations de plantes en Ikebana).

 

 

 

 

 

 

Prenons l’exemple du pin, qui dans la nature ressemble à la photo ci-contre. Les « vieilles » aiguilles sont supprimées ne laissant que la touffe apicale, créant une succession d’espaces vides et pleins.

 

 

 

 

 

Tout en l’adaptant à la composition choisie, l’ikebaniste passe en revue la façon dont le pin est représenté par exemple par Sesshu ou dans les gravures sur bois d’Utamaro, de Hiroshige et de Hokusai ou le grand pin du théâtre Nō ou le petit pin sur des éventails, kimonos, bannières et armoiries.

 

 

Kitagawa Utamaro (1753-1806)

 

Autres exemples

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Fleurs et oiseaux des quatre saisons, Kanō Motonobu (1476-1559).

 

Paravent « Faisan et pin » de Kanō Kōi (1569-1636).

 

 

 

 

 

 

 

 

Motif d’un éventail utilisé dans la danse traditionnelle du bujo.

 

Branches fleuries. Dans la nature comme sur la photo de gauche ci-dessous, il faut travailler les branches en enlevant le superflu et en gardant à l’esprit, par exemple, le dessin de droite d’un anonyme.

 

 

Dessins de Sakai Hōitsu (1761-1828) Peinture de Sakai Hōitsu
 

L’acer, très épais dans la nature, doit être travaillé par l’ikebaniste en enlevant le superflu.

 

Branches d’acer, Utagawa Hiroshige (1797 – 1858).

 

 

Dans tous ces exemples, le concept Zen prévaut : «moins est plus ».

Ce concept est également évident dans ce dessin de Hakuin (1685-1769) intitulé Blind Crossing a Bridge, Aveugle traversant le pont.

 

 

Enfin, il est également important de connaître les associations de plantes recommandées par la tradition japonaise, à-travers les arts poétiques et picturaux (Voir Article 59, Saisonnalité de la nature et Article 60, Origine des choix et associations de plantes en Ikebana).

 

Outre la connaissance des religions et des philosophies qui ont influencé la naissance et la formation des règles de composition de l’Ikebana, il est également nécessaire d’avoir une connaissance de la tradition artistique inhérente aux plantes.

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17. Composition à gauche et composition à droite

La nomenclature, d’origine plus ancienne de Hon-Gatte et Gyaku-Gatte, est celle de ‘À droite’ et de ‘À gauche’ venue de Chine et utilisée dès l’époque Heian (794-1185).

En Occident, nous définissons à droite ou à gauche un objet situé à droite ou à gauche de l’observateur/observatrice, c’est-à-dire que le point de référence est l’observateur/observatrice.

 

 

Il y a des exceptions. En politique, les partis politiques de droite et de gauche sont désignés en fonction de leur position vis-à-vis du Président/de la présidente dans l’hémicycle parlementaire.

Les «progressistes» sont assis dans l’hémicycle à gauche du président/de la Présidente et les «conservateurs» à droite. Dans cette situation, le point de référence n’est pas celui ou celle qui regarde mais la personne la plus importante du parlement, le président/la présidente. La droite et la gauche sont celles qui vient de la position du président/de la présidente et non des parlementaires.

 

Dans le Japon ancien, la droite ou la gauche sont aussi celles de la personne (ou l’objet) la plus importante.

 

À la cour, depuis la période Heian, on pratique des jeux appelés ‘Awase’, jeux de comparaisons entre des choses comme des fleurs, des racines, des chants ou des plumages d’oiseaux, des insectes, des éventails, de l’encens, des peinture ou encore des poèmes.

Les participants sont divisés en deux groupes appelés « Le groupe de droite et le groupe de gauche » (par rapport au juge, la personne la plus importante, assis au centre).

 

 

Tour à tour, une personne du « groupe de droite » et une personne du « groupe de gauche » montrent l’objet ou récitent le poème, le juge décerne le prix à l’un ou l’autre groupe. Par exemple, dans la comparaison de racines (Ne-Awase), jeu de la fête de l’Iris au cinquième mois, les participants montrent les iris avec les racines en les accompagnant de poèmes. Le juge considère la beauté des racines, leur longueur et leur rareté. Dans celui des oiseaux (Kotori-Awase) le chant, la beauté du plumage et leur rareté sont jugés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il est intéressant de noter que l’appréciation de la beauté de certaines racines, pratiquée à la cour Heian, est restée dans les compositions Bunjin de l’École Ohara.

 

Dans ce type d’Ikebana, les racines de certaines fleurs sont mises en valeur à l’extérieur du vase.

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

 

 

 

 

À l’époque Heian, les deux ministres japonais les plus importants sont le ministre-de-droite et le ministre-de-gauche, ainsi nommés parce qu’en présence de l’empereur, ils siègent à sa droite et à sa gauche.  

Pour les courtisans qui regardent vers l’empereur, le ministre de droite (de l’empereur) est assis à leur gauche tandis que le ministre de gauche est assis à leur droite.

Ci-contre : reconstruction imaginaire pour montrer les positions des sujets, les deux ministres et l’empereur.

 

Capitale de-droite et capitale de-gauche

 

Les villes de Heijō (Nara), Nagaoka-kyō, Heian-Kyō (Kyōto), sièges de la cour impériale, sont construites sur le modèle de la capitale chinoise des T’ang, Ch’ang-An. Elles ont un plan orthogonal et la protection des quatre divinités cardinales selon les règles du Feng-Shui (Voir Article 9, Feng-Shui et Ikebana).

La coutume est de construire, à la fois, les villes et les maisons de la noblesse sur un axe nord-sud. Le lieu choisi est celui qui est protégé par la tortue noire au nord (haute montagne, pour les villes), le phénix rouge au sud (espace libre avec de l’eau dirigée d’Est en Ouest), le dragon bleu à l’est (rivière coulant du nord au sud) et le tigre blanc à l’ouest (collines basses). Quant au palais impérial, il est construit au nord parce que le Tenno, assimilé à l’étoile polaire dans des situations formelles, doit être au nord.

 

 

 

Ici, plan de l’ancienne Kyōto : la ville est divisée en deux par une route qui va du palais impérial au nord vers le sud, le siège idéal de la Kami Amaterasu. Les deux parties sont appelées capitale-de-droite et capitale-de-gauche, dénominations par rapport au palais impérial, objet le plus important de la ville pris comme point de repère.

Dans ses deux moitiés de ville, il y a une prison de droite et une de gauche, un marché de droite et un de gauche, une garnison de soldats de droite et une de gauche.

La capitale de droite est à gauche de l’observateur/observatrice et la capitale de gauche est à sa droite.

 

IKEBANA

 

Pour comprendre la raison de l’introduction de la dénomination à droite et à gauche dans l’Ikebana, nous devons connaître l’origine du tokonoma et de l’Ikebana apparus dans la seconde moitié des années 1400, à la cour des Shoguns Ashikaga (Voir Article 13, La naissance de l’Ikebana selon les sources historiques).

 

 

 

L’Ikebana est né dans le tokonoma. Dans le tokonoma, on trouve « Trois objets sacrés » que sont l’encensoir (1), le chandelier (2) et le vase à fleurs (3). Ils sont placés devant trois kakemono, le kakemono central, le plus important, représente Bouddha.

Plus tard, aux trois objets sacrés, deux autres vases avec des fleurs sont ajoutés sur les côtés (4).

Le kakemono avec Bouddha, tout en conservant son « caractère sacré » reste l’objet le plus important.

 

 

Au fil du temps, l’encensoir et le chandelier sont retirés, ne laissant que les trois vases, dont le contenu commence à se structurer.

Le kakemono avec Bouddha, tout en conservant sa « sacralité » et en restant l’objet le plus important du tokonoma, est remplacé par des thèmes séculiers.

Les définitions de droite et de gauche données à l’Ikebana reposent sur le fait que l’objet le plus important du tokonoma est le kakemono central représentant, au départ, Bouddha auquel deux vases sont ajoutés aux trois objets sacrés. Le vase à droite du kakemono est appelé « de-Droite » et celui à sa gauche, « de-Gauche ». La composition florale centrale, la plus importante des trois puisqu’au-dessous du kakemono avec Bouddha, est restée « formelle », avec comme caractéristique la branche centrale droite.

 

 

 

La branche principale des deux compositions latérales s’est incurvée, au fil du temps. Lorsque, faute de place, un seul Ikebana est placé dans le tokonoma, la nomenclature de droite et de gauche reste est maintenue, même si le kakemono représente une image laïque.

 

 

 

 

 

 

 

Des thèmes profanes remplacent l’image de Bouddha.

De trois vases, nous sommes passés à deux.

 

 

 

 

Le tokonoma des maisons de ville étant plus petit que celui des palais Shogunaux et des samouraïs, il y a passage de deux vases à un seul vase.

Il est à noter que, même si les dénominations « de-Droite » et « de-Gauche » font référence aux 2 arrangements placés en face des 2 kakemono du tokonoma,  elles décrivent, en fait, le rapport de positions au sein même de la composition entre un Shu-shi central et Fuku-shi et Kyaku-shi sur ses côtés, que la composition soit à droite ou à gauche du kakemono.

 

 

 

 

es définitions Hon-Gatte/droite et Gyaku-Gatte/gauche se basent sur la présence de trois éléments qui dans l’Ikebana sont Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi pour l’École Ohara.

Dans presque toutes les compositions, même si les Yaku-eda (éléments principaux) dont dépendent les dénominations de-droite et de-gauche n’y sont pas tous, la dénomination de-droite ou de-gauche vient du « mouvement » d’ensemble des compositions.

Par exemple dans un Hana-Isho Tateru-Katachi, forme verticale élémentaire où il n’y a que deux éléments principaux, Shu-shi et Kyaku-shi, la distinction entre les deux possibilités, de-droite ou de-gauche, est donnée par la position des deux Chukan-shi (auxiliaires) de Shu-shi.

 

L’arrangement est disposé Hon-Gatte (de droite) puisque les trois éléments qui déterminent la qualité à droite ou à gauche sont Shu-shi, Chukan-shi haut et Chukan-shi bas.

 

(Voir Article 16, Origine des positions ‘Hon-Gatte’ et ‘Gyaku-Gatte’).

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Le tokonoma lui-même peut être construit à droite ou à gauche. Dans ce cas, le repère à droite ou à gauche est la source de lumière, la fenêtre.

 

 

 

Les maisons de la noblesse traditionnellement positionnées sur l’axe sud-nord, ont le tokonoma, lieu le plus important, qui donne sur le jardin au sud. Le mur contre lequel est construit le tokonoma se situe, dans la plupart des cas, à l’est et il reçoit la lumière provenant du jardin. Il est rarement construit côté ouest.

Le tokonoma côté est, à droite de la source lumineuse, est appelé de-droite. Étant le plus fréquemment construit, il est considéré comme « normal ». On l’appelle ‘Hon-toko’.

Quant au tokonoma construit côté ouest, à gauche de la source lumineuse, est appelé Gyaku-toko, c’est-à-dire l’opposé (Gyaku) de celui habituellement construit (voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

 

L’École Ohara a gardé cette dénomination Hon-Gatte/de droite et Gyaku-Gatte/de gauche en cohérence avec l’histoire de l’Ikebana et les styles d’arrangement créés à l’origine pour être placés dans le tokonoma. Le seul « ajustement » fait concerne le style Kansui-Kei, se reflétant dans l’eau, comme cela sera expliqué dans un prochain article (Voir Article 52, Genèse et évolution du style Kansui-kei).

Pour un occidental qui ne connaît pas l’histoire de l’Ikebana, cette façon de définir l’Ikebana Hon-Gatte/droite et Gyaku-Gatte/gauche est difficile à comprendre. Pour cette raison, certaines écoles d’Ikebana, par exemple Ryusei, ont ces dernières années dissocié les correspondances Hon-Gatte/de droite et Gyaku-Gatte/de gauche en prenant comme point de référence l’observateur/observatrice de la composition.  Pour ces écoles, l’Ikebana droit est celui qui est à droite du spectateur ou de la spectatrice et l’Ikebana gauche, à gauche. Cette simplification apparente fait perdre un pan de l’histoire de l’Ikebana basée sur une manière ancestrale de donner un nom en fonction d’un point de référence, l’élément le plus important dans la situation. Par exemples,  les deux ministres par rapport au Tenno, empereur, les deux moitiés de la capitale Heian par rapport au palais impérial et l’Ikebana par rapport au kakemono, représentant autrefois Bouddha.

 

N.B : Depuis 2015, l’École Ohara préfère n’utiliser que les expressions Hon-Gatte et Gyaku-Gatte liées à un passé historique plus difficile à appréhender.

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16. Origine des positions ‘Hon-Gatte’ et ‘Gyaku-Gatte’

 

Toute composition Ikebana composée des trois Yaku-eda (Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi de l’école Ohara) peut être réalisée de deux manières, l’une reflétant l’autre.

Les expressions « Hon-Gatte, à main droite » et « Gyaku-Gatte, à main gauche, » utilisées pour différencier ces deux possibilités de disposition ne sont pas propres à l’Ikebana mais font partie de la culture de la cour impériale japonaise depuis l’ère Heian.

La disposition des objets de façon Hon-Gatte ou Gyaku-Gatte est commune à toutes sortes de situations telles que la disposition des pierres dans les jardins, celle des Suiseki (pierres de collection) dans les suiban, celle des objets dans le tokonoma, celle du Tokonoma et de la salle de la cérémonie du thé, celle des aliments sur les assiettes et celle d‘une composition Ikebana.     

© École Ohara

 

Origine de la nomenclature Hon-Gatte et Gyaku-Gatte

Pour simplifier, en Occident, trois éléments inégaux sont généralement placés par ordre croissant ou décroissant.

 

 

 

 

Au Japon, l’élément le plus important est placé au centre entre les deux éléments moins importants comme dans le style Chokuritsu-Kei (vertical) de l’École Ohara, style qui fut le premier introduit et qui donna naissance à tous les autres styles. Ce placement imite la position de la triade bouddhique (Voir Article 64, Ikebana et triade bouddhique).

NB : Idéalement les trois objets doivent s’insérer dans le « cercle du Tai-ji » (Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji). Les deux plus grands éléments dans la partie Yang du Tai-ji, sont plus proches l’un de l’autre que du plus petit élément. Pour mettre en évidence le plus petit élément, partie Yin du Tai-ji, il doit être détaché des 2 autres.

 

 

 

L’élément le plus important étant placé au centre, selon la représentation du Bouddha dans la triade bouddhique, il n’y a que deux possibilités d’agencer les trois éléments : la situation A et la situation B.

La situation A est la préférée, la plus fréquemment utilisée, est désignée Hon-Gatte : Katte = Gatte = situation, condition, circonstance et Hon = le plus utilisé, favori, normal, principal, droit.

La situation B, position en miroir, moins utilisée s’appelle Gyaku-Gatte « situation opposée » : Gatte = situation, Gyaku = opposé à la situation A, la plus utilisée.

Certaines écoles utilisent le mot Higatte (de Hidari = gauche) à la place de Gyaku-Gatte.

 

La disposition Hon-Gatte est considérée comme Yang/masculine/forte par rapport à la disposition Gyaku-Gatte considérée comme Yin/féminine/faible par rapport à l’autre (définir une chose comme Yang ou Yin, c’est toujours exprimer une comparaison entre celle-ci et une autre). La préférence pour la situation A, Hon-Gatte,  résulte du fait qu’elle est choisie par les droitiers alors que la B est préférée par les gauchers.

 

 

Bien qu’au Japon on écrit de haut en bas et de droite à gauche, on pourrait se douter de la préférence pour l’arrangement Gyaku-Gatte. Mais comme les Japonais sont majoritairement droitiers comme dans le reste de la population mondiale, l’arrangement Hon-Gatte a toujours été favori. Les directions de gauche à droite et dans le sens des aiguilles d’une montre sont choisies par les droitiers, raison pour laquelle elles sont considérées comme Hon-Gatte (situation préférée). Pour les gauchers, population minoritaire, il est plus facile de réaliser de la droite vers la gauche et dans le sens antihoraire des compositions Gyaku-Gatte (opposé à la situation préférée) qui restent moins choisies.

 

 

 

 

Exemples de disposition

 

À l’intérieur du tokonoma, un kakemono toujours au centre et deux objets, au « poids visuel » décroissant, sur ses côtés.

 

 

 

 

 

Ci-contre : disposition Hon-Gatte des objets de la cérémonie du thé.
Le récipient à eau est au centre, la tasse à thé avec le fouet à sa droite et le récipient pour la poudre de thé à sa gauche.

 

 

 

Le seul exemple de disposition dans la culture occidentale actuelle, à la manière japonaise Hon-Gatte, est celle des trois premiers athlètes sportifs sur le podium. Le 1er (le plus fort) est toujours au centre, le 2ème à sa droite, un peu plus bas et le 3ème à sa gauche encore plus bas.

 

 

IKEBANA

 

Les trois éléments disposés de manière Hon-Gatte ou Gyaku-Gatte sont Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi selon la terminologie de l’École Ohara. Ces deux possibilités d’arrangement sont présentes dans le Sendenshō, premier manuscrit sur l’Ikebana, rédigé par différents auteurs anonymes dont le 1er exemplaire daté de 1445 appartenait à Fu’ami, moine de la secte Ji et Dōbōshῡ au service des Ashikaga. L’exemplaire appartenant à Ikenobō date de 1536.

 

NB : Chaque école a ses propres désignations pour nommer les trois éléments principaux. À des fins de simplifications, la terminologie de l’École Ohara est utilisée : Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi.

 

Lors de la création des règles de composition du Rikka, Shu-shi est toujours au centre (avec deux possibilités de positionnement pour les trois Yaku-eda, éléments principaux, (Voir Article 64, Ikebana et triade bouddhique et Article 70, Esthétique Basara et Ikebana).

 

 

Ci-dessus, à droite, représentation du Bouddha avec un personnage de chaque côté se penchant vers le centre. Cette représentation est à rapprocher d’un kakemono du XIIIe siècle, où les trois éléments du Rikka sont dessinés (image à gauche).

 

Ci-dessous, le Rikka central avec la branche principale bien droite rappelle Bouddha. À ses côtés, deux autres Rikka dont les branches prennent une courbure dans le sens des aiguilles d’une montre dans la composition Hon-Gatte et dans le sens inverse des aiguilles d’une montre dans celle du Gyaku-Gatte.

 

 

 

 

Les positions des éléments principaux (Yaku-eda) du Rikka sont maintenues dans les Shōka/Seika.

Les compositions, autant le Rikka que les Shōka/Seika sont construites à partir du centre.

À noter : La définition Hon-Gatte et Gyaku-Gatte ne dépend pas du point de sortie des plantes du vase mais des positions relatives de Fuku-shi et Kyaku-shi autour d’un Shu-shi central et vertical.

 

Les positions des éléments principaux (Yaku-eda) du Rikka sont maintenues dans les Shōka/Seika.

Les compositions, autant le Rikka que les Shōka/Seika sont construites à partir du centre.

À noter : La définition Hon-Gatte et Gyaku-Gatte ne dépend pas du point de sortie des plantes du vase mais des positions relatives de Fuku-shi et Kyaku-shi autour d’un Shu-shi central et vertical.

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‘École Ohara a conservé les trois éléments Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi dans les styles Chokuritsu-kei (vertical), Keisha-kei (incliné), Kansui-kei et Kasui-kei (se reflétant dans l’eau) qui peuvent être arrangés en position Hon-Gatte ou en position Gyaku-Gatte.

© École Ohara

 

 

Si on relie les trois éléments (par exemple dans le tokonoma ou l’Ikebana) en partant du plus petit au plus grand, les deux dispositions donnent le sens de rotation, soit dans le sens des aiguilles d’une montre pour l’arrangement Hon-Gatte, dans le sens antihoraire pour l’arrangement Gyaku-Gatte.

 

Cette direction générale des trois éléments est maintenue, si possible. Par exemple, le tronc du bonsaï mis en position Hon-Gatte donne le mouvement dans le sens des aiguilles d’une montre. À souligner toutefois que le tronc du bonsaï ne peut pas être dans le sens anti-horaire dans une composition Hongatte. De même Shu-shi du style Moribana Chokuritsu-kei (Style vertical) qui ne peut avoir un mouvement anti-horaire dans un arrangement Hon-Gatte.

 

 

 

 

 

Ci-contre : paysage traditionnel Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I Ichi-boku-zashi Chokuritsu-kei, Hon-Gatte (Technique du tronc, style vertical).

Shu-shi avec sa courbure orientée dans le sens des aiguilles d’une montre va dans le même sens de la composition. L’élément central agit comme un axe autour duquel se positionnent les deux autres éléments.

La position de Shu-shi détermine si le trio est Hon-Gatte ou Gyaku-Gatte.

 

 

© École Ohara

 

 

 

 

 

 

Ce concept est important pour comprendre la disposition de chacune des feuilles dans les groupes de feuilles et les souches utilisées dans les paysages traditionnels avec iris de l’École Ohara (Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I Hagumi).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

 

Dans l’assemblage des feuilles d’Iris utilisé dans la technique traditionnelle Hagumi de l’École Ohara, la disposition du groupe de feuilles peut être Hon-Gatte ou Gyaku-Gatte.

 

La fleur (1) assume la fonction de Shu-shi, tandis que les deux plus grandes feuilles (2) et (3) celles de Fuku-shi et de Kyaku-shi.

Même lorsque la fleur n’est pas là et que seul le groupe de feuilles existe, les feuilles ont un arrangement soit Hon-Gatte soit Gyaku-Gatte. C’est la position des feuilles 2 et 3 (toujours les plus grandes du groupe) qui détermine si le groupe est Hon-Gatte ou Gyaku-Gatte.

Les feuilles ajoutées 4, 5 et 6, toujours plus petites que les deux principales 2 et 3, ne modifient pas la disposition initiale Hon-Gatte ou Gyaku-Gatte.

 

Cette nomenclature est actuellement utilisée par toutes les écoles (Voir Article 17, Composition à gauche et composition à droite).

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15. Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji

Comme mentionné précédemment, les règles de composition de l’Ikebana sont issues de symboles religieux et philosophiques. « L’occidentalisation » ne fait que valoriser l’aspect esthétique de l’Ikebana alors qu’à son origine, bien que cet aspect esthétique soit important, son contenu symbolique en est une partie fondamentale.

 

Taoïsme

 

Le taoïsme classe la réalité selon un système binaire dans lequel les forces communicantes Yang et Yin sont complémentaires et interdépendantes. Chacune d’elles contient le germe de l’autre et change constamment. Ce système est représenté par le symbole du Tai-ji (ou Tai-jitu) avec des phases d’expansion du Yin et une contraction concomitante du Yang.

Ce symbole taoïste se retrouve dans l’Ikebana depuis sa première forme codifiée, le Tatebana, et est encore plus apparent dans l’arrangement Rikka qui représente le Mont Sumeru (ou Mont Meru) avec son côté Yang tourné vers le soleil et son côté Yin tourné vers l’ombre (Voir Article 22, Influence du bouddhisme sur la structure de l’Ikebana).

 

Le Rikka, très compliqué à exécuter, est simplifié en Seika/Shōka durant la première moitié de la période Edo (1603-1868) ne laissant que trois éléments principaux, éléments que l’on retrouve inchangés dans les styles Moribana et Heika de l’École Ohara.

 

Précision : Pour les explications théoriques du Rikka dans ce blog, nous nous référons aux arrangements Shōka et Seika qui gardent la structure de base du Rikka car beaucoup plus simples et donc plus faciles à expliquer.

 

L’une des représentations symboliques de l’Ikebana est l’union entre le ciel et la terre exprimée en plaçant les trois éléments principaux du Rikka et du Shōka sur la ligne symbolique taoïste qui relie le ciel à la terre. Afin de comprendre la raison de cet agencement spatial symbolique des plantes, il est nécessaire de comprendre la représentation graphique du Tai-ji, son orientation et sa relation symbolique avec les points cardinaux de la boussole.

 

 

Construction du Tai-ji

Deux cercles dont le diamètre est égal au rayon du cercle qui les contient et qui représente « le Tout ».

Les cercles à l’intérieur sont caractérisés par des couleurs « opposées » :

– Couleurs Yang, comme le blanc ou le rouge (les couleurs de la lumière ou du soleil) dans l’un des deux cercles.

– Couleurs Yin, « opposées » à celles utilisées dans l’autre cercle, comme le noir ou le bleu.

 Le cercle blanc représente le côté Yang et le cercle noir le côté Yin.

Au centre des deux cercles, la couleur du cercle opposé est laissée pour souligner qu’il n’y a ni pur Yang ni pur Yin.

 

 

 

Pour souligner le fait que les deux énergies Yang et Yin sont toujours en mouvement et se transforment continuellement l’une dans l’autre, le blanc et le noir se prolongent (indifféremment à l’une ou l’autre partie des côtés qui entourent les deux cercles). Mais la partie Yang restera la moitié du grand cercle dans laquelle s’insère le cercle blanc (quadrant entièrement blanc + quadrant avec demi-cercle blanc et «queue» noire) et non celui avec la plus grande surface de blanc. Il en est de même pour la partie Yin.

Le Tai-ji est positionné de différentes manières dans de nombreux textes : le bon, qui l’associe aux points cardinaux et sur lequel repose la construction d’un Ikebana, est celui dessiné ci-contre.

 

 

 

 

Ces deux exemples, ci-contre, ne sont pas corrects car ils ne sont pas en lien avec les points cardinaux.

 

 

 

 

Afin de comprendre la symbolique de l’Ikebana et sa relation avec les points cardinaux, le placement correct du Tai-ji peut être vu dans le drapeau sud-coréen ci-contre : l’important est la position du cercle coloré (et non sa queue) rouge Yang vers le ciel et bleu Yin vers la terre.

 

Contrairement à la convention occidentale moderne de mettre le nord en haut et le sud en bas, en Chine et au Japon, le sud est en haut et le nord en bas parce que le soleil, quand il est à son apogée, est associé au sud, en haut au-dessus de nos têtes et non en dessous.

 

 

À gauche : Carte du Japon avec des inscriptions portugaises, datée de 1585, où on peut voir que le sud (SUL) est en haut au-dessus de l’inscription IAPAM, tandis que le nord (NORTE) est en bas.

À droite : Carte datée de 1596 par Arnold Van Langren, de la Chine, Corée et Japon, où le nord est en bas et le sud en haut.

 

 

 

 

Le sud en haut et le nord en bas se retrouvent, encore aujourd’hui, sur les cartes souterraines des villes japonaises, comme dans cet exemple de la ville d’Osaka.

 

 

 

 

 

Le sud en haut dans cette carte du monde datée de 1440 et conservée à Venise.

 

Cartographie européenne, voir Tabula Rogeriana, la carte du monde dessinée par frère Mauro et d’autres.

 

 

 

 

Carte datée de 1584 de la région de la Suisse actuelle sur laquelle les lacs de Côme (Larius), Lugano et Locarno (Verbanus) sont en haut marqués MERIDIES. La Suisse alémanique est tracée au nord, en bas Bâle la ville la plus au nord de la Suisse, et le Rhin.

 

 

 

Le Tai-ji du nord, comme si nous regardions l’Italie à partir du nord. Le soleil/sud, par rapport à nous qui regardons, est en haut au-dessus de l’Italie.

 

 

Une autre différence entre l’Est et l’Ouest est qu’en Occident nous considérons les orientations cardinales nord, ouest, sud, est comme des points cardinaux, alors que dans n’importe quelle région orientale, ce sont des quadrants entiers nord, ouest, sud, est.

 

 

En regardant le Tai-ji, on s’aperçoit que le quadrant Sud, en haut, est Yang, associé au feu, à l’été, à la couleur rouge, au phénix (voir Article 9, Feng-Shui et Ikebana). Si le quadrant Sud est Yang, le quadrant Nord en bas est Yin associé aux « opposés », le froid, l’eau, l’hiver, la couleur noire, la tortue.

Suivant la même logique, d’autres combinaisons peuvent se faire : le soleil naît à l’Orient et sa lumière et sa chaleur augmentent, grandissent. L’augmentation/croissance est donc une caractéristique Yang donc ce quadrant est considéré comme Yang, tandis que le soleil se couche à l’Ouest, sa chaleur et sa lumière s’affaiblissent. Cet affaiblissement est une caractéristique Yin, donc ce quadrant est considéré comme Yin. Dans les deux quadrants, nous avons des associations avec les éléments, les saisons, les couleurs, les animaux protecteurs et plus encore.

 

On a alors le cercle du Tai-ji divisé en deux parties, Yang (quadrants sud et est) et Yin (quadrants nord et ouest), séparés par une ligne A-A inclinée à 45° par rapport à l’observateur et perpendiculaire à la ligne B-B, qui unit le point maximum de Yang où le soleil est symboliquement placé au point maximum de Yin. Cette ligne est également inclinée à 45° par rapport à l’observateur.

 

 

 

Imaginons le symbole du Tai-ji dessiné sur une table. Le soleil, qui dans les représentations occidentales est positionné au sud, est dans la symbolique orientale, positionné entre les deux quadrants est/sud, point considéré comme maximum de Yang. On regarde le Tai-ji du nord et le soleil est derrière le dessin, positionné symboliquement sur la ligne perpendiculaire au point B (Yang maximum).

Comme le Rikka est composé de nombreux végétaux et que sa construction est difficile à interpréter, j’utilise le schéma du Shōka, (simplification du Rikka, avec seulement les trois éléments principaux) pour mettre en évidence la position symbolique des végétaux. On voit que ces trois éléments sont tous alignés le long de la ligne BB qui représente symboliquement l’union ciel/soleil. Le soleil est au point maximum de Yang et la terre est au point de maximum de Yin. Tout cela est évident dans les Rikka et Shōka de l’École Ikenobō.

 

Chaque école d’Ikebana nomme différemment les trois éléments principaux. Il est d’usage d’indiquer graphiquement l’élément principal (le Shu-shi de l’École Ohara) par un cercle, le deuxième élément (Fuku-shi, pour Ohara) par un carré et le troisième élément (Kyaku-shi de Ohara) avec un triangle. Malheureusement, tout le monde ne suit pas cette règle.

À noter que les deux éléments principaux Shu-shi/Fuku-shi sont du côté Yang, en rouge sur le schéma, tandis que Kyaku-shi est du côté Yin, en bleu. La matière végétale utilisée pour Shu-shi et Fuku-shi doit être Yang et celle de Kyaku-shi Yin. C’est la raison pour laquelle dans les styles traditionnels de l’École Ohara, encore aujourd’hui, le groupe Shu-shi/Fuku-shi est composé du matériau bois ‘Ki’ tandis que le groupe Kyaku-shi est composé du matériau herbe ‘Kusa’ (Voir Article 2, Concept de fort et de faible »).

 

 

 

 

 

 

Il est intéressant de savoir que l’espace de la cérémonie du thé du Wabi-cha de Sen no Rikyū est également divisé en côtés Yang et Yin comme dans l’Ikebana.

Ci-contre : subdivision de l’espace de 4 tatamis et demi dédié à la cérémonie du thé ‘Chanoyu’ avec le côté Yang où l’hôte est positionné et le côté Yin où les invités sont installés.

 

 

Dans ce schéma de Shōka, vu à la fois de face et de dessus, la direction symbolique ciel-terre prise par les trois éléments principaux en alignement est clairement visible.

L’élément central le plus élevé (= Shu-shi de Ohara) part du centre, va vers le soleil et revient vers le centre de sorte que sa pointe reste sur l’orthogonale du point de départ.

Soe (= Fuku-shi de Ohara) va vers le soleil.

Tai (= Kyaku-shi de Ohara) va vers la terre.

Il est également évident que Shu-shi et Fuku-shi sont du côté Yang de la composition tandis que Kyaku-shi est du côté Yin.

 

 

 

Croquis d’un Shōka Ikenobō composé uniquement de feuilles d’Aspidistra.

Shu et Fuku sont dirigés en arrière vers la gauche (vers la position symbolique du soleil au point du Yang maximum du Tai-ji à notre gauche) tandis que Kyaku-shi est dirigé vers notre droite, vers l’avant, dans la direction symbolique de la terre au point maximum de Yin.

Le long de la ligne BB, seuls les trois éléments principaux sont alignés tandis que leurs Chukan-shi (éléments auxiliaires) prennent, tous, des directions différentes à la fois vers l’arrière et autres directions.

L’autre règle importante, issue du shintoïsme, est que Shu-shi regarde vers le soleil tandis que toutes les autres plantes regardent vers Shu-shi (Voir Article 24,  Shintoïsme et Ikebana : du Rikka au Shōka et Seika).

 

Dans ce croquis, il est net que le côté positif /Yang/ sombre des feuilles suit la règle mentionnée ci-dessus. On voit la composition dans son ensemble, vue du nord (« de derrière, en bas »), car elle fait face au soleil, comme dans le Rikka et le Shōka de l’École Ikenobō, de l’autre côté du vase lorsque nous le regardons.

Lorsqu’une seule espèce végétale est utilisée, comme dans le cas de l’Aspidistra, on ne peut pas remarquer que le groupe Shu-shi /Fuku-shi (côté Yang) est composé de plantes « plus fortes » que les plantes du groupe Kyaku-shi (côté Yin), « plus faibles » de la composition.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-contre, cette différence est apparente dans le Heika Hon-Gatte. Le groupe Shu-shi /Fuku-shi, côté Yang, est un matériau en bois « plus fort » que le matériau fleurs utilisé pour le groupe Kyaku-shi, qui est Yin.

 

Pendant la période Tokugawa (= Edo), le néo-confucianisme est préféré au taoïsme :  la direction des trois éléments principaux est modifiée et la composition est nommée Seika.

 

© École Ohara

 

 

 

La seule École qui a maintenu le symbolisme taoïste et n’a pas modifié la direction des trois éléments principaux est Ikenobō, qui a alors appelé cette composition Shōka.

 

Les trois éléments principaux de la composition reliant symboliquement le ciel à la terre sont restés dans le Seika car on est passé du symbolisme taoïste (Yang-Yin) au symbolisme du néo-confucianisme (préféré par les Tokugawa).

 

En regardant de haut en bas :

– Dans une composition Seika (inspiré du néo-confucianisme), le ciel est en haut, la terre en bas et l’homme entre les deux.

– Dans un arrangement Shōka inspiré du taoïsme, on trouve l’homme, puis le ciel et la terre.

 

 

 

Dans un Shōka, basé sur le schéma taoïste, l’union symbolique est donnée par l’alignement des trois éléments sur l’axe BB où l’on retrouve : Fuku-shi = Ciel, Shu-shi = Homme, Kyaku-shi = Terre.

Dans un Seika, basé sur le schéma du néo-confucianisme, l’union se fait de haut en bas, de sorte que l’élément le plus élevé s’appelle le Ciel et l’élément intermédiaire s’appelle l’homme tandis que l’élément le plus bas reste la terre (Shu-shi = Ciel, Fuku-shi = Homme, Kyaku-shi = Terre). (Voir Article 24, Shintoïsme et Ikebana).

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14. Nageire ou Heika

 

 

La tradition attribue la création du Nageire à Sen no Rikyū (employé par Hideyoshi comme Maître de thé de 1585 à 1591), lors d’une pause dans une campagne militaire. Le Kampaku (Grand rapporteur de la cour chargé des affaires = Ministre)  ordonne à Rikyū de créer un Ikebana.

Rikyū, n’ayant pas le matériel nécessaire, se sert de son poignard pour couper des fleurs et des feuilles d’iris, les attache au manche du poignard et jette le tout dans un petit baquet : la lame collée au fond du récipient, gardant les iris droits.

Hideyoshi le félicite en lui disant : «Quel bel nage-ire» (= jeté dedans).

Ci-contre : Sen no Rikyū (1521 – 1591).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nageire dans un petit bassin.

 

 

 

Historiquement, Nageire est mentionné environ 140 ans plus tôt que la tradition ne le veut, puisque le Sendenshō (le plus ancien manuscrit sur l’Ikebana qui nous soit parvenu date de 1445) utilise ce terme pour des compositions libres, non codifiées comme le Tatebana l’est.

Utamaro (1753-1806)


 

 

Caractéristiques

Tatebana

Nageire 

Codifié et grand

Dans de hauts vases en métal

Riche et symbolique

Utilisé lors d’événements formels et publics Habituellement avec des conifères

Représente la stabilité, l’éternité

« Artificiel »

Libre et petit

Dans des vases hauts et peu profonds non métalliques Simple et spontané

Utilisé dans les maisons privées

Avec de petites plantes simples et humbles

Représente l’impermanence

« Naturel »

 

Le Rikka est une évolution du Tatebana et conserve toutes les caractéristiques citées ci-dessus.

 

Types de Nageire d’après les estampes, 1793, Utamaro (1753-1806).

 

 

 

 

 

 

 

Nageire

Autre estampe, 1793, Utamaro.

 

En utilisant le terme ‘Nageire’, nous faisons référence à une forme plus libre de composition que le Tatebana. Les plantes aux caractéristiques différentes des plantes utilisées dans le Tatebana sont « jetées » dans un vase haut ou bas. Il est intéressant de savoir que les premiers Moribana Ohara, dans un bassin bas, s’appellent ‘Suiban Nageire’ ou ‘Nageire’ (composition libre), nom probablement choisi pour se détacher des « normes » et souligner une utilisation plus libre des plantes par l’École Ohara que par les autres écoles encore liées à la tradition.

 

 

 

 

 

Actuellement, l’École Ohara utilise les termes : Hei Ka, Hei = vase, sous-entendu : haut + Ka = fleurs, pour les compositions dans un vase haut, en les distinguant des compositions dans un vase bas, appelées Moribana. Ainsi, le mot ‘Heika’ fait référence au type de vase (haut) utilisé.

Pour les arrangements dans un vase haut, Nageire est l’équivalent du Heika bien que la composition ne soit pas libre, comme le terme l’indique lors de sa création, mais est soumise à des règles de composition équivalentes aux règles de composition du Moribana.

© École Ohara

 

Le mot Nageire fait référence à la manière de composer (autrefois libre, aujourd’hui codifiée).

En considérant que le 1er nom donné au Moribana ‘Suiban Nageire’ et le nom Nageire pour les compositions dans un vase, les Moribana et les Heika de l’École Ohara donnent une impression de naturalisme comme si les végétaux sont « jetés », malgré l’obligation d’observer des règles de composition.

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13. La naissance de l’Ikebana d’après les documents historiques

 

 

Les archives historiques montrent que l’Ikebana, avec une structure basée sur des règles, est né pendant la période Muromachi (1333-1568) grâce au mécénat des Shoguns Ashikaga.

 

Le troisième Shogun Yoshimitsu promeut les arts que nous connaissons sous le nom de « Arts traditionnels japonais ».

 

Lorsqu’il prend sa retraite en tant que Shogun, il construit et s’installe dans le pavillon d’or à Kitayama = Yama/colline de Kyta, dans la banlieue nord de Kyōto.

 

Ci-contre : Ashikaga Yoshimitsu, (1358-1408).

 

 

Nous disposons de nombreux récits traditionnels de l’École Ikenobō portant sur la naissance de l’Ikebana. En revanche, la documentation historique sur le sujet est pauvre car les historiens actuels, qui connaissent encore peu l’Ikebana, se sont jusqu’à présent investis de manière limitée.

 

 

 

L’une des caractéristiques de cette période est ‘Basara’ (terme signifiant ostentation, excès, extravagance, (Voir Article 70, Esthétique Basara et Ikebana).

Le début de l’Ikebana commence avec les samouraïs Basara tels que Sasaki Dōyo (1306-1373) qui est un Shugo au service administratif du premier Shogun Ashikaga Takauji. Sasaki Dōyo raconte, dans ses journaux, le raffinement des divertissements de l’aristocratie guerrière. Les gens exhibent le Tatebana, s’affrontent pour citer des poèmes ou deviner les noms des parfums brûlés dans les brûle-parfums. Ils se concurrencent également pour deviner l’origine des différents thés servis avec du saké et de la nourriture délicieuse.

Sasaki Dōyo écrit également un livre sur le Tatebana « Tatebana Kuden Daiji ».

Ci-contre : Pavillon d’or d’Ashikaga Yoshimitsu.

 

NB : Aujourd’hui le kanji Tatebana se lit Rikka (Voir Article 54, Évolution de l’Ikebana dans la lecture des Kanji).

 

Le neveu du Shogun Yoshimitsu, Yoshimasa (1435-1490), 8ème Shogun, porte cet art à son plus haut niveau et le rend « typiquement japonais ». Lorsqu’il se retire comme Shogun, il fait lui aussi construire une résidence : le Pavillon d’Argent, dans le quartier de ​​Kyōto appelé Higashiyama = colline de Higashi/Est.

 

Ci-contre : Pavillon d’argent, Kyōto.

Ci-dessous : Ashikaga Yoshimasa.

 

15 autres Shoguns Ashikaga se succèdent à l’époque Muromachi mais l’importance du 3ème Shogun Yoshimitsu (shogunat de 1368 à 1394) et du 8ème Shogun Yoshimasa (shogunat de 1449 à 1473) est telle que la culture de toute cette période se divise en deux parties qui tirent leur nom de leurs résidences :

Culture Kitayama : résidence de Yoshimitsu, 3ème Shogun. 

Culture Higashiyama : résidence de Yoshimasa, 8ème Shogun.

 

Dans la hiérarchie militaire de l’époque, il est impossible à un militaire de classe inférieure au Shogun d’être plus instruit que le Shogun lui-même, de sorte que les Ashikaga emploient plutôt des Dōbōshῡ (préposés). Il s’agit, pour la plupart, de moines bouddhistes d’origine modeste qui prononcent des vœux mais n’entrent pas définitivement dans un monastère. Même moines, ils conservent leur mode de vie d’avant, par exemple, s’ils sont mariés, ils continuent de vivre dans leur maison avec leur femme et leurs enfants. Ce sont des moines laïcs et, bien qu’ils aient la tête rasée comme les autres moines, ils sont vêtus de couleurs vives (alors que les moines bouddhistes sont en noir), peuvent porter des épées à l’intérieur du palais shogunal. Ce sont aussi des hommes cultivés, les chefs culturels de l’époque.

 

Au début de la période Ashikaga, la plupart des Dōbōshῡ appartiennent à la secte Ji, fondée par le moine Ippen au milieu des années 1200. Dès l’origine de la secte Ji, diverses tâches leurs incombent : accompagner le Daimyō dans les batailles avec la responsabilité de soigner les blessés, de réciter des prières pour les morts, de rendre les morts aux clans et de remettre l’armure du défunt. Les Dōbōshῡ se reconnaissent par leur nom se terminant par ‘ami’, en l’honneur du Bouddha Amida (Voir Article 33, Ikebana et histoire : périodes Muromachi (1336-1573) et Azuchi Momoyama (1573-1603).

En temps de paix, leurs tâches sont de divertir les samouraïs avec des concours de poésie, des cérémonies du thé et de l’encens, organiser les invitations et s’occuper des invités. Au fil du temps, les tâches de «divertissement culturel» prennent le pas sur les autres et ils deviennent les serviteurs exclusifs des Shoguns Ashikaga.

 

Les Dōbōshῡ sont aussi les arbitres du goût et conseillers esthétiques des Shoguns. Chacun d’eux est expert dans l’une des diverses formes d’art de l’époque, poète, connaisseur de parfums, peintre, ikebaniste, créateur de jardin, conservateur et restaurateur d’objets précieux de la collection artistique shogunale (comme les fameux «trois ‘ami», grand-père-père-fils No’ami, Gei’ami, So’ami). Leur culture devenue dominante et parrainée par les Ashikaga permet à la classe des samouraïs de sortir de sa position culturelle subordonnée à la cour impériale, seule source de culture jusqu’à cette période historique.

Certains Dōbōshῡ sont chargés de répertorier et de cataloguer les collections privées des Ashikaga dont la majorité est d’origine chinoise, céramiques, laques, peintures et dessins. Leurs tâches comprennent aussi la préparation des salles de banquet pour les invités du Shogun, en les décorant de « pièces chinoises rares » ‘Karamono’ (Kara = Chine, Mono = choses) de la collection shogunale.

 

 

 

Peinture montrant l’affichage de certains « Karamono » (= objets raffinés d’origine chinoise), parmi lesquels des vases chinois qui ne contiennent pas encore de plantes.

La passion de Yoshimitsu pour les objets chinois liée à la réouverture du commerce avec la Chine, inactif depuis l’époque Heian, fait qu’il accepte pour s’en procurer, d’être vassal en 1403 de Yongle, 3ème empereur de la dynastie chinoise Ming, lequel le nomme Roi du Japon, probablement parce qu’il ne connait pas encore l’existence d’un empereur.

 

Pendant le shogunat du 8ème Ashikaga, Yoshimasa (1435-1490), on commence à présenter, lors des réceptions, une triade de peintures sacrées (kakemono) accrochées au mur principal et des objets exposés sur des étagères. kakemono central représente toujours Bouddha. À ses pieds, se trouve un petite table surélevée (Oshi-ita) avec les « trois objets sacrés » ‘Mitsu-Gusoku’ : un brûle-parfum, un bougeoir et un vase à fleurs (le vase étant beaucoup plus important que les fleurs).

 

 

 

Dessin daté de 1160 montrant un temple de la secte bouddhique Shingon fondée par Kukai (774-835) dans lequel cinq kakemono sont exposés avec cinq petites tables et des brûleurs d’encens devant eux.

 

Le Dōbōshῡ transpose la façon d’organiser le kakemono d’un lieu sacré à la résidence laïque du Shogun.

 

Cette façon de disposer les 3 ou 5 kakemono existe depuis longtemps mais uniquement dans un environnement religieux. C’est à partir de cette pratique, formalisée dans la seconde moitié du XVe siècle sous le patronage du 8ème Shogun Ashikaga Yoshimasa, que débute l’Ikebana avec des règles de composition. L’ensemble, la petite table avec les trois objets sacrés, devient le tokonoma. En même temps, les vases avec des fleurs deviennent de plus en plus importants et les compositions plus structurées. D’un seul vase, on passe à 3 ou à 5 vases dans de grands tokonoma et dans des situations plus formelles.

 

Au fil du temps, le brûle-parfum et le chandelier perdent de leur importance et ne sont plus placés dans le tokonoma, ne laissant subsister que 3 vases dont le contenu végétal est structuré selon les règles qui régissent encore aujourd’hui la construction d’un Ikebana.

Au début, des vases importants sont exposés pour leur beauté tandis que les fleurs jouent un rôle secondaire. Ensuite, les fleurs prennent plus d’importance et les vases, choisis en fonction des plantes, sont fabriqués spécifiquement pour contenir les plantes du Tatebana/Rikka.

 

 

 

Arrangement Hon-Gatte.

Comme expliqué dans l’Article 5, Relation entre l’Ikebana et environnement, la définition des compositions «main droite » ‘Hon-Gatte’ et « main gauche » ‘Gyaku-Gatte’ est associée à la position des arrangements dans le tokonoma par rapport à la peinture centrale représentant Bouddha.

 

 

 

Arrangement Gyaku-Gatte.

On retrouve l’importance des « trois ou cinq objets sacrés » (Mitsu/Go-Gusoku) dans ce dessin daté de 1630 intitulé Arrangement formel de la nourriture pour shoguns, daimyo, nobles et empereur.

 

Cette « naissance » de l’Ikebana s’est produite progressivement durant la seconde moitié des années 1400. Placer des fleurs devant les autels est une pratique courante dans toutes les religions. Mais arranger principalement des branches avec peu de fleurs, de façon structurée et avec des règles, ne se passe qu’au Japon. Les offrandes de fleurs à Bouddha se font dans tout le monde bouddhiste mais du 6ème siècle, lors de l’introduction du bouddhisme au Japon, jusqu’au milieu des années 1500 (soit près de 900 ans), il n’y a pas de source historique décrivant des fleurs ou des branches disposées dans des vases selon des règles. Les formes « structurées » d’Ikebana (Tatebana) n’apparaissent qu’au milieu des années 1400, en même temps que l’apparition du tokonoma.

L’Ikebana naît donc dans un contexte « séculier » ou profane, dans les demeures du Shogun et de la noblesse guerrière où le Bouddha peint sur le kakemono n’est pas utilisé comme un autel devant lequel on vient prier réellement. L’Ikebana sert surtout à valoriser les objets exposés.

Suivant le syncrétisme religieux japonais, les Shoguns Ashikaga adhèrent personnellement à diverses sectes bouddhiques en plus du shintoïsme, sans être liés à aucune en particulier. Les différents moines à leur service sont choisis moins pour la secte bouddhique qu’ils suivent que pour leur compétence dans les divers domaines artistiques intéressant le Shogun.

 

 

 

De l’union des Oshi-ita, tables surélevées sur lesquelles sont posés les trois ou cinq objets sacrés (‘Mitsu/Go-Gusoku’), naissent le tokonoma et l’Ikebana qu’il contient.

 

Ci-contre : deux Rikka plus grands que les statues.

 

À l’exception des Rikka sur le côté du Grand Bouddha de Nara élevé par Hideyoshi (1537-1598), (qui après tout ont été faits en son honneur et non en l’honneur du Bouddha), il n’y a pas de description d’Ikebana sur les autels d’aucune secte de courant bouddhique. Même les Ikenobō n’ont jamais mis d’Ikebana dans le Rokkakudō mais toujours dans d’autres bâtiments. L’Ikebana, dont la naissance est historiquement démontrée, apparait et devient un art principalement de la sphère profane des Shoguns Ashikaga : décoration et agencement (Kazari) des objets précieux (Karamono).

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12. La naissance de l’Ikebana selon la tradition

L’origine de l’Ikebana, selon la tradition, est écrite dans la seconde moitié des années 1700 par les Ikenobō. La naissance de l’Ikebana est associée à des personnages historiques qui ont réellement vécu mais dont l’implication dans l’Ikebana est historiquement impossible.

À la période Azuka (552-710 après J.-C.), l’impératrice Suiko est élue. Elle est la première femme Tenno des huit impératrices qui régnèrent au Japon. Son règne est de 593 à 628 après J.-C.

 

L’impératrice Suiko nomme régent son neveu le prince Umayado (né en 574 et mort en 622), connu sous le nom posthume de Shotoku Taishi (= Prince brillant).

Il est le deuxième fils de l’empereur Yōmei. Il est une figure importante qui soutient l’introduction du bouddhisme à la cour impériale et, selon la tradition, écrit la première Constitution japonaise de 17 articles. Il introduit également l’utilisation du calendrier chinois qui sera utilisé, avec quelques adaptations, jusqu’en 1873, date à laquelle le calendrier grégorien est mis en place.

Ci-contre, Shotoku Taishi avec deux dignitaires dessinés plus petits que lui pour souligner son importance.

 

 

En regardant les vêtements et les coiffures, l’influence chinoise sur la cour impériale japonaise de cette époque est évidente.  

 

La tradition veut que Shotoku Taishi, un ardent bouddhiste, a toujours eu avec lui une statuette de la déesse de la compassion, Kannon.

Au cours d’un de ses voyages, ayant très chaud, il s’arrête pour se rafraîchir au bord d’un étang. Lorsqu’il veut se revêtir et partir, la statue lui paraît très lourde. Il passe alors la nuit près de l’étang et rêve que Kannon souhaite qu’un temple y soit construit en son honneur. Taishi le fait construire et, étant de forme hexagonale, il est appelé, au fil des ans, Rokkakudō = temple hexagonal.

 

 

 

 

Selon la légende, le Rokkakudō est construit dans une zone choisie pour devenir la nouvelle capitale., Heian-Kyo, l’actuelle Kyōto.

Sa construction débute vers 794 et devient le siège de la cour impériale.

Cependant, les historiens s’accordent à dire que le Rokkakudō est construit plus de 170 ans après la mort de Taishi survenue en 622, alors que la nouvelle capitale Heian-Kyo existe déjà.

Le Rokkakudō est le siège historique de l’école Ikenobō.

Ci-contre, le temple Rokkakudō.

 

Billets japonais montrant à la fois Shotoku Taishi et le Rokkakudō.

 

 

 

 

À la tête de deux ambassades en Chine en 607 et 608 se trouve Ono No Imoko, neveu de l’empereur Bidatsu (538-585) et cousin de Shotoku Taishi.

Son retour de la seconde ambassade est documenté historiquement. Dès son retour de Chine, il n’est plus mentionné dans aucune source.

Le message impérial japonais, apporté par Imoko à l’empereur chinois Yang lors la première ambassade, commence par :

« Le fils du Ciel où le soleil se lève (c’est-à-dire le Japon) au fils du Ciel où le soleil se couche (c’est-à-dire la Chine) ……… »

 

Ce message a sans doute agacé ces derniers car il assimile les deux empereurs, alors que la cour impériale chinoise considère les Japonais comme un peuple insignifiant et barbare.

 

Quand Ono no Imoko revient de la deuxième ambassade en 608, la tradition-légende dit : Ono no Imoko prononce ses vœux et se retire à Rokkakudō, en devient le moine sous le nom bouddhique Senmu. On dit qu’il commence à créer des offrandes de fleurs sur l’autel de Bouddha comme il avait appris à le faire en Chine. La tradition dit aussi qu’il vit dans une hutte adjacente au Rokkakudō situé près de l’étang où Shotoku Taishi se rafraîchissait. D’où l’origine du nom Ike no bō (= cabane au bord de l’étang). Les moines qui le suivent à la tête du Rokkakudō continuent à développer cet art qui, à l’époque Edo, s’appellera Ikebana.

 

 

 

 

 

 

Rokkakudō, Kyōto.

 

 

Avec le 2ème moine, les moines prennent des noms commençant tous par ‘Sen’, coutume qui survit jusqu’à nos jours. Historiquement, le nom (Senkei ou Senei) Ikenobō apparaît pour la 1ère fois dans un journal du moine bouddhiste de Kyōto, Hekizan Nichiroku, daté du 25 février 1462, dans lequel il est dit que de nombreuses personnes ont vu des compositions dans un vase doré réalisées par le moine Senei Ikenobō.

Jusqu’en 1462, jamais le nom Ikenobō n’est mentionné dans une source historique.

 

Dans le but d’accroître ou de renforcer le prestige et la légitimité de l’École, les Ikenobō associent la naissance de leur nom à Shotoku Taishi comme ils associent Senkei Ikenobō aux Shoguns Ashikaga. Senkei Ikenobō aurait été au service de Yoshimasa, le huitième Shogun qui l’aurait, en 1479, nommé «Daï Nippon Ka-do no Iemoto» : «celui qui est à l’origine de l’Ikebana». Ainsi, le Shogun Yoshimasa (1436-1490) aurait démontré sa prétendue préférence pour le Tatebana créé par Senkei Ikenobō à ceux créés par le Dōbōshῡ de la secte Ji.

 

En fait, les Dōbōshῡ, moines laïcs, sont les premiers à avoir créer le Tatebana. Le lien entre Senkei Ikenobō et le Shogun Yoshimasa est considéré par les historiens comme faux, (voir Article 33, Ikebana et histoire : périodes Muromachi (1336-1573) et Azuchi Momoyama (1573-1603).

 

Dans les textes écrits sur le Tatebana apparus dès le 14ème siècle (par exemple de Sasaki Dōyo 1306-1373) et dans diverses revues, il est fait mention de « arranger/mettre debout » (‘Tateru’) des fleurs.  Un document du 20 avril 1476 relate que Yoshimasa, à l’occasion de sa visite au palais impérial, demande à son Dōbōshῡ Ryūami de « dresser droites » (‘Tateru’) des pivoines. La même action est également décrite dans d’autres pages avec d’autres fleurs.

La tradition lie la naissance de l’Ikebana uniquement à l’École Ikenobō, mais ce récit fait à la demande des Shoguns Tokugawa, est écrit à l’époque Edo (1603-1868) par les Ikenobō eux-mêmes.

Les Dōbōshῡ, premiers «créateurs» et codificateurs des règles du Tatebana, disparaissent à la chute des Ashikaga. Les Ikenobō, désormais seuls à s’occuper de cet art, commencent leur hégémonie qui durera jusqu’au milieu de l’époque Edo, lorsque naissent d’autres écoles, toutes issues de l’École Ikenobō.

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11. Femmes Tenno au Japon

La monarchie japonaise est la plus ancienne institution du globe. Elle se perpétue par lignée héréditaire masculine à l’exception de quelques cas où des filles ou épouses d’empereurs ou de femmes parentes de la famille impériale sont devenues impératrices, et toujours uniquement dans le but de préserver le trône dans la famille, jamais par libre choix. La famille impériale n’a pas de nom de famille et toutes les impératrices ne sont connues que par leur nom bouddhiste posthume, attribué après leur mort.

Les 42 premiers empereurs dont la tradition nous parle ont résidé dans autant de sièges de la taille d’un village. Le shintoïsme considérant comme impurs aussi bien le sang que la mort, le village devenu impur à la mort de l’Empereur, est abandonné.

 

Il y eut 8 femmes impératrices ‘Tenno’ (天皇 TEN = ciel, O = souverain)

 

Périodes Nombre d’impératrices Noms
 

 

Asuka 552-710

 

 

5

1. Suiko

2. Kogyoku / Saimei *

3. Jito

4. Gemmei

 

Nara 710-794

 

3

5. Gensho

6. Koken / Shotoku *

Heian 794-1185
Kamakura1185-1392
Muromachi 1392-1568
Momoyama 1568-1600
 

Edo 1600-1868

 

2

7. Meisho

8. Go-Sakuramaki

 

* Sur les 125 ‘Tenno’ de l’histoire officielle, huit sont des femmes et deux d’entre elles ont porté deux fois des noms différents. Au total, le Japon officiel a eu dix fois des impératrices.

Dans la mythologie japonaise, il est fait mention de reines chamanes qui détiennent le pouvoir. Par exemple, c’est Jingo qui a mené la première invasion de la Corée. Enceinte et pour permettre à son fils (futur empereur Ojin) de naître au Japon, la grossesse dura 14 mois. On dit qu’il a « conduit » du ventre sa mère dans les batailles. Pour cette raison, à sa mort, Ojin est assimilé à Hachiman, dieu de la guerre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Figurine représentant Jingo, Temple de Hachiman à Nara.

 

Le terme ‘Tenno’ (天皇 TEN = Ciel, O = Souverain) est utilisé, la première fois, par Shotoku Taishi dans une missive à l’empereur chinois rapportée par Ono no Imoko (le premier moine Ikenobō à qui la tradition associe la naissance de l’Ikebana avec le début présumé de la dynastie Ikenobō (Voir Article 12, La naissance de l’Ikebana selon la tradition).

‘Tenno’ est en référence à la 1ère impératrice Suiko, 33ème Tenno de la liste officielle, qui règne de 593 à 628 et avec laquelle commencent les relations diplomatiques avec la Chine.

 

Dans la conception politique chinoise de cette époque, l’Empereur est un Mandat Céleste, ce qui signifie que sa tâche est d’assurer l’harmonie entre les forces célestes, les forces naturelles et les forces humaines. Il ne peut exercer ces fonctions que s’il est doté de vertus. Le Mandat Impérial est confié par le Ciel et peut lui être retiré par le Ciel (passer à une autre dynastie) s’il s’avère qu’il ne possède pas les vertus.

Pour éviter un changement de famille impériale (comme cela s’est produit en Chine), les nobles japonais déclarent que l’empereur n’est pas un mandat céleste car il est un descendant direct de la Kami Amaterasu, déesse du soleil.

 

Période ASUKA 552-710

 

1ère femme Tenno : en 592 Umako, chef du clan Soga, fait assassiner l’empereur Sujin et désigne sa nièce Suiko, veuve de Sujin, pour le trône. Un autre de ses neveux, Shotoku Taishi (= Saint Prince ou Prince brillant), est nommé Régent. C’est un homme cultivé et clairvoyant qui favorise l’introduction du bouddhisme à la cour. La tradition l’associe à la naissance de l’Ikebana car, toujours selon la tradition, Taishi construisit le Rokkakudō, temple hexagonal dans lequel le moine Ikenobō Ono no Imoko s’est retiré.

La tradition associe la « naissance de l’Ikebana » à ces véritables personnages historiques. Cependant, leur rôle dans la création de l’Ikebana s’appuie sur des contes créés par les Ikenobō près de mille ans plus tard pour se donner une légitimité, une fois devenus célèbres grâce à Senkei Ikenobō, premier du nom.  Ikenobō est mentionné pour la première fois en 1462 en tant que créateur d’un Tatebana dans un vase en or (Voir Article 13, La naissance de l’Ikebana selon les sources historiques).

 

2ème femme Tenno : À la mort de Suiko, l’empereur Jomei monte sur le trône. À sa mort en 641 et toujours pour des raisons politiques, c’est son épouse, la princesse Takara qui le reprend en tant que 35ème Tenno sous le nom de Kogyoku. Elle abdique au bout de trois ans au profit de son fils le Prince Naka qui, pour pouvoir vraiment régner dans les coulisses, préfère refuser le titre au profit de Kotoku, frère de Kogyoku. Il devient le 36ème empereur de la liste officielle et meurt neuf ans plus tard. Pour la deuxième fois, Kogyoku est élevée au rang de 37ème Tenno jusqu’à sa mort en 661 et prend le nom de Saimei.

 

3ème femme Tenno : en 690, après la mort de l’empereur Temmu, sa femme devient la 41ème Tenno sous le nom de Jito. Elle est également connue comme poétesse, avec son Waka inclus dans le Man’yōshū (première anthologie de Waka, poésie japonaise datée des environs de 760, littéralement Recueil de dix mille feuilles ). Elle se retire en 697 pour permettre à son fils Mommu de monter sur le trône jusqu’en 707 où il meurt. Sa femme deviendra la 4ème femme Tenno sous le nom de Gemmei, son fils n’étant alors âgé de seulement 6 ans.

 

PÉRIODE NARA 710-794

 

Gemmei est la 4ème femme et 43ème Tenno. Pendant son règne de 8 ans, la capitale se déplace à Nara. Le Kogiki (Histoire des choses anciennes), 1er livre sur la mythologie shintō et sur l’histoire (mythisée) de l’aristocratie des Yamato, est achevé. Elle abdique en 715 au profit de sa fille la princesse Hidaka.

 

La 5ème femme Tenno, sous le nom de Gensho et 44ème Tenno de la liste officielle, règne de 715 à 724. Durant son règne est écrit le Nihon Shoki (Chroniques du Japon) qui, comme le Kogiki, répète (avec des variations) et prolonge la chronologie (mythisée) de la lignée Yamato.

 

Koken est la 6ème femme Tenno, 46ème de la liste officielle, de 749 à 758. Elle abdique en faveur de l’un de ses fils lorsqu’elle tombe gravement malade. Pendant sa maladie, elle est soignée et guérie par un moine bouddhiste, Dokyo. Elle tombe amoureuse du moine et l’engage comme conseiller. Guérie, elle réussit à monter une seconde fois sur le trône en 764, prend le nom de Shotoku, 48ème Tenno et installe son amant moine (lequel agissait tel un empereur) au palais, le nomme Chef des Ministres. Heureusement pour la cour, elle meurt en 770 et Dokyo est immédiatement renvoyé. En raison du comportement de cette Tenno, aucune autre femme Tenno n’est nommée pendant plus de 800 ans. En fait, pendant les périodes Heian, Kamakura, Muromachi et Momoyama, il n’y aura pas d’impératrices.

 

PÉRIODE EDO 1600-1868.

 

En 1629, la 7ème femme Tenno est nommée et prend le nom de Meisho, 109ème de la liste officielle. Le deuxième Shogun Tokugawa Hidetada donne sa fille Kazuko en mariage à l’empereur Gomizunoo en signe de réconciliation entre le shogunat de plus en plus puissant et les institutions impériales de plus en plus décadentes (sans le sou et entretenues par les Shoguns). L’empereur, afin de récolter de l’argent, vend certains privilèges aux moines comme la permission de porter des vêtements de certaines couleurs réservés à la noblesse. Le Shogun interdit cette pratique à l’empereur lequel abdique en faveur de sa fille (et nièce du Shogun) la Princesse Okiko, âgée alors de 6 ans, ce qui place le Shogun dans une situation embarrassante. Le Shogun finit par se soumettre (seulement en théorie, mais les apparences sont très importantes) à une impératrice enfant, de surcroît sa nièce. Elle est Tenno (sous la régence d’un Fujiwara) pendant 14 ans puis abdique en faveur de son demi-frère et devient nonne.

 

La 8ème et dernière femme Tenno, 117ème de la liste officielle, est Go-Sakuramaki. Elle monte sur le trône à l’âge de 22 ans et occupe le poste de 1762 à 1771. Sœur de l’empereur Momozono qui décède à l’âge de 22 ans en laissant un fils de quatre ans, elle occupe le trône jusqu’à ce que son neveu ait douze ans et soit nommé Tenno. On sait peu d’elle, seulement qu’elle était une excellente calligraphe.

 

Depuis lors, il n’y a plus eu de femmes Tenno. Au 19ème siècle, la Maison impériale décide que seul l’aîné des enfants mâles peut assumer le rôle de Tenno.

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10. Éthique ikebaniste, Ka-dō

Attention ! Parmi les nombreux Kanji homophones prononcés ‘KA’ on trouve :

 

 

 

KA (lecture On)

Hana (lecture Kun) = fleur

 

 

 

KA (lecture On)

Uta (lecture Kun) = poésie

 

 

Ainsi Ka-dō, écrit en Rōmaji et hors contexte, peut signifier la voie des fleurs ou la voie du poète.

 

Lorsque l’ikebaniste a appris les règles de base de l’Ikebana, il n’a plus peur de « faire des erreurs ». Et, en faisant un choix conscient, il peut utiliser cet art comme une « voie d’émancipation ». Composer un Ikebana selon la voie du Ka-dō dont le but idéal est l’accession à un état d’esprit particulier, à un contrôle de son corps et à une discipline comportementale participe à la réalisation d’un changement dans sa propre vie. Toutes ces caractéristiques, exercées et développées par la pratique de l’Ikebana comme Ka-dō, entreront dans la vie quotidienne et seront mises en pratique dans d’autres situations de sa vie.

 

Dans la vie de tous les jours, nous portons plusieurs masques et armures. En apprenant à créer un Ikebana, différentes facettes de notre caractère se dégagent : timidité, agressivité, angoisse de ne pas réussir, peur de se tromper, croyance d’avoir « bon goût », difficulté à accepter les corrections du professeur, comparaison avec les autres élèves, empressement à finir, désordre autour de la composition, … Être conscient de ces aspects de notre caractère est le premier pas vers la voie du changement, vers l’illumination bouddhique ‘Satori’.

Pour un ikebaniste à l’esprit occidental, pratiquer l’Ikebana dans l’esprit du Ka-dō est une tentative d’atteindre le calme intérieur, d’apprendre à se concentrer et d’améliorer son éthique personnelle de sorte que, même sans atteindre « l’illumination », on améliore sa qualité de vie.

 

L’attitude mentale et physique « idéale » de l’ikebaniste qui suit le Ka-dō est la suivante :

 

– Calme, beauté, précision du geste.

 

– Être dans un état de paix intérieure, calmer le tumulte et rester concentré. Considérer que le moment et l’endroit dans lequel est effectué un arrangement, à l’école comme à la maison, ne sont pas pour « produire un bel Ikebana de manière compétitive » mais pour se consacrer un temps de plaisir.

 

– Se connecter aux plantes utilisées, en les considérant non pas comme un objet à posséder, à exploiter ou comme un outil pour montrer ses «talents», mais comme des plantes vivantes qui méritent tout notre respect.

 

– Considérer toutes les plantes de manière individuelle et les mettre en harmonie les unes avec les autres. Par exemple, ne pas être pas attiré par une seule branche que l’on considère « belle » et s’efforcer de l’adapter à la composition malgré les difficultés techniques. Savoir, au contraire, sacrifier l’exclusivité d’une branche en la remplaçant par une autre plus favorable au résultat global de toute la composition.

 

– Vivre en harmonie avec le reste du monde et ne pas prétendre être le centre duquel tous et chacun doivent s’adapter.

 

– S’affranchir des commentaires du type « j’aime ça » ou « je n’aime pas ça », parfois entendus chez ceux qui suivent les premiers cours d’Ikebana, tant au regard des plantes utilisées qu’aux compositions des autres élèves, est l’un des premiers pas à faire pour être sur la Voie du Ka-dō.

 

– Se concentrer sur la réalisation en évacuant les problèmes quotidiens passés ou futurs.

 

– Être dans l’ici et maintenant est l’une des étapes de la Voie. L’important est ce que je fais ici, dans cet endroit et non ce que j’ai fait ou ferai dans d’autres endroits, à la maison, au travail, chez le dentiste, dans la cuisine, dans la voiture.

L’important est aussi le maintenant, en ce moment et non ce que j’ai fait la dernière fois (par exemple une composition qui n’a pas donné satisfaction, l’insatisfaction liée aux difficultés techniques que j’emporte avec moi ou ce que je ferai la prochaine fois, une merveilleuse composition que tout le monde admirera).

 

– Se concentrer uniquement sur la composition et ne pas oublier de traiter les plantes, les objets et les personnes comme on aimerait être traité.

 

Plantes

 

Nous accordons généralement beaucoup d’attention aux plantes ou à une partie d’entre elles qui entrent dans la composition par rapport à celles que nous jetons, considérées comme encombrantes, gênantes, à jeter au plus vite. À nos yeux, les végétaux utilisés dans la composition sont la raison des éloges que nous recevrons alors que ceux écartés ne contribueront pas à mettre en valeur nos compétences d’ikebaniste.

 

 

Qui suit la Voie considère à la fois les plantes qui entrent dans la composition et celles qui n’en font pas partie de la même manière.

Apporter la même attention et le même soin à ne pas les laisser tomber, à ne pas les piétiner, à les ramasser si elles sont tombées au sol à l’aide d’un balai et d’une pelle. Les plantes de la composition finissent également par être jetées, mais celles-ci ont été utilisées pour renforcer notre Ego alors que celles écartées ne le sont pas et sont injustement considérées comme « inutiles » et traitées en conséquence.

 

Les outils

 

Les choses que nous utilisons méritent le même traitement que les plantes et ceux qui suivent la Voie sont prudents dans l’utilisation des différents outils, en veillant à ne pas faire de bruit en posant le sécateur sur la table. Au Japon, on utilise un torchon pour poser le sécateur de manière à atténuer le bruit.

La table doit rester propre autour de la composition ainsi que le sol. Si leur utilisation est nécessaire, le balai et la pelle doivent être utilisés consciencieusement.

 

Les personnes

 

Certains ikebanistes novices ont tendance à évaluer de manière critique les compositions de leurs collègues ou, lorsque l’enseignant corrige la composition, énumèrent leurs bonnes raisons pour lesquelles cette plante, que l’enseignant a corrigée, a été mise de cette façon. Expliquer les bonnes raisons de la part de l’étudiant ne change pas les raisons de la correction.

 

– Gusty Herrigel, dans son livre «Zen and the Art of Arranging Flowers », dans sa deuxième leçon après que le Maître a retiré les fleurs du vase et refait sa composition, écrit : « Pourquoi, me demandais-je, le Maître ne peut-il pas tenir compte de la psychologie de l’Européen, qui n’admet pas a priori qu’il soit incapable de réussir ?». Ceux qui suivent la Voie sont plus cléments envers les autres élèves, s’abstiennent de faire des commentaires et ne perçoivent pas la correction comme une « critique personnelle » mais comme une aide offerte pour améliorer leur technique et leur compréhension de l’Ikebana. Ils écoutent en silence la correction et l’explication du Maître et en feront bon usage à l’avenir.

 

– Les enseignements du Zen, et par conséquent ceux du Ka-dō, se transmettent par la démonstration et très peu par la parole. Souvenez-vous du « sermon silencieux sur la fleur », considéré comme le début de la pratique Zen, que Bouddha donne au Vulpini Park : lorsque les adeptes lui demandent de donner un sermon, Bouddha répond par un acte silencieux, ne montrant qu’une fleur.

 

– Au Japon, la correction était effectuée sans que le Maître ne donne d’explication. Il suffisait de faire la correction sans que le Maître ou l’élève n’aient besoin de parler. La patience, l’humilité, la paix, le respect et l’harmonie sont les caractéristiques de ceux qui suivent la Voie.

 

Bien qu’il soit difficile de garder le silence pendant les leçons, ceux qui suivent la Voie essaient de le faire. Le silence permet leur propre concentration et celle des personnes autour. Le silence témoigne du respect de soi-même, du Maître et des autres personnes présentes et contribue à souligner la « sacralité » du moment.

 

Celui qui suit la Voie est conscient de l’usage qu’il fait de son corps. Il économise ses gestes en supprimant le superflu. Les actes que nous effectuons pour choisir les végétaux, mesurer la longueur et l’inclinaison appropriées, les manipuler, prendre et placer le sécateur sans bruit, enlever le superflu, les insérer dans le contenant doivent être précis. Ces mouvements sont comparables aux Katas exécutés dans les arts martiaux. Pratiquer consciemment et répéter continuellement les mouvements spécifiques deviennent, par la suite, spontanés et s’exécutent automatiquement.

 

– Ces gestes, aux caractéristiques idéales, sont le résultat d’une longue observation attentive de la plante, d’un instinct éduqué à l’harmonie mais surtout de la force intérieure libérée de l’Ego. Si nous sommes concentrés à ce que nous faisons, rien ne devrait tomber par terre. Si cela se produit, pour l’ikebaniste qui suit la Voie, le nettoyage a la même importance que l’acte créatif de composer l’Ikebana.

 

– Le « démontage » de la composition finie est une action équivalente à la destruction d’un Mandala et rappelle à l’ikebaniste l’impermanence et la fugacité des choses et des personnes. Il est important d’apprendre à « lâcher prise » sans regret de ce qui ne peut en aucun cas être retenu.

 

Il convient de souligner que cette discipline formatrice de caractère, cette voie d’épanouissement personnel et de libération basée sur la pratique du Zen n’a rien à voir avec la religion telle qu’elle est comprise par une personne de foi chrétienne. La Voie du Ka-dō peut être suivie quelle que soit la religion de l’ikebaniste puisque les valeurs qu’elle promulgue, concentration, économie des gestes, silence, harmonie, respect, sérénité, patience, humilité, considération d’autrui, sont partagées par toutes les religions bien que ces valeurs soient non religieuses en elles-mêmes.

À cet égard, les livres d’Aldo Tollini sont très intéressants :

– L’idéal de la Voie, les samouraïs, les moines et les poètes au Japon médiéval.

– La culture du thé au japon et la recherche de la perfection.

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09. Feng-Shui et Ikebana

Hōgaku en japonais. À mettre en lien avec l’Article 17, Composition à gauche et composition à droite

 

‘Feng-Shui’ : vent – eau

‘Hōgaku’ = direction – angle

 

Le Feng-Shui traite de l’interaction correcte de l’être humain avec son environnement naturel. Il est l’art d’identifier et d’interpréter l’action des énergies cosmiques Ki (électromagnétiques, thermiques et gravitationnelles) qui circulent dans l’être humain et dans son environnement, principalement à-travers l’air (respiration de l’homme, le vent dans la nature) et l’eau (le sang chez l’homme, les rivières dans la nature).

Dans la Chine et le Japon anciens, la nature est considérée comme un organisme vivant et respirant.

 

 

Ce kanji représente l’énergie vitale qui circule dans l’univers et anime toute forme d’existence sur la terre y compris les pierres et les rochers. Il s’écrit Ki (système de translittération Hepburn) ou Ch`i (système Wades-Giles) ou Qi (système PinYin), (Voir Article 50, la translittération de la langue japonaise.)

 

Le Ki peut être « bon » ou « mauvais », stocké, dispersé, canalisé et il est responsable de tous les changements dans l’univers. Il s’exprime à-travers deux principes, Yin et Yang, qui contrôlent l’univers, non pas arbitrairement ou au hasard, mais par des moyens immuables et des lois humainement insondables.

 

Cette vision de l’univers peut sembler irrationnelle et non scientifique, mais elle a grandement influencé la vie quotidienne et les cultures chinoise et japonaise.

 

 

 

Par exemple, la force vitale Ki est utilisée pour définir un artiste, puisque le Roppo (six canons de Hsieh Ho) place comme règle première la circulation de son propre Ki dans son œuvre (Voir Article 7, Le Roppo ou les six principes de Hsieh ho).

 

L’un des buts de la « méthode » Feng-Shui est d’identifier et de localiser les « lignes du dragon » qui transportent l’énergie de la terre, comparables aux méridiens du corps humain appréhendés par l’acupuncture.

Elle permet de capter l’énergie bénéfique du lieu choisi et de bannir l’énergie maléfique.

Ce principe des énergies est utilisé, par exemple, pour choisir l’emplacement correct de la construction d’une tombe, une maison ou une ville.

 

Les anciennes capitales de Nara, Nagaoka et Heian-Kyo (l’actuelle Kyōto), sont construites selon les règles du Feng-Shui ainsi que le château de Tokugawa autour duquel s’est développée l’actuelle Tokyō, ville par ailleurs construite au hasard et sans suivre le Feng-shui.

Des bâtiments tels les palais impériaux, résidences de l’aristocratie et tous les éléments qui composent leurs jardins, des pierres aux chemins en passant par les étangs, les ruisseaux, les cascades et les arbres, sont aménagés selon ces règles depuis l’Antiquité.

 

 

 

 

 

 

 

Maîtres chinois du Feng-Shui à la recherche des « lignes du dragon » (4ème figure à partir de la droite consultant une boussole sur une petite table).
Fin de la période Ching (fin du 19ème siècle).

 

 

La théorie du Feng-Shui est très complexe et repose sur la Théorie Yang-Yin, les 12 animaux du zodiaque chinois (souris, buffle, tigre, lièvre, dragon, serpent, cheval, chèvre, singe, coq, chien, cochon), les 5 éléments (feu, bois, terre, eau et métal) et les 64 hexagrammes du I-Ching.

 

L’importance du Feng-Shui est telle que, pensait-on, même si une seule des grosses pierres du jardin est mal placée, elle ne parvient pas à protéger la maison des énergies maléfiques et cette défaillance peut provoquer la maladie voire la mort du propriétaire.

Comme tout ce qui est produit par la culture japonaise, l’Ikebana s’est également inspiré des règles du Feng-Shui, notamment celles relatives aux quatre divinités cardinales protectrices et à l’évitement des lignes droites.

 

 

 

 

 

Les quatre divinités cardinales

Dans la Chine ancienne, et par conséquence dans le Japon ancien, les étoiles du firmament sont regroupées, selon les quatre saisons, en quatre grandes constellations : la tortue, le tigre, le phénix et le dragon.

 

 

 

 

 

 

 

La constellation de la tortue avec la Petite ourse et l’étoile polaire visibles dans le coin inférieur droit.
 

 

 

Ces animaux sont en concordance symbolique (selon le Tai-ji) avec des orientations et des couleurs : Tortue noire du Nord, Tigre blanc de l’Ouest, Phénix rouge du Sud et Dragon bleu de l’Est. Leurs tâches sont de «protéger» la personne, la tombe, la maison des forces du mal.

Contrairement à l’Occident qui place le Sud en bas et le Nord en haut, les peuples d’Asie, dans les temps anciens, inversent ces deux directions cardinales. Ainsi sur les cartes et dans le symbolisme taoïste, la tortue noire protégeant le Nord est placée en bas et le phénix rouge protégeant le Sud, au sommet (voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

 

 

 

En Chine et au Japon, le sud correspond au soleil et est considéré comme la direction la plus importante et donc Yang tandis que le nord, son opposé et moins important, est considéré comme Yin.

 

Concept occidental Concept sino-japonais

 

Dans les anciennes boussoles utilisées en Extrême-Orient, l’aiguille magnétique (pointe rouge sur la photo) pointe vers le sud.

 

L’est est considéré comme Yang parce que le soleil, qui naît à l’est, se lève au firmament et dégage plus de chaleur. S’élever et élever sont des caractéristiques Yang. Son opposé ouest est Yin, direction vers laquelle le soleil diminue de chaleur et descend, la diminution et la descente sont de connotation Yin.

 

En réalité, personne, maison, tombeau etc… doivent être tournés vers le Sud et géographiquement entourés par les quatre animaux symboles qui protègent. Le type d’animal et sa position sont compatibles avec le Tai-ji. Il y a deux animaux volants du côté Yang/Ciel (est et sud) le dragon et le phénix et deux animaux terrestres du côté Yin/Terre (nord et ouest) la tortue et le tigre.

 

 

 

 

 

 

 

Sarcophage d’empereur chinois avec les quatre animaux protecteurs gravés sur ses parois.

 

 

 

 

 

 

 

 

Exemple d’aménagement d’une tombe protégée au nord par la Tortue (hautes montagnes), à l’ouest par le Tigre (collines), à l’est par le Dragon (moyennes montagnes) et au sud par le Phénix (espace vide et eau).

 

 

 

Pour qu’un bâtiment soit protégé, il doit :

– « Regarder » vers le sud et avoir un espace vide devant lui (le Phénix Rouge). – Derrière lui, au nord, avoir un bâtiment très haut (la Tortue Noire).

– Sur son côté droit, à l’ouest, avoir un bâtiment bas (le Tigre Blanc).

Sur son côté gauche, à l’est, avoir un bâtiment légèrement plus haut (le Dragon Bleu).

 

 

 

 

 

En l’appliquant à une personne pour qu’elle soit protégée, celle-ci doit avoir un objet haut à sa gauche (symbolisé par le Dragon) et un objet bas à sa droite (symbolisé par le Tigre) un espace libre devant (le Phénix) et un mur derrière (la Tortue).

 

 

Les anciennes capitales Fujiwara (694-710), Nara (710-784), Nagaoka (inachevée et abandonnée après 10 ans) et Heian-Kyo (794-1868, l’actuelle Kyōto), carte ci-dessus, ainsi que la première capitale shogunale Kamakura (1192-1333) sont construites selon les règles du Feng-Shui (voir Article 17, Composition à gauche et composition à droite) alors que l’actuelle Tokyō est bâtie au hasard, sans ces règles.

 

 

 

 

 

Carte de l’ancien Edo (Tokyō actuel) avec un espace apparemment libre au centre marqué des armoiries Tokugawa (trois feuilles d’Althea). S’y trouvent la résidence du Shogun et les principales habitations des Daimyō (seigneurs locaux) disposées les unes à côté des autres sur un axe nord/sud.

Ce centre et le reste de la ville qui l’entoure se sont développés au hasard car Edo n’est pas née capitale.

 

Les deux animaux protecteurs dragon et tigre sont fréquemment peints sur des paravents. Hasegawa Tōhaku (1539-1610)

 

Sur des portes coulissantes comme celles de Nagasawa Rosetsu (1754-1799).


 

 

Deux paravents à six panneaux. Hashimoto Gaho (1835-1908)

 

 

À l’époque Edo, il est d’usage de donner un triptyque avec le dessin d’un personnage célèbre au centre et, sur son côté gauche, coté Yang, le dragon, animal Yang et sur son côté droit, coté Yin, le tigre, animal Yin, qui le protègent.

Triptyque, Kanō Tsunenobu
(1636-1713)

 

 

 

Puisque les dessins sur paravents et portes coulissantes se « lisent » de droite à gauche, le Yang/dragon le plus important est placé en premier à notre droite et le tigre/Yin, moins important, est placé en second.

 

Un léopard est peint à côté du tigre.

Au Japon, le tigre et le léopard sont connus à partir des peaux de ces félins qui arrivent de l’étranger. Le léopard est considéré comme la femelle du tigre-mâle. En conséquence : Tigre-mâle/Yang, le plus important, est dessiné en premier à droite, le léopard (considéré à tort comme la femelle/Yin du tigre), dessiné en second, à gauche.

 

Paravents d’Eitoku Kanō (1543 – 1590), avec le dragon et le tigre.

 

Dans ce double paravents, le dragon étant Yang par rapport au tigre, il est placé à droite dans le 1er paravent. Avec le tigre et le léopard, le tigre est le premier à être « lu » dans le second paravent.

 

 

 

 

Portes coulissantes, Kanō Tan‘Yu vers 1630.

 

 

 

 

Dans cette représentation de la mort de Bouddha, on distingue, en bas à droite,  le couple tigre/léopard parmi tous les couples d’animaux venus lui rendre hommage.

 

Détail

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Kimono de la fin de la période Edo-début Shōwa, avec les deux animaux protecteurs Yang, Phénix et Dragon.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tissu Furoshiki avec deux animaux protecteurs au centre, au sud, le Phénix et au nord, la Tortue.

Période Meiji.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Hanakago : Vannerie Ikebana en bambou avec tigre et phénix, datée de 1926.

 

 

 

Il est intéressant de noter, dans ce croquis de Katsushika Hokusai (1760-1849) tiré du livre de Hokusai, que sur le plan architectural de l’ancien Torii (aujourd’hui composé d’une seule arche mais autrefois composé de quatre) il y a des inscriptions avec des numéros 2, 3, 4 et 5. Elles indiquent les arches disposées selon les quatre divinités protectrices : 2 : oiseau vermillon, 3 : tigre blanc, 4 : tortue noire, 5 : dragon bleu, avec l’entrée principale tournée vers le sud.

 

IKEBANA

 

Lorsque les règles de composition de l’Ikebana sont créées au XVe siècle, le schéma Feng-Shui déjà utilisé dans la vie quotidienne est pris comme référence, de sorte que les dimensions et les positions des plantes sont conçues pour être conformes à sa symbolique et en harmonie avec les positions des quatre divinités cardinales (Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana, Article 17, Composition à gauche et composition à droite et Article 24, Shintoïsme et Ikebana).

 

 

 

 

Dans ce Rikka, l’élément principal placé au sud (Shu-shi pour l’école Ohara) correspond à la personne, la maison, le tombeau à protéger. Il est protégé par Fuku en position du Dragon côté est et par un Kyaku en position du Tigre du côté ouest.

La composition est vue « de l’arrière », c’est-à-dire du nord (position de la Tortue), comme il est d’usage dans le Rikka et le Shōka de l’École Ikenobō (Voir Article 24, Shintoïsme et Ikebana : du Rikka au Shōka et Seika).

 

Au début, lorsque les premières règles de composition d’Ikebana se créent, le Rikka est toujours dans le style que l’École Ohara appelle « Chokuritsu-kei (Vertical) », c’est-à-dire avec Shu-shi au centre et à la verticale. La composition, « regarde» vers le sud (le soleil au zénith, idéalement placé du côté où culmine le Yang entre le Dragon et le Phénix). La vue du nord (Tortue) est conforme aux règles du Feng-Shui : Shu-shi est protégé sur son côté gauche par un Fuku-shi relativement haut (Dragon) et sur son côté droit par un Kyaku-shi, relativement bas (Tigre).

 

 

 

Les règles de position et de hauteur sont également cohérentes avec les quatre divinités cardinales où Shu-shi (cercle) correspond à la personne à protéger, Fuku-shi (carré) correspond au dragon et Kyaku-shi (triangle) correspond au tigre.

La composition est vue « de l’arrière », c’est-à-dire du nord (position de la tortue).

 

Durant la période Edo, apparaissent de nouveaux types d’Ikebana qui dérivent d’une simplification du Rikka appelés Shōka par l’école Ikenobō et Seika par les autres écoles (voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

 

Seuls trois éléments principaux sont utilisés et le schéma de protection de Shu-shi avec un haut Fuku-shi/Dragon à l’est et un bas Kyaku-shi/Tigre à l’ouest est conservé, les lois du Feng Shui restant inchangées. Toujours dans les Shōka/Seika, le soleil est situé au point Yang maximum (Tracé BB).

Des seuls styles structurés Rikka et Shōka/Seika, depuis la naissance de l’Ikebana jusqu’à la première partie de la période Edo, dérivent les styles Keisha-kei et Kasui-kei (Styles incliné et cascade) de l’École Ohara. Dans ces styles, Shu-shi change de place et la référence aux 4 divinités protectrices disparaît.

 

 

 

 

 

 

Shu-shi est « protégé » par Fuku-shi/dragon et Kyaku/tigre.

 

Les styles de l’École Ohara dérivent du Seika. Le seul style dans lequel l’influence du Feng-Shui est encore perceptible est le style Chokuritsu-kei (style vertical).

Cette influence n’est plus perceptible dans les autres styles car les positions de Shu-shi et de Fuku-shi ont changé.

 

 

 

Éviter les lignes droites.

 

 

 

Le Feng-Shui considère négativement les lignes droites parce qu’elles facilitent la circulation de l’énergie maléfique alors que les lignes courbes les dévient.

 

 

Par exemple, les routes, les ruisseaux, les canaux, les rivières qui coulent en ligne droite sont de mauvaise augure. Au contraire, les routes et les eaux aux lignes sinueuses et courbes indiquent la présence de forces bénéfiques.

 

En général, toute forme avec des lignes droites, des angles et des bords est considérée comme pratiquement dangereuse.

 

 

 

Même en Ikebana (à l’exception du premier Rikka avec Shu-shi droit), toutes les Écoles du passé utilisent toujours des lignes courbes.

À l’époque Edo, on est même arrivés à des excès, comme l’exemple du Seika de l’École Enshū ayant des courbes très accentuées et complexes en forme de « S »,  formes qui peuvent paraître à nos yeux comme extrêmes, exagérées, contre nature, baroques, artificielles.

 

Au regard du rejet des lignes droites dans la théorie du Feng-Shui, l’ikebaniste de l’école Ohara doit les éviter, à de rares exceptions près.

 

À l’état naturel, au Japon, les plantes apparaissent plus «subies» car les forces de la nature sont beaucoup plus puissantes qu’en Europe et « laissent leur empreinte » sur les plantes.

Les plantes européennes étant moins « marquées » par la nature, elles doivent être « moulées » par l’ikebaniste. Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’on utilise des plantes cultivées dans des serres ou des pépinières ou autres lieux protégés. Avec leurs lignes droites, elles n’ont pas, contrairement aux plantes cultivées en pleine nature, l’empreinte des effets des forces de la nature, vent, pluie, soleil, froid, neige, sécheresse. L’ikebaniste doit supprimer la rigidité des lignes et les rendre plus naturelles, moins artificielles.

La manipulation sera moindre sur un élément « jeune » et davantage sur un élément « ancien » car le « jeune », en théorie, a été exposé aux éléments moins longtemps que l’« ancien ».

 

 

 

 

 

 

 

Conseils de manipulation de plantes pour leur donner une courbure.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Surimono (estampe) de Hokusai (1760-1849)

 

Pour plier des branches droites qui se cassent facilement, faire des encoches et insérer des cales tirées du végétal.

 

 

Obtention de courbes très prononcées utilisées pour un Seika.
Une autre raison de la manipulation est que la composition doit montrer le concept bouddhique d’interdépendance et le bon végétal exclut toute dépendance vis-à-vis des facteurs environnementaux naturels.

 

Poème du poète italien Nico Orengo qui exprime bien les forces de la nature qui façonnent la plante :

Le vent façonne le pin

Et le balance avec le Sirocco et la Tramontane

Le dessèche de l’ouest et l’irrite avec le Mistral, le fait suer et se plier.

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08. Croyances, superstitions, pratiques magico-religieuses et Ikebana

Toutes les cultures antiques reposent, à côté des religions, sur un ensemble de pratiques magico-religieuses, de croyances et de superstitions qui, même si elles apparaissent aujourd’hui irrationnelles et non scientifiques à nos yeux cartésiens, ont guidé et imprégné tous les aspects de la vie quotidienne.

 

Au Japon, dès la période Heian (794-1185), ces croyances et superstitions sont bien établies car elles font partie du shintoïsme natif ou bien furent importées avec le bouddhisme, le confucianisme et le taoïsme.

Par exemple

‘Shi’ = le chiffre quatre, en japonais, est évité pour une raison superstitieuse. Pour les Chinois et les lettrés, le kanji du chiffre 4 se dit ‘Shi’ en lecture On. Or, il existe plus de cinquante Kanji homophones.
 

‘Shi’ signifie aussi la mort. Le son ‘Shi’ signifie à la fois 4 et mort et pour cette raison il est évité. Pour dire le chiffre 4, on préfère la lecture ‘Kun’ (lecture japonaise populaire) qui sonne comme ‘Yon’.

 

Panneaux d’ascenseur où le chiffre 4 n’apparaît pas Photo d’un étal de marché où manquent le 4 mais aussi le chiffre 9 ‘Kyū’, trop proche du son ‘Ku’ = souffrance, douleur.

 

Le « Bureau des Présages », créé à la cour impériale en 675 après J.-C., s’occupe de l’étude des bons et des mauvais présages afin d’aider, à la fois, les individus et le gouvernement dans sa politique. Les décisions « qui feront l’histoire » sont prises sur la base de ce que les Maîtres du Yin-Yang disent.

Il est intéressant de noter les tabous relatifs aux directions empruntées. Par exemple, lors de «jours défavorables», une armée ne peut pas marcher dans la direction jugée malchanceuse. Alors, soit elle s’arrête, jusqu’à l’expiration de ces jours qui peuvent durer un mois, soit elle emprunte une route alternative à la direction malchanceuse, certainement plus longue et faisant perdre un temps précieux.

 

Exemples tirés de « The World of the Shining Prince : Court Life in Ancient Japan » d’ Ivan Morris :

L’empereur ou les dignitaires annulent un voyage si la direction, ce jour-là, est peu propice.

Certaines activités sont interdites selon des critères tels que l’âge et/ou le sexe des personnes concernées : à 16 ans, il faut éviter de voyager dans la direction Nord-Ouest jugée peu propice.

D’autres tabous sont liés au cycle personnel de 60 jours basé sur la combinaison des douze animaux du zodiaque (souris, buffle, tigre, lièvre, dragon, serpent, cheval, chèvre, singe, coq, chien, cochon) associée aux cinq éléments (eau, bois, feu, métal, terre). Ainsi certaines activités sont, à un jour ou à un moment donné, malchanceuses donc « interdites », comme se couper les cheveux, se couper les ongles, prendre un bain, entamer une relation amoureuse, entamer un traitement médical, partir en voyage. Un jour sur 60, le Jour du Singe, aucun sommeil n’est autorisé en raison du danger des puissances maléfiques qui attaquent pendant la nuit.

À intervalles réguliers, les gardes impériaux au service de la cour font vibrer les cordes de leurs arcs pour éloigner les mauvais esprits et toute la journée, la cour est réglée sur ces croyances.

Les Maîtres Yin-Yang sont tenus dans la plus haute estime jusqu’à l’époque Edo. À ce titre, ils sont autorisés à utiliser des chaises à porteurs pour voyager, moyen réservé uniquement à l’aristocratie impériale et shogunale ou aux moines de haut rang. Jusqu’à la fin de la période Edo, leurs divinations sont demandées par les membres de la cour impériale du shogunat ainsi que par la classe émergente de riches marchands et artisans.

Outre les calculs astrologiques, l’étude des auspices favorables et défavorables, les tabous directionnels et l’interprétation des rêves, les Maîtres Yin-Yang traitent également du Feng-Shui (eau-vent).

Le Feng-Shui va également influencer l’Ikebana (Voir Article 9, Feng-Shui et Ikebana).

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02. Le concept de fort et de faible

La culture occidentale considère l’univers séparé de l’homme. Ainsi la vie est perçue comme une « guerre » entre les contraires (la lumière contre les ténèbres, la vie contre la mort, le bien contre le mal, la beauté contre la laideur, …). Cette vision dualiste induit une sorte d’idéalisme pour cultiver le premier, considéré comme positif et se débarrasser de son contraire, considéré comme négatif.

Dans l’esprit du taoïsme, cette analyse n’est pas compréhensible car ce serait comme vouloir le courant électrique du pôle positif sans avoir le pôle négatif, c’est-à-dire que les polarités sont des aspects différents du même système et la disparition d’une polarité implique la disparition de l’autre.

 

Selon Tao « la seule constante de la réalité est le changement, la mutation » et il conçoit l’univers formé par l’énergie Ki (Voir Article 5, Relation entre Ikebana et l’environnement), qui n’est ni substance ni esprit mais un «souffle vital» qui donne vie et forme à toute sorte de réalité, à la fois physique et spirituelle. Le taoïsme accepte les lois de la Nature pour lesquelles il y a toujours une alternance entre les deux polarités : le jour succède à la nuit, le froid succède à la chaleur, la mort succède à la vie, tout se crée puis se détruit et se régénère.

Le taoïsme explique la structure de l’univers et la constitution physique et morale de l’individu par l’interaction de deux forces opposées mais complémentaires qu’il appelle Yang et Yin (Yō et In, en japonais), régissant la création et la transformation du cosmos.

 

L’idéogramme Yang indique le côté ensoleillé de la colline, l’idéogramme Yin indique le côté à l’ombre.

Être Yang ou Yin n’est pas une qualité intrinsèque mais exprime la relation entre deux entités : en l’occurrence les deux côtés de la colline.

Par conséquence, on a :

– Yang : lumière, chaud, sec, rigide, résistant,

– Yin : ombre, froid, humide, mou, cassant,

– Yang : fort, lourd, masculin, positif

– Yin : faible, léger, féminin, négatif

Les adjectifs soulignés sont souvent utilisés en ikebana et sont équivalents entre eux. Par exemple, définir une branche forte ou lourde, mâle, positive par rapport à une fleur revient à dire que la branche est Yang et la fleur Yin.

 

Ces adjectifs sont utilisés pour définir certaines caractéristiques telles que :

 

– Le côté de la plante qui pousse au soleil est dit positif alors que celui qui pousse à l’ombre est dit négatif.

– Le côté Yang est plus foncé que le côté Yin.

 

– Pour les feuilles :

Yang : partie concave de la feuille qui est orientée vers le soleil et est généralement plus foncée.

Yin : sa partie convexe qui a poussé à l’ombre, vers le sol et est plus pâle.

 

 

Pour les branches :

Yang : versant de la colline au soleil, côté positif, a poussé au soleil, côté concave et de couleur plus foncée.

Yin : versant de la colline à l’ombre, côté négatif, a poussé à l’ombre, côté convexe et de couleur plus claire.

 

Si la branche a des feuilles et/ou des fleurs, il est plus facile de dire de quel côté est le Yang/le soleil simplement en les regardant attentivement.

 

 

 

La fleur en bouton est considérée comme femelle, Yin, faible, tout comme la fleur très ouverte, plus âgée.

La fleur ouverte est mâle, Yang fort, ouvert.

En lisant l’association faible-femme-négatif, pleine de connotations négatives par rapport à fort-masculin-positif, les femmes occidentales pourraient penser que le taoïsme est teinté de chauvinisme. Il n’en est rien car les termes n’ont pas la même valeur que les Occidentaux leur donnent. Le taoïsme considère le Yin-féminin faible plus important que le Yang-masculin fort car le premier permet le changement, facteur indispensable à la continuité de la vie. Rappelez-vous que pour le taoïsme « la seule constante est le changement ».

 

Si l’on considère une branche avec des feuilles et/ou des fleurs, le bois est Yang par rapport aux feuilles/fleurs. Ces dernières sont toutes deux considérées Yin par rapport au bois. En général, pour obtenir un équilibre entre le Yang et le Yin, l’ikebaniste doit élaguer la branche pour que le bois/Yang soit bien visible. Ceci est nécessaire car dans la nature, le bois est généralement recouvert de trop de feuilles/fleurs de Yin.

La composition Hon-Gatte/à main droite est considérée comme Yang fort par rapport à la composition Gyaku-Gatte/à main gauche qui est considérée comme Yin faible (Voir Article 16, Origine des positions ‘Hon-Gatte’ et ‘Gyaku-Gatte’).

 

Les trois principaux éléments des deux Shōka sont indiqués, pour simplifier, avec les noms utilisés par l’École Ohara.

 

 

Avant que l’occidentalisation n’impose sa propre catégorisation botanique, la classification des plantes est basée sur le système Yang-Yin :

1-Matériau ‘Ki-Mono’ (Ki = arbre, Mono = chose) qui est Yang et comprend des branches d’arbres et d’arbustes, c’est-à-dire tout ce qui est bois.

 

2- Matériau ‘Kusa-Mono’ (Kusa = herbe) qui est Yin et comprend des fleurs, des herbes, des feuilles.

 

3- Matériau ‘Tsuyo-Mono’ (Tsuyo = commun à) qui peut être Yang mais en plus faible ou Yin mais en plus fort selon son rôle et selon la plante à laquelle il est associé. Par exemples, le bambou, la glycine, la pivoine, la spirée, l’hortensia peuvent être Yang s’ils sont utilisés dans le groupe Shu-Fuku associés aux Kusa-fleurs/Yin du groupe Kyaku mais ils sont Yin dans le groupe Kyaku associés aux Ki/bois-branche/Yang du groupe Shu-Fuku.

 

La théorie Yang/Yin est symbolisée par le Tai-ji, cercle représentant «le tout» divisé en deux parties équivalentes, la partie Yang du côté ciel/ensoleillé et la partie Yin du côté terre/ombragé.

Dans le dessin ci-dessous, les deux parties sont séparées par deux lignes noires imaginaires : une plus foncée sépare la partie Yang du cercle de la partie Yin, l’autre ligne est perpendiculaire à la première et rejoint le point maximum-Yang. Ici, est le point idéal de lumière maximale et position idéale du soleil (maximum-Yang) avec le maximum-Yin, point d’obscurité maximale.

 

À noter :

La partie Yang du cercle n’est pas toute blanche et le demi-cercle, au-dessus de la ligne noire imaginaire, côté soleil comprend la « tête » de la partie blanche plus la « queue » de la partie noire.

La partie Yin est le demi-cercle terre, sous la ligne noire imaginaire, comprenant la « tête » de la partie noire et la « queue » de la partie blanche.

La ligne imaginaire qui sépare la partie Yang du Yin est inclinée de 45° (Voir Article 15 Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji où le symbole d’origine de la construction du Tai-ji est expliqué).

 

Faits saillants du symbole Tai-ji :

1- Bien qu’opposées, les forces Yang et Yin sont complémentaires.

2- Rien n’est complètement Yang ou Yin : le côté Yang contient une graine noire de Yin et le côté Yin contient une graine blanche de Yang.

3- Le Yang se transforme en Yin et vice versa.

 

 

Les styles d’Ikebana nés avant l’occidentalisation représentent le Tai-ji c’est-à-dire que la composition est constituée de plantes Yang (bois) dans la partie à notre gauche de la composition (s’il s’agit de Hon-Gatte) et de plantes Yin (herbe-fleurs-feuilles) dans la partie à notre droite. (Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

 

Cette subdivision est visible dans le Rikka et les Shōka/Seika et a également survécu dans les styles (Kata en lecture Kun, Kei en lecture On) de l’École Ohara où le groupe Shu-Fuku est Yang, matériau bois, tandis que le groupe Kyaku est Yin, matériau floral, comme dans la figure ci-contre d’un style Moribana Chokuritsu-kei (style vertical).

 

D’une manière générale, le matériau utilisé pour le groupe Shu-Fuku doit être « plus fort »/Yang que le matériau utilisé pour le groupe Kyaku, qui est composé de plantes « faibles »/Yin par rapport aux plantes utilisées pour le groupe Shu-Fuku.

Abandonnant, mais seulement dans des cas précis, le symbolisme taoïste décrit ci-dessus, le Rikka commence à être composé avec une seule variété de plante et, à la période Edo (1603-1868), il en est de même pour les arrangements Shōka/Seika : par exemple, utilisation du pin ou de l’érable ou exclusivement de fleurs herbacées spécifiques telles que iris, lotus, chrysanthèmes, narcisses (Voir Article 70, Esthétique Basara et Ikebana).

À partir de la fin des années 1800, l’Ikebana commence à être composé avec n’importe quel type de fleur herbacée. Les règles Yin/Yang de l’équilibre de l’univers montrées par la présence de Yang/branches et de Yin/fleurs sont abandonnées.

 

Après les années 1930, alors que l’influence de la culture occidentale augmente, de nombreuses écoles abandonnent partiellement ce symbolisme dans leurs nouvelles créations d’Ikebana. L’École Ohara le conserve dans des styles comme Chokuritsu-kei (vertical), Keisha-kei (incliné), Kansui-kei (se reflétant dans l’eau) et Kasui-kei (cascade) alors que ce symbolisme est abandonné (mais réapparaît occasionnellement) dans les formes d’Ikebana créées après les années 1930.  Lors de la révision du curriculum en 2000 puis en 2020, ce symbolisme est codifié (Voir Article 67, Symbolisme de la composition Ikebana dans son ensemble).

 

Si l’ikebaniste veut être cohérent avec les règles du passé, il se souviendra qu’en composant qu’avec des fleurs herbacées, le groupe Shu-Fuku doit être Yang/ »plus fort » que le groupe Kyaku. Il exprimera cette connaissance de l’histoire/culture d’Ikebana en utilisant des couleurs ou des formes « fortes »/Yang pour les fleurs du groupe Shu-Fuku et des fleurs « faibles »/Yin pour le groupe Kyaku.

 

 

Intéressante cette composition de l’école Ohara dans laquelle le concept « fort »/Yang et « faible »/Yin ne s’exprime pas selon les règles traditionnelles à savoir Yang/bois pour l’élément principal et Yin/fleur pour l’élément secondaire.

L’utilisation d’une plante herbacée/Yin avec des feuilles très grandes et d’un vert foncé paraît « forte » par rapport à la branche d’érable aux petites feuilles vert clair/Yang qui paraît « faible », si l’on considère les volumes et les couleurs.

 

Il est important de garder à l’esprit quelle est la partie Yang/positive de chacune des plantes car dans tous les styles de l’École Ohara, il y a les règles selon lesquelles :

 1. « Toutes les plantes montrent leur côté positif/Yang et sont orientées principalement vers le soleil (positionné au-dessus de l’épaule de l’ikebaniste).

2. Tous les éléments sont orientés vers l’élément principal Shu-shi».

 

© École Ohara

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06. Ikebana et le bouddhisme Zen

Pour le bouddhisme Zen, toute activité humaine, en particulier l’activité manuelle, peut être utilisée comme un « chemin », une Voie qui mène à l’Éveil (‘Satori’ en japonais = Éclairé), à l’illumination.

L’activité spécifique choisie ne l’est pas pour son but ou son résultat en lui-même mais pour la Voie, le «processus» qui y mène, pour l’engagement. Faire les actes spécifiques d’une activité aide à nous changer dans la voie indiquée par le bouddhisme en général et le Zen en particulier.

Si toute activité manuelle peut potentiellement servir de médium pour suivre la Voie, plus encore, une discipline (artistique ou « sportive ») peut être utilisée à cette fin. Depuis l’époque du premier shogunat de Kamakura (1185-1333), un groupe d’arts traditionnels est influencé par le bouddhisme Zen et, à l’époque Edo, utilisé par les laïcs comme Voie (Dō) vers l’illumination. Ces disciplines sont reconnaissables par le suffixe ‘Dō’ (= Tao = Voie).

 

Arts martiaux:  Kyu-dō (voie de l’arc), Ken-dō (voie de l’épée), Karate-dō (voie de la main nue), Ju-dō (voie de céder), Iai-dō (voie de dégainer l’épée).

 

Arts performants (au sens anglais: arts de la scène): Cha-dō (cérémonie du thé), Sho-dō (voie de l’écriture), Ka-dō (voie des fleurs ou Ikebana), Kō-dō (voie des senteurs).

 

D’autres expressions artistiques, même si elles n’ont pas le suffixe ‘Dō’, sont également influencées par le Zen, telles que: le théâtre Nō, le Bonsaï, le Suiseki (collection de pierres), l’architecture traditionnelle japonaise, la cuisine Kaiseki, le Kare-Sansui (jardins « secs »), la poterie Raku, la poésie Haiku, le Suiboku-Ga (peinture à l’encre diluée).

 

Comment l’exécution manuelle d’un Ikebana peut-elle être utilisée comme Ka-dō, c’est-à-dire comme discipline formatrice de caractère, comme voie d’épanouissement personnel, comme voie de libération ?

 

Pour l’expliquer à ceux qui ne connaissent pas le bouddhisme Zen, on peut dire que les règles de l’Ikebana sont une «application manuelle» des idées promues par le Zen. En appliquant consciemment et de manière répétitive ces règles, lors de la composition, elles sont assimilées. L’ikebaniste se les approprient et deviennent ses propres règles éthiques. Par exemple, la répétition, en conscience, de l’exercice manuel de supprimer l’inutile en ne laissant que l’essentiel de la branche suivant le concept Zen « moins c’est plus », se transforme en un exercice spirituel par lequel on apprend à « supprimer le superflu en ne laissant que l’essentiel» également dans d’autres situations de sa vie.

Le « faire un espace autour de la composition, autour des plantes et dans les plantes elles-mêmes », ne laissant que le nécessaire (concept du « moins c’est plus »), entraîne l’ikebaniste à « faire un espace » dans son esprit, à laisser passer les pensées, sans être influencé et à ne les considérer que comme des pensées et rien de plus. La pratique consistant à concevoir les relations de « force », de dimensions, de volumes dans la réalisation d’un Ikebana exerce l’ikebaniste conscient à donner plus de valeur aux relations avec les personnes, les animaux, la nature, les objets, l’environnement, …

 

Tenter de créer un Ikebana qui soit ‘Shibui’ (austère, élégant, sobre, raffiné, calme) et ‘Wabi-Sabi’ (sans ostentation, pauvre comme renoncement volontaire), deux qualités privilégiées par le Zen, exerce l’ikebaniste au ‘Shibui’ et au ‘Wabi-Sabi’ dans la vie de tous les jours. Poursuivre cette forme d’Ikebana conduit à des actions pauvres en apparence mais riches de sens, simples mais importantes, sobres mais efficaces. Cela signifie qu’un raffinement formel dans l’exécution matérielle de la composition (pratiquer l’art de l’Ikebana) conduit l’ikebaniste à une amélioration éthique.

Un poème de Constantinos Kavafis (1863-1933) Ithaque exprime ce concept selon lequel « le but est le chemin pris. »

 

En partant pour Ithaque

j’espère que le voyage sera long,

plein d’aventures, plein de découvertes.

Lestrygons et Cyclopes,

Poséidon en colère – n’ayez pas peur d’eux :

vous ne trouverez jamais des choses comme ça sur votre chemin

tant que vous gardez vos pensées élevées,

aussi longtemps qu’une rare excitation

remue votre esprit et votre corps.

Lestrygons et Cyclopes,

Poséidon sauvage – vous ne les rencontrerez pas

à moins que tu ne les amènes dans ton âme,

à moins que votre âme ne les place devant vous.

Qu’il y ait bien des matins d’été où, avec quel plaisir, quelle joie,

vous entrez dans des ports vus pour la première fois,

pouvez-vous vous arrêter aux stations commerciales phéniciennes

acheter de belles choses,

nacre et corail, ambre et ébène,

le parfum sensuel de toutes sortes,

autant de parfums sensuels que possible,

et puissiez-vous visiter de nombreuses villes égyptiennes

pour recueillir des réserves de connaissances auprès de leurs savants.

Gardez toujours Ithaque dans votre esprit.

Y arriver est ce à quoi vous êtes destiné.

Mais ne pressez pas du tout le voyage.

Mieux si ça dure des années,

donc vous êtes vieux au moment où vous arrivez sur l’île,

riche de tout ce que vous avez gagné en chemin,

ne vous attendez pas à ce qu’Ithaque vous rende riche.

Ithaque vous a donné le merveilleux voyage.

Sans elle, vous ne seriez pas parti.

Elle n’a plus rien à vous donner maintenant.

Et si vous la trouvez pauvre, Ithaque ne vous aura pas trompé.

Sage comme vous le serez devenu, si plein d’expérience,

vous aurez alors compris ce que signifient Ithaque.

 

Traduit par Edmund Keeley / Phillip Sherrard.

Le poème vient de www.cavafy.com

 

La naissance du Zen, dans la tradition, est liée à une fleur :

 

Bouddha est un jour invité à donner un sermon. Il cueille une fleur (d’une figue, selon Dōgen dans le Shōbōgenzō, mais c’est un lotus). En silence, lentement, le bras tendu, la montre à ses disciples. Un seul, le plus sage (Mahakasyapa = le grand Kasyapa) perçoit le message « silencieux » du Maître et sourit avec compréhension. Ainsi est né l’enseignement silencieux du Zen.

Mahakasyapa est le premier d’une série de patriarches qui apportent le Zen de l’Inde au Japon, où la noblesse shogunale, déjà à l’époque Kamakura (1185-1333), le préfère aux autres courants bouddhiques pratiqués par la noblesse impériale à la mentalité guerrière.

 

 

Le Zen a donné à l’Ikebana les mêmes caractéristiques que celles appliquées à tous les autres aspects quotidiens du style idéal de vie de la noblesse shogunale : manière de construire les maisons, arts martiaux et autres arts tels que la Cérémonie du thé, le théâtre Nō, la calligraphie, la poésie Haiku, les jardins secs Kare-Sansui, la cuisine Kaiseki, la poterie Raku et plus encore. Ces caractéristiques se résument dans les concepts suivants, exprimés par le moine Zen Shin’ichi Hisamatsu dans son livre « Zen and the fine arts » :

 

Caractéristiques générales applicables à tous les arts Caractéristiques spécifiques à l’Ikebana
 

Simplicité

 

Austérité

 

 

Asymétrie

 

Naturel

 

 

Profondeur subtile (Yūgen)

 

 

Tranquillité d’esprit

 

 

Le choix du vase et des matériaux.

 

Toutes les parties superflues des végétaux sont supprimées, ne laissant que les parties essentielles.

 

Nombres, positions et inclinaisons.

 

Éviter tout signe d’artificialité : la composition doit donner l’idée que l’homme n’est pas intervenu.

 

La composition doit dégager une force de sens et un remarquable pouvoir de suggérer une qualité cachée.

 

La composition doit suggérer un sentiment de calme profond.

 

Voir Article 26, Caractéristiques Zen des arts traditionnels japonais.

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05. Relation entre Ikebana et l’environnement

Position à droite/Hon-Gatte et position à gauche/Gyaku-Gatte.

 

 

 

L’Ikebana est né au 15ème siècle dans et avec le tokonoma, espace « sacré » et vide de la maison traditionnelle japonaise. La composition est placée à droite ou à gauche du kakemono représentant Bouddha. Ce n’est qu’à partir des années 1930 que l’Ikebana commence à être placé à l’extérieur du tokonoma.

Sur la photo ci-contre, l’arrangement est placé à la gauche du kakemono.

 

 

 

À cette époque, il est d’usage de disposer les végétaux exclusivement avec l’élément principal Shu en position verticale et au milieu de la composition (Voir Article 13, La naissance de l’Ikebana d’après les documents historiques). Cette approche correspond globalement à l’actuel Chokuritsu-kei (style vertical) de l’École Ohara.

Il y a deux placements possibles des trois éléments que l’École Ohara appelle Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi : l’un est appelé à droite, arrangement à droite du Kakemono représentant Bouddha et l’autre à gauche, celui à sa gauche.

 

Il est important de souligner que la droite ou la gauche dont on parle n’est pas celle qui renvoie à la personne qui regarde la composition mais à celle qui renvoie à la droite ou la gauche de l’élément le plus important du tokonoma, le Buddha peint sur le Kakemono (Voir Article 17, Composition à gauche et composition à droite).

 

Au fil du temps, sur le Kakemono, qui à l’origine ne représente que Bouddha, sont peints d’autres personnages religieux puis les thèmes se sont élargis à des personnages profanes, des paysages, des dessins sur n’importe quel sujet ou des phrases prononcées par des personnages célèbres. Cependant, le Kakemono garde son «caractère sacré » en restant l’élément le plus important du tokonoma.

 

Les termes « de droite » et « de gauche » sont conservés même lorsque la composition est retirée du tokonoma car ils indiquent la position/relation interne des trois éléments principaux au sein de la composition.

 

Sur la base de ce concept utilisé depuis la naissance de l’Ikebana, l’École Ohara définit tous les arrangements Moribana  » côté droit » ou  » côté gauche » en fonction de la position du Kenzan placé le long de la bissectrice du vase, « à droite » ou « à gauche » d’un Bouddha imaginaire au centre du contenant.

 

 

 

 

Imaginez un Bouddha au centre du bassin. La composition est juste si elle est à droite du Bouddha ou vice versa. En corollaire, le Kenzan est à gauche de l’ikebaniste ou à sa droite. Pour le Heika, on s’appuie sur le point d’étalement à droite ou à gauche de l’embouchure du vase.

 

Les termes côté Hon-Gatte et côté Gyaku-Gatte font référence à un élément extérieur (Bouddha) à partir duquel l’Ikebana est placé soit à sa droite, soit à sa gauche. Mais ces dénominations expriment aussi la relation, au sein de la composition, entre les Yaku-eda (éléments principaux) Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi (Voir Article 16, Origine des positions ‘Hon-Gatte’ et ‘Gyaku-Gatte’ et Article 17, Composition à gauche et composition à droite).

L’arrangement à droite est le plus fréquemment pratiqué. Au Japon aussi car la majorité de la population est droitière, ce qui facilite l’exécution de l’arrangement à main droite, tandis que les gauchers, minoritaires, trouvent plus facile d’effectuer l’arrangement à main gauche.

La composition Hon-Gatte, (‘Gatte’ = normal, favori et ‘Hon’=situation, condition, circonstance) étant la plus fréquemment exécutée constitue une «normalité ». La composition à gauche Gyaku-Gatte est à l’opposé de la situation la plus fréquemment exécutée (Gyaku = opposé).

Sur le Kenzan, le triangle scalène formé par les points d’insertion des plantes dans une composition Hon-Gatte est « en miroir » par rapport au triangle formé par les points d’insertion des plantes dans une composition Gyaku-Gatte.

 

 

 

 

Points d’insertion des Yaku-eda dans le Kenzan de l’arrangement Shikisai-Moribana Chokuritsu-kei de l’École Ohara.

 

L’insubstantialité

 

Elle est, avec l’impermanence, l’un des piliers fondamentaux du bouddhisme dont on retrouve les symboles dans les règles de composition de l’Ikebana.

En Ikebana, le concept de concordance harmonique avec l’environnement illustre le concept bouddhique d’insubstantialité où, toute entité est toujours et nécessairement constituée de relations, tant au niveau biologique qu’éthique.

 

Hors tokonoma, les compositions de l’École Ohara basées sur un style (Kei en lecture On ou Kata en lecture Kun) sont positionnées de la même manière qu’elles sont, en fonction du kakemono, placées dans le tokonoma, d’où la cohérence avec leur nom (droite ou gauche).

 

Une composition Hon-Gatte (Droite) est placée à droite d’un élément avec lequel elle doit correspondre (peinture, fenêtre, cheminée, etc.) tandis que si elle est placée à la gauche de cet élément, ce sera une composition Gyaku-Gatte (Gauche).

 

Exemples :

À noter :

Conformément à la tendance actuelle de simplification des règles d’enseignement de l’Ikebana, l’École Ohara utilise, depuis 2015, uniquement les expressions Hon-Gatte et Gyaku-Gatte et non plus les termes équivalents main droite ou main gauche (Voir Article 16, Origine des positions ‘Hon-Gatte’ et ‘Gyaku-Gatte’ et Article 17, Composition à gauche et composition à droite).

Ces termes créaient une certaine confusion chez les ikebanistes de culture occidentale qui prenaient comme point de référence la droite et la gauche du spectateur. Or, dans le Japon ancien, la droite et la gauche ne sont pas celles du spectateur mais celles d’une personne (ou d’un objet) importante (Voir Article 17, Composition à gauche et composition à droite).

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04. Poids optique des plantes La sensation visuelle de force.

Le bouddhisme est introduit à la Cour impériale japonaise vers 552 après J.-C. en tant que religion salvatrice de l’État. Dans un Japon ancien où chaque manifestation humaine doit être conforme aux religions, il influence les règles de construction de l’Ikebana du fait même que celles-ci sont créées par des moines bouddhistes. Les premiers moines qui créent les premières règles de l’Ikebana sont les Dōbōshῡ (préposés) employés par les Shoguns Ashikaga. La plupart d’entre eux, au début de la domination Ashikaga (1336-1573), appartiennent à la branche bouddhique Ji-shū, fondée au XIIIe siècle par Ippen, moine de la secte Tendai. À la chute du shogunat Ashikaga en 1573, ils sont remplacés par les Ikenobō, appartenant également à la secte Tendai.

Ces règles de l’Ikebana reflètent la théorie bouddhique de l’interdépendance (Anatta) selon laquelle la réalité existe comme un réseau de relations. Ces relations se manifestent tout à la fois, dans le rapport entre la dimension du vase et celle des plantes, dans le rapport de « forces » entre les plantes et enfin dans le rapport entre la composition et l’environnement qui l’entoure.

 

Analysons la relation entre les plantes.

Par « poids optique », nous entendons la sensation visuelle de force que nous procure un végétal laquelle est basée sur de multiples facteurs tels que la couleur, la forme et le volume.

 

 

 

Paravent à six panneaux. Faisan et pin,  Kanō Koï (1569-1636)

 

En regardant ce paravent, trois volumes (le pin, l’eau et la pleine lune) sont immédiatement perceptibles. Ils ont clairement des forces différentes : la masse de pins prédomine, la masse d’eau est moins forte et la masse lunaire est la plus faible des trois.

L’ikebaniste, lors de la construction de son arrangement, doit se référer à ce concept afin que la « force optique » (poids optique) des trois éléments principaux (Yaku-eda : Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi) soit bien respectée : Shu-shi doit être rendu avec une « force optique » supérieure à celle de Fuku-shi et à son tour Fuku-shi doit être rendu avec une « force optique » supérieure à celle de Kyaku-shi.

Même les Chukan-shi entrant dans la composition doivent avoir un poids optique inférieur au végétal dont ils sont les auxiliaires : « les Chukan-shi sont subordonnés au végétal dont ils sont les auxiliaires ».

 

 

 

 

Un autre exemple pour comprendre ce concept est de voir la position des trois premiers athlètes récompensés sur un podium :

Le 1er (au milieu sur la plus haute marche) a gagné car sa « force musculaire » est supérieure à celle du 2ème (à droite du premier et sur une marche inférieure) qui, à son tour, a une « force musculaire » supérieure à la « force musculaire » du 3ème (sur la marche la plus basse des trois).

 

 

Dans un arrangement d’Ikebana, le concept est similaire : dans un Moribana Chokuritsu-kei, Hon-Gatte (style vertical, à gauche), dont sont issus tous les autres styles, les trois Yaku-eda (éléments principaux) sont comparables, tant par leur position que par leur « force », aux trois athlètes vainqueurs sur le podium. En utilisant la terminologie de l’École Ohara, Shu-shi au milieu est comparable au 1er athlète, Fuku-shi, le 2e athlète, est à sa droite tandis que Kyaku-shi, le 3e athlète, est à sa gauche. Comme les trois athlètes qui ont une « force musculaire » décroissante, Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi ont un « poids optique » décroissant.

Puisque tous les autres styles du Shikisai Moribana et du Heika dérivent tous du Chokuritsu-kei, même si la position de Shu-shi change par rapport au Chokuritsu-kei d’origine, la différence de « poids optique » des éléments utilisés ne change pas.

 

 

 

 

 

 

Ainsi pour le bonsaï, cette conception est appliquée et le poids optique des trois branches principales est basé sur le même concept que Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi, tant en termes de placement que de poids optique.

La plus grande canopée au centre correspond à Shu-shi (terminologie de l’École Ohara), celle du milieu à gauche correspond à Fuku-shi et la plus petite à droite correspond à Kyaku-shi.

L’élève ikebaniste apprend à mesurer les branches et les fleurs selon la masse ou la forme de leur corolle. Les schémas ci-dessous montrent comment les plantes, afin de conserver le même poids optique, sont allongées ou raccourcies selon la forme de leur corolle ou de leur inflorescence.

 

 

D’autres éléments déterminent ce poids tels que la couleur, « l’âge » des rameaux, la « jeunesse » des feuilles, le rapport feuille/bois ou feuille/tige, le stade de développement des plantes et bien d’autres.

 

Exemples dans lesquels, bien qu’étant de hauteur égale, l’élément A est « optiquement plus lourd » que l’élément B.

 

 

Pour rendre B de « poids optique égal » à A, celui-ci doit être allongé comme dans C.

 

 

A et C ont maintenant un « poids optique » égal.

 

 

Attention : un végétal peut être fragilisé en le raccourcissant ou en l’éclaircissant. Mais une fois coupé ou aminci, il ne peut plus être renforcé. Le seul moyen de le renforcer est d’ajouter un auxiliaire. Avant d’utiliser le sécateur, vous devez réfléchir à deux fois ! Si le végétal B a été coupé, le seul moyen de le renforcer et de lui donner le même poids que A est d’ajouter un ou deux auxiliaires.

Maintenant A et B ont le même « poids optique ».

 

Autre règle importante, la couleur : ce qui est « lourd », sombre,  va au centre de la composition, ce qui est « léger », clair, à la périphérie ».

 

 

 

 

 

 

Dans ce Shikisai-Moribana Yoshiki Hon-I (Moribana traditionnel) avec chrysanthèmes, la « bande couleur du groupe intermédiaire » est plus sombre que les couleurs du groupe Shu-Fuku et du groupe Kyaku.

 

 

 

© École Ohara

 

 

 

 

 

 

 

Ce concept de poids optique est bien apparent dans le célèbre dessin intitulé ‘Six kaki’ attribué au moine chinois Mu Qi, fin du XIIIe siècle. Les teintes les plus foncées sont au centre et les plus claires à la périphérie (Voir Article 56, Les six kaki de Mu Qi).

 

 

 

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03. Le vide en ikebana

Dans les religions et les philosophies qui ont influencé l’Ikebana, le vide a une importance primordiale. On le retrouve dans les compositions à différents niveaux. Dans la culture occidentale, le vide a une valeur négative, de carence, qui peut mettre mal à l’aise (esprit vide, estomac vide, vie vide, sentiment de vide) mais au Japon et en Chine, il a une valeur positive.  Pour comprendre cette valeur, il peut être utile de rapprocher ce concept de vide à celui que nous connaissons mieux, le silence (c’est-à-dire le vide de sons) qui évoque pour nous un sentiment de paix, de calme, de sérénité, sans bruit ni perturbation :

« L’appel d’un oiseau,

Le grondement d’une hache,

Le calme de la montagne devient plus profond,

la paix et la tranquillité de la montagne grandissent ».

 

 

Poésie Zen chinoise d’un auteur anonyme.

 

Autour de l’arrangement.

L’arrangement est traditionnellement placé dans le tokonoma, vide par définition, ou aujourd’hui, dans un endroit de la maison entouré de vide c’est-à-dire dégagé de tout objet susceptible de détourner l’attention.

 

 

Autour des différents éléments d’un arrangement.

Le vide permet non seulement de voir les éléments pris individuellement mais il rend mieux compte des concepts si importants du bouddhisme tels que l’asymétrie, l’harmonie et le rythme. Pour le bouddhisme, chaque élément d’une composition n’a pas de consistance propre, ni de signification particulière. Il ne les obtient qu’en relation avec les autres éléments.

Les relations existantes entre les dimensions des plantes, à la fois entre elles et avec celles du contenant, mettent en évidence une interdépendance. Pour le bouddhisme, aucun être ou phénomène n’existe en soi mais seulement au regard d’autres êtres ou phénomènes. Tout dans le monde se révèle en réponse à certaines conditions ou certaines causes.

Dans le système symbolique appelé Ciel-Homme-Terre qui n’est plus utilisé, les trois principaux éléments de la composition Shōka et Seika mettent en évidence ces relations.

© École Ohara

 

Autour des plantes elles-mêmes : exemple avec une branche d’érable.

 

 

Le matériel superflu est retiré en partant des branches latérales jusqu’aux feuilles et fleurs en surplus. Sur les branches, laissez une alternance irrégulière entre espaces vides (sans feuille) et espaces pleins. Les végétaux doivent avoir des volumes différents.

 

 

 

La méthode de retrait du superflu dans l’Ikebana s’inspire de la méthode utilisée en peinture. Dans ce détail du tableau d’Eikyu Matsuoka (1881-1938) intitulé « Dames de la Cour en robes de printemps », les branches de pin et celles en fleurs ne sont pas peintes telles qu’elles apparaissent dans la nature.

Le pin n’a que les nouvelles touffes apicales sans les anciennes aiguilles tandis que les fleurs sont peintes comme si elles étaient idéalement « éclaircies » comme nous le faisons dans un arrangement afin que chaque branche et chaque fleur soient clairement visibles.

 

Dans cet exemple d’Ogata Kōrin, l’azalée n’est pas peinte aussi épaisse que dans la nature mais idéalisée en ne gardant que l’essentiel, sans superflu, et en maintenant un équilibre optimal des « forces » entre les branches/Yang et les fleurs-feuilles /Yin.

 

Un autre exemple avec des branches.
 

 

 

 

 

© École Ohara

 

 

 

Le vide à l’embouchure du vase

 

 

 

 

 

Dans le Rikka et le Shōka, toutes les compositions émergent d’un seul point central (qui deviendra central ou latéral dans le Seika), laissant le reste de l’embouchure du vase VIDE.

Les plantes qui sortent de l’eau sont complètement dépouillées de feuilles et de branches latérales sur les premiers centimètres (Voir Article 58, L’importance d’un point de croissance unitaire de la composition).

 

Style Heika Chokuritsu-kei (vertical) vu de face, où le vide est caché par les végétaux et vu de profil où le vide est évident.

 

Pour l’École Ohara, l’espace vide à l’embouchure du vase, bien que non visible de face car recouvert de végétaux, est conservé dans les vases hauts. Les végétaux ne sortent que d’1⁄4 de l’embouchure laissant les 3⁄4 restants vides.

 

 

 

 

© École Ohara

 

 

 

 

 

 

 

Dans des bassins, bien que variable selon les saisons, la zone libre avec seulement de l’eau est importante.

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

En résumé, Le Vacuum autour des plantes met en évidence à la fois les caractéristiques individuelles des plantes et leurs relations mutuelles qui sont si importantes dans le bouddhisme.

Comme l’écrit G. Pasqualotto dans l’Esthétique du vide :

Réduire la quantité des éléments augmente la possibilité et l’intensité de percevoir leurs valeurs, c’est-à-dire que le vide produit une privation quantitative pour produire une richesse qualitative.

La minimisation des éléments correspond à une expression maximale de leurs qualités et, par conséquence, les conditions pour un maximum d’intensité perceptive sont produites.

 

Le vide dans les dessins.

 

Watanabe Seitei (1851-1918)

 

Deux paravents de Maruyama Ōkyo (1733 – 1795)`

Glace craquelée, 1780

Canards sur la plage

 

 

 

 

 

 

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07. Le Roppo ou les six principes de Hsieh Ho

ROPPO (= six canons ou principes de HSIEH HO).

L’écrivain chinois Hsieh Ho, au début de 500 après J.-C., écrit un traité intitulé « Notes sur le classement des peintures anciennes » dans lequel il expose les principes de la peinture de son temps sous la forme de six principes.

Au fil du temps, ces six règles sont utilisées pour juger de l’esthétique de la calligraphie puis dans l’appréciation de tous les arts. Elles deviennent la base du jugement esthétique des traditions artistiques chinoise. Importées au Japon durant la période Kamakura par les moines Zen, les six règles servent aussi de base au jugement de toutes les formes d’art traditionnel (dont l’Ikebana). Elles sont classées par ordre décroissant d’importance, de la 1ère (celle qui a la valeur artistique la plus élevée) à la 6ème (celle par laquelle les débutants commencent).

 

1er KI-IN-SEI-DO : État d’esprit, force vitale, expression spirituelle. L’artiste doit ressentir la circulation de sa propre énergie vitale Ki dans l’œuvre, s’identifier à l’œuvre.
Le concept d’idéal artistique est complètement différent de l’idéal occidental puisqu’il stipule que si l’œuvre n’est pas une expression de l’esprit, elle ne peut pas être qualifiée d’œuvre d’art.

 

2ème KOPPO-YOSHITZU : Utilisation du pinceau « réduit jusqu’à l’os ». L’artiste doit savoir capter l’essentiel en mettant en valeur les lignes structurelles, l’essence de l’œuvre, en laissant de côté l’inutile.
Pour l’ikebaniste, c’est éclaircir les plantes, souligner les lignes et les masses de manière soignée.

 

Les quatre autres règles sont principalement techniques.

 

3ème OHBUTSU-SHOKEI : Donner une ressemblance en accord avec l’objet. L’artiste doit dessiner la forme en accord avec la nature de l’œuvre.
Pour l’ikebaniste c’est le respect des caractéristiques de la plante choisie, l’insérer dans la composition en tenant compte de sa position naturelle de croissance mais aussi de la représentation de la plante dans l’imaginaire et la tradition picturale japonaise.

 

4ème ZUIRUI-FUSAI : Utilisation de la couleur. L’artiste doit appliquer la couleur en fonction de la nature de l’œuvre.
Pour l’ikebaniste c’est le choix et l’association des couleurs entre les plantes et entre les plantes et le contenant.

 

5ème KEIEI-ICHI : Composition spatiale. L’artiste organise la composition en plaçant les éléments dans l’espace disponible.
Pour l’ikebaniste c’est le respect des espaces dans les styles prescrits que l’École Ohara appelle ‘Kei,’ (en lecture Kun du kanji et ‘Kata’ en lecture On). C’est aussi l’équilibre entre les masses et les volumes des différentes plantes, le contenant, le lieu où la composition est placée.

 

6ème DEN I-MOSHA : Transmission de l’expérience du passé par copie. Le débutant doit commencer par copier les œuvres des maîtres en essayant de rendre « l’essence du pinceau » et les manières du maître. La copie doit transmettre les émotions et les idées du maître c’est-à-dire son Ki.
Pour l’ikebaniste, c’est la copie des styles (Kei/Kata) de l’École. La copie, dans la culture occidentale, est perçue de manière négative. Pour l’ikebaniste, il est important de copier les schémas de composition enseignés, copies qui ont des fonctions à la fois physiques et psychologiques :

 

– La copie permet un apprentissage progressif de la maîtrise des mouvements (utilisation du sécateur, techniques d’ancrage et de béquillage, modification et dimensions des végétaux, etc.).

– La comparaison avec un modèle contribue à diminuer l’impétuosité expressive de l’élève et, plus généralement, sa présomption.

– La copie permet à l’élève d’incorporer l’essentiel, le « souffle vital », le Ki de l’œuvre originale.

 

A l’époque Sung (960-1279), toujours liés à la peinture mais applicable à tous les arts, ces Six Canons expriment six principes fondamentaux:

1. L’action du Ki et le travail énergétique du pinceau vont de pair.
Pour l’ikebaniste, l’utilisation du sécateur va de pair avec l’action du Ki.

 

2. La conception de base doit être fidèle à la tradition.
L’ikebaniste doit être fidèle aux Kata, (Kei) aux styles de son école (pour l’École Ohara ce sont les Chokuritsu-kei, Keisha-kei, Kansui-kei et Kasui-kei).

 

3. L’originalité ne doit pas mépriser « Li » c’est-à-dire le principe ou l’essence des choses
Pour l’ikebaniste, il s’agit de respecter la nature de la plante et son mode de croissance naturelle.

 

4. La couleur, lorsqu’elle est utilisée, doit être un facteur d’enrichissement.
Pour l’ikebaniste, la structure compositionnelle est plus importante mais elle peut être rehaussée par la couleur végétale judicieusement choisie.

 

5. Le pinceau doit être tenu avec spontanéité
Le sécateur doit être tenu avec spontanéité.

 

6. Apprenez des maîtres mais évitez leurs erreurs.

 

En peinture, le Ki est donné par le « mouvement du pinceau », des mains de l’artiste. Dans la tradition japonaise, une œuvre d’art est définie comme telle lorsqu’on peut distinguer la présence du Ki de l’artiste dans son œuvre (ou dans la composition pour l’ikebaniste).

 

Si l’on pense à la forme expressive de l’Ukiyo-e (estampes japonaises gravées sur bois qui représentent la vie populaire, théâtrale et légendaire de la période Edo), on s’aperçoit qu’elle n’est pas considérée, lors de sa première apparition, comme une œuvre d’art par les Japonais cultivés. La raison de ce manque de considération est précisément le manque de reconnaissance de la présence du Ki dans cette forme d’art. La classe éduquée pense, à l’époque, que la sensibilité artistique se perd dans la sculpture du bois. Même si la ciselure est parfaite, elle n’est que l’ombre de la sensibilité et de l’habileté de l’artiste utilisant le pinceau. Par conséquence, une œuvre sans identification claire du Ki ne peut être considérée comme une œuvre d’art. Par ailleurs, les thèmes traités dans les Ukiyo-e, jugés trop populaires, ne répondent pas aux exigences d’élégance et de raffinement du goût de la noblesse. N’étant pas appréciées en tant que forme artistique, les gravures sur bois Ukiyo-e sont alors utilisées de la même manière que l’on utilise de vieux journaux pour emballer des objets envoyés à l’étranger. Cet événement fortuit a conduit à la découverte de l’Ukiyo-e en Occident.

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01. Préambule et introduction

Brèves remarques sur l’apprentissage de l’Ikebana

 

Les plantes, dans leur ensemble et dans leurs caractéristiques intrinsèques, poussent dans la nature de manière harmonieuse avec les autres plantes qui les entourent. Une fois cueillies et détachées « de l’harmonie naturelle » dans laquelle elles ont poussé et disposées dans un contenant, l’harmonie est restaurée grâce aux règles de composition de l’Ikebana.

En effet, ces règles sont issues des religions-philosophies (shintoïsme, bouddhisme et bouddhisme zen, taoïsme, confucianisme) dans lesquelles l’homme et la nature font partie d’une même entité (contrairement au christianisme qui les voit séparés) et sont donc « gouvernés » par les mêmes principes. De plus, ces règles (comme dans tous les arts traditionnels japonais) ont été « distillées » passant d’une génération de maîtres ikebanistes à l’autre du XVe siècle à nos jours.

Comme pour l’apprentissage des règles grammaticales d’une langue étrangère, le débutant les apprend et les applique avec une sorte de «pédanterie grammaticale» puis « les oublie » une fois acquises et intégrées quand il parle couramment la langue, les règles de l’Ikebana ne sont pas des fins en soi, mais elles servent à comprendre les principes directeurs qui régissent les relations entre les plantes, le contenant et le lieu où la composition est placée.

 

Introduction

 

La disposition des végétaux dans un Ikebana a toujours reproduit symboliquement l’organisation sociale de ses créateurs et de ses pratiquants ainsi que leurs croyances religieuses et philosophiques.  Et même si ces symboles ont perdu leur sens avec le temps, la structure de base de l’Ikebana adossée à ces symboles est demeurée pratiquement inchangée jusqu’à ce jour.

Les compositions depuis le XVe siècle (période d’apparition de l’Ikebana) jusqu’au début de la période Edo (1603-1868) sont des constructions symboliques utilisant des plantes pour représenter des concepts philosophico-religieux. Ces compositions expriment l’harmonie de l’univers en se référant non seulement aux symbolismes shintō et bouddhique mais aussi aux concepts de Yin/Yang (Voir Article 2, Les concepts de fort et de faible).

En fait,

 

Les feuilles, les branches et les fleurs sont considérées :

– Yang, le côté qui pousse vers le soleil (Hi-Omote).

– Yin, le côté qui pousse à l’ombre (Hi-Ura).

Hi = soleil

Omote = face

Ura = opposé, en-dessous.

 

     Face/Yang/Positive Arrière/Yin/Négative
 

Dans toute composition, il y a 2 côtés :

– un côté considéré comme Yang,  les végétaux Yang : Ki-Mono, Ki=bois.

– un côté considéré comme Yin, les végétaux Yin : Kusa-Mono, Kusa=herbe, (Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

 

La composition constituée d’un nombre impair d’éléments est préférable car les nombres impairs sont considérés comme Yang, à la seule exception du nombre deux qui, bien que Yin comme tous les nombres pairs, est utilisé car il est la somme de Yang + Yin (Voir Article 62, Utilisation des nombres impairs en ikebana).

 

À partir de l’époque Edo (1603-1868), la vision cosmique et mystique de la vie et la perception sacrée de la nature, caractéristiques des époques précédentes, commencent à décliner. Parallèlement s’opère un processus de sécularisation des arts en général, dont l’Ikebana : la symbolique sur laquelle s’est fondée la création des règles de construction de l’Ikebana devient dépassée et, peu à peu, partiellement oubliée. La plupart de ces règles, fondées sur des symboles religieux et philosophiques, continuent d’être appliquées sans plus en connaître leur origine symbolique.

Les arrangements sont désormais perçus d’une manière différente et, par conséquence, ils sont identifiés au regard d’une nouvelle lecture des Kanji.

Alors qu’au début de la période Edo, ils sont appelés en lecture On Shō-Ka/Sei-Ka maintenant on les désigne désormais en lecture Kun, Ike-Bana, en mettant en évidence le verbe ‘Ikeru’ = donner la vie, c’est-à-dire que les plantes ne sont plus perçues pour leur symbolisme mais comme des êtres vivants (Voir Article 50, La langue japonaise, lecture On, lecture Kun des kanji et Article 54, Évolution de l’Ikebana au-travers de la lecture des Kanji).

Malgré ce changement de perception des compositions, les règles de base de construction restent celles du Rikka, bien que simplifiées.

Toujours au début des années 1800, dans le texte anonyme daté de 1801 « Enshū Soka ikō kadenshō » (transmission orale de l’Ikebana de l’école Enshū),  il est affirmé péremptoirement :

– si dans une composition, on ne retrouve pas les principes du Yin/Yang, ce n’est pas un Ikebana.

Au Japon, le syncrétisme religieux et philosophique s’est toujours pratiqué, c’est-à-dire qu’il n’a jamais été nécessaire de choisir une religion ou une philosophie en rejetant les autres.

De chaque religion, de chaque philosophie, les Japonais ont toujours choisi ce qui semblait le plus approprié ou le plus utile selon les circonstances, que ce soit dans la vie privée ou la vie publique ou pour les rites de passage comme la naissance, le mariage, les funérailles.

L’Ikebana reflète ce syncrétisme car les symboles des deux religions, shintoïsme (ou shintō) et bouddhisme, et des différentes philosophies y sont facilement reconnaissables. Le choix des plantes et leurs associations, leur position idéale dans la composition, leur orientation et leurs dimensions, tous sont basés sur les symboles du taoïsme, shintoïsme, bouddhisme, néo-confucianisme et sur les pratiques magico-religieuses comme le Feng-Shui.

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00 Ikebana selon l’école Ohara

Références bibliographiques en fin d’article.

Le but de ce site est d’éveiller la curiosité des ikebanistes en leur donnant une vision de l’Ikebana où sa forme n’est pas séparée de son sens et d’inciter le lecteur à approfondir les thèmes présentés ici. De nos jours, il y a une tendance générale, dans l’art occidental, à apprécier seulement la forme pour elle-même. Les différentes compositions d’Ikebana sont admirées pour la beauté des plantes, oubliant que le choix des végétaux, leurs associations, leurs positions, leurs orientations et leurs dimensions ont tous un sens. Ces compostions reposent sur des règles d’arrangement symbolisant les valeurs du shintoïsme, taoïsme, bouddhisme classique et zen, Feng-Shui et néo-confucianisme.

Puisque le concept de divinité dans le shintoïsme se retrouve dans les éléments naturels, il peut coexister avec d’autres systèmes de valeurs qui ont pénétré le Japon depuis l’étranger : au VIIe siècle, le prince Shotoku Taishi, régent et neveu de l’impératrice Suiko, déclare : « Le shintoïsme est le tronc, le bouddhisme est les branches et le confucianisme les feuilles ».

La culture japonaise s’est toujours caractérisée par une forme de syncrétisme en acceptant les éléments bénéfiques de systèmes de valeurs religieuses différents et parfois contrastés, n’en gardant que les aspects les plus pratiques. Ce syncrétisme religieux, nous le trouvons en Ikebana car ses règles de composition sont basées sur les symboles de diverses religions.

Ce n’est qu’en connaissant l’histoire (et comment elle a influencé la formation des modes de pensée collective et l’absolutisation de certaines valeurs) que nous pouvons saisir la signification des arts traditionnels japonais en général et de l’Ikebana en particulier. Sinon, la connaissance n’en sera que superficielle.

Considérant que la plupart des blogs ou des sites Web traitent de la technique mais pas de la culture qui sous-tend la compréhension de l’Ikebana, l’idée est de donner des explications qui permettent d’approfondir les nombreuses formes d’Ikebana, c’est-à-dire une compréhension de ses structures et de ses significations (Voir Article 25, Omote et Ura).

 

Ce site a été créé pour être consulté à chaque fois que l’ikebaniste rencontre une nouvelle thématique peu connue de lui ou souhaite approfondir une thématique qui lui est connue. Avec le moteur de recherche, dans la case blanche en haut à gauche, vous pouvez retrouver tous les articles associés au thème recherché.

 

Avertissement : L’auteur n’a aucun intérêt commercial dans ce blog. Les textes et images sont personnels ou extraits d’Internet. Si leur publication viole le droit d’auteur, le propriétaire peut le communiquer par courrier électronique et ils seront immédiatement supprimés.

 

Références bibliographiques

 

Ikebana

Articles et notes de séminaire.

L’Ikebana, filosofia, religione e teoria dei fiori Ikebana pratico, avec Masanobu Kudō Ikebana fiori viventi

Ikebana, quando i fiori diventano arte

Ikebana, l’arte meravigliosa di disporre i fiori Corso di Ikebana, l’arte di disporre i fiori Par Jenny Banti-Pereira

Composition florale, Art du Japon Par Mary Cokely Wood

La maîtrise de l’arrangement floral japonais Par Koshu Tsujii

Le livre des maîtres de l’Ikebana Par Sen`ei Ikenobō, Houn Ohara, Sofu Teshigahara

L’art de l’arrangement floral japonais La voie de l’arrangement floral japonais Par A. Koehn

L’art de la composition florale au Japon Par A. L. Sadler

La théorie des compositions florales japonaises

La fleur du Japon et l’art de l’arrangement floral par J. Conder

L’art floral du Japon Composition florale japonaise par Mary Averill

Art floral japonais : symbolisme, culte et pratique Par Rachel Carr

Composition florale : la méthode Ikebana Par Minobu Ohi, Senei Ikenobō, Houn Ohara, Sofu Teshigahara

Paysage : un art, une école, un espace L’Ikebana Par Martine Clément

La joie d’Ikenobō Ikebana 2011

Ikenobō Ikebana Guide de base

 

Thèmes liés à l’Ikebana

Estetica del vuoto

Dieci lezioni sul buddhismo Yohaku

Par Pasqualotto Giangiorgio

L’ideale della Via, Samurai, monaci e poeti nel Giappone medioevale La cultura del Tè in Giappone Par Aldo Tollini

La pensée japonaise classique

De Massimo Raveri

Sources de la tradition japonaise, volumes 1 et 2 Par Théodore de Bary, D. Keene, George Tanabe, Paul Varley

Époques de l’art chinois et japonais Par Ernest F. Fenollosa

Yin et Yang, l’armonia taoista degli opposti Par J.C. Cooper

Il Tao : la via dell’acqua che scorre Par Alan W. Watts

La culture de la guerre civile à Kyōto Par Mary E. Berry

Le Monde à l’envers Par Pierre F. Souyri

Les idéaux de l’Orient Par Akuzo Okakura

Samurai, i guerrieri dell’assoluto Par B.Marillier

Lo stile eroico, l’eroismo in Giappone Par Junyu Kitayama

La maschera du samouraï Par Aude Fieschi

Zen et beaux-arts Par Shin’ichi Hisamatsu

Lo zen e l’arte di tirare di spada Par R. Kammer

Les arts japonais et l’auto-culture Par Robert Carter

Bushido, l’anima de Giappone Par Inazo Nitobe

Le Samouraï et le sacré Par Sthephen Turnbull

KO-GI-KI, livre base dello shintoismo giapponese Par Mario Maréga

Lo spirito delle arti marziali Par Dave Lowry

Lo Zen et la via della spada Par Winston L. King

Kata Par Kenji Tokitsu

La via del tiro avec l’arco Par Paolo Villa

Les arts zen Par Rupert Cox

Culture, art, histoire et pratique du thé japonais

Culture artisanale, potiers Raku, mécènes et praticiens du thé au Japon Par Morgan Pitelka

Redécouvrir Sen no Rikyū et les débuts de la cérémonie du thé japonaise Par Herbert Plutschow

Une introduction au rituel du thé japonais De Jennifer L. Anderson

Culture du thé au Japon Par Sadako Ohki

Zen dans l’art de la cérémonie du thé De Horst Hammitzsch

Lo spirito de Giappone Par Leonardo Vittorio Arena

Gli insegnamenti della pittura del giardino grande come un granello di senape Édité par Mài-Mai Sze

À propos de l’esthétique japonaise Par Donald Richie

La tradizione estetica giapponese

Dalla città ideale alla città virtuale Estetica dello spazio urbano in Giappone e in Cina Par Laura Ricca

L’estetica giapponese moderna Par Marcello Ghilardi

Giappone, la strategia dell’invisibile Par Michel Aléatoire

Je fiori del vuoto Par Giuseppe Jiso Forzani

L’origine du mot médiéval du Japon

La vie culturelle de l’élite guerrière au XIVe siècle (Chapitre 9) édité par J.P. Mass

Le Japon à l’ère Muromachi 1. par J.W. Hall et Toyoda Takeshi Ashikaga

Yoshimitsu et le monde de Kytayama (Chapitre 12) Par H. Paul Varley

Empereur et aritocratie au Japon 1467-1680 Par Lee Butler

La voie japonaise de la fleur : l’Ikebana comme méditation en mouvement Par S. E. Davey

Dizionari delle religioni : taoïsme Par Ester Bianchi

La menthe japonaise Par Roger J. Davies et Osamu Ikeno

Thèmes de l’histoire de l’art des jardins japonais Wybe Kuitert

Jardins des Daimyō Par Shirahata Yozaburo

Livre de thé Par Kakuzo Okakura

THÉ DES SAGES : L’Art du Sen-cha Par Patricia J. Graham

San Sen Sou Moku, le jardin japonais dans la tradition Par Sachimine Masui, Béatrice Testini

L’universo nel recinto, I fondamenti dell’arte dei giardini e dell’estetica tradizionale giapponese, І e 2 Par Paola Di Felice

La ville du Shogun, une histoire de Tokyō Par Noël Nouet

Kaempfer’s Japan, Tokugawa Culture Observed édité, traduit par B. M. Par Bordart-Bailey

L’origine du monde médiéval du Japon

Courtisans, clercs, guerriers et paysans au XIVe siècle Edité par Jeffry P. Mass FENG SHUI Par Ernest Eitel

Lecture moderne sur les classiques chinois de l’arrangement floral Par Zhang Qiande et Yuan Hongdao Compilé par Li Xia

Cultiver la féminité Les femmes et la culture du thé à Edo et Meiji au Japon Par Rebecca Corbett

STORIA DEI SAMURAI E DEL BUJUTSU, nascita ed evoluzione dei bushi e delle loro arti nel Giappone feudale Par Roberto Granati

Histoire de Giappone De Kenneth Henshall

Senno (Ikenobō), sur l’art de l’arrangement floral (Chapitre 5) dans Théories littéraires et artistiques au Japon Par Makoto Ueda

Le I Ching dans la pensée et la culture Tokugawa Par Wai-ming Ng

KAZARI Decoration and Display in Japan 15th-19th Centuries, 2002 édité par Nicole Coolidge Rousmaniere

KAZARI L’arte di esporre il BONSAI e il SUISEKI, 2016 Par Edoardo Rossi

Seigneurs de guerre, artistes et roturiers,

Le Japon au XVIe siècle édité par George Elison, Bardwell L. Smith

La politique de la réclusion, de la peinture et du pouvoir à Momoyama Japon Par KENDALL H. BROWN

Kire : il bello en giap Par RYOSUKE OHASHI

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