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Il meraviglioso mondo dell'Ikebana - The wonderful world of Ikebana - Le monde merveilleux de l'Ikebana

Monthly Archives: octobre 2022

70. Esthétique Basara et Ikebana

Comme expliqué à l’Article 33 (Ikebana et histoire : périodes Muromachi (1336-1573) et Azuchi Momoyama (1573-1603), l’Ikebana est né avec le tokonoma et avec l’art d’agencer les objets (‘Kazari’), une spécialité des Dōbōshῡ de la secte Ji employés sous le contrôle des Shoguns Ashikaga et dont leur nom se termine par ‘ami.

Sa codification, évoquée dans les nombreux manuscrits qui nous sont parvenus, a d’abord été initiée par les Dōbōshῡ pour le Tatebana puis poursuivie et étendue au Rikka par les Ikenobō après la chute des Ashikaga et la disparition consécutive des Dōbōshῡ.

Si la définition des différentes règles est l’œuvre d’auteurs au moins en partie connus à travers les manuscrits, la création initiale de l’Ikebana est l’œuvre de plusieurs personnages, principalement les moines au service à la fois des Shoguns et des Shugo (administrateurs nommés par le Shogun pour gérer une ou plusieurs provinces) mais aussi de certains Shugo eux-mêmes.

Une caractéristique de cette période historique est le ‘Gekokujō’ (de ‘Koku’ = triomphe,  ‘Ge’ = inférieur, ‘’ = supérieur, signifiant littéralement « le bas l’emporte sur le haut » = les classes supérieures se trouvent dépossédées de leur autorité par les classes inférieures). Sous le terme de Gekokujō, on désigne une catégorie d’hommes de couches sociales inférieures qui a conquis, par la force, des positions précédemment occupées uniquement par la noblesse impériale et qui s’est enrichie très rapidement.

 

Les Shugo/Daimyō Basara, à l’époque des trois premiers Shoguns Ashikaga (période Muromachi), dictent la tendance. Ce sont de riches chefs samouraïs qui ne se conforment plus aux us et coutumes de l’époque. Ils recherchent, tant dans l’habillement que dans la vie, un style raffiné défini par leurs contemporains ‘Basara’. Ce nouveau style est ostentatoire, extravagant avec une préférence pour les pratiques chinoises tant dans les arts que dans la vie.

Amoureux du luxe débridé et de l’exhibition dans des vêtements criards et voyants, souvent d’influence chinoise,  les Shugo accumulent les objets précieux à exposer et adoptent des attitudes arrogantes, effrontées et méprisantes envers tout le monde, y compris envers la cour impériale et les empereurs.

Bien que des édits tels que le code Kenmu émis par le premier Shogun Ashikaga Takauji leurs interdissent spécifiquement les attitudes Basara, leurs comportements «exagérés» non formellement acceptés par le shogunat ne sont cependant pas sanctionnés. En effet, ils sont aussi des commandants militaires chargés de beaucoup d’hommes et d’alliés indispensables dans les combats que mène le shogunat.

 

Même les Shoguns de cette époque sont influencés par l’esthétique Basara. Pendant son shogunat de 1368 à 1394, le troisième Shogun Yoshimitsu Ashikaga (1358-1408) est un exemple. Il invite les convives à boire du thé en les faisant asseoir sur des chaises chinoises de préférence rouges recouvertes de peaux de tigre ou de léopard d’un prix élevé. À ces occasions, il expose les Karamono (objets chinois précieux) tels que vases, tasses, coupes à saké, récipients et kakemono chinois.

Son amour pour les objets chinois associé aux revenus conséquents issus du commerce avec la Chine l’amène à accepter le titre de « roi du Japon » que lui offre la dynastie chinoise Ming qui ignore probablement l’existence d’un empereur japonais.

 

Ci-contre, le portrait de Yoshimitsu Ashikaga vêtu de précieux brocarts.

 

Détail d’un paravent de Kanō Naizen (1570 – 1616) : on peut voir un point de vente d’épées réservées aux samouraïs et de peaux de tigre et de léopard à côté.

 

L’utilisation de peaux de tigre et de léopard est également signalée dans le Sennokuden daté de 1542, le plus ancien texte survivant de l’École Ikenobō écrit par le 28e Iemoto selon la tradition (désormais considérée comme fausse). Senno Ikenobō explique comment meubler l’espace dans lequel est placé le Rikka, entre autres suggestions : « Étendre un tapis chinois ou une peau de léopard ou de tigre  » …………..

 

Pendant presque tout le XIIIe siècle, la mode Basara est suivie par une partie de la population des grandes villes. Dans les paravents et les dessins de cette période, la mode Basara est décrite : coiffures, vêtements, chansons etc. Cette mode est aussi introduite dans la peinture qui utilise des couleurs primaires/fondamentales au lieu des couleurs douces habituelles.

 

Pour se faire une idée de la magnificence des vêtements utilisés par les Shugo/Daimyō Basara, il suffit de regarder les vêtements clinquants encore utilisés aujourd’hui dans le théâtre Nō, forme de théâtre née à cette époque (Ze’ami, supposé en être le codeur, a vécu protégé par le Shogun Ashikaga Yoshimitsu).

 

 

 

Voir aussi les vêtements du créateur japonais Yohji Yamamoto qui, en 1997, relance la mode Basara.

 

Le contraste entre ses vêtements et la mode japonaise actuelle reproduit bien le contraste entre les vêtements Basara et les « normaux » de l’époque.

 

 

 

 

 

 

 

 

L’histoire et divers contes légendaires de chevalerie évoquent divers Shugo/Daimyō ayant adopté l’attitude Basara.

 

Ci-contre, dessin tiré de l’Emakimono Taiheiki, période Edo, montrant Yōrito à cheval tirant des flèches, et près de lui, un ami courant désespérément pour tenter de l’arrêter.

 

Toki Yōrito, un Shugo de la province de Mino, est décrit comme un exemple d’attitude Basara, entre autres, pour son comportement méprisant envers les empereurs. À Kyōto, alors que le char de l’empereur à la retraite Kōgon passe, Yōrito ivre, au lieu de lui céder le passage tire des flèches sur son char. Pour cet acte, il est arrêté et décapité.

 

Le violent

Ko no Moronao (? – 1351), premier ‘Shitsuji’ (député du shogun), à l’époque Muromachi, en tant que général des armées du Shogun.

Réputé violent, il est devenu un personnage d’œuvres théâtrales à la fois de kabuki et de bunraku (marionnettes).

 

Interprétation par l’acteur de kabuki Mitsugoro III.

 

 

 

 

 

Le plus cité, grâce aux informations historiques qui nous sont parvenues, est Sasaki Dōyo Takauji (1296-1373). Moine, poète et Shugo de la province d’Omi, connu pour ses somptueuses cérémonies du thé et compositions de poèmes Renga, il est présenté comme l’archétype Basara.

Il est le plus important des poètes-guerriers pour ses poèmes Renga dont quatre-vingt-un sont contenus dans le Tsukubashū, 1356, première anthologie impériale de Renga.

Sasaki Dōyo Takauji aux goûts très raffinés et expert dans les arts qui deviendront « typiquement japonais » (Tatebana, Waka et poèmes Renga, cérémonie du thé, théâtre Nō naissant) ne connaît aucune autre autorité que la force brute.

Il organise des fêtes pour des centaines d’invités (hommes illustres, prélats, poètes, danseurs et courtisanes) comme la fête ‘Hana no moto’ (sous les fleurs) d’une durée de vingt et un jours avec des concours de poèmes Renga, de chants et de danses (Dengaku et Sarugaku) interprétés par des acteurs professionnels. Les ponts menant à l’événement sont recouverts de feuilles d’or et de tapis précieux disposés sous des cerisiers en fleurs. D’immenses vases en laiton contiennent des fleurs parfumées et d’innombrables encensoirs parfument l’endroit. L’intention est de reproduire le paradis bouddhique de la Terre Pure.

Chaises chinoises et nourritures exotiques sont disponibles en abondance et tous les invités de tout statut social reçoivent des cadeaux luxueux tels que des essences parfumées et des muscs, des tissus précieux «empilés comme des montagnes», des pépites d’or, des sabres dans des fourreaux recouverts de feuilles d’or ou de peau de requin.

 

Non rapporté dans les textes d’Ikebana mais seulement dans les textes historiques, Sasaki Dōyo est aussi un expert en Tatebana à une époque où il n’y a pas encore de règles. Il laisse un manuscrit, daté de 1368 intitulé Tatebana Kuden Daiji, (Comment arranger les végétaux). Les Tatebana sont nés de façon « désordonnée » dans la caste des samouraïs lorsque l’esthétique Basara jouit d’une grande faveur. Par la suite, ils sont codifiés à l’époque du huitième Shogun Tokugawa lorsque cette esthétique Basara, passée de mode, est remplacée par une esthétique plus Zen.

 

Le concept Basara a été repris et adapté. On le retrouve en 2012, par exemple, dans le Sengoku Basara, dessin animé tiré du jeu vidéo Devil King.

 

 

Bibliographie :

Edited by Jeffry P. Mass World : The Origin of Japan’s Medieval

J.Whitney Hall and Toyoda Takeshi : Japan in the Muromachi age

Elison and B. L. Smith : Warlords, Artists and Commoners, Japan in the Sixteenth Century

Sadako Ohki : Tea culture of Japan                                       

Makoto Ueda in Japan

Literary and Art Theories

Sato Kazuhito, Anne Bouchy : “Des gens étranges a l’allure insolite”

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69. Naissance des styles Ikebana

 

Les styles (Kei en lecture On et Kata en lecture Kun) utilisés par l’École Ohara sont tous visibles d’un seul côté, de face, puisqu’ils sont nés et sont restés dans le tokonoma jusqu’à la fin de 1800. Photos © École Ohara.

 

Les Shikisai- Moribana  

 

 

Les Heika

 

 

Tous ces styles ont une origine commune à savoir le style apparu au XVème siècle, le premier dans l’histoire de l’Ikebana dont découlent tous les styles « traditionnels » de toutes les écoles y compris l’équivalent du style Chokuritsu-kei de l’École Ohara.

 

Lorsque les premières formes d’Ikebana sont créées pour être placées exclusivement dans le tokonoma naissant, le schéma compositionnel initial associe des végétaux Yang/Bois comme éléments principaux à des végétaux Yin/Fleurs ou feuilles comme éléments auxiliaires uniquement. L’arrangement composé d’une branche principale Yang/Bois branche persistante ou branche fleurie positionnée au centre à la verticale et entourée, à la base, d’éléments auxiliaires Yin/Fleurs ou herbes s’appelle alors Tatebana. La lecture Kun de son kanji met en évidence la position verticale et droite de la branche principale.

(Voir Article 13, La naissance d’Ikebana d’après les documents historiques, Article 67, Symbolisme de la composition Ikebana dans son ensemble et Article 54, Évolution de l’Ikebana dans la lecture des Kanji).

 

Tatebana, dessins de Kao Irai no Kadensho, 1486, avec l’élément principal branche au centre et à la verticale.

 

 

Au fil du temps, à la branche centrale persistante ou fleurie, sont ajoutées d’autres branches de même espèce ou d’espèces différentes mais toujours uniquement des branches. Se crée alors une hiérarchisation des 7 branches principales comme on peut le voir dans le schéma ci-contre d’un Tatebana à sept éléments attribué à Ikenobō Kazoin daté de 1487.

 

Structuré avec des règles de composition précises, le Tatebana (lecture Kun japonaise) devient Rikka (lecture On chinoise) sans changer de Kanji. La signification inchangée souligne la verticalité de l’élément principal de la composition.

 

 

 

 

Jusqu’à la fin de l’ère Meiji, l’esthétique japonaise répertorie les objets et les situations selon trois subdivisions. Ce système, d’origine chinoise, s’est étendu au Japon (Voir Article 21, Shin, Gyō, Sō).

 

Rikka Shin, formel

Lent, symétrique, important, solennel, imposant.

 

Dès sa première création, le Rikka est construit uniquement avec l’élément principal vertical, droit et central.

Au fil du temps, dans des situations publiques formelles, le Rikka continue d’être composé avec l’élément principal vertical.

Ce type de composition est appelée Shin ou formelle.

 

 

 

 

Rikka Gyō, semi-formel

Entre les deux extrêmes, Shin et Sō.

Dans les situations semi-formelles, les Rikka semi-formels ou Gyō se composent avec l’élément central toujours dans une position verticale mais incurvée.

 

 

 

 

Rikka Sō, informel

Rapide, asymétrique, « décontracté », détendu.

 

Le Rikka, toujours basé uniquement sur la forme verticale, s’utilise dans des situations informelles Sō.

L’arrangement est composé dans des bassins bas rempli de sable désigné Suna no mono,  Suna = sable.

 

Alors que dans les Rikka Shin et Gyō, toutes les plantes sortent toutes regroupées du vase, dans le Suna no mono, le groupe Shu-shi-Fuku-Shi reste uni et compact à la sortie du vase mais le groupe Kyaku-shi peut être séparé.

 

 

Dès le début de la période Edo et d’une manière générale (avec des exceptions spécifiques), toutes les « branches principales » du Rikka sont des branches persistantes ou des branches fleuries y compris pour l’élément que l’École Ohara appelle actuellement Kyaku-shi (qui est fréquemment une fleur ou une feuille herbacée). Les fleurs et les feuilles herbacées ne sont jamais utilisées comme l’une des sept « branches principales ».

 

La bourgeoisie naissante et les Daimyō soumis au séjour obligatoire à Edo commencent à construire les premiers jardins dans leurs résidences et cultivent des arbustes et des fleurs herbacées. Ils se mettent à créer des Rikka, exclusivement dans le style vertical mais avec des fleurs d’une même espèce placées comme « branches principales ». Seuls sont utilisés des iris, chrysanthèmes, lotus, jonquilles, fleurs toutes liées à la tradition, voir arrangements ci-dessous.

 

Suna no mono avec des fleurs uniquement.

 

 

 

Rikka avec des fleurs uniquement.

 

Lotus Chrysanthème

 

Iris Narcisse

 

 

Rikka actualisés, avec des fleurs uniquement.

 

Lotus Chrysanthème

 

Iris Narcisse

 

À l’époque Edo, les Rikka s’exposent principalement dans les demeures de la noblesse shogunale et impériale tandis que la classe riche émergente des Chōnin (chō = ville, marchands-artisans de la ville) se limite aux formes les plus simples d’Ikebana, principalement Shōka/Seika.

Le style prédominant est toujours le vertical « primitif » jusqu’à la fin de la période Edo tant dans le Rikka que dans le Shōka et le Seika.

La plupart des livres d’Ikebana publiés, de la période Edo jusqu’à la fin des années 1800, sont écrits principalement pour le Chōnin. Le Seika et le Shōka présentés sont à dominante verticale quels que soient les contenants, vases hauts, bas ou suspendus et sont conçus pour être placés uniquement dans le tokonoma.

 

 

Dans ces livres, les Seika ou Shōka de style Keisha-kei (incliné) ou de style Kasui-kei (se reflétant dans l’eau) sont relativement peu nombreux.

 

 

De ce style initial avec l’élément principal vertical proche du style Chokuritsu-kei de l’École Ohara, dérivent tous les autres styles apparus à l’époque Edo. À commencer par ce que l’école Ohara appelle le style Keisha-kei puis le style Kasui-kei puis tous les autres styles créés jusqu’à ce jour.

 

Kasui-kei

 

Les règles symboliques créées pour le Rikka « primordial », simplifiées pour les Shōka/Seika et adaptées aux styles apparus plus tard sont toujours appliquées de nos jours dans les arrangement liés à la tradition avec l’élément principal au centre et droit.

C’est en se rappelant ces règles du Rikka « primordial » qu’il est possible de comprendre la symbolique originale que contiennent ces compositions.

Ces symboles sont toujours clairement lisibles dans le style Chokuritsu-kei de l’École Ohara mais plus difficiles à cerner dans les autres styles Keisha-kei, Kasui-kei et Kansui-kei car la position initiale de Shu-shi d’abord puis de celles d’autres éléments principaux ont changé (Voir Article 16, Origine des positions ‘Hon-Gatte’ et ‘Gyaku-Gatte’, Article 17, Composition à gauche et composition à droite et Article 52, Genèse et évolution du style Kansui-kei).

 

Dans les situations formelles, même aujourd’hui, l’arrangement vertical du style initial associé aux principaux objets sacrés Mitsu-Gusoku est préféré comme on le voit sur la photo ci-dessous : deux candélabres et un encensoir accompagnent les arrangements exposés dans le temple bouddhique Ninna, École Shingon, Kyōto.

Les branches persistantes verticales et droites avec quelques fleurs herbacées au centre de la composition sont prédominantes (Voir Article 13, La naissance d’Ikebana d’après les documents historiques).

 

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68. La profondeur dans les compositions traditionnelles d’Ikebana

Jusque dans les années 1930, les arrangements Ikebana sont principalement placés dans le tokonoma, lieu « sacré » de la maison traditionnelle.

Contrairement aux styles créés avant cette période, les formes d’influence occidentale qui apparaissent plus tard sont conçues pour décorer un salon et être posées au centre d’une table, visibles de plusieurs côtés. L’école Ohara suit cette tendance en créant, dans les années 1960, de nouvelles formes dites  « multifaces », visibles de plusieurs côtés. Puis elle les abandonne et les retire de son programme en 2020, à l’exception du Mawaru-katachi (Forme circulaire), toujours au programme.

 

Exemple de composition visible multifaces abandonnée depuis 2020 : Hana-isho Hiraku-katachi. © École Ohara

 

 

En regardant à la fois les gravures, estampes et dessins d’Ikebana créés avant les années 1930, les arrangements composés pour être regardés d’un seul point de vue possible c’est-à-dire de face, apparaissent « plats » sans profondeur. Sans point de repères externe à la composition, il est impossible de comprendre la direction des végétaux et de sentir la profondeur de la composition dans son ensemble (Voir Article 67, Symbolisme de la composition Ikebana dans son ensemble).

 

 

Dans les deux dessins ci-dessus et la photographie ci-dessous de Rikka, il n’est pas possible de comprendre la profondeur des compositions à partir de la direction de chacune de ses branches et tiges. Il semble que toutes sont positionnées sur le même plan.

 

En réalité, les différents éléments de ces compositions sont dirigés à la fois vers l’avant et vers l’arrière ainsi que latéralement, de manière diverse.

 

 

Le schéma ci-contre, montre la projection, sur un plan horizontal, des branches principales utilisées dans le Rikka.

 

On note une direction prédominante donnée par les trois courbures des branches 1, 5 et 6, celles qui deviendront les éléments Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi de l’École Ohara.

Elles sont disposées obliquement par rapport à l’observateur/observatrice et alignées sur le segment qui relie les positions symboliques du Ciel et de la Terre dans le Tai-ji, ligne qui rejoint le point Yang maximum (Ciel) au point Yin maximum (Terre).

Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji.

 

Les huit autres branches principales vont dans diverses directions y compris vers l’arrière donnant ainsi, avec la branche principale 1 Shu-shi, la branche 5 Fuku-shi et l’élément 6 Kyaku-shi de la profondeur à la composition.

 

 

 

 

Les deux dessins de Suzuki Harunobu (1725-1770) ci-dessous et celui, plus bas à gauche, d’Isoda Koryūsai (1735-1790) montrent les branches des Rikka placées dans toutes les directions des 360° possibles donnant ainsi de la profondeur.

 

 

Suzuki Harunobu

 

 

Dessin ci-dessus : Seiro-Bijin-Aisugata-Kagami, milieu de la période Edo.

 

Dans la nouvelle composition Shōka de l’école Ikenobō, apparue au milieu de la période Edo et conçue pour être uniquement placée dans le tokonoma et donc visible seulement d’un seul côté, la profondeur de la composition est préservée.

Isoda Koryūsai

 

Dessin latéral d’un Shōka avec feuilles d’Aspidistra de l’École Ikenobō vu de dessus. Il met en évidence :

– Le côté Yang au soleil et le côté Yin à l’ombre de chacune des feuilles,  le soleil étant derrière la composition, à gauche et Shin « regarde » vers lui (Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

– Tous les autres éléments « regardent » vers Shin, visibles par le côté blanc des feuilles/Yang au soleil et le côté strié-noir à l’ombre/Yin de chaque feuille.

 

 

Orientation Soleil Yang (lumière) et Terre Yin (ombre).

 

La conception de la composition montre toutes les feuilles avec leur côté blanc/Yang au soleil (Hi Omote) et leur côté strié-noir /Yin à l’ombre (Hi Ura).

 

Diagramme ci-dessus :

Sections de toutes les feuilles d’Aspidistra montrant le côté blanc/Yang au soleil (Hi Omote) et le côté noir /Yin à l’ombre (Hi Ura) de chaque feuille de la composition.

Diagrammes ci-dessus :

– À gauche, directions des feuilles individuelles

– À droite, subdivision de l’ensemble de la composition en Yang et en Yin.

 

Dans le Shōka de l’École Ikenobō, la direction des trois éléments principaux placés symboliquement sur la ligne reliant le Ciel à la Terre basée sur la théorie taoïste du Tai-ji est maintenue, rendant ainsi possible la perception de la profondeur.

La profondeur de la composition est également maintenue dans les Seika des autres écoles dont Ohara en changeant la position de l’élément désigné Fuku-shi par l’École Ohara (Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji et Article 24, Shintoïsme et Ikebana : du Rikka au Shōka et Seika).

 

Les styles (Kei en lecture On et Kata en lecture Kun) de l’École Ohara liés à la tradition, issus du Seika, sont toujours visibles d’un seul côté tant dans l’arrangement le Moribana que dans le Heika.

La profondeur des compositions est conservée comme dans cet exemple de style Shikisai-Moribana Keisha-kei (incliné), profondeur difficile à imaginer sur la photo vue de face mais bien visible sur les photographies prises de profil et de dessus.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara.

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67. Symbolisme de la composition Ikebana dans son ensemble

Ikebana et tokonoma sont apparus et se sont développés conjointement au 15ème siècle. La création du Tokonoma a influencé certaines caractéristiques de l’Ikebana comme la position et la dénomination de droite Hon-Gatte ou de gauche Gyaku-Gatte. De même, le tokonoma a influencé sa symbolique afin que les arrangements soient placés uniquement dans son enceinte.

 

Ci-contre : Rikka dans lequel il est possible de deviner le symbole bouddhique de la montagne mythique Sumeru (Mont Meru) : dans la partie supérieure, vue de loin les trois pics arides s’étirent de la branche principale.

 

Par ailleurs, le Shōka et le Seika sont des symboles Tao du Tai-ji : les plantes se distribuent en partie Yang (bois) et en partie Yin (fleurs), symboles maintenus dans les styles Chokuritsu-kei, Keisha-kei et Kansui-kei de l’École Ohara où le groupe Shu-shi/Fuku-shi doit être Yang par rapport au groupe Kyaku-shi qui doit être Yin.

 

Ces symboliques peuvent être insérées tant dans le Rikka que dans le Shōka et le Seika parce qu’ils ne sont placés que dans le tokonoma des maisons traditionnelles jusqu’à la fin du 19ème siècle, espace sacré, inviolable et impénétrable, de faible profondeur comprenant un kakemono, un Ikebana et un éventuel troisième objet.

 

Dans la tradition, l’invité s’agenouille devant le tokonoma à une certaine distance par respect pour sa sacralité (généralement la distance d’un tatami) et admire en silence d’abord le kakemono, l’objet le plus important puis la composition, deuxième en importance.

 

Maison japonaise traditionnelle : le tokonoma est peu profond et fermé sur les côtés.

Il n’y a donc qu’une possibilité unique de regarder la composition Ikebana : de face et à une certaine distance. Si elle était visible de plusieurs côtés, la perception de la composition serait déformée en fonction des angles de vue.

 

Voir Article 13, La naissance d’Ikebana d’après les documents historiques, Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji, Article 16, Origine des positions ‘Hon-Gatte’ et ‘Gyaku-Gatte’ et Article 17, Composition à gauche et composition à droite, Article 22, Influence du bouddhisme sur la structure de l’Ikebana et Article 24, Shintoïsme et Ikebana : du Rikka au Shōka et Seika.

 

Le fait que l’Ikebana, dans la tradition, soit construit pour être admiré que d’un seul point de vue est bien illustré dans la « sculpture » de Marco Cianfanelli à Johannesburg, Afrique du Sud. Les éléments de forme et d’épaisseur variées insérés dans le sol ne montrent le visage de Mandela que d’un point de vue unique et précis.

 

 

Rikka

 

La manière de peindre les paysages en Chine est prise comme référence pour réaliser un Rikka symbolisant le Mont Sumeru.

 

Dessin chinois d’un paysage (dont les règles de composition sont assimilées par les peintres japonais) dans lequel les trois perspectives typiques sont représentées sur le même dessin :

– En partie haute : « au loin », les montagnes.

– Au milieu : « A mi-distance », les arbres.

– En dessous : le « proche ».

 

 

Le Rikka représente la mythique montagne bouddhique Meru :

– La partie haute, comme il était d’usage dans les dessins chinois et japonais de l’époque, est représentée avec une perspective « au loin ».

– La partie médiane « à distance moyenne ».

– La partie basse en perspective rapprochée.

C’est exactement comme dans un paysage.

 

Dans ce Rikka tiré du Rikka Shōdōshū (Manuel des principes justes du Rikka daté de 1864), on peut voir, bien que cela demande un peu d’imagination, les trois sommets du mont Sumeru tirés de la branche principale de pin qui entourent une vallée : le tronc incurvé de la branche principale, deux branches à droite (1 et 2) et une à gauche (3).

 

Ci-dessous à gauche, dessin d’un Rikka tiré également du Rikka Shōdōshū, dans lequel on reconnait facilement, dans la partie supérieure, la représentation des trois sommets montagneux vus de loin. Les trois branches collatérales de la partie supérieure de la branche principale de saule, deux à notre droite et une à gauche, sont les symboles des trois pics vus de loin qui entourent une vallée très semblables au dessin, à droite, montrant les sommets alpins entourant une vallée (Voir Article 22, Influence du bouddhisme sur la structure de l’Ikebana).

 

 

Dans ces deux dessins de Rikka pris en exemples, la représentation des parties « moyenne distance » et « rapprochée » ne sont pas « dessinées » comme l’est la partie « éloignée » et donc difficile à interpréter à première vue (Voir l’Article 22, Influence du bouddhisme sur la structure de l’Ikebana, pour l’explication).

 

Seika et Shōka

 

Le symbole du Mont Sumeru, qui caractérise le Rikka, n’est plus présent dans les Seika et Shōka.

Cependant, en plus d’autres symboles, la représentation du Tai-ji avec des végétaux répartis en Yang (branches) et en Yin (fleurs) est présente aussi bien dans le Rikka que dans les Seika/Shōka et dans les styles Chokuritsu-kei (vertical), Keisha-Kei (incliné) et Kansui-kei (se reflétant dans l’eau) de l’École Ohara qui découlent du Seika.

Dans toutes ces compositions, le symbole du Tai-ji avec sa partie Yang branches et sa partie Yin fleurs, n’est visible que si les compositions sont placées dans le tokonoma ou, comme on le fait actuellement, à l’extérieur, contre un mur de manière à être visibles de face seulement.

 

 

Ci-contre un Seika vue de face.

D’après la photographie, il est évident que la composition est construite pour être vue d’un seul côté uniquement.

 

Vue de profil, la partie inférieure de la composition confirme qu’elle a été conçue pour être vue seulement de face.

 

Dans certaines écoles, la mode est de représenter la crête du mont Fuji avec des végétaux aussi imposants que ceux du Rikka conçu par Hirozumi Sumiyoshi (1631-1705).

 

Représentation du mont Fuji dans ces trois Seika de l’école Enshū.

 

Arrangements rendus possibles uniquement parce qu’ils sont placés dans le tokonoma ou contre un mur et donc visibles de face uniquement.

 

 

 

 

 

Représentation avec d’autres matériaux ou symboles.

 

Oiseau Fuji-Yama, anonyme

 

Moribana et Heika de l’École Ohara

Les styles Chokuritsu-kei, Keisha-Kei et Kansui-kei sont issus du Seika où le symbole du Tai-ji est représenté avec sa partie Yang branches et sa partie Yin fleurs. Ce symbole n’est visible que si les compositions sont placées dans le tokonoma, ou comme on le fait actuellement à l’extérieur contre un mur, de manière à être vues de face.

 

Par exemple, ce Heika de style Chokuritsu-kei de l’École Ohara reproduit le Tai-ji avec des végétaux Yang (bois) du groupe Shu-shi/Fuku-shi et des végétaux Yin (fleurs) du groupe Kyaku-shi vus de face.

Le même Heika vu de profil (photo de droite) n’a ni sens ni signification.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

 

Occidentalisation du Japon et Ikebana (Voir Article 35, Histoire de l’Ikebana à la période Meiji (1868-1912), Taisho (1912-1925) et Shōwa (1926-1989).

 

Avec la Restauration de Meiji (1868-1912), débute l’occidentalisation « à marche forcée » du Japon. En dehors du domaine privé, l’empereur, toute l’aristocratie impériale et la noblesse shogunale utilisent dans toutes les occasions publiques les styles vestimentaires, objets et manières des Occidentaux. Tout ce qui est japonais est rejeté au profit de tout ce qui est considéré comme « occidental ».

 

Dans l’image de droite, une composition florale occidentale domine le tableau.

 

 

 

Vers 1930, un groupe d’ikebanistes, au cri de guerre « l’Ikebana sort du tokonoma » écrit le Manifeste contre les nouveaux styles d’Ikebana réalisés d’un point de vue occidental et non d’un point de vue japonais traditionnel, considéré comme dépassé à l’époque. Ce manifeste contient, entre autres, les phrases suivantes :

«Il faut se débarrasser de l’idée que c’est la nature ou le végétal qui constitue le matériau de base de l’Ikebana, sinon on n’arrivera jamais à faire de l’Ikebana un art au sens plein du terme« .

Et

 

«Le végétal n’est rien d’autre qu’un morceau de matière isolé qui, en soi, n’a ni sens ni contenu. Il ne faut y voir que des lignes, des couleurs et des masses dans les végétaux ».

 

Si dans les styles d’Ikebana créés avant les années 1930, la « personnalité » des plantes prévaut, dans ceux créés après cette date, la « personnalité » de l’ikebaniste prévaut.

 

En enlevant l’Ikebana du tokonoma et en le rendant ainsi visible de tous les côtés, il n’est plus possible d’appliquer la symbolique liée à la tradition (notamment celle du Tai-ji qui demande à regarder la composition de face). Les autres caractéristiques de l’ikebana restent cependant à l’entière discrétion de l’ikebaniste, à savoir le vide, l’asymétrie, la hiérarchie, l’utilisation des nombres impairs, le superflu, l’essentiel …

 

L’arrangement de l’École Ohara Hana-isho Narabu-katachi, forme dite « en ligne », est visible de plusieurs côtés.

Pour différencier les compositions non liées au tokonoma et au symbolisme des compositions traditionnelles de celles qui le sont, l’École Ohara utilise deux concepts différents :

Styles (Chokuritsu-kei, Keisha-Kei, Kansui-kei et Kasui-kei) pour des compositions liées à la tradition et destinées à être mises dans un tokonoma.

Formes pour des compositions créées après les années 1930 non liées au tokonoma ni à la tradition.

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66. Le sentiment des saisons dans les paravents peints japonais

.Article écrit par Nicoletta Fumagalli, Chapitre Ohara, Milan

.Malheureusement des illustrations de cet article ont été perdues lors de la migration du site. Je serais très reconnaissant à l’auteure si elle pouvait les envoyer à influpi@bluewin.ch Merci.

1 La symbolisation des saisons.

Au Japon, les quatre saisons sont bien distinctes : un printemps court suivi d’un été long, pré-mousson et mousson puis l’automne avec ses couleurs et un hiver enneigé.

La conscience du temps qui passe et la sensibilité délicate aux aspects caractéristiques de chaque saison ont donné naissance, depuis l’Antiquité, à une tradition qui associe un ensemble particulier de sentiments poétiques à chaque période de l’année. À partir de la période Heian (794-1185), la poésie associe une variété d’éléments naturels à une saison spécifique.

Dans la culture aristocratique japonaise, la représentation de la nature est rarement uniquement décorative ou mimétique. Bien au contraire, elle est presque toujours symbolique. La description d’une plante, d’une fleur, d’un animal ou d’un paysage devient la transcription implicite d’un état d’esprit. La nature est alors la clé de l’expression des émotions et des pensées. Même dans un cadre banal, il est préférable d’exprimer les émotions et les pensées de manière indirecte, élégante et polie, la référence à la nature en est le véhicule. La façon d’exprimer l’intime à-travers un élément naturel et l’intrication du monde extérieur et du monde intérieur sont essentielles pour comprendre la littérature et les arts visuels japonais.

Une grande partie de la poésie japonaise est ainsi devenue une poésie des saisons. Chaque sujet saisonnier a généré à son tour des associations qui sont devenues une partie du vocabulaire culturel, non seulement de la poésie, mais aussi d’une grande variété d’arts, tels que la peinture de paravents (Byōbu-e) et de rouleaux (Emaki), les compositions florales (Ikebana), le théâtre Nō, la cuisine (Kaiseki) et la mode.

Les Waka, poèmes japonais classiques de trente et une syllabes, écrits par la noblesse et autres dignitaires de la cour, sont d’une importance fondamentale : ils attribuent aux éléments naturels toute une gamme de caractéristiques saisonnières qu’il faut lire en référence à la vie humaine. Un certain nombre de ces associations sont originales et beaucoup, comme celle entre la rosée d’automne et les larmes, proviennent de la poésie chinoise de la même époque. La saison, avec l’amour, sont devenus le thème caractéristique de la poésie et de la peinture, en particulier les peintures décoratives aux couleurs fortes apparues à l’époque de Heian (794-1185), art narratif d’illustration dans le pur style traditionnel japonais appelé Yamato-e, puis dans le style Rimpa ultérieur de la période Edo (1603-1868).

Dans le poème classique, l’accent n’est pas mis sur la nature réelle mais sur ce qu’elle devait être. Dans un Waka, elle est élégante et gracieuse, comme nous le voyons également dans la peinture sur paravent.

La composition, ci-dessous, sur fond or montre au centre un pin sur lequel grimpe une glycine. Le torrent d’écume blanche qui coule parmi les nuages ​​dorés rafraîchit la scène. De droite à gauche, on voit des plantes et des oiseaux de la fin du printemps au début de l’automne : cela commence par la kerria et se termine par un camellia Sasanqua qui relie ce paravent à celui des deux autres saisons. Kanō Eino (1631-1697), fils de Kanō Sansetsu, reprend les motifs caractéristiques de la célèbre école Kanō, dont il est un représentant tardif.

 

 

La manière de considérer la nature comme harmonieuse est, selon les chercheurs contemporains, une construction culturelle qui a pris naissance dans la capitale Heian-Kyō (actuelle Kyōto) dès le VIIIe siècle. Le Waka est un genre poétique urbain né dans les villes, un outil de communication au sein d’une élite cultivée.

Avec la poésie, les autres pratiques telles que les paravents peints, les estampes, les kimonos de douze couches portés par les femmes aristocrates, les jardins, puis dès le Moyen-Âge, les bonsaïs, les compositions florales, l’identification des « lieux célèbres » liés aux saisons, le théâtre et la cérémonie du thé sont toutes des manières raffinées d’évoquer la vraie nature aux habitants de la capitale ayant rarement l’occasion de quitter la ville. Chez eux, cependant, ils sont entourés de paysages peints, d’allusions poétiques et d’un système élaboré de références à la nature.

Dans les 21 anthologies poétiques impériales, du Kokinshū (vers 905 après J.-C.) au Shinshoku Kokin Waka Shū (vers 1439 après J.-C.), les canons de la poésie sont fixés de manière à constituer un code compréhensible pour le lecteur averti. Les écrits poétiques parlent d’arbres et de fleurs dont la couleur et le parfum sont mis en valeur, d’oiseaux, d’insectes évoqués par leur cris tandis que le seul animal à quatre pattes mentionné est le cerf, de phénomènes atmosphériques tels que brouillards, averses printanières … et d’éléments liés à la cosmologie shinto tels que les montagnes, les rivières ou la lune.

Les saisons sont décrites en trois phases distingues et l’accent est mis sur les première et dernière phases. Au sein de chaque saison, les éléments naturels sont évoqués selon une progression rigide (par exemple, les fleurs de Prunus Ume viennent toujours avant les fleurs de cerisier et celles-ci avant la kerria, de sorte que, en un coup d’œil, on sait de quelle phase de la saison il s’agit.  

Les associations avec les sentiments sont également codifiées (par exemple, cerf = solitude), de sorte que paysage et émotions se confondent. Voir un cerf peint ou l’entendre mentionner dans la poésie fait naître immédiatement l’association avec la solitude, comme celle du cerf mâle à la recherche d’une compagne. Des combinaisons sont également fixées, généralement entre une fleur et un oiseau. Enfin, le poème Waka met l’accent sur l’élégance et l’harmonie : la nature n’est jamais représentée sous son aspect dangereux, jamais un tremblement de terre, une inondation, un aspect sauvage ou redoutable.

Fujiwara no Teika (1162-1241), grand poète, a définitivement canonisé ces associations mois par mois. Son travail devient la base d’une grande partie de la peinture ultérieure de la période Edo. Ogata Kenzan dépeint un poème de Teika selon les associations prescrites pour le premier mois de l’été : « Les robes de toile blanche / doivent être mises à l’air/ juste quand arrive l’été/ et les fleurs de Deutzia en bouton/ se courbent dans la haie/ dans le village de Shinobu/ où habite le coucou/ son chant se fait maintenant entendre/ en attendant le mois prochain/ quand le Deutzia fleurira ». Ogata Kenzan, principalement céramiste, a également produit douze assiettes carrées décorées et illustrées de poèmes de Teika.

 

Associations de Teika en mois, plantes, animaux, ces derniers étant presque tous des oiseaux.

 

Mois plantes Animaux
1er Saule Rossignol
2ème Fleurs de cerisier Faisan japonais
3ème Glycine Alouette
4ème Mandarinier Petit coucou
5ème Deutzia Cormoran
6ème Œillet sauvage Poule d’eau
7ème Patrinia Pie
8ème Lezpedeza La première oie sauvage
9ème Miscanthus Caille
10ème Chrysanthème Grue
11ème Néflier tardif Pluvier (oiseaux)
12ème 1ères fleurs du prunier Ume Sauvagine (oiseaux aquatiques sauvages, tels que canards, échassiers, cygnes, oies…)

 

Voyons concrètement les thèmes associés à chaque saison. Nous constatons que les saisons japonaises ne correspondent pas exactement à celles de notre calendrier.

 

Printemps du premier au troisième mois, du 4 février au 4 mai dans le calendrier japonais.

Depuis la période Heian, quatre thèmes marquent la fin de l’hiver et l’arrivée du printemps : la neige, le brouillard printanier, la fonte des glaces et le rossignol japonais des buissons ‘Uguisu’, oiseau semblable à un moineau avec un ventre blanc et des plumes de couleur (un mélange de vert, marron et noir). ‘Uguisu’ arrive au printemps dans la ville depuis les collines et les vallées environnantes, où l’on pense que l’hiver passe. « Sans la voix du rossignol qui vient de la vallée, comment saurions-nous que le printemps arrive ? » Kokinshū, anthologie impériale de poèmes Waka, (vers 920 après J.-C.), Printemps 1, n. 14.

L’arrivée du printemps est marquée par les premiers bourgeons du saule vert, le retour au nord de l’oie sauvage et le parfum des fleurs de Prunus Ume. Généralement représentés par des fleurs blanches aux cinq pétales arrondis, les Prunus sont appréciés car ils résistent au froid. Dans le poème du printemps, ils sont associés à la neige, comme dans le poème d’Otomo no Tabito composé dans sa résidence au cours d’un banquet : « Les fleurs de Prunus sont éparpillées dans mon jardin – une chute de neige du ciel! » Man’yoshu, (après 759 après J.-C.), 5 : 822.

Les bourgeons de saule symbolisent le printemps, la nouvelle vie et la naissance d’un nouvel amour : « C’est peut-être la couleur du vent qui vient avec le printemps – les branches vertes du saule se teintent de plus en plus de vert chaque jour qui passe » Shigi no hanegaki, (Anthologie Waka) 1691.

Les cerisiers, dans les jardins et dans toute la ville, deviennent un symbole de la beauté de la capitale, comme dans ce poème du moine Sosei composé en regardant la capitale alors que les fleurs de cerisier sont à leur apogée, « Quand je tourne au loin le regard, les saules et les fleurs de cerisier se fondent, faisant de la capitale un brocart de printemps » (Kokinshu, Printemps 1, n. 56).

Les fleurs de cerisier apparaissent au milieu d’une brume printanière dorée qui contrastent avec la terre noire et stérile, les bâtiments sombres et les autres arbres encore nus. Kanō Sanraku travaillant dans les années 1570 pour Toyotomi Hideyoshi, le célèbre Daimyō, étudie auprès de Kanō Eitoku et devient son gendre. Il est adopté en prenant son nom de famille et devient plus tard le chef de l’école Kanō.

L’aspect le plus intéressant de la fleur de cerisier devient le moment où les fleurs se fanent et se répandent au sol, comme évoqué dans le célèbre poème d’Ono no Komachi : « Alors que je regarde dehors pendant les longues pluies, la couleur des fleurs de cerisier s’estompe, tout comme ma vie, qui passe en vain » (Kokinshu, printemps 2, n° 113).

Le désir humain vise quelque chose que nous voulons réaliser ou quelque chose que nous avons perdu. En japonais, ces deux aspects sont exprimés par le verbe ‘Shinobu’ qui peut signifier « Étouffer le désir » ou « regarder en arrière avec regret ». Ce thème est récurrent au printemps. De même, les poèmes sur les fleurs de cerisier ne concernent pas tant le pic de la floraison que l’attente des fleurs puis le regret de les voir se faner. C’est ce sentiment qui se reflète dans les paravents peints.

Les fleurs associées à la dernière étape du printemps sont la glycine et la kerria.

À cette saison, le point culminant de la journée est le lever du soleil.

 

Été du quatrième au sixième mois, du 5 mai au 6 août dans le calendrier japonais.

Un autre oiseau, arrivé au quatrième mois, marque l’été : le petit coucou ‘Hototogisu’. Son attrait est associé à la nostalgie et aux souvenirs personnels, tout comme la fleur de mandarine ou plutôt son parfum.

« Quand je sens le parfum des fleurs de mandarinier en attendant le cinquième mois, je me souviens de la manche d’une certaine personne il y a longtemps » (Kokinshu, Summer, n. 139).

Les longues pluies oppressantes du cinquième mois, saison de la mousson, deviennent un sujet important à l’époque Heian. Elles sont associées à la mélancolie. L’association entre homophones ‘Samidare’ (pluie d’été) et ‘Midare’ (trouble) lie les pluies d’été à la dépression. Amour, souvenirs, moral déprimé sont les associations qu’évoquent le petit coucou et les fleurs de mandarine.

La chaleur de l’été est trop insupportable pour être mentionnée en poésie. On préfère donner des images évoquant la fraîcheur de la soirée et sa brièveté.

« Puisant de l’eau au puits à l’ombre des pins, je pense à une année sans été » Shuishū, (troisième anthologie impériale, 1005 après J.-C.) Été, n. 131.

 

En été, l’iris kakitsubata fleurit. Cette espèce d’iris souvent mentionnée dans les poèmes d’amour, peut-être parce que sa forme et sa couleur rappellent la beauté féminine.

L’Acorus calamus aromatique (jonc), une belle plante aquatique enviée, est associé à cette saison comme la pivoine, la Deutzia et le lys. L’été meurt sous le triste chant des cigales.

Moment de la saison, la nuit : toujours trop courte pour trouver un rafraichissement.

 

À gauche le printemps, au centre sont les pivoines d’été. Elles sont totalement hors d’échelle au regard du pin. Elles « triomphent sur le fond or. Elles hébergent le petit coucou, oiseau associé à la première phase de la saison.

 

 

 

 

Illustration 2

 

 

 

 

 

 

Automne du septième au neuvième mois, du 7 août au 6 novembre dans le calendrier japonais.

La chaleur estivale reste dominante tout au long de la première moitié de cette saison. Comme toujours, au Japon, la nature est observée dans les moindres détails et le passage progressif d’une saison à l’autre est attendu et espionné dans chaque signe. Le changement de saison de l’été à l’automne se fait d’abord sentir par le vent : « Même s’il n’est pas clair pour les yeux que l’automne est arrivé, je suis surpris par le bruit du vent » (Kokinshu, Automne 1, n. 169).

 

Le plein automne est lié à la lumière de la lune dans le ciel nocturne, ce qui suscite des pensées mélancoliques. Le professeur Haruo Shirane en parle dans son livre «le Japon et la culture des quatre saisons». « Bien que la lune apparaisse à toutes les saisons, l’association de la lune avec l’automne dans les anthologies impériales de la poésie Waka est si forte qu’à la fin, la lune en est venue à symboliser l’automne lui-même. » On le voit dans ce poème : « Quand je vois le clair de lune filtrer à travers les arbres, je sais que le poignant automne est arrivé » (Kokinshu, Automne 1, n. 184).

 

Le mot japonais « automne » ‘Aki’ est homophonique du mot signifiant « brillant ». Dans les temps anciens, l’automne est considéré comme la saison au cours de laquelle les feuilles sont teintées de couleurs vives et les « cinq céréales » récoltées ( riz, blé, mil, sorgho et haricots). L’automne est même supérieur au printemps par l’éclat brillant des couleurs comparé au plus magnifique des tissus.

 

« Au printemps, je vois une herbe qui est verte, en automne, il y a des fleurs aux couleurs innombrables » (Kokinshū, Automne 1, n. 245).

 

À partir du 9ème siècle, sous l’influence chinoise, l’automne est classé comme une saison de tristesse, voire de déclin amoureux. Un autre homophone, qui signifie « tristesse », est à rapprocher à celui de l’automne ‘Aki’. Dans une esthétique qui dépasse les apparences et exige une plus grande profondeur spirituelle, même les couleurs vives deviennent un symbole de fugacité et de mélancolie. « En tout, l’automne est triste – quand je pense à ce qui se passe lorsque les feuilles des arbres changent de couleur et se fanent » (Kokinshū, Automne 1, n. 187).

Le moment de la saison est la soirée.

 

Depuis le Man’yōshū, on retrouve les « Sept herbes » associées à l’automne, répertoriées comme suit : Lezpedeza, miscanthus à épis, Pueraria, œillet, patrinia, Eupatorium et Ipomoea. Plus tard, à partir de la période Heian, le chrysanthème devient la fleur principale de la poésie automnale. En Chine, cette fleur élégante est un symbole de longue vie et de statut social élevé. Au Japon, il est le sceau impérial, sous la forme à seize pétales double.

 

 

 

Dans ce tableau montrant des fleurs de chrysanthème avec des miscanthus, Ogata Kōrin utilise différentes techniques de peinture. Les miscanthus sont rendus avec de la peinture dorée sur une couche de ‘Gofun’ (coquilles broyées). Les chrysanthèmes sont représentés à différents stades de floraison, plus fermés en bas et de plus en plus gros à mesure que l’on monte.

Dans la peinture Rimpa, les artistes portent une attention particulière au rythme des éléments. Ici, l’espace vide a été soigneusement pris en compte. Si nous divisons le paravent par une diagonale qui relie le coin inférieur droit au coin supérieur gauche, nous voyons que le côté gauche reste presque complètement vide, tandis que les chrysanthèmes et les herbes sont concentrés sur la droite.

Le fond doré devient, à lui seul, un élément décoratif important tout en lumière repris dans la veine dorée des feuilles de chrysanthème.

Un aspect notable de ce paravent est le fond de l’autre face : sur un fond de feuille d’argent, un érable est peint dans sa robe rouge automnale dans la moitié opposée à celle occupée par les chrysanthèmes de l’autre face. Le contraste entre les deux faces – or et argent – est marqué. Kōrin semble donner les deux versions de l’automne, la lumineuse et la plus mélancolique.

 

Hiver du dixième au douzième mois, du 7 novembre au 3 février dans le calendrier japonais.

Le gel et la neige de l’hiver conduisent d’une part à regretter la saison passée et d’autre part à attendre avec impatience l’arrivée de la nouvelle saison. Un célèbre poème de Ki no Tsurayuki chante la beauté de la neige car elle ressemble à des fleurs de cerisier : « Lorsque la neige tombe, des fleurs inconnues du printemps apparaissent sur l’herbe et sur les arbres qui ont dormi tout l’hiver » (Kokinshū, Winter, n. 323).

Les poètes médiévaux incluent les sauvagines, en particulier le canard sauvage et le canard mandarin, dans les thèmes liés à l’hiver, comme dans ce Waka de Murasaki Shikibu : « Pouvons-nous considérer les oiseaux sur l’eau comme séparés de nous ? Moi aussi, je flotte dans l’incertitude et mène une existence douloureuse « (Senzaishū, L’hiver, non. 430).

Nous verrons plus loin dans les peintures sur paravents que la présence d’oiseaux côtoyant des fleurs est un thème classique de la représentation des saisons.

La neige, la glace, le givre et la lune presque transparente donnent naissance à une nouvelle esthétique de pureté froide et rendent le paysage monochrome très proche de la peinture à l’encre, d’origine chinoise, de la période Muromachi.

Le point culminant de cette saison est le matin.

 

Les oiseaux aquatiques d’automne volent vers l’hiver dans ce paravent où fleurit pourtant un gros Prunus tordu. Même si la peinture n’est pas strictement monochromatique, l’utilisation de la couleur est réduite à l’essentiel.

 

 

 

Illustration 4

 

 

 

 2 Un langage codé et un index des sentiments

Au 12ème siècle, le poète Fujiwara no Shunzei (1114-1204) écrit : « Comme indiqué dans la préface du Kokinshū, la poésie japonaise prend le cœur humain comme une semence, un bourgeon qu’elle fait grandir en d’innombrables feuilles de mots. Ainsi, sans la poésie japonaise, même si quelqu’un cherchait les fleurs de cerisier au printemps ou regardait le feuillage brillant de l’automne, personne ne serait capable de reconnaître leur couleur ou leur parfum… Au fur et à mesure que les mois passent, que les saisons changent et que les fleurs de cerisier cèdent la place aux feuilles brillantes de l’automne, nous nous souvenons des mots et des images des poèmes et nous nous sentons capables de percevoir la qualité de ces poèmes. »

Ce qui s’exprime, ici, ce n’est pas seulement le concept selon lequel la nature nous aide à concevoir et à exprimer des pensées et des sentiments : nous sommes bien au-delà. Shunzei affirme que la connaissance de la poésie relative à la nature est nécessaire pour que l’humain voie et reconnaisse les qualités de la nature, même celles qui parlent immédiatement à nos sens, comme la couleur ou le parfum. Dans cette vision, la poésie nous cultive, nous donne un cœur plus sensible au monde extérieur. Par conséquent, l’exploration des sentiments humains qui est typique de la poésie s’inspire de la nature, chaque subtilité du sentiment a son écho dans des éléments naturels particuliers.

Mais comment une plante ou un animal en viennent-ils à incarner un état émotionnel intérieur humain et sur quelle caractéristique?

Les oiseaux, les insectes et les cerfs mentionnés dans les poèmes Waka sont prisés pour certaines associations lexicales comme le ‘Matsumushi’ (grillon des pins) dont le mot signifie en japonais « insecte qui attend», ou pour leurs chants. En relation avec ces animaux, on utilise souvent le verbe ‘Naku’ qui signifie « pleurer », verbe qui exprime une série de sentiments humains tels que la tristesse, le regret, etc.

Les plantes ont également la capacité de ressentir. Par exemple, le Prunus est admiré pour son courage à fleurir en hiver, pour sa constance et sa résistance aux rigueurs du climat.

On peut aussi se demander comment se créent et se propagent ces associations entre éléments naturels et sentiments humains. En partie, j’ai répondu ci-dessus avec des exemples tirés de poèmes. Mais il existe aussi une autre voie dont Haruo Shirane (op. cit.) donne un exemple. Dans les « Parchemins de l’histoire du Dit de Genji », qui datent du 12ème siècle, chapitre mineur sur « Les rites », on voit le prince Genji avec sa bien-aimée, Murasaki en train de mourir. La scène se déroule dans un intérieur mais le peintre nous montre aussi l’extérieur, avec des herbes d’automne courbées par le vent et la pluie. Genji pleure sa bien-aimée en écrivant ce poème sur le Lespedeza : « Si peu repose la rosée sur le Lespedeza/ maintenant elle se disperse déjà dans le vent ». Le Lespedeza est l’une des herbes qui apparaît dans la scène. Les Lespedeza sont importants puisqu’ils occupent environ un tiers du tableau et symbolisent la douleur qu’endure Genji de l’intérieur. Dans la peinture des périodes suivantes, il suffira de représenter des herbes automnales courbées pour évoquer la douleur du détachement.

Fils d’un seigneur féodal (Daimyō) de la région de Himeji, Hōitsu éduqué à la poésie et à la calligraphie dès son plus jeune âge, s’imprègne de la culture populaire à l’âge de vingt ans et devient moine à l’âge de 37 ans. À cette période, il renoue avec la peinture Rimpa dans une version sophistiquée.

On voit ici les herbes d’automne secouées par le vent qui emporte les feuilles et fouette les sommités des ‘Suzuki’ (arbre à clochettes) jusqu’à ce qu’elles s’abandonnent et ne se relèvent plus, comme ci-dessous.

 

 

Notons que même lorsque les plantes ou les animaux sont traités comme un matériau poétique, ce n’est pas un dispositif rhétorique ou une métaphore sans vie. L’âme et les religions du Japon imposent toujours un profond respect de la nature qui n’est jamais considérée comme « autre » ou subordonnée à l’homme, mais plutôt comme une totalité dont l’homme fait partie.

3 Culture de cour et culture populaire

Tant à la cour que dans la culture populaire, la nature est d’une part vénérée, d’autre part redoutée à cause de ses manifestations catastrophiques mais aussi des événements, à plus petite échelle, qui peuvent cependant ruiner de manière imprévisible la récolte et entraîner la famine sur le territoire. La représentation de la nature, sous une forme poétique ou d’art visuel ou théâtral, est utilisée pour apporter un sentiment d’harmonie dans un monde désordonné et tumultueux.

À l’époque de Nara (710-794), la nature a une fonction de talisman à la fois pour conjurer les calamités (mort, fléaux, catastrophes) et pour invoquer la chance (une récolte abondante, une longue vie, une bonne santé). Dans le Man’yōshū, on voit les éléments naturels jouer le rôle d’intermédiaires entre les hommes et les divinités, ces dernières pouvant être bienveillantes ou malfaisantes. Les représentations talismaniques ne suivent pas la succession des saisons car elles se veulent être des points solides, fixes, au-delà des transformations constantes et imprévisibles du monde.

Voyons les éléments talismaniques qui nous intéressent le plus ici car ils sont fréquemment représentés dans la peinture des paravents : herbes et fleurs printanières, pin, bambou, grue et phénix.

Depuis l’Antiquité, on croit que les feuilles vertes et les fleurs colorées qui poussent au printemps sont porteuses d’une force vitale. Les chants décrivant des fleurs épanouies et des arbres feuillus sont une façon de les louer et de puiser dans leur force vitale. L’arbre le plus important et le plus populaire parmi les symboles talismaniques est le pin. Il est utilisé pour le bois de construction et les torches mais il est également connu pour sa longue durée de vie et être toujours vert. Il est alors devenu un arbre sacré associé à la longévité.

Le pin est un homophone du verbe ‘Matsu’ (attendre) et dans les Waka, il est associé à l’émotion d’attendre l’être aimé : « Si la fleur de Prunus fleurit et se fane, je serais le pin qui attend et je me demande si mon bien-aimé viendra ou non » (Man’yōshū, 10 : 1922)

Dans les paravents peints de la période Heian, le pin devient un élément indispensable.

Une autre plante talismanique importante est le bambou, symbole de longévité en raison des nombreux nœuds de sa tige.

 

Dans ce paravent, ci-dessous, le bambou est représenté de très près afin de mettre en valeur ses nœuds. La perspective inhabituelle semble nous mettre directement à l’intérieur du bosquet.

 

 

 

 

Illustration 6

 

 

 

 

 

Dans les paravents d’oiseaux et de fleurs de douze mois, la grue est représentée au dixième mois et sert à la fois d’image talismanique et de représentation saisonnière. Elle représente la longévité et la sagesse.

Le phénix, oiseau mythique, symbolise la paix et la bonne gouvernance. La robe la plus extérieure de l’empereur est décorée de motifs de bambou, de paulownia et de phénix. À l’époque Momoyama (1568-1615), les seigneurs de la guerre veulent que le phénix soit peint sur les paravents. Cette pratique se poursuit jusqu’à l’époque Edo et même on le retrouve sur les couvre-lits pour éloigner, la nuit, les mauvais esprits.

 

 

Face à un tableau, il faut être prudent. Il y a deux manières d’interpréter les plantes :

– l’une indique telle ou telle saison et le sentiment qui lui est associé, par exemple la saison des chrysanthèmes.

– L’autre indique la longévité et l’immortalité comme l’emblème impérial du chrysanthème qui indique la longévité et non pas l’automne.

Le phénix, oiseau mythique et magique, est un sujet populaire dans les peintures « Oiseaux et fleurs », qui voient le jour au 12ème siècle et prospèrent à l’époque Edo. Ces peintures sont une spécialité des écoles Kanō et Tosa parrainées respectivement par le gouvernement militaire et par la cour impériale. Elles sont souvent données lors d’occasions importantes à des personnalités de haut rang et ont pour fonction rituelle soit de porter chance soit de reconnaître l’autorité ou la valeur de la personne à qui elles sont dédiées.

 

Les valeurs saisonnière et talismanique des fleurs et des plantes sont souvent évoquées dans la poésie et les arts traditionnels comme l’Ikebana. Les compositions Rikka, par exemple, associent généralement un feuillage persistant, élément principal, vertical (Shu-shi) au centre de l’arrangement à une fleur de saison comme auxiliaire horizontal.

 

Héritage secret d’Ikenobō Senkō (1542), le premier traité systématique sur le Rikka, fournit la liste de plantes pouvant être utilisées comme Shu pour chacun des douze mois :

 

Mois              Végétaux
Printemps 1er Pin, prunus
2ème Saule, Camellia
3ème Pêcher, iris (kakitsubata)
Été 4ème Deutzia
5ème Paeonia
6ème Bambou, Acorus calamus aromatique, lis, lotus
Automne 7ème Campanule (Kikyo), Lychnis coronaria (Coquelourde des jardins)
8ème Chamaecyparis obtusa (Cupressus japonica ‘Honoki’), Chamaecyparis lawsoniana
9ème Chrysanthemum, Celosia cristata (crête de coq)
Hiver 10ème Cornus chinois, Nandina
11ème Narcissus, aster
12ème Eryobotria japonica (néflier du Japon), Prunus précoce.

 

Ici, Shu-shi a une fonction double : représenter la saison ou le mois et être le pilier de la structure de la composition.

Il est également possible que les associations végétales prescrites pour la composition de paysages traditionnels de l’École Ohara tiennent compte de la valeur symbolique de chaque plante et fleur mais aussi de la cohérence saisonnière.

 

Dans les racines religieuses anciennes de l’ikebana, nous pouvons trouver une clé pour comprendre le rôle talismanique des plantes. Dans le bouddhisme, la sphère céleste est souvent décrite comme un lieu plein de fleurs. L’intérieur des temples bouddhiques sont décorés de fleurs pour reproduire la sphère céleste de notre monde. L’image de Bouddha se voit offrir fleurs, encens et bougies, offrande à partir de laquelle l’art de l’ikebana a peut-être commencé. Mais même avant l’introduction du bouddhisme au Japon, on croit que les plantes peuvent incarner ou transmettre le pouvoir des dieux (Kami) que l’on pense habiter la nature.

Dans les rites bouddhiques et de dévotion aux dieux, les images de la nature en particulier des fleurs sont, certes, le symbole du caractère éphémère du monde mais elles sont aussi un moyen des dieux eux-mêmes de se manifester et d’éloigner les maladies et la précarité de la vie.

 

La tradition classique inspirée de la noblesse et de la cour représente les éléments naturels à partir d’objets esthétiques tandis que la culture populaire s’appuie sur des éléments quotidiens (relatifs à l’agriculture, à la chasse aux proies ou aux animaux nuisibles). Ces deux esthétiques fusionnent à partir du 16ème siècle : les éléments de la culture populaire apparaissent dans des descriptions poétiques et des représentations picturales.

 

Ce paravent célèbre la riche moisson d’automne et témoigne de l’union des deux esthétiques, celle de la noblesse et celle de classe la populaire. Le millet mûr attire de nombreux oiseaux, moineaux, passereaux et mésanges charbonnières, chers à la culture paysanne. Nous voyons également une clôture en bambou, un filet pour attraper des oiseaux et des hochets d’épouvantail suspendus à des fils tendus, rappelant la présence d’une ferme. À leurs côtés, sont peintes des herbes d’automne, motif traditionnel de la « culture de la noblesse ».

 

 

 

 

Illustration 7

 

 

 

 

Enfin, les saisons sont très importantes car chacune est associée un point cardinal, selon le Feng-Shui importé de Chine (voir Article 9, Feng-Shui et Ikebana). C’est une vision de l’univers basée sur la croyance que la terre contient des forces vitales devant être sauvegardées pour le bien-être de ses résidents. Les villes sont alors conçues en gardant ces critères à l’esprit, de même que chaque maison. Le jardin «Feng-Shui» de printemps à l’est, de l’été au sud, l’automne à l’ouest et l’hiver au nord devient un idéal culturel.  Des jardins se créent où vous pouvez voir les quatre saisons en regardant dans les quatre directions. Cette époque utopique se retrouve dans la littérature (par exemple dans l’histoire de Genji) et dans l’art pictural.

Chaque saison est représentée par un groupe de fleurs : par exemple l’été par des iris, des lys et des œillets. Les groupes saisonniers répondent à la position traditionnelle des saisons selon le Feng-Shui.

4 Le flux du temps et la magie qui l’arrête

 

Les changements au cours des saisons sont pris comme une métaphore de la fugacité de la vie et des changements imprévisibles du monde. Ce point de vue a trouvé un solide écho dans la croyance bouddhique selon laquelle toutes choses sont impermanentes. L’exemple le plus frappant est celui des cerisiers en fleurs qui perdent leurs pétales dès qu’ils ont fleuri.

Nijō Yoshimoto, poète classique, a écrit : « Quand vous pensez que c’est hier, aujourd’hui c’est fini, et quand vous pensez que c’est le printemps, c’est l’automne. Quand on pense que les fleurs ont fleuri, les choses se transforment en feuilles colorées de l’automne».

Éviter le cours du temps est certainement impossible, mais d’une manière ou d’une autre, l’homme a besoin de ralentir le passage précipité des jours. Cela peut être fait en créant des images qui cristallisent certains moments de la vie et ainsi à y revenir quand nous le voulons.

En particulier, représenter les quatre saisons ensemble réunies nous rappelle le passage d’une saison à l’autre qui se produit de manière singulière. Le cycle est un mouvement rassurant car il revient infailliblement, similaire à lui-même et est donc, au moins partiellement, prévisible. Pris dans son ensemble, c’est le type de mouvement le plus stable et le plus robuste qui soit.

C’est ce qui m’a fasciné dans les paravents peints des quatre saisons.

 

4.1. Les paravents peints

 

Les paravents, en japonais Byōbu, qui nous intéressent ici ont une lointaine origine chinoise (dynastie des Han, 206 avant J.-C. – 220 après J.-C.). Ils sont introduits au Japon à la fin de l’époque Nara, vers le 8ème siècle.  Byōbu signifie littéralement « mur pour le vent » dont le but originel est de bloquer les courants d’air fréquents dans les maisons japonaises à plan libre. Les paravents sont aussi une manière habile et souple de scinder les espaces, de protéger des regards ou d’atténuer la lumière. Au cours de la période Heian qui a suivi, la conception des paravents évolue passant d’un simple paravent à un seul panneau à des paravents à deux, six ou parfois huit panneaux. Ils sont pliables et portables, généralement produits par paires.

 

Sur un simple cadre et un treillis de bois de cryptomeria, l’artisan applique, en les collant, sept couches différentes de papier étirées sur la surface du treillis. Chacune couche est formée de nombreuses feuilles superposées à base de mûrier à papier (Broussonetia papyrifera). En couches alternées, les feuilles sont collées uniquement sur les bords plutôt que sur toute la surface, laissant ainsi des poches d’air qui augmentent la résistance et la durabilité du paravent. Les couches les plus externes de chaque côté du cadre sont les surfaces à peindre mais généralement un seul côté est utilisé. Après la mise en place des peintures et de la bordure de brocarts bien choisi, un mince cadre en bois laqué rouge ou noir est ajouté pour protéger la structure.  Dans les temps anciens, les panneaux sont reliés par des cordes de soie ou de cuir (période Nara 710-794) et à partir de la période Heian (794-1185), ils sont attachés grâce à des charnières métalliques ‘zeni-gata’ en forme de pièces de monnaie. Plus tard, à l’époque de Muromachi (1336-1573), les ‘Zenigata’ sont remplacés par des charnières de papier plié, rendant les panneaux plus légers à transporter, plus faciles à plier et plus résistants aux jointures. Surtout, cette technique permet la représentation picturale de larges scènes ininterrompues.

Aux périodes Azuchi-Momoyama (1568-1603) et Edo (1603-1868), la popularité des paravents peints ne cesse de croître et les seigneurs féodaux ou nobles les affichent dans leurs maisons comme symboles de richesse et de pouvoir.

 

Deux styles différents caractérisent les grandes peintures de château :

 

le style à l’encre représente un mode d’expression plus personnel et plus traditionnel. Il se développe à l’époque Muromachi (1392-1568), sous l’influence des modèles chinois. Il est principalement utilisé pour les monastères et les appartements privés où les seigneurs se réunissent pour discuter et boire du thé.

 

Tosatsu, élève de Sesshu, connait bien les peintures chinoises d’oiseaux et de fleurs du début de la période Ming, en particulier, les œuvres de Lu Ji qui traitent le même thème.

 

Tosatsu peint sur ce paravent (ci-dessous) une scène dramatique dans laquelle un faucon fond sur des hérons terrifiés qui s’enfuient vers le bambou et le lotus. Un autre oiseau de proie, tenant un lièvre dans ses griffes, observe l’action. Les plantes précisent les saisons (de droite à gauche) : fin de l’hiver, printemps et début de l’été. Dans un autre paravent, alors que la nature passe de l’été à l’automne, la chasse aux rapaces se poursuit. Le thème des peintures est le pouvoir des oiseaux de proie et Tosatsu, fils d’un samouraï, savait bien ce que cela signifiait pour les hommes.

 

 

La peinture à l’encre de Chine a également fourni le symbolisme de certaines plantes. Par exemple, les quatre végétaux appelés « les quatre gentilshommes » symbolisent les quatre saisons, les quatre âges de l’homme et les quatre vertus du gentilhomme selon les canons des lettrés chinois :

– Prunus : caractère fort et patient

– Orchidée : grâce et noblesse d’esprit

– Chrysanthème : pudeur et pureté 

– Bambou : capacité être ferme et énergique mais flexible (comme le bambou est creux à l’intérieur, il se plie mais ne se casse pas).

 

Chacune de ces plantes est aussi une leçon de peinture à l’encre.

Dessiner l’orchidée est le premier niveau, un exercice sur le trait et sur le mouvement libre du bras.

Ce n’est qu’après que l’on peut passer au bambou pour lequel des coups courts et vigoureux sont nécessaires.

La représentation du Prunus implique une combinaison des deux premiers mouvements avec l’ajout de l’expérience du sec et de l’humide.

Enfin la quatrième et dernière leçon, qui concerne le chrysanthème, sert à apprendre l’usage du clair-obscur et pour y parvenir, il faut savoir dessiner les trois premiers.

 

le style de peinture à l’or et en couleurs, très différent, est réservé aux espaces publics, comme les salles d’audience. On pense que Kanō Eitoku a été le premier à utiliser un fond de feuille d’or dans de grandes peintures (voir paravents quatre saisons plus bas).

Eitoku a vécu à l’époque Azuchi-Momoyama (1568-1600). Il est le peintre le plus important de sa génération et l’initiateur du nouveau style « des palais ».

Son histoire familiale et son ambition le mettent en contact avec tous les grands seigneurs de guerre de son temps : Oda Nobunaga, pour qui Eitoku et ses élèves passent quatre ans à décorer les immenses salles d’audience du château d’Azuchi. Il fait de même dans les châteaux d’Osaka, à Juraku-dai et au château de Fushimi de Toyotomi Hideyoshi. Il peint aussi dans le palais impérial. C’est un travail gigantesque. Par exemple, en 1588, Toyotomi Hideyoshi fait créer un chemin avec une centaine de paravents peints pour que ses invités, arrivant à la fête, admirent les cerisiers en fleurs ‘Hanami’.

Cependant, Eitoku qui vit à une époque mouvementée, la plupart de ses œuvres a suivi le sort de ses propriétaires. Avec l’assassinat de Nobunaga, le château d’Azuchi est incendié jusqu’à ses fondations deux ans seulement après qu’Eitoku a fini de le peindre.

 

4.2. Oiseaux et fleurs des quatre saisons : trois exemples

Cette catégorie picturale, dont nous avons également vu quelques exemples ci-dessus, est un classique de tout l’Extrême-Orient. En particulier, j’ai fait référence aux canons esthétiques japonais qui précisent les caractéristiques des éléments naturels en lien avec la vie humaine. Les oiseaux interviennent pour donner du mouvement aux scènes peintes et les enrichir de leur propre symbolique.

 

Le long des douze panneaux de ces deux paravents « arbres, fleurs et oiseaux des quatre saisons » de Kanō Eitoku (1543 –1590), des oiseaux et des fleurs symboliques à profusion célèbrent le cycle des saisons.

 

Dans le 1er paravent, de droite à gauche, des arbres en fleurs et des fleurs printanières accompagnent une grue avec ses petits tandis que, plus à gauche, une souche de Lilium annonce le passage à l’été. Un groupe de bambous que l’on aperçoit dans les nuages qui occupent les panneaux du centre.

 

 

 

Paravent « arbres, fleurs et oiseaux des quatre saisons » de Kanō Eitoku (1543 –1590)

 

Dans le 2ème paravent, ci-dessous, un hibiscus blanc et rose marque la transition de la fin de l’été à l’automne. La grande finale est un pin enneigé qui étend ses branches courbes à-travers le paravent. Elles encadrent une paire de grues adultes se regardant majestueusement. La peinture réaliste et détaillée des éléments naturels au premier plan, typique de l’école Kanō, est équilibrée avec des nuages ​​et d’autres éléments de fond plus abstraits ainsi que de grands espaces vides.

 

Paravent « arbres, fleurs et oiseaux des quatre saisons » de Kanō Eitoku (1543 –1590)

 

Cette magnifique composition célèbre la longévité avec le motif auspicieux des grues, parle de force virile et d’imperturbabilité avec le pin et rappelle le caractère éphémère de la beauté et de la vie avec le cerisier en fleurs. Elle présente aussi les symboles d’autres plantes qu’un observateur de l’époque n’a pas eu de mal à lire clairement : le fleuve du temps coule de l’un à l’autre des paravents mais il ne coule pas, étant seulement peint. Il est comme un ‘souvenir’ mais le scénario dans lequel il est placé est si harmonieux, si beau et si brillant que son flux ne suscite pas de pensées tristes.

 

 

 

Paravent de Sakai Hōitsu (1761-1828)

 

La forme des paravents fait que les deux scènes qui s’ouvrent sur les saisons sont comme deux fenêtres, deux tableaux dans le tableau. Le passage du temps semble être interrompu, séparé par le vide entre une saison et une autre. Le fond abstrait rend encore plus évident l’aspect symbolique des scènes. Ce paravent semble dire : « Regardons l’automne et l’hiver ».

La feuille d’or appliquée sur l’envers de la soie donne aux paravents une légère luminescence et une impression de profondeur.

 

Dans le 1er paravent, À droite, les sept herbes d’automne avec les chrysanthèmes et les hibiscus représentent l’automne dans ses différentes phases. À gauche, l’hiver est évoqué par des jonquilles, des camélias Sasanqua et des Prunus et toujours des oiseaux liés à la saison.

Il ne nous reste plus le double écran de celui-là, censé représenter le printemps et l’été.

Au fil des saisons, au-dessus de la traditionnelle rivière, court la brume de printemps puis le brouillard de l’automne. Un moineau ‘Uguisu’ sur une branche de Prunus en fleurs annonce le printemps. Au-delà la kerria, symbole du début de la saison, vient l’été symbolisé par les iris, les oiseaux et les fleurs des marais.

 

Dans le 2ème paravent, les herbes d’automne et les plantes enneigées sont illuminées par une lune argentée, que l’on voit maintenant brunies par le temps.

 

 

 

 

 

 

Illustration 11

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Illustration 12

 

 

 

 

 

 

Le dessin, simple et élégant, reflète le style de l’École Rimpa d’Edo (aujourd’hui Tokyō), dirigée par Sakai Hōitsu.

Ses compositions adhèrent au modèle de Kōrin tant dans les couleurs que dans la rareté audacieuse des éléments.

On voit très bien, sur le tronc du Prunus, que Hōitsu utilise la technique Rimpa du ‘Tarashikomi’ (littéralement égoutter). Elle consiste à faire passer un second pigment sur le premier encore humide. De cette manière, des taches et des fusions de couleurs se forment, en partie involontaires, augmentant ainsi l’intérêt visuel. Dans la peinture Rimpa, le contraste entre le dessin très stylisé et épuré des fleurs et cette technique plus rustique appliquée à d’autres éléments est très recherché.

 

On voit que peu, très peu, suffit à évoquer le sentiment de la saison. Ce qui compte dans ces peintures, aux mêmes motifs reproduits et datant de centaines d’années, c’est l’émotion que l’artiste parvient à recréer chez l’observateur/observatrice. Ici, il me semble qu’il y a de la solitude et du détachement : vous ne voyez pas, ou peut-être de façon subjective vous ne savez pas, comment chaque saison passe dans la suivante car tout est voilé. Chaque phase peut sembler isolée les unes des autres : au lieu d’une symphonie, c’est une série de notes « détachées ». Musique moderne.

5 Conclusions

Après tout ce qui a été dit, on pourrait objecter que les saisons sont importantes dans toutes les cultures du monde. Cependant, ce qui rend la culture japonaise des quatre saisons vraiment impressionnante, c’est la saisonnalité culturelle, en particulier, la subdivision précise des éléments naturels en phases et en catégories saisonnières avec ses associations spécifiques. Impressionnante aussi par le fait qu’elle fonctionne depuis plus d’un millénaire.

Les premières associations poétiques entre les éléments naturels et éléments culturels n’ont pas vraiment changées au fil du temps mais elles se sont plutôt partiellement modifiées et enchâssées à de nouveaux éléments. Ainsi, les croyances sur les pouvoirs talismaniques des plantes et des animaux, apparues pour la première fois à l’époque de l’Antiquité et de Nara, continuent de coexister avec les élégantes représentations de la nature basées sur la couleur, l’odeur et la voix de la culture aristocratique et de la cour de la période Heian. Ces pouvoirs talismaniques, à leur tour, restent présents dans les paysages monochromes d’influence chinoise à l’époque médiévale. Au cours de la période Edo, la perception la plus traditionnelle des saisons se poursuit conjointement aux nouvelles perspectives sur la nature fournies par la recherche scientifique.

Le résultat est un ensemble de connaissances complexes et denses bien ancrées dans la culture japonaise. Les détails font partie d’un vocabulaire canonique à tel point que, par exemple, les titres des paravents sont généralement attribués par les conservateurs contemporains des musées. En effet, lors de leur création, les paravents n’ont pas besoin de porter un nom : ils sont regardés et à première vue, la charge émotionnelle liée aux associations saisonnières qu’ils portent en eux est ressentie.

 

Dans ce travail, je n’ai pas pris en considération les nombreux autres aspects affectés par les associations saisonnières tels que les vêtements, les congés annuels, les relations interpersonnelles, la cérémonie du thé. Je n’ai pas suivi le développement du système de mots saisonniers ‘Kigo’ depuis sa création dans la poésie Waka jusqu’au Haïku moderne. Je n’ai fait aucune mention, non plus, des relations sociales dont cette vision de la nature est l’expression. La simple liste des implications émotionnelles des japonais pour les saisons montre le rôle central que tiennent les saisons dans la culture de ce pays et la complexité riche et fascinante de ce thème.

 

Bibliographie

Far Eastern Art, colloque organisé par Gabriele Fahr-Becker, Könemann 2000.

Graf, Mauro : www.maurokorangraf.ch/ art. N° 59.

Lippit, Yukio: Ink Painting and the Rinpa Tradition, Conférence au Metropolitan Museum, New York, 30/09/2012.

Masera, Maria : Notes d’orientation sur l’école de peinture Rimpa « École des fleurs et des herbes », polycopié du cours d’Ikebana.

Momoyama – Japanese Art in the Age of Grandeur, Catalogue de l’exposition tenue au Metropolitan Museum, New York, 1975.

Shirane, Haruo : Le Japon et la culture des quatre saisons – Nature, littérature et arts, Columbia University Press, New York 2012.

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65. « Les erreurs à éviter »

Les règles de construction des arrangements de l’École Ohara proviennent principalement de celles du Seika qui, lui-même, vient de la simplification des règles de composition du Rikka créées au 15ème et perfectionnées au 16ème siècle.

Dès le début de la création des règles de construction du Rikka, les différents auteurs mettent en évidence les « erreurs à éviter ».

 

Dessin anonyme d’un Rikka avec une liste de 13 « erreurs à éviter », toujours valables aujourd’hui pour tous les types d’Ikebana liés à la tradition. Citons les plus fréquentes :

– La symétrie entre les éléments.

– Le chevauchement des éléments.

– « L’ascension sociale » d’un seul élément. Ce dernier désigne un élément qui, par sa position,  perd sa fonction et en assume une autre créant presque un doublon.

 

Avec l’apparition des Shōka/Seika, les mêmes erreurs sont illustrées dans différents textes.

 

 

Liste d’erreurs, auteur anonyme.

 

 

Textes surtout de langue anglaise.

 

Parmi les nombreux exemples, ceux cités par Mary Cokely Wood et tirés des livres qu’elle possède sont datés de 1688 et 1750.

Des croquis et des dessins simplifiés et exagérés illustrent les « erreurs » que l’ikebaniste doit éviter.

 

 

Quelques exemples.

 

 

Dans le Rikka, au moins jusqu’à la période Edo, seules les branches sont utilisées comme éléments principaux désignés ensuite par l’École Ohara Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi.

Les fleurs sont disposées seulement l’intérieur de la composition.

 

Le texte le plus ancien qui nous soit parvenu « Kao Irai no Kadensho » (1486) présente que des branches pour illustrer les « erreurs à éviter ».

 

 

 

L. Sadler, dans son Art of Flower Arrangement in Japan, montre des schémas assortis d’explications.

 

  1. Poitrine de pigeon. Un angle désagréablement pointu.
  2. Escalade sociale. Le secondaire ne doit pas rivaliser avec le principal.
  3. Opposés de même longueur. Trop symétrique.
  4. Branche qui pique les murs. Sortir horizontalement vers l’arrière. La même projection vers l’avant est appelée branche d’invité et si elle est dirigée vers le haut ou vers le bas, le ciel ou la terre.
  5. Pointage vers la terre. Toutes les branches doivent tourner vers le haut.
  6. Tombant des deux côtés à la fois.
  7. Branches malades. Avoir une apparence faible et effilochée.
  8. Découpe de fenêtre. Aucun croisement de branches n’est autorisé.
  9. Voir la coupe. Une autre variété de la même chose.
  10. Feuilles d’un seul côté uniquement.
  11. Feuilles mortes. Avoir un regard tombant et sans vie.
  12. Feuilles d’épée. Démarquez-vous à plat et raide et suggérez une lame d’épée.
  13. Ciblez les fleurs. Exactement face au spectateur comme un œil de bœuf.
  14. Fleurs étagées. Désagréablement symétrique.
  15. Côtés égaux. Latérales doivent toujours être de longueur inégale.
  16. Yeux de sanglier. Fleurs en grappe régulière symétrique.
  17. Branche d’ongle tordue. Les virages serrés réguliers ne sont pas agréables.
  18. Grattage de vase. Aucune partie de l’arrangement ne doit toucher le vase.
  19. Coupe de couleur ou sandwichant. Une couleur en divisant régulièrement une autre en alternance.
  20. Un morceau de feuillage obscurcissant un autre ou la tige.
  21. Pliez l’arc des branches. Mauvais augure car suggère l’agression et le militarisme comme 12.
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64. Ikebana et triade bouddhique

Le syncrétisme religieux est une des caractéristiques de la culture japonaise et se retrouve dans la symbolique de l’Ikebana.

 

Alors qu’en Occident il y a eu des guerres de religion provoquées par la réforme protestante et le schisme anglican, au Japon le dicton « le nouveau s’ajoute à l’ancien sans le supplanter » a toujours été appliqué. Les nouvelles religions ou philosophies sont incorporées dans les systèmes préexistants. Les moines-guerriers (Sōhei) qui se battent le font, non pas pour défendre leur religion, mais pour avoir ou maintenir des privilèges sur leurs territoires, sur les impôts ou encore sur la nomination des moines généralement décidée par la cour impériale.

 

Ci-contre, reconstitution historique du Sōhei médiéval.

 

               

Le bouddhisme, introduit au Japon en 538 après J.-C., s’est mêlé à la religion native shintō et dans les quelque neuf cents ans qui se sont écoulés avant l’apparition de l’Ikebana au XVe siècle, les symboliques de ces deux religions se sont combinées. Les règles de l’Ikebana se sont formées, en partie, sur ces bases religieuses.

 

Le style « primordial » ou originel des Tatebana et Rikka, dont dérivent tous les autres styles traditionnels de toutes les Écoles, correspond à ce que l’École Ohara appelle le style Chokuritsu-kei dans lequel la branche la plus importante est au centre et en position verticale.

Les branches principales du Rikka sont au nombre de 7 ou 9. Dans l’image ci-contre sont indiqués, parmi les 9 éléments principaux, ceux qui deviendront les trois éléments principaux dans le Chokuritsu-kei de l’École Ohara. Dans le Rikka, il est à noter :

– A : Shu-shi et Fuku-shi sont relativement proches tandis que Kyaku-shi est plus éloigné.

– B : Shu-shi et Fuku-shi sont du côté Yang de la composition, au soleil tandis que Kyaku-shi est du côté Ying, à l’ombre (Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

 

À l’époque Edo, le Rikka simplifié devient les Shōka/Seika, ne gardant seulement trois branches. Les règles sont maintenues :

– A : Shu-shi et Fuku-shi sont relativement proches alors que Kyaku-shi est plus éloigné (Voir Article 62, Utilisation des nombres impairs en Ikebana).

– B : Shu-shi et Fuku-shi, étant du côté Yang de la composition, sont de même végétal Yang (branche) par rapport à Kyaku-shi qui doit être Yin (fleur) par rapport au groupe Shu-shi/Fuku-shi

– C : Des sept ou neuf branches principales du Rikka, trois seulement sont conservées.

 

Ces trois concepts A, B et C dérivent de l’union d’un symbole bouddhique, la triade bouddhique avec un symbole taoïste, le Tai-ji divisé en côté Yang et côté Yin.

 

La triade bouddhique est introduite au Japon (au début de la période Asuka, vers 550 après J.-C.) avec les peintures représentant Bouddha debout, toujours au centre et entouré de deux personnages mineurs, qui changent selon les besoins. Le personnage à la droite de Bouddha est proche tandis que celui à sa gauche est plus éloigné.

 

 Dès l’époque Heian (794-1185), trois pierres représentant la triade bouddhique sont placées dans les jardins ou peintes sur des kakemono.

 

– Le rocher central 1 et celui à sa droite 2 sont relativement plus proches et représentent la partie Yang/masculine du Tai-ji.

– Le troisième rocher 3, à la gauche du rocher central, est relativement plus éloigné et plus en avant représente son Yin/partie féminine.

(Voir Article 53, De l’Ikebana à la cuisine et à la technique photographique).

 

 

 

 

Intéressant ce triptyque d’Utagawa Kunisada (1786-1865) représentant l’un des serviteurs du dieu Fudō Myōō : deux fleurs de lotus et une feuille sont dessinées selon le modèle de la triade bouddhique.

Soulignons également l’ouverture différente des deux lotus et la subdivision de 3 en 2 + 1 avec le côté Yang/fleurs et le côté Yin/feuille (Voir Article 62, Utilisation des nombres impairs en Ikebana).

 

La disposition selon la triade bouddhique se retrouve fréquemment dans la peinture et plus tard, à l’époque moderne, dans les photographies.

 

Kakejiku, encre sur papier de Gessai Gabimaru (1789-1818)

 

Le peintre surréaliste belge, René Magritte (1898-1967), utilise ce schéma de composition dans deux peintures célèbres. L’agencement des éléments reprend la forme de la triade bouddhique avec 5 = 3 + 2 (Voir Article 69, Naissance des styles en Ikebana).

 

 

Dans la publicité occidentale, le schéma de triade est fréquemment utilisé. C’est le cas du cirque américain Barnum dans laquelle les trois plus gros ours sont disposés selon ce schéma. Le plus gros de tous est au centre avec, à sa droite proche, un mâle et la troisième, plus en avant, une femelle. Les plus petits ours et les hommes ne sont que des auxiliaires.

De même, dans cette publicité suisse plus récente de Coca Cola où les montagnes suisses sont idéalisées et dessinées dans une variante de la triade (le troisième plus petit élément est en arrière des deux autres).

 

 

En revenant à l’Ikebana, les règles de construction issues de la triade bouddhique sont maintenues par l’école Ohara.

 

– A : Shu-shi et Fuku-shi sont relativement proches alors que Kyaku-shi est plus éloigné.

– B : Shu-shi et Fuku-shi, étant du côté Yang de la composition, sont de même végétal. Ils sont Yang (branche) par rapport à Kyaku-shi qui est Yin (fleur).

– C : L’esprit de la triade est présente dans l’utilisation de trois Yaku-eda (Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi).

 

 

 

 

 

 

Le concept de la triade bouddhique est encore appliqué dans la disposition des cinq pommes de pin.

– Deux grandes masses pour Shu-shi et Fuku-shi et trois petites dans le rôle de Chukan-chi, côté Yang.

– Kyaku-shi est la fleur rouge Yin placée dans le coin.

 

 

 

Cette composition de Kawase Toshiro, actuel Maître ikebaniste bien connu, est intéressante.

La disposition en forme de triade bouddhique est explicite. Le Kakemono, élément le plus important, est au centre. Le deuxième élément, à sa droite, est remarquable par sa « force » moyenne (haut daï rouge) et par sa proximité. La branche de pin s’étire vers l’élément principal-kakemono et même le recouvre.

Le troisième élément, à la gauche du Kakemono, est le « plus faible » des trois éléments : vase plus fin, sombre et sans couleur et plus « séparé » du kakemono.

 

 

 

 

 

 

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63. Les cinq éléments du Wu Xing et Ikebana

La théorie Wu Xing a influencé toute la culture japonaise et donc l’Ikebana. Pour le taoïsme, l’interaction du Yin et du Yang s’exprime à-travers cinq manifestations fondamentales de l’énergie que sont les cinq éléments : terre, eau, feu, métal et bois.

 

Le terme Wu Xing ne fait pas référence aux cinq éléments que l’on peut trouver n’importe où dans la nature. Il s’agit d’une métaphore faisant référence aux cinq formes d’expression du Ki dans l’univers.

Les cinq éléments sont simplement une figure symbolique des cinq phases du mouvement du Ki système de translittération Hepburn) ou Qi (système PinYin ).

 

 

Dans le schéma ci-contre, les cinq éléments terre, eau, feu, métal et bois sont représentés sous une forme symbolique appelée ‘Gorintō’ (Tour à 5 anneaux) ou ‘Gorinsotōba’.

 

 

Les Gorinsotōba sont courants dans les temples et les cimetières bouddhiques.

En accord avec le syncrétisme religieux japonais, les cinq éléments représentent le corps de Bouddha.

 

Tour à 5 anneaux : ‘Gorinsotōba’

 

 

 

 

Il n’est pas nécessaire à l’ikebaniste de connaître, en détail, la théorie complexe de Wu Xing.

Cependant d’après les anciens textes d’Ikebana, il est fascinant de constater que la théorie sur les règles de composition du Rikka formel/Shin (Voir Article 21, Shin, Gyō, Sō), à l’origine de tous les styles ultérieurs y compris ceux de l’École Ohara, est en concordance avec la théorie Wu Xing des cinq manifestations fondamentales de l’énergie que sont les cinq éléments : terre, eau, feu, métal et bois.

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Les différents croquis soulignent cette concordance.

 

Les noms utilisés par l’École Ohara Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi qui deviendront les trois Yaku-eda, ont été insérés au-dessus des branches du Rikka.

 

 

 

D’après les textes anciens, la concordance entre les hexagrammes du Yi jing ou I ching (oracles chinois) et l’Ikebana est également manifeste.

 

Il y a aussi concordance entre la disposition dans l’environnement, la construction et l’agencement spatial de la cabane de la Cérémonie du thé et les trigrammes du I ching (Livre des Mutations).

 

À l’époque Tokugawa (= Edo 1603-1868), le I ching est un texte d’une importance capitale, très suivi. La théorie du Yin-Yang et la théorie des cinq éléments, Xu Xing, sont les fondements théoriques de l’astronomie, la médecine, la mathématique, la botanique, l’architecture et bien d’autres arts, dont le Chanoyu, Cérémonie du thé, et l’Ikebana.

 

Voir Article 15,  Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji et Article 23,Tai-ji et École Ikenobō.

 

Avant 1600, ces théories sont connues par peu de gens (noblesse shogunale et impériale et hauts prélats bouddhistes). Elle se répandent, à l’époque Edo, auprès d’un nombre croissant de ‘Chōnin’, ces riches artisans et marchands qui, bien qu’au plus bas de l’échelle sociale Tokugawa, sont les créateurs et les mécènes des nouvelles formes d’art et contribuent, avec d’autres facteurs, à la fin du shogunat.

 

Quant à l’Ikebana, selon Wai-ming Ng, auteur de « The I ching in Tokugawa Thought and Culture », 1962, c’est dans cet art que ces principes sont les plus appliqués par rapport aux autres arts.

Dans un texte de 1700 (Transmissions orales de l‘École Sen’ Ikenobo) il est péremptoirement précisé que : « la composition, si elle n’est pas basée sur ces principes, n’est pas un Ikebana ».

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62. Utilisation des nombres impairs en ikebana

Voir Article 30, Asymétrie en Ikebana. Toutes les photos sont de © École Ohara.

 

Avant l’occidentalisation, les nombres impairs sont préférés dans la culture japonaise traditionnelle et aussi dans l’Ikebana car Yang, aux nombres pairs considérés comme Yin. Rappelons que 2 est le seul nombre pair accepté car il est la somme de Yang + Yin.

Dans les compositions à 3 ou à 5 éléments, il est intéressant de noter qu’en général, le nombre de 3 se répartit en 2 + 1 tandis que le nombre de 5 se répartit en 3 + 2 :

 

3 = 2 + 1 5 = 3 (2 + 1) + 2

 

Lorsque trois fleurs sont utilisées, généralement deux sont regroupées et plus proches du centre de la composition tandis que la 3ème est tenue plus loin, comme dans ces compositions de l’École Ohara.

 

3 = 2 + 1

 

Les fleurs du groupe de 2 du Tateru-Katachi qui apparaissent très proches vues de face ci-dessus, ne le sont en réalité pas.

Sur la photo ci-contre, la fleur courte mesure environ la moitié de Kyaku-shi.

 

Shikisai-Moribana Chokuritsu-kei (Moribana couleur vertical) avec le groupe »Bande couleur» intermédiaire dans lequel les 3 célosies rouges sont regroupées 2 + 1.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

 

NB 1 : Dans les arrangements Shikisai-Moribana Chokuritsu-kei (vertical) et Keisha-kei (incliné), les plus utilisés de l’École Ohara et les plus liés à l’origine historique de l’Ikebana, les points d’insertion des trois Yaku-eda (éléments principaux) sont également répartis en 2 + 1.

 

soit 2 pour Shu-shi et Fuku-shi plus proches et

+ 1 pour Kyaku-shi plus éloigné.

 

 

 

(Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

 

 

NB 2 : En plus d’apparaître optiquement répartis en 2 + 1, les points d’insertion propres aux 3 fleurs qui forment généralement le groupe Kyaku-shi dans les styles Chokuritsu-kei et Keisha-kei sont aussi répartis en 2 + 1.

 

Dans le Chokuritsu-kei-ci-après, le chrysanthème jaune Kyaku-shi et son Chukan-shi bas (auxiliaire) sont insérés rapprochés dans le kenzan antérieur et son Chukan-shi haut est inséré plus loin sur le Kenzan postérieur, devant Shu-shi.

 

 

Cette manière d’associer trois ou cinq éléments est courante dans les arts plastiques. Voici quelques-uns des nombreux exemples avec 3 éléments.

 

 

Trois parapluies distribués en 2 + 1.

 

Triptyque de Toyohara Kunichika, (1835 – 1900).

 

Pour éviter la monotonie et si cela est possible, la subdivision 2 et 1 ne correspond pas à la répartition 2+1  en termes de formes ou de couleurs, par exemples :

Un élément du groupe de 2 est similaire à celui qui est isolé

L’autre élément du groupe de 2 est différent : ci-dessus : parapluie abaissé et ci-dessous : petite chauve-souris, couleur claire des kakis, papillon dans un des lis de Koson et grue blanche de Ōkyo.

 

 

 

Dans ce célèbre dessin de Sengai, les trois éléments sont répartis en 2 + 1.

En lisant de droite à gauche, le cercle et le triangle se chevauchent partiellement, ce qui est différent du carré gris, le plus séparé des deux autres formes.

 

Les trois Sages : Bouddha, Confucius, Lao-Tseu testant le vinaigre, la disposition 2 + 1 est évidente.

 

Dans ces trois panneaux d’un paravent de Kanō Tan’yu (1602-1674), les 3 canopées de pin se répartissent en 2 + 1.

 

La répartition de 3 en 2 + 1 se retrouve également dans la disposition des aliments de la cuisine Kaiseki.

 

 

5 = 3 + 2.

 

Dans ce dessin extrait d’un livre d’Ikebana dans lequel il est recommandé de mettre de l’eau sucrée à l’intérieur des calices des fleurs de Camellia pour éviter leur chute brutale, nous avons une répartition des feuilles en 5 et en 3 avec les subdivisions de 5 en 3 + 2 et 3 en 2 + 1.

 

Dans ce dessin, la courtisane a 5 fleurs de Camellia dans sa main répartis en 3 (2 petits + 1 grand) + 2 (1 grand + 1 petit).

 

Dans un Ikebana, les trois fleurs sont regroupées en 2 + 1 mais elles sont toujours de même espèce et de même couleur et différenciées les unes des autres suivant un concept différent (Voir Article 56, Les six kakis de Mu Qi).

 

Généralement lorsqu’il y a 5 fleurs, l’association est 3 + 2 comme on le voit dans le groupe «Bande Couleur» de ces deux Moribana dans lesquels les 5 œillets et les 5 célosies sont regroupés en 3 + 2.

 

© École Ohara

 

 

On retrouve sur ce dessin de Koson, cette même manière :  le groupe de 5 aigrettes se différencie en 3 au cou plié et 2 au cou tendu.

 

 

 

Dans ces estampes Moineaux et Salix de Koson et de Hokusai, on retrouve le même schéma de répartition tant dans la forme des groupes que dans leur couleur.

 

– Pour Koson : 2 + 1 oiseaux répartis en 2 noirs et 1 blanc/noir. Un moineau du groupe de 2 est similaire au moineau isolé en terme de couleur : noire.

 

 – Katsushika Hokusai : 3 + 2 moineaux répartis 3 blancs/noirs + 2 noirs. Un moineau du groupe de 3 (2 blancs/noirs + 1 noir)  est similaire au groupe de 2 (2 noirs).

 

Ohara Koson (1877-1945) Katsushika Hokusai (1760-1849)

 

Dans cette autre estampe de Katsushika Hokusai (1760-1849), on retrouve la même organisation spatiale que l’estampe avec les moineaux ci-dessus.

Il est intéressant de noter que le groupe de 3 femmes est à son tour subdivisé en 2 + 1, c’est-à-dire que les deux femmes sont unies par la toile qu’elles tiennent.

 

 

 

Même subdivision avec les fleurs d’iris et le papillon de Kiitsu Suzuki.

 

Parmi les iris,

– En haut un groupe de 5 répartis en 3 ouverts + 2 fermés mais de couleurs différentes, 3 clairs + 2 sombres.

 

– en bas un groupe de 3 répartis en 2 ouverts + 1 fermé de manière différente mais tous de même couleur.

Détail du kakemono de Kiitsu Suzuki.

 

Autres estampes

– Ohara Koson : Deux oiseaux en vol plus rapprochés, deux canards regroupés au sol, le cou tendu et un canard isolé le cou rentré.

– Imao Keinen : deux grenades avec un perroquet.

– Shiro Kasamatsu : trois daims vus de dos contre deux vus de face. Les deux groupes, 3 + 2, ne se chevauchent pas.

 

 

Sur cette photo réalisée sur ordinateur et qui a reçu un prix en 2014, on retrouve la même distribution traditionnelle 5 = 3 (2 + 1) + 2.

 

Pour l’ikebaniste Ohara, il est intéressant de noter que les subdivisions 3 = 2 + 1 et 5 = 2 + 3 se retrouvent dans la disposition des feuilles d’Iris des arrangements Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I Hagumi (Paysage traditionnel aquatique, technique Hagumi), © École Ohara.

Dans le groupe de feuilles avant, qui indique la saison, il y 5 feuilles au printemps et 3 feuilles en été qui se répartissent en :

 

Été : 3 = 2 + 1, 2 « grandes » feuilles + 1 « petite » feuille. Printemps : 5 = 3 + 2, 2 « grandes » feuilles + 3 « petites » feuilles. (les 3 petites feuilles se divisent encore en 2 devant et 1 derrière).

 

 

 

 

Dans l’Emakimono de Kanō Sanraku (1559-1635), intitulé cent Camellia, on retrouve souvent les subdivisions

5 = 3 + 2 et 3 = 2 + 1.

 

Cette répartition 5 = 3 + 2 se retrouve encore dans la disposition des aliments.

Sur la table basse il y a 3 récipients ronds + 2 objets allongés (vaisselle + baguettes).

 

 

Dans de nombreuses autres situations, les subdivisions 3 = 2 + 1 et 5 = 2 + 3 sont présentes.

 

Sur ces images de boîtes d’allumettes, le thème des subdivisions 3 = 2 + 1 et 5 = 2 + 3 se répètent avec de petites variations.

 

Dans tous ces dessins, la hiérarchie est évidente et est similaire à celle de l’Ikebana. Autant dans l’arrangement à 3 éléments que dans celui à 5 éléments, les 2 éléments les plus importants (semblables à Shu-shi et Fuku-shi) sont associés à trois éléments moins importants (éléments semblables aux 3 Chukan-shi du groupe Shu-shi/Fuku-shi.

 

 

 

Dans un Ikebana, contrairement à la plupart des peintures montrées plus haut,  les 5 fleurs du groupe Bande couleur sont divisées en 3 + 2 mais elles sont de même espèce et de même couleur, sans ou avec peu de différenciation entre elles. Ici intervient un concept différent (Voir Article 56, Les six kakis de Mu Qi).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Feuilles d’érable tombées.

Cette façon de diviser les nombres impairs 3 = 2 + 1 et 5 = 3 + 2 se retrouve dans la disposition des 3 ou 5 feuilles d’érable dans les compositions d’automne »Feuilles d’érable tombées» (Voir Article 59, Saisonnalité de la nature).

 

Notez aussi la subdivision 2 + 1 des 3 groupes de chrysanthèmes jaunes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Trois fruits jaunes ronds avec deux qui ont séché.

 

Dans ce Rimpa-Cho avec 5 chrysanthèmes jaunes, la subdivision de ces fleurs en deux groupes est évidente : (2 + 1 = ) 3 + 2 = 5.

Très probablement, cette façon d’arranger 3 ou 5 objets découle de la tradition comme l’arrangement des pierres qui à son tour découle de la triade bouddhique associée au taoïsme (Voir Article 39, Suiseki et Ikebana).

 

«Le nouveau s’ajoute à l’ancien sans le supplanter».

 

Détail d’une illustration du XIIe siècle de Genji monogatari :  5 pins, divisés 3 + 2, dessinés sur un Fusuma (Portes coulissantes).

 

Sur ce paravent réalisé par l’un des derniers représentants du style Rimpa, Kamisaka Sekka (1866-1942), les trois seuls iris blancs sont divisés en 2 + 1.

 

La fugacité exprimée par l’épanouissement différent des trois fleurs est également mise en évidence (Voir Article 22, Influence du bouddhisme sur la structure de l’Ikebana).

 

 

 

Photo publicitaire de poupées japonaises montrant une actualisation de la règle dans laquelle les 5 poupées sont divisées en 3 + 2 et les 3 grandes divisées en 2 + 1.
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61. Le Camellia dans la culture japonaise et Ikebana

 

Le Suédois Karl von Linné (1707-1778), plus connu sous son nom latinisé de Linnaeus, est l’auteur de la taxonomie des espèces végétales et animales. Sa nomenclature en noms latins est reconnue plus tard dans toutes les langues du monde. Lorsqu’il doit trouver un nom scientifique pour le genre Camellia, il le choisit en l’honneur de Joseph Kamel (1661-1706), jésuite tchèque, botaniste et pharmacien en utilisant son nom latinisé Camellus. Kamel n’a probablement jamais vu de camellia car missionnaire actif aux Philippines et non au Japon ou en Chine où cette espèce est native.
Karl von Linné Joseph Kamel

 

Les deux espèces les plus utilisées en Ikebana sont Camellia japonica et Camellia Sasanqua tandis que Camellia Sinensis est utilisé pour la production de thé.

 

Camellia japonica, ‘Tsubaki’ en lecture Kun japonaise, fleurit au printemps. Sa fleur ne tombe pas pétale par pétale mais se détache brusquement et tombe entière.

 

 

 

Kanji

Lecture On Chin
Traduction Camellia
Lecture Kun Tsubaki
Traduction Arbre Printemps

 

 

Sa lecture On est ‘Chin’, que l’on retrouve dans le mot ‘Chinji’, mot composé de deux kanji signifiant «Camellia» et «ce qui se passe» c’est-à-dire ce qui se passe comme dans le camellia = quelque chose de soudain, ou accident bizarre.

En lecture Kun se dit ‘Tsubaki’, du kanji composé d’arbre et de printemps. (Voir Article 50, Langue japonaise).

 

 

Le Camellia d’automne ou Camellia de Noël, Camellia fleur de thé (du japonais Sazanka (山茶花), « thé de montagne »), fleurit en hiver et ses pétales tombent un à un, comme chez la plupart des fleurs.

Sasanqua est composé de trois Kanji.

 

 

 

Kanji

Lecture On San Cha ou Sa Ka
Lecture Kun Yama Hana
Traduction Montagne Thé Fleur

 

Ces trois Kanji nous rappellent que le thé se fait aussi bien avec les feuilles de Camellia japonica qu’avec celles de Sasanqua, même si sa teneur en théine est plus faible et qu’il est moins apprécié que le thé Camellia sinensis.

 

Dans la tradition d’avant l’époque Edo, le Camellia rouge, originaire du Japon et donc abondant, est considéré comme « populaire » par opposition au blanc, rare, considéré comme « noble ». Il est, selon la légende, offert pour la première fois à l’empereur Tenmu (631-686), 40ème Tenno du Japon.

 

Exemples de peintures sur paravents avec du Camellia blanc uniquement.

 

« Pins et Camellia » de Yusho Kaiho, début 1600.

 

 

Sakai Hōitsu

(1776-1828).

Aux époques Nara et Heian, le Camellia n’est pas un sujet de prédilection de l’art ou de la littérature. D’autres plantes lui sont préférées comme les branches de ‘Matsu’ (pin), les branches fleuries de ‘Ume’ (Prunus, abricotier du Japon), de ‘Tachibana’ (mandarinier), de ‘Sakura’ (cerisier).

 

Dans l’article 59, on évoque la saisonnalité de la nature en soulignant les plantes privilégiées dans les arts et l’Ikebana. Cette saisonnalité est tirée de la poésie. Or, le Camellia n’est mentionné que dans 9 poèmes sur 4516 du Man Yō-Shū alors qu’il n’apparaît jamais dans les 1111 poèmes du Kokin Waka Shū. Pour cette raison, même dans les premières formes d’Ikebana, Tatebana et Rikka, il est peu utilisé compte tenu, également, de sa fragilité déjà mise en évidence dans l’un des 9 poèmes du Man Yō-Shū, d’auteur inconnu.

 

Fleurs de Camellia

près de mon entrée

Sans que ma main te touche

Tomber par terre.

Poème, auteur inconnu.

 

Aux périodes d’unification de Kamakura-Muromachi (1185-1600), les samouraïs ont comme principale référence la culture de l’aristocratie impériale à laquelle ils ajoutent la leur (Cérémonie du thé et Ikebana). Les végétaux préférés sont ceux qui sont très appréciés par la cour impériale, principalement les branches fleuries et les conifères.

 

Le Camellia japonica, déjà peu aimé par la noblesse aux périodes Nara et Heian, l’est encore moins des samouraïs en ces périodes de combats incessants en raison de la particularité de sa fleur à se détacher soudainement et à tomber entière au sol. Un clair rappel aux samouraïs de haut rang qui risquent d’être décapités à la guerre, pratique courante à voir le nombre d’ennemis tués, la tête étant montrée comme une preuve concrète de la victoire.

 

 

Déjà dans un ancien texte spécifique à l’Ikebana, le Sendenshō, daté de 1445, il est écrit :

« N’utilisez pas les fleurs de Camellia et de rhododendron car toutes deux se détachent facilement, l’érable dont les feuilles se flétrissent et se recroquevillent en quelques heures et d’autres végétaux au même comportement « inopportun« .

 

Pour toutes ces raisons, le Camellia est peu utilisé en Ikebana avant 1600, début de la période Edo (1603-1838).

 

Trois exemples de Rikka dans lesquels le Camellia est ajouté avec parcimonie et uniquement à la base de la composition.

 

 

Peu considéré dans les périodes précédentes, le Camellia connaît son « âge d’or » à la période Edo (1600-1868). Les trois premiers Shoguns Tokugawa, qui règnent sur le Japon de 1600 à 1651, l’aiment beaucoup. Par imitation, les différents Daimyō (obligés par le Sankin-kōtai obligatoire d’avoir une résidence à Edo) et la classe de riches citoyens marchands/artisans commencent à cultiver diverses espèces de Camellia dans leurs jardins privés. Le Camellia devient alors très populaire.

Par conséquence, il s’utilise dans les nouveaux styles Shōka/Seika apparus à cette période historique.

 

Le Camellia est d’abord utilisé uniquement pour Kyaku-shi (troisième Yaku-eda de l’École Ohara).

 

Puis comme élément principal, groupe Shu-shi/Fuku-shi.

 

 

La popularité du Camellia parmi les samouraïs se confirme par le fait qu’il devient un élément de décoration du Tsuba (protection de main sur l’épée) ou des casques de parade. Maintenant qu’il n’y a plus de guerre et sans risque de perdre la tête, les samouraïs arborent le Camellia comme ornement sur l’armure lors des défilés militaires, même par ceux appartenant à la caste des guerriers devenus bureaucrates. Le Camellia perd son symbole de mauvais augure.

Tsuba (protection de main d’épée).  

 

Interdits par la loi, les riches commerçants/artisans ne peuvent pas afficher leur richesse dans leurs vêtements. Aussi payent-ils généreusement des artistes à produire de beaux Netsuke, soumis à aucune loi restrictive, avec des motifs de Camellia blanc.

 

À l’époque Edo, les feuilles de Camellia sont utilisées comme substitut au tabac, coûteux, introduit par les Portugais. Les feuilles sont finement tranchées et utilisées en pipe ou entières, enroulées comme une cigarette.

 

 

Toujours à l’époque Edo, l’utilisation de la pipe devient une mode chez les courtisanes de haut rang.

Une courtisane allume sa pipe avec celle d’une autre courtisane.

 

Une autre nettoie sa pipe avec du papier.

 

Le Camellia rouge, désormais très en vogue, apparaît fréquemment avec le Camellia blanc dans les motifs de paravents, éventails, kakemono, arts de la table. Il est représenté seul ou, selon la tradition, associé à des plantes à fleurs, au pin, au saule, associations que l’on retrouve dans l’Ikebana traditionnel.

 

Sakai Hōitsu (1776-1828)

 

 

 

Camellia 5-7 couleurs, 1929, Gyoshu Hayami,

(1894-1935).

 

 

 

 

 

Plat, Anonyme Kakemono par Utagawa Hiroshige (1797-1858)

 

 

 

Paravent, Hasegawa Totetsu,

XVIIe siècle

 

 

Le musée Nezu à Tokyō possède deux Emakimono intéressants attribués à Kanō Sanraku (1559-1635), intitulés « Dessin de cent Camellia ».

 

Sur les Emakimono, 100 qualités différentes de Camellia sont présentées dans diverses situations agrémentées de poèmes écrits par 49 poètes différents dont certains sont membres de la famille impériale, des Daimyō ou des hauts prélats bouddhistes.

 

 

 

 

 

 

La popularité du Camellia se confirme avec au moins 100 variétés différentes couramment cultivées au début de l’époque Edo.

 

 

Le Camellia fait également l’objet de divers Haiku. Parmi les auteurs les plus connus : Bashō et Buson.

 

Camellia blanc

dans la boue pour une bosse

involontaire

Matsuo Bashō (1644-1694)

Le Camellia est tombé

dans l’obscurité

du vieux puits

Yosa Buson (1716-1785)

 

Devenu très populaire, le Camellia s’utilise comme branche principale dans les nouveaux styles apparus à l’époque Edo (Shōka et Seika).

 

Pour l’ikebaniste, il est intéressant de comparer les motifs ci-dessous d’un éventail d’Ogata Kōrin (1652-1716) avec le dessin « botanique » occidental. Dans le motif de Kōrin (à gauche), la hiérarchie des « forces » est branche-feuilles-fleurs : une branche forte clairement visible avec des feuilles et des fleurs (montrées en partie seulement), donnant un excellent équilibre entre les forces des différentes composantes.

Dans le dessin occidental naturaliste (à droite), la force des fleurs prédomine suivie de celle des feuilles alors que la branche est fine, très faible.

 

L’ikebaniste Ohara, lorsqu’il traite le Camellia, doit se référer à la manière de Kōrin et non à la façon occidentale.

 

 

Quelques exemples d’arrangements du Camellia par l’École Ohara. © École Ohara

 

 

 

 

 

 

Quelques exemples d’arrangements du Camellia par l’École Sogetsu

 

 

 

 

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60. Origine des choix et associations de plantes en Ikebana

La saisonnalité de la Nature, décrite dans le précédent article (Voir Article 59, Saisonnalité de la nature), ainsi que les religions et philosophies de l’époque ont influencé le choix et l’association des plantes dans les compositions d’Ikebana.

 

Avec l’apparition de la classe des samouraïs aux époques Kamakura (1185-1333) et Muromachi (1336-1573), la cour impériale perd son pouvoir politique mais garde sa suprématie culturelle. Une noblesse se forme dans la classe des samouraïs qui conserve cependant la culture de la cour comme référence tout y en ajoutant la sienne (la Cérémonie du thé et l’Ikebana sont nées au sein ou avec le patronage de la classe des samouraïs).

Les végétaux préférés de la noblesse impériale sont les branches persistantes (chères au shintoïsme) et fleuries, cultivées dans les jardins. Cette préférence assimilée par la noblesse shogunale est appliquée à l’Ikebana.

 

Dans les premières formes codifiées d’Ikebana, les Tatebana et les premiers Rikka, toutes les branches principales (dont dérivent les trois branches principales Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi de l’École Ohara) sont exclusivement des branches persistantes ou des branches fleuries tandis que les feuilles ou les fleurs peuvent être insérées dans le « corps » de la composition, en son centre comme observables sur les images ci-dessous.

 

Structure de base du Rikka avec les 7 branches principales.

Dans l’image de droite, des feuilles ou des fleurs sont ajoutées aux branches principales uniquement en tant qu’auxiliaires, à l’intérieur et au centre du Rikka. Les éléments principaux ne sont que des branches fleuries ou des conifères. Ce Rikka réalisé avec 7 ou 9 branches ne peut être interprété que par des personnes très spécialisées.

 

À l’époque Edo (1603-1868), la classe des samouraïs maintient toujours sa suprématie politique et culturelle. Elle est néanmoins «flanquée» d’une classe naissante de marchands/artisans sans aucun pouvoir politique mais qui a le pouvoir de l’argent et qui développe sa propre culture spécifique.

À cette période historique, le Rikka continue également d’être exposé dans les situations formelles tant à la cour impériale que shogunale. L’arrangement étant trop compliqué pour la classe naissante de commerçants/artisans, elle en préfère la version simplifiée, c’est-à-dire le Shōka et le Seika réalisés avec trois branches principales seulement sur les sept ou neuf présentes dans le Rikka. Ces nouvelles compositions s’interprètent plus aisément par un étudiant compétent que le Rikka qui demande une analyse pointue de spécialiste.

 

Ci-contre, Shōka/Seika avec seulement 3 branches principales.

 

À cette époque, apparaissent les premiers jardins de la bourgeoisie des villes, également que les samouraïs se mettent à imiter. En effet, Les Daimyō (nobles et samouraïs dite de noblesse militaire) doivent vivre une année sur deux à Edo en raison du Sankin-kōtai (rotation de services) que leur impose le Shōgun. C’est ainsi que deux cultures, celle des citoyens ordinaires et celle des samouraïs se combinent.

 

Ci-contre, jardin de ville attaché à un château.

 

Aux branches fleuries et aux branches de conifère préférées par la noblesse s’y ajoutent des fleurs herbacées cultivées dans les jardins de la ville tant par la bourgeoisie que par les samouraïs.

 

Cette transformation se voit en Ikebana. Ainsi des Shōka/Seika d’origine dans lesquels seules des branches sont utilisées, on passe à des compositions dans lesquelles des fleurs herbacées sont utilisées pour le groupe Kyaku (terminologie de l’École Ohara).

 

 

Shōka/Seika du début de la période Edo : des branches avec des fleurs

 

Vers la fin de la période Edo, on en vient à n’utiliser que des fleurs herbacées dans la composition.

 

Ci-contre,  croquis  des groupes Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi composés d’iris exclusivement.

 

 

Du point de vue de l’ikebaniste, il est intéressant de comprendre que, partant de la poésie puis de la littérature et reprises plus tard par les peintres de paravents et de kakemono, poursuivies ensuite par les artistes qui ont produit des netsuke, des dessins de kimono et d’autres objets commun, la saisonnalité de la végétation a également influencé l’Ikebana à sa naissance au 15ème siècle. Ainsi, les choix de plantes et de leurs associations ne sont pas inventés par les Maîtres ikebanistes mais ils sont repris de la culture déjà existante. Ces choix imposés par les Écoles jusqu’à la fin de l’époque Edo (1868) ne laissent aucune liberté. Il faut suivre les choix traditionnels codifiés de chaque École.

L’École Ohara est la première à donner la liberté de choix des végétaux pour la réalisation des Moribana et des Heika, ne gardant les choix et les associations de végétaux que pour les Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I et les Shikisai-Moribana Yoshiki Hon-I (Paysages et Moribana couleur traditionnels), les Rimpa-Cho et les Bunjin-Cho.

Il est intéressant de souligner que, même si des branches et/ou des fleurs sont actuellement utilisées, l’habitude de n’utiliser que des branches pour les éléments principaux de la composition se perçoit dans la façon de nommer ces éléments principaux par certaines Écoles.

 

Pour l’École Ohara, les trois Yaku-eda sont appelés Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi.

 

Le Kanji ‘Shi’, commun aux trois noms, signifie «branche» (Shi en lecture On, Eda en lecture Kun). 

 

Kyaku-shi est souvent traduit par « la fleur de l’invité » car il est le plus souvent constitué de fleurs actuellement mais, en réalité, il signifie « la branche de l’hôte ».

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59. Saisonnalité de la nature

1) L’origine des choix et des associations de plantes en poésie et son influence sur

2) L’origine des choix et associations de plantes en Ikebana (Voir Article 60, Origine des choix et associations de plantes en Ikebana).

 

En Ikebana, depuis son origine au XVe siècle, les choix et les associations de végétaux utilisés dans les compositions n’ont pas été imaginés de toutes pièces par les Maîtres des écoles d’Ikebana mais sont tirés de la culture déjà existante. La connaissance des végétaux trouve avant tout son origine dans la poésie : les préférences, les choix, les associations de végétaux sont décrits dans les poèmes et les contes (qui à leur tour citent également des poèmes). Dans ces poèmes, écrits par des aristocrates instruits vivant dans les capitales Nara et Heian (actuelle Kyōto) et rarement en contact direct avec le monde rural, la nature y est idéalisée. Tout un vocabulaire et une codification de la nature liés spécifiquement aux saisons s’élaborent.

 

Les deux principaux recueils de poèmes sont :

– Le Man Yō-Shū (Recueil de dix mille feuilles), paru à l’époque de Nara (710-784), contient 4516 poèmes et 1600 citations de noms de plantes.

– Le Kokin Waka Shū (Recueil de poèmes anciens et modernes), paru à l’époque de Heian (794-1185), contient 1111 poèmes et de nombreuses citations de noms de plantes.

Dans ces deux recueils, environ 20 % des poèmes sont écrits par des femmes.

 

Les nombreux poèmes présents dans ces deux textes (et d’autres parus plus tard) constituent une partie essentielle de la culture de la noblesse impériale et, plus tard, shogunale, masculine et féminine. Les références aux poèmes sont très fréquentes dans les échanges de correspondances et dans les discours de tous les jours. À l’époque Edo, ce savoir devient essentiel pour les Chōnin, la classe moyenne urbaine aisée.

 

Divers jeux de société de la noblesse sont basés sur la connaissance d’un grand nombre de poèmes.

Par exemple celui du Kai-Awase dans lequel des coquilles de mollusques bivalves doivent être appariées en citant un vers voire une poésie complète et en nommant son auteur/autrice, informations inscrites sur les coquilles.

 

 

Geishas jouant au Kai-Awase, période Edo.

 

Les coquillages sont posés sur le tatami, le côté concave retourné. Le jeu consiste à soulever une valve et, après avoir reconnu le poème ou l’auteur/autrice, à se rappeler où se trouve la valve associée, peut-être soulevée précédemment.

 

 

Les boîtes de jeux contiennent 360 paires de coquillages. Ceux qui jouent doivent connaître au moins 360 poèmes par cœur. Traditionnellement, ces jeux sont donnés aux mariées car les coquillages font allusion à la fidélité conjugale (fidélité obligatoire uniquement pour l’épouse). Chaque valve ne correspond qu’à une seule autre valve à laquelle elle est appariée. À l’époque Edo, une variante est introduite avec les thèmes de fleurs ou de scènes d’histoires traditionnelles dessinées qui doivent être appariées.

 

                       

Après l’introduction des cartes à jouer par les Portugais, un même type de jeu d’associations devient à la mode. Le Karuta-Awase consiste à apparier des poèmes et leurs auteurs/autrices. Près de 100 poèmes, différents de ceux présentés dans le Kai-Awase cité précédemment, sont écrits sur ces cartes.

 

 

 

 

Paravent de Tosa Mitsuoki  (1617- 1691)

 

Une mode d’écrire des poèmes et de les accrocher aux arbres apparaît parmi la noblesse de la période Heian. On retrouve cette coutume dans les peintures sur paravents qui montrent des poèmes d’auteurs/autrices célèbres du Man Yō-Shū et du Kokin Waka Shū.

 

Avec les poèmes, se profilent des préférences pour des citations de certaines plantes plutôt que d’autres, probablement favorisées par le fait qu’il existe de nombreux Kanji homophones qui, bien qu’ils s’écrivent différemment et ont une signification différente, ils ont le même son (Voir Article 50, La langue japonaise). Par exemple, le «Pin» se lit «Matsu» et est homophone du verbe « attendre». Dans les poèmes, le pin est utilisé plus souvent que d’autres noms de plantes puisqu’il peut aussi sous-entendre, par exemple, attendre l’être aimé.

 

Un autre exemple est le mot «Lotus» lu «Ren». Avec son kanji homophone, il est intéressant à utiliser dans les poèmes car il peut signifier «Aimer, compatir, tenir à quelqu’un».

 

Pour ces raisons et d’autres, dans la culture des périodes Nara et Heian, la nature commence à être «saisonnalisée» : à un élément naturel, végétal, animal ou humain, est associé une saison spécifique. En effet, ce qui est présent en réalité tout au long de l’année ou à différentes saisons (comme les oiseaux, les plantes, les animaux) n’est, en fait, mentionné qu’en lien à une saison spécifique pour en devenir le symbole. Parfois, même des « lieux célèbres » du Japon (lieux connus et visités ou reproduits sur les paravents) en sont venus à être saisonnalisés, à n’être représenter qu’à une saison précise, généralement le printemps et l’automne. La peinture religieuse s’est aussi saisonnalisée comme la représentation de Bouddha à une saison donnée symbolisée par des feuilles rouges en automne, des fleurs de cerisier au printemps, les sept herbes d’automne ou des pins en hiver.

 

Paravents de Sakai Hōitsu (1771-1828)

 

Le poème de Eihei Dōgen (1200-1253) illustre cette saisonnalité :

La pleine lune, en particulier celle du huitième mois de l’ancien calendrier lunaire (= notre mois de septembre), est considérée la plus belle comme dans la poésie chinoise.  Bien que la pleine lune apparaisse tous les mois, elle est principalement mentionnée en lien avec l’automne.

 

Au printemps les cerisiers en fleurs

En été le coucou

En automne, la lune et

En hiver la neige, lumineuse et froide

 

Dans ces quatre kakemono de Mochizuki Gyokuse (1834-1913) intitulés Moon in the Four Seasons, la pleine lune n’est représentée qu’en automne.

 

 

 

Si l’on considère l’automne, on trouve de nombreux poèmes, estampes et même des céramiques associant cette saison à des animaux, des plantes, des lieux.

 

 

Parmi les nombreux poèmes, ce poème est assez typique. En plus de la lune d’automne, il mentionne (le retour) des oies sauvages, elles aussi rattachées à la saison automnale.

 

 

Blancs sont les nuages

et battant harmonieusement des ailes,

les oies sauvages volent,

il est clair que vous pouvez les compter

au clair de la lune d’automne.

Poème, auteur inconnu, Kokin Waka Shū.

 

 

 

Même notion de saisonnalité dans la conception de cette estampe où la pleine lune d’automne constitue le fond duquel l’oie sauvage s’envole au-dessus des herbes d’automne.

 

 

Certains insectes sont également saisonnalisés comme le criquet mentionné principalement en automne, bien qu’il soit présent à d’autres saisons.

 

 

Dans le champ d’automne

l’appel du criquet se fait entendre

il attend quelqu’un

Allez, je vais lui demander

si je suis l’attendu

Poème, auteur inconnu, Kokin Waka Shū.

 

Certains animaux le sont aussi, par exemple les cerfs, présents toute l’année, sont associés à l’automne, comme dans ce poème qui mentionne des thèmes typiques de l’automne : la lune, comprise comme étant pleine, la tristesse (le cerf se plaint). Le mont Ogura fait partie des « lieux célèbres » qui sont également saisonnalisés. Cette montagne, évidemment présente toute l’année, est principalement décrite en automne et non à d’autres saisons.  

Sous la lune opaque du soir

au Mont Ogura

un cerf se plaint

avec son brame, peut-être,

l’automne se couche-t-il ?

 

Ki no Tsurayuki, Kokin Waka Shū

 

Dessin avec des références typiques à l’automne : branches d’érable, pleine lune et cerf.

 

Les sentiments sont également saisonnalisés : par exemple la tristesse, qui peut être perçue en toute saison, est associée à l’automne probablement parce que ‘Aki’ = «Automne» a un homophone qui signifie «Fatigue».

 

Je vois la lumière

de la lune qui goutte

à-travers les arbres.

Ah voici l’automne

épuiser l’âme de tristesse

Poème, auteur inconnu, Kokin Waka Shū.

 

 

Exemple de lieu célèbre lié à l’automne : la rivière Tatsuta, mentionnée dans divers poèmes, est associée aux feuilles d’automne rouges, généralement l’érable, qu’elle entraîne en aval formant un brocart rouge à la surface de l’eau.

Si aucun feuille rayonnante

flottait dans le courant

de la rivière Tatsuta

qui remarquerait

l’automne dans l’eau ?

 

On retrouve ce thème dans les estampes, comme celle-ci de Hokusai (1760-1849) : des érables visibles au loin sur les montagnes qui forment le fond du décor et des feuilles emportées par le courant vers l’estuaire de la rivière Tatsuta où elles forment un brocart rouge.

 

À l’embouchure du fleuve

où s’en va l’automne

coulée flottante

les vagues ondulent

d’un cramoisi profond

Poème de Sosei (? -909)

 

La rivière Tatsuta, saisonnalisée,  est associée aux feuilles d’érable d’automne.

 

 

Plat réalisé par un anonyme et deux soucoupes d’Ogata Kenzan (1663-1743) sur lesquelles sont peints des tourbillons et des vagues de la rivière Tatsuta emportant des feuilles d’érable.

 

 

Quelle est la raison de cette saisonnalité ?

 

Entre autres causes probables, il y a le fait que la noblesse, aux époques de Nara et de Heian, ne quitte pas la capitale, surtout les femmes. Elles sont presque confinées à la maison, à l’abri des étrangers par divers types de paravents. Elles ne sortent de la ville que pour les pèlerinages et, dans ce cas, elles sont bien cachées dans les chariots tirés par des bœufs.

 

 

 

 

Pour la noblesse, principale autrice de la plupart des poèmes de l’époque, elle n’a, comme seuls référents de la nature, les jardins, la littérature et la peinture sur les paravents et sur les portes coulissantes.

 

1) Les jardins

Aux deux périodes historiques Nara et Heian, les jardins se composent principalement d’eau, de rochers et d’arbres à feuilles persistantes et d’arbres à fleurs.

 

Jardin typique avec le ruisseau qui serpente du nord au sud, des rochers, des arbres à feuilles persistantes et des arbres à fleurs.

 

 

 

Paravent avec les mêmes éléments typiques : eau, rochers, arbres à feuilles persistantes et à fleurs.

 

 

2) La littérature poétique et non romanesque.

L’autre source « d’informations » sur la nature, en plus des jardins, sont les poèmes et la littérature (qui à son tour citent les poèmes).

 

L’intérieur d’une demeure avec des peintures sur les portes coulissantes et une étagère où reposent des recueils poétiques et littéraires.

 

 

 

 

3) Les peintures sur les portes coulissantes

À l’intérieur des résidences, les motifs des portes coulissantes reproduisent à leur tour les plantes mentionnées dans les poèmes et la littérature de l’époque.

 

Cette saisonnalité de la Nature conduit les artistes peintres à dessiner des thèmes récurrents : « fleurs, arbres et oiseaux des quatre saisons » en faisant varier les associations traditionnelles de ces trois thèmes. La nature peinte sur les paravents, les portes coulissantes ou sur le kakemono représente des arbres et des oiseaux des quatre saisons ou des fleurs et des oiseaux ou seulement des arbres et des fleurs. Les quatre saisons peuvent chacune être peintes sur un seul paravent ou le printemps et l’été sur l’un et l’automne et l’hiver sur l’autre tandis que sur le kakemono, généralement, les arbres, les oiseaux et les fleurs sont dessinés pour chaque mois.

 

Deux paravents « arbres, fleurs et oiseaux des quatre saisons » de Kanō Eitoku (1543 –1590).

La lecture des paravents se fait de droite à gauche.

 

Le printemps et l’été

 

 

L’automne est symbolisé par l’érable rouge et l’hiver par le pin et le camellia blanc.

 

 

 

 

 

12 kakemono dessinés par Sakai Hōitsu (1776-1828) de la série Arbres, fleurs et oiseaux des quatre saisons.

 

 

Exemple de combinaisons de couleurs de 6 kimonos selon la saison.

 

 

Ce concept de saisonnalité de la Nature influence tous les arts y compris l’habillement. Les kimonos aux couleurs des différents végétaux aimés et saisonnalisés dans les arts littéraires et visuels, sont les « plus à la mode » que les autres.

 

Ci-contre, Femme noble vêtue d’une superposition de kimonos (jusqu’à 12) aux couleurs des végétaux privilégiés, période Heian.

 

Croquis préparatoires pour kimonos.

 

 

Sur les kimonos de l’époque Edo, les motifs de végétaux sont principalement ceux qui sont saisonnalisés.

 

Cette saisonnalité de la nature, commencée dans la poésie des périodes Nara et Heian puis étendue à la littérature et plus tard aux arts visuels, est intégrée à la culture nipponne. D’abord impériale, elle est incorporée par la classe des samouraïs lorsque l’Ikebana apparaît au 15ème siècle. Les végétaux préférentiels, arbres et fleurs, déjà existants dans la culture de l’époque, vont être choisis pour réaliser les compositions florales, comme nous le verrons dans le prochain article.

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58. L’importance d’un point de croissance unitaire de la composition

 

En Ikebana, le point de sortie des végétaux du contenant est très important.

 

 

À la fin du XIXe siècle, l’école Ohara, en plus d’introduire des compositions dans des bassins suiban, modifie l’une des règles de base de l’Ikebana existant depuis sa naissance au XVe siècle et restée inchangée jusqu’à la fin de la période Edo : on passe d’une sortie unitaire/compacte des végétaux hors du vase, haut ou bas, à une sortie «non unitaire/répartie sur une surface».

Dans le Moribana (composition dans un suiban), les trois Yaku-eda (éléments principaux) sont insérés en trois points distincts éloignés les uns des autres, leurs Chukan-shi (auxiliaires) étant placés dans la zone du triangle scalène typique formé par ces trois Yaku-eda.

 

Avant l’introduction du Moribana, dans toutes compositions Tatebana, Rikka, Shōka/Seika et Nageire, les branches et les tiges sortant des grands vases sont en contact très étroit et n’occupent qu’une partie de l’embouchure du vase :  il y a une unité du point de croissance de tous les végétaux de la composition comme on peut le voir sur les images ci-dessous.

 

 

 

Même s’ils sont réalisés moins fréquemment, les arrangements dans des bassins bas sont toujours avec une sortie très compacte des végétaux :

1) Le Suna no mono, composition informelle du Rikka, réalisé dans un vase bas contenant du sable, à gauche ci-dessous.

2) Les Shōka/Seika, à l’époque Edo, sont également réalisés dans des contenants bas, les végétaux sortant d’un seul point comme le montre l’estampe de Hosoda Eisho (1789-1801), à droite ci-dessous.

 

 

À la fois dans le Suna no mono d’abord puis dans les Shōka/Seika, des variantes existent pour séparer ce que l’École Ohara appelle le groupe Shu-shi/Fuku-shi du groupe Kyaku-shi. Mais on continue à maintenir la sortie du groupe Shu-shi/Fuku-shi et ses auxiliaires et celle du groupe kyaku et ses auxiliaires, très compactes comme on peut le voir sur les croquis ci-dessous.

 

 

 

Garder les végétaux étroitement unis à la sortie du vase fait qu’un point de croissance unitaire « renforce » la composition tandis qu’un point de croissance dispersé « l’affaiblit« .

 

Ci-dessous, les compositions de gauche avec les végétaux qui occupent tout ou presque l’embouchure du vase apparaissent « plus faibles » que les compositions (école d’Ikenobō) de droite.

 

 

Le proverbe « l’union fait la force » est évident dans les compositions Ikenobō dans lesquelles les plantes qui sortent d’un seul point donnent à la composition une sensation de « force » par opposition à la sensation de « faiblesse » donnée par les compositions de gauche.

Bien que l’école Ohara ait introduit l’insertion espacée des différents végétaux dans le Moribana, toutes ses compositions ne suivent pas ce même schéma. De nombreuses compositions conservent une compacité à leur base typique de tous les styles qui existaient avant l’introduction du Moribana.

 

Hana-isho, Tateru-Katachi,

© École Ohara.

 

Fait intéressant, bien qu’elle soit célèbre pour avoir créé le Moribana avec des points d’insertion des végétaux répartis dans un triangle scalène, l’École Ohara commence son programme d’enseignement aux débutants par les Hana-isho : des formes de base dans lesquelles chaque végétal doit être inséré, dans le kenzan, juste l’un derrière l’autre pour que la composition soit compacte avec un point de sortie unitaire.

 

Par conséquent, l’école Ohara maintient un point de sortie unitaire dans les compositions suivantes :

1 Hana-isho, formes de base

 

 

Dans les compositions Ohara, fréquemment, le point de sortie du vase est recouvert de plantes et donc non directement visible. La vérification que le point de départ des végétaux est unitaire est donnée par le fait que les lignes de tous les végétaux convergent en un seul point, indiqué par le cercle rouge sur le croquis.

2 Heika

 

Cette unité des végétaux à la sortie de l’embouchure du vase, même si elle existe, elle n’est pas très visible car des végétaux cachent l’embouchure du vase (Neijimari).

Cependant, vue de profil, l’unité du point de sortie des plantes est bien visible.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara.

 

3 Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I En-kei (Paysage traditionnel, perspective éloignée)

 

Le groupe Shu-shi/Fuku-shi représente un arbre dont tous les éléments sont insérés dans un seul cercle du shippo, en rose clair sur l’image.

 

 

 

4 Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I Chu-kei (Paysage traditionnel, perspective moyenne)

 

Le groupe Shu-shi/Fuku représente un buisson dont la base, bien que moins compacte que le tronc de la vue lointaine, est unitaire. Shu-shi et Fuku-shi et leurs trois Chukan-shi sont insérés les uns derrière les autres dans les cinq espaces des deux cercles du Shippo, en vert sur le dessin.

 

Une seule exception : lorsque les branches utilisées sont volumineuses et prennent beaucoup de place, on n’utilise pas un seul Shippo à deux cercles mais deux shippos distincts et positionnés suffisamment éloignés pour que les branches ne se touchent pas. Ces deux Shippo contiennent l’un Shu-shi et Fuku-shi. Avec le Shippo du groupe Kyaku-shi, ils forment le triangle scalène typique des Shikisai-Moribana ou des Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I Kin-kei (vue rapprochée).

 

 

5 Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I Kin-kei (Paysage traditionnel, perspective rapprochée)

 

Dans le Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I Kin-kei, où l’on utilise des branches, des herbes et des fleurs qui dans la nature poussent dispersées, les végétaux ne sortent pas du bassin regroupés, serrés comme dans les paysages de perspectives lointaine et moyenne.

Le placement des végétaux suit les règles canoniques du Moribana. Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi sont insérées dans trois shippos différents et forment un triangle scalène, plus ou moins espacé selon le type de végétaux entrant dans la composition.

 

 

Vue latérale d’un paysage en vue rapprochée :  Le groupe Shu-shi/Fuku-shi est inséré dans deux shippos différents. Le troisième shippo, vide pour l’instant, contiendra les végétaux du groupe Kyaku.

 

 

                                             

 

 

 

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57. Vases Raku

La poterie Raku est introduite dans la Cérémonie du thé Chanoyu par Sen no Rikyū en 1582 avec l’utilisation de tasses raku noires ou rouges.

Sen no Rikyū est l’un des cinq Maîtres de la Cérémonie du thé au service de Toyotomi Hideyoshi, deuxième unificateur du Japon. Il pratique la Cérémonie du thé à la fois « à la manière du palais » pour le Daimyō, permettant au pouvoir Hideyoshi de s’afficher et à la manière Wabi-cha, façon Zen.

 

À un potier de Kyōto, d’origine coréenne nommé Chōjirō, qui a créé les tuiles du nouveau château de Hideyoshi (appelé Juraku-tei ou Juraku-dai), Sen no Rikyū lui donne des instructions pour créer des tasses. Chōjirō en réalise en noir ou en rouge, sans utiliser le tour comme il est d’usage à l’époque pour les tasses à thé. Il n’utilise que ses mains et recourt à un procédé de cuisson particulier que l’on appellera plus tard Raku. Ces tasses ont les mêmes caractéristiques Wabi-Sabi que les Cha-no-yu de Rikyū.

 

Deux tasses originales de Chōjirō conservées au musée de la Famille Raku à Kyōto.

 

                         

Ces nouvelles tasses utilisées par Sen no Rikyū pour la cérémonie du thé Wabi-cha plaisent à Hideyoshi. Selon la légende, Hideyoshi attribue le nom de Raku à Chōjirō, ce qui signifie « plaisir, joie » en prenant un kanji du nom de son château de Kyōto appelé Juraku no Tei 聚楽第. Dans ce château, Sen no Rikyū construit une simple cabane pour la cérémonie du thé Wabi-cha et utilise les tasses créées par Chōjirō.

 

La technique de cuisson du raku a été relancée et modifiée par les américains après la seconde guerre mondiale pour ensuite être « exportée » en Europe. Aujourd’hui elle est utilisée pour créer tout type de vase.

 

Pour un ikebaniste, pouvoir créer des contenants raku pour ses propres compositions est très satisfaisant puisqu’il n’y a pas de vases adaptés à l’Ikebana sur le marché. Ces contenants doivent avoir certaines formes et ne doivent pas attirer l’attention plus que la composition elle-même, ce qui est plutôt le cas avec des vases en raku créés par des artistes-potiers qui ne connaissent pas l’Ikebana.

 

La sortie de cuisson des vases raku s’effectue à l’extérieur alors qu’ils sont encore incandescents. Si elle est effectuée dans l’obscurité de la nuit, elle devient un « rituel magique » dans lequel :

– Les éléments brûlent, le vase est incandescent.

– L’eau est jetée sur l’objet incandescent pour un refroidissement rapide.

– L’air soufflé sur le vase à l’aide d’un roseau, à la fois pour faciliter la réduction des émaux et pour accélérer le refroidissement.

– La terre, à la fois l’argile du vase lui-même et la terre sur laquelle l’incandescent vase repose pour recevoir la sciure de bois.

– le bois s’enflamme en dégageant une fumée qui pénètre et met en évidence les fissures typiques de l’émail créées par un refroidissement rapide.

Quelques photos prises lors de la sortie du four d’un vase, dans l’obscurité nocturne avec le vent jouant avec la sciure de bois.

Le vase, après la procédure ci-dessus expliquée, est placé sur une table pour enlever les restes de sciure de bois, puis est refroidi et nettoyé.

 

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56. Les six kakis de Mu Qi

Mu Qi (1210-1275) ou Mu Chi, moine chinois (appelé Mokkei au Japon) est l’un des principaux représentants de l’école de peinture chinoise Chan très appréciée des Shoguns Ashikaga. Il est l’auteur de la peinture ci-dessous en noir et encre bleue sur papier, aujourd’hui conservée au Daitoku-ji de Kyōto, titrée : Six kakis.

 

L’un au centre, noir, est entouré de trois kakis de couleur grise, et deux autres kakis plus extérieurs en blanc.  Considérant la composition des kakis dans son ensemble, on va du centre foncé/noir puis on passe à une zone grise intermédiaire pour arriver à la périphérie claire/blanche. Le passage des couleurs du kaki au centre noir en passant par les trois kakis gris pour arriver aux deux kakis blancs en périphérie symbolise les règles de la Nature, chères au taoïsme, concernant la croissance des plantes.

Autrement dit, des concepts équivalents peuvent être convoqués :

Le centre du dessin est noir ou foncé, lourd, vieux ou ouvert.  Si ce sont des fleurs, on dirait dense/épais.

– La périphérie se caractérise par des termes opposés : blanc ou clair, léger, jeune ou fermé et si ce sont des fleurs :  clairsemé/aminci.

Entre le centre et la partie externe, le tableau se caractérise par des termes de transition : entre noir-blanc, lourd-léger, vieux-jeune, ……..

 

Ces caractéristiques sont visibles, par exemple, dans ce buisson :

– Le centre est plus épais, plus dense, plus «sombre» et «optiquement lourd», au regard de sa périphérie qui est plus mince, «claire» et «optiquement légère».

– Au centre du buisson, les fleurs sont «plus âgées», à un stade d’ouverture plus avancée, que celles en périphérie «jeunes» et encore fermées.

 

 

 

Le même concept de couleur qui va du foncé au centre au clair en périphérie, exprimé dans la peinture de Mu Qi se retrouve dans ces roses, dans l’agencement de la nourriture avec l’élément le plus foncé au centre et dans les deux dessins avec des chiens et des lapins de Maruma Ōkyo (1733-1795).

 

 

 

 

Les compositions d’Ikebana, depuis ses premières formes codifiées Tatebana/Rikka, ont été construites en respectant ces règles visibles dans la nature. La référence à la conception du dessin des six kakis de Mu Qi aide l’ikebaniste Ohara à prendre des décisions pendant son arrangement.

Nous retrouvons encore fréquemment ces notions aujourd’hui dans les règles de composition des styles traditionnels (mais parfois aussi à ceux plus actuels) : sombre au centre, clair en périphérie.

 

Dans ces deux Moribana, la bande couleur au centre de la composition est plus foncée que les groupes Shu-shi-Fuku-shi et Kyaku-shi, groupes à la périphérie de la composition © École Ohara.

 

 

 

Dans ce Hana-isho, Narabu-katachi, la couleur de la fleur Shu-shi avec ses Chukan-shi (auxiliaires) au centre de la composition est plus foncée que les fleurs des groupe Fuku-shi et Kyaku-shi (à la périphérique dans la composition).

 

 

 

 

 

 

 

 

`© École Ohara.

 

 

La règle sombre au centre, clair en périphérie n’est pas appliquée si l’un des deux Yaku-eda (Shu-shi/Fuku-shi et Kyaku-shi) est de couleur plus sombre que la bande couleur « intermédiaire ». Dans ce cas, la bande couleur sera de couleur claire comme dans ces deux exemples. © École Ohara.

 

 

Se souvenir de la disposition des 6 kakis de Mu Qi aide également l’ikebaniste à décider de la façon de disposer la fleur Kyaku-shi et ses Chukan-shi haut et bas :

– Vieille au centre, jeune en périphérie ou

– Ouverte au centre, fermée en périphérie, ou

– « Plus âgée » au centre de la composition « plus jeune » à sa périphérie.

 

 

Dans les 2 arrangements ci-dessus, la fleur « plus âgée », ouverte est au centre de la composition tandis que la fleur « plus jeune », encore semi-fermée, est à sa périphérie.

 

– Dans le moribana avec Sansevieria (photo de gauche), parmi les trois roses qui composent le groupe Kyaku-shi, la « vieille » fleur est le Chukan-shi bas, la plus centrale, la fleur « plus jeune » est le Chukan-shi haut, plus périphérique et celle où la fleur Kyaku-shi est moyennement ouverte est positionnée entre le centre (Chukan-shi bas) et la périphérie (Chukan-shi haut).

 

– Dans le Moribana avec la bande couleur (photo de droite), la fleur de lys «plus ancienne » est au centre tandis que la deuxième fleur, plus périphérique, est encore fermée.

 

De même, nous avons les mêmes caractéristiques dans les 2 arrangements ci-dessous :

La fleur plus ouverte est au centre de la composition tandis que la fleur encore semi-fermée est à sa périphérie.

 

Dans le Hana-isho de base, Kyaku-shi est au centre. Il y a une rose « ancienne » ouverte et son Chukan-shi en périphérie est plus jeune, encore semi-fermé, © École Ohara.

 

 

L’utilisation de fleurs à différents stades d’ouverture met en évidence la fugacité, chère au bouddhisme. Cependant, les fleurs à différents stades d’éclosion ne sont pas positionnées au hasard, elles suivent le schéma illustré par les six kaki de Mu Qi.  Si nous considérons les trois fleurs du groupe Kyaku, la plus ouverte est au centre (Chukan-shi bas) la plus fermée à la périphérie de la composition (Chukan-shi haut) et la semi-ouverte (Kyaku-shi) entre les deux. « Grand » au centre, « petit » en périphérie

 

En Occident, si vous achetez des fleurs, elles sont généralement toutes au même stade de développement, aussi est-il difficile d’en révéler la fugacité dans une composition. Dans ce cas, utilisez des fleurs de grosseur différente : la plus grande fleur au centre comme Chukan-shi bas, la plus petite comme Chukan-shi haut à la périphérie et celle du milieu est de grosseur intermédiaire comme Kyaku-shi.

 

Dans ce Moribana, les fleurs de Kyaku-shi et ses Chukan-shi sont « adultes » (à en juger par les feuilles). D’après la règle, nous avons :

– Chukan-shi bas (au centre de la composition) :  fleur la plus « grosse ».

– Chukan-shi haut (à la périphérie de la composition) :  « plus petite » fleur.

– Fleur Kyaku-shi (entre le centre et la périphérie) : « taille moyenne ».

la tendance actuelle de composition de l’École Ohara est celle-ci, contrairement aux règles de composition florale occidentale qui veut que la fleur la plus « belle » soit au point le plus important, à savoir Kyaku-shi. 

© École Ohara.

 

Dans ce Shikisai-Moribana les règles des « 6 kakis de Mu Qi » sont visibles dans l’arrangement du groupe intermédiaire couleur :

– Couleur plus foncée (au centre) par rapport aux couleurs plus claires des groupes Shu-shi/Fuku-shi et Kyaku-shi en périphérie.

– Choix de la taille des fleurs, plus ouverte au centre de la composition et plus fermée à la périphérie.

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara.

 

Si la bande couleur intermédiaire est composée de 5 fleurs, elle se distribue en deux groupes de 2 +3

(Voir Article 62, Utilisation des nombres impairs en ikebana).

 

 

Le groupe le plus proche du centre de la composition (qu’il soit composé de 2 ou 3 fleurs) est « plus lourd, plus épais, plus dense » que le groupe le plus éloigné du centre de la composition dans lequel les fleurs sont « plus légères, plus claires et plus espacées ».

Les règles des « 6 kakis de Mu Qi » s’appliquent sur l’ensemble de la composition, Épais au centre, aminci en périphérie, plus foncé au centre, plus clair à la périphérie, ce qui donne :

Au centre, couleur plus foncée avec les célosies rouges (photo de droite) mais couleur plus claire avec les œillets puisque les amaryllis sont déjà de couleur foncée (photo de gauche).

À l’intérieur de la bande couleur, le groupe de fleurs le plus proche du centre de la composition est « plus compact et les fleurs plus proches les unes des autres » tandis que,

À la périphérie, le groupe de fleurs le plus éloigné du centre apparaît plus « léger » avec des fleurs plus espacées.

 

En général, le centre des compositions est relativement dense par rapport à sa périphérie. Dans ce Hana-isho, Hiraku-katachi et dans le heika de style Keisha-kei (incliné), comme dans tous les autres exemples précédents, le centre de la composition est « dense », compact, « lourd » tandis que la périphérie est « éclaircie », aérée, « légère ».

© École Ohara.

 

 

 

 

Exemple qui ne suit pas les concepts des «6 kakis de Mu Qi»

 

La fleur « la plus épaisse »/la plus ancienne n’est pas le Chukan-shi bas mais Kyaku-shi.

Le Chukan-shi bas est de « taille moyenne ».

Ce choix est probablement dû au volume de chacune des fleurs

par rapport au vase et à l’ensemble de la composition.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara.

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55. Ikebana Ka-dō

Ikebana, art traditionnel et voie éthique de Maria-Teresa Guglielmettie.

 

Dans la culture japonaise, le terme ‘Geiju-tsu’, art qui englobe également les arts traditionnels ‘Dentōgeinō’ : danse, chant, musique, théâtre (1), littérature, peinture, création de jardins Zen, céramique, calligraphie, art de la laque, Ikebana et Cérémonie du thé. Par conséquence, la conception des jardins et le Chanoyu (2) relèvent également des arts traditionnels qui, selon les critères de la culture occidentale, appartiennent à un domaine différent de celui de l’art. Au Japon, il n’y a pas de distinction entre les arts majeurs et mineurs : une peinture à l’encre, une céramique fine et un Ikebana ont une égale dignité artistique.

De ces constats, se pose la question du dénominateur commun à tous les arts inclus dans le terme ‘Dentōgeinō’ composé de différents Kanji (3) : ‘Den’ = transmettre tout réuni, ‘Nō’ = compétences, techniques et ‘Gei’ même caractère que l’on retrouve dans Geiju-tsu et qui fait référence au concept d’art. Ainsi, l’élément commun des arts définis comme traditionnels est mis en évidence : la transmission ou le respect, compris comme vénération et observance des enseignements des Maîtres du passé (4). Cette tradition telle qu’elle s’est formée et transformée au fil du temps, jalousement gardée et transmise oralement depuis des siècles (5), plonge ses racines dans la religiosité japonaise : le shintoïsme, religion native centrée sur la vénération des Kami, entités sacrées présentes partout tant dans la nature que dans les créations de l’homme, indissociable du bouddhisme, la religion d’origine indienne arrivée au Japon au VIe siècle après avoir reçue les apports taoïstes et confucéens de la Chine (6). L’inscription du Chanoyu dans les arts traditionnels devient alors compréhensible : l’essentialité raffinée de la cérémonie du thé marquée par des gestes ritualisés, l’unicité et l’irrépétabilité de chaque instant vécu, l’attention dans l’ici et le maintenant comme l’expriment les mots ‘Ic higo ichie’, littéralement une vie, une fois (7), c’est-à-dire la rencontre avec les autres participants et, à un niveau plus subtil, les perceptions sensorielles nouvelles, visuelles, auditives, tactiles, gustatives et olfactives que suscitent le déroulement du Chanoyu, d’instant en instant.

Une précision s’impose : le rapport entre art traditionnel et religion n’est guère exprimé et défini par les Japonais avec la clarté et l’objectivité que l’on recherche en Occident. La composante religieuse s’est plutôt diluée dans l’art devenant, au fil du temps, avant tout une pratique de vie quotidienne et artistique. Cette préférence donnée à l’activité concrète versus la pensée conceptuelle définie est à relier à la fois au shintoïsme, qui valorise la vitalité de l’homme et au pragmatisme du bouddhisme sino-japonais qui privilégie l’activité méditative dans les actions quotidiennes aux conceptions doctrinales élaborées.

Pour ne pas méconnaître ces religions, le lecteur occidental, tant croyant que laïc, doit se dépouiller de la manière souvent inconsciente de les considérer selon des concepts culturels de matrice chrétienne. Le bouddhisme et le shintoïsme, malgré leurs différences, placent le pivot de la religiosité dans la vie, participant à l’éternel devenir du cycle cosmique : pour le shintō, dans les actes de la vie quotidienne la plénitude vitale est atteinte et, pour le bouddhisme, c’est la libération de la souffrance. Le shintō place les vertus de sincérité et de pureté du cœur-esprit « Kokoro » (8), dans le comportement visant à atteindre et à maintenir une profonde harmonie non seulement avec les autres mais aussi avec la nature et le cosmos. Le bouddhisme conduit, par la méditation, au détachement de l’ego, à la libération des attachements par l’observation, sans choix ni jugement et préjugé, des réalités externe et interne toutes dignes de l’attention.

Au regard de la vie, l’humain, comme élément parmi tous les autres du microcosme et du macrocosme, a un lien profond avec la nature qui s’exprime, depuis près de deux millénaires, dans l’harmonie du peuple japonais avec les variations saisonnières et dans l’acceptation de toutes les manifestations naturelles, même les plus dramatiques et les plus destructrices. Avant l’ouverture des frontières à l’époque Meiji, le terme nature compris comme un monde matériel extérieur à l’homme n’existait pas dans la culture japonaise : « […] comme substituts au concept abstrait de nature, des termes concrets tels que Ten, Chi, San, Sen (ciel, terre, montagne, rivière) ou San, Ka, Sō, Boku (montagne, fleur, herbe, arbre) » sont utilisés (9). L’homme est l’une des manifestations de la nature au point de ne pouvoir penser détaché d’elle.

Dans les définitions San, Ka, Sō, Boku apparaissent trois éléments fondamentaux des compositions d’Ikebana : branches d’arbre, herbes et fleurs. Cela met ainsi en évidence combien l’origine et le développement de cet art sont intimement liés à une pensée éthique religieuse dans laquelle le soi trouve sa plénitude dans le rapport harmonieux et profondément en phase avec les manifestations du microcosme et du macrocosme.

Significatif à cet égard est le témoignage du talentueux professeur Itō Takumi de l’école Ohara (10) qui, parlant de l’Ikebana inspiré par la nature d’Oirase, (photo ci-dessous) déclare : « Avec cette composition j’ai essayé de réaliser la beauté d’Oirase. Si vous y allez, vous vous sentirez comme un objet de la nature. Immergé dans la nature, je n’ai pas de vie autonome, ça me fait vivre, je fais partie de cette nature » (11).

 

La nature d’Oirase, Itō Takumi, Soka juin 2012.

 

Admirez l’ombre du vert dans la beauté d’Oirase.

 

 

Si l’étude de l’Ikebana passe par la compréhension des transformations de la nature liées au passage cyclique du temps, la maturité dans la pratique de cet art passe par la compréhension des variations de la nature liées aux manifestations météorologiques à différents moments de la journée, des mois, des saisons : vent, neige, humidité dans la saison des pluies, lumière, fraîcheur etc… comme dans les compositions du Maître Itō qui reflètent la fraîcheur de la nature du début de l’été : fleurs dans l’eau, paysage au coucher du soleil ou encore, vent qui passe sur une étendue de fougères.

 

Fleurs dans l’eau, Itō Takumi, Soka juin 2012

 

Le vent passe sur une étendue de fougères,

Itō Takumi, Soka juin 2012.

 

De cette façon, nous arrivons à palpiter à l’unisson avec les différentes expressions de la végétation, de la nature, à la fois à grande échelle comme les bois, les vallées, les montagnes mais aussi à plus petites dimensions non moins émouvantes dans leur délicatesse et leur perfection, comme les herbes, fleurs et buissons au bord d’une route de campagne. Seule, la réalisation de cette harmonie (c’est-à-dire comprendre et approfondir les caractéristiques des plantes), permet d’inclure ces plantes dans la composition tout en respectant leur nature la plus intime et donc aussi leur vitalité. Ainsi, le sens du terme Ikebana de donner une nouvelle vie aux fleurs est pleinement réalisé.

L’identification aux végétaux génère en elle-même cette éthique de respect de la nature dont est né cet art et qui se manifeste à la fois dans les faits de ne pas abîmer la forme des arbres et arbustes, de ne pas saisir avidement plus que ce qui est strictement nécessaire à la composition pour ne pas endommager irrémédiablement l’environnement naturel, même sans commettre de véritables crimes (12) mais seulement en menant un mode de vie dont les conséquences sont prises en compte.

La méditation bouddhique conduit également à une immersion empathique dans la nature comme celle des peintres chinois et japonais qui, dans l’Antiquité, observaient le sujet à peindre jusqu’à ce qu’il ne fasse plus qu’un avec lui tandis que le concept bouddhique d’impermanence est en consonance parfaite avec la nature et ses variations continues, elles aussi présentes dans le shintō. Ces exemples montrent à quel point il est impossible de toujours séparer clairement les apports des deux religions.

L’utilisation du suffixe Dō (voie) dans la désignation de l’Ikebana Ka-dō, Voie des fleurs (13) et d’autres arts Chadō, voie du thé, Sho-dō, voie de la calligraphie, Sō-dō, voie de l’encens, indique une relation très étroite avec le bouddhisme, en particulier le bouddhisme Zen et ses composantes taoïstes et confucéennes. Dō dérive de Dao, la force unificatrice qui imprègne tout le cosmos et est au centre de la religion taoïste comme en témoigne le kanji Dō si intimement lié à la pensée philosophique et à la religiosité chinoise : « […] on peut distinguer une lecture confucéenne selon laquelle la Voie est le respect des règles, l’accomplissement de rites sociaux appropriés et une lecture taoïste, selon laquelle la Voie est la recherche de l’union avec le principe même du mouvement universel […] les deux courants de pensée s’entremêlent en réalité […] (14).

Comme l’ont démontré Giangiorgio Pasqualotto (15) et le professeur de l’École Ohara Mauro Graf (16), les règles que nous appliquons aujourd’hui dans l’Ikebana sont d’origine religieuse. Cependant, leur assimilation est insuffisante : pour réaliser l’esprit profond d’un art traditionnel, l’apport d’une créativité alliée à une conscience méditative est indispensable, dont la force conduit, de manière totalement indépendante de toute forme de volonté, à une union cosmique (17).

Dans le bouddhisme, et en particulier le Zen, l’être humain est le protagoniste du cheminement éthique qui peut se réaliser dans tous les aspects de sa personnalité. Comme l’a bien résumé le moine Zen et Maître de jardin Matsuo Shunmyō avec l’affirmation « Tout lieu est Dōjō » (18). La méditation n’est pas seulement une pratique formelle réservée à la salle de méditation des monastères et des retraites pour les laïcs ou à la solitude de sa maison, elle peut et doit impliquer tous les aspects de la vie. La confection d’un Ikebana devient ainsi un moment privilégié de pratique. L’engagement dans une activité relaxante et joyeuse se déroule, bien que de manière plus limitée et moins radicale, dans les mêmes conditions environnementales que les retraites de méditation : isolement dans un espace protégé loin des soucis de la vie quotidienne. De cette façon, les conditions idéales sont créées pour atteindre ce niveau de conscience qui est en soi une source de croissance morale. L’observation des mouvements de notre esprit avec les pensées, les souvenirs et les images qui se succèdent, surgissent et disparaissent extrêmement rapidement et sans interruption, nous fait entrer en contact avec le moi caractérisé par la relativité et l’imperfection. Le concept d’ego commence à s’effondrer en tant qu’entité qui nécessite continuellement sa propre affirmation. Les espaces en nous, saturés jusqu’alors de pensées et de comportements visant à la sauvegarde continue d’un ego raidi comme un bloc de glace (19), se libèrent et la vraie nature de l’homme commence à émerger caractérisée par la bonté et la positivité. Ce qu’exprime la métaphore du bouddhisme Zen est mis en œuvre : dans le cœur de chacun se trouve un diamant qu’il suffit de nettoyer pour qu’il brille de toute sa splendeur. Ces potentiels se réalisent et s’expriment dans la joie de vivre, dans la sérénité, dans le détachement de soi et dans la compassion qui apaisent la souffrance causée par les blessures de l’esprit critique et l’inévitabilité de la maladie et de la mort.

Chacun de nous, avec ses relations, constituent la société et déterminent ses caractéristiques. La pratique de l’Ikebana comme Ka-dō a ainsi des implications qui vont bien au-delà de la transformation de l’individu. Le détachement de soi conduit à la modestie et à l’humilité, qualités fondatrices des arts traditionnels japonais. Dans la culture actuelle des pays occidentaux, caractérisée par l’expression maximale de l’individualisme, la pudeur n’est plus une vertu. Le terme modestie a perdu ses valeurs positives et est le plus souvent interprété comme synonyme de médiocrité et de pauvreté. Or les comportements animés par la modestie et l’humilité véhiculent, dans tous les domaines d’action d’un individu, la positivité, la sérénité et la confiance en la vie. Les relations avec les autres sont basées sur le respect et la discrétion, la souplesse remplace la dureté de l’attachement à ses propres opinions, la bienveillance remplace la lutte pour l’affirmation continue de soi aux dépens de la communauté.

 

Notes

  1. Le théâtre Kabuki et les trois genres du théâtre classique japonais : Nō, Ningyō-jōruri, théâtre de poupées, aussi appelé Bunraku, théâtre de marionnettes, et Kyogen, action scénique courte d’un personnage farfelu.
  2. Cha no yu signifie littéralement eau chaude pour le thé. La traduction dans les principales langues européennes comme Tea Ceremony (anglais), Cérémonie du thé (français), Teezeremonie (allemand ) a sa propre justification, à la fois parce qu’elle s’adresse à tout le monde, même à ceux qui ne connaissent presque rien à la culture japonaise et Zen, et parce que toute une série d’actes rituels se déroulent dans le salon de thé.
  3. Caractères idéographiques chinois utilisés dans la langue japonaise, pour chacun desquels deux lectures sont possibles : une Japonaise appelé Kun et une chinoise On.
  4. Les arts martiaux traditionnels Dentō bujutsu n’ont pas été volontairement répertoriés car ils ne relèvent pas des arts du Dentōgeinō et, bien qu’ils partagent tous ensemble la transmission, ils nécessitent une discussion qui dépasse largement les thèmes de cet article.
  5. Ce n’est qu’après l’ouverture des frontières du Japon que les enseignements de certains arts ont commencé à être accessibles à tous grâce aux premières publications. Eugen Herrigel, Gusty Herrigel, Zen et l’art d’arranger les fleurs, SE Studio Editoriale, Milan, 1986, pp. 42-45.
  6. Les relations entre bouddhisme et shintoïsme sont complexes. À certains égards, il y a eu des chevauchements et des fusions de type syncrétique mais les deux religions restent distinctes et pratiquées le plus souvent en parallèle avec des prêtres shintoïstes qui officient des rites de passage de la naissance à l’âge adulte, les rites de purification et les mariages. Les moines bouddhistes célèbrent les funérailles. « Selon les statistiques de l’Agence [japonaise] pour la culture, le Japon comptait en 1997 95 117 730 bouddhistes et 104 533 179 shintoïstes sur seulement 127 millions d’habitants » Bouisson, Jean-Marie, Histoire of Contemporary Japan, Il Mulino Publishing Company, Bologne, 2003.

 

  1. Ces paroles qui incarnent l’esprit de la Cérémonie du Thé sont attribuées à Yamanoue Sōji, élève de Sen no Rikyū (1522-1591)
  2. Le concept holistique de Kokoro cœur-esprit est également présent dans le bouddhisme
  3. AAVV, Raku : une dynastie de potiers japonais, Turin, Allemandi, 1997. San, sen, sō, boku étaient également utilisés pour définir la nature, c’est-à-dire une combinaison des termes des deux définitions mentionnées dans le texte. Voir remarque 18.
  4. L’une des trois grandes écoles d’Ikebana créée à la fin du XIXe siècle par Unshin Ohara.
  5. Soka, Admirer la nuance de vert, juin 2012, pp. 9 – 13. Oirase est un célèbre parc national de la région d’Aomori et est réputé à la fois pour la beauté de sa nature et pour avoir été fréquenté par le poète Bashô (1644-94).
  6. Malheureusement, cette éthique qui faisait partie de l’héritage religieux et culturel de tout le peuple japonais tout au long de la période Edo a, avec l’industrialisation, été abandonnée par les détenteurs du pouvoir politique et économique jusqu’à la récente catastrophe de Fukushima, la dernière et la plus grave d’une série de drames environnementaux comme ceux de Minamata, dont les débuts remontent à 1908, de la rivière Agana, Yokkaichi et Toyama, pour ne citer que les cas les plus sensationnels.
  7. Un Ikebana peut être fait avec des fleurs, des feuilles, des branches et des herbes. Le terme Ikebana peut aussi désigner une composition de feuilles uniquement, de branches uniquement ou d’herbes uniquement, ainsi le mot Hana, combiné avec Ike, désigne tout type de végétal, Ka est la lecture On du terme Hana. Cependant, je garde la traduction du terme « Ka-dō » par « Voie des fleurs » car elle est consolidée à la fois par l’usage et par le sens fleur, dans le langage courant, du mot Hana/ka.
  8. Nagayama, Norio, Sho dō, style libre, Casadei Libri Editore, Padoue, 2005
  9. Pasqualotto, Giangiorgio, Esthétique du vide, Art et méditation dans les cultures de l’Orient, Venise,
  10. Graf, site Web de Mauro www.maurokorangraf.ch
  11. Je cite quelques exemples de formation à la méditation par des maîtres japonais des arts traditionnels. Raku Kichizaemon XV, op. cit. en note 9, a écrit une page, hors texte et insérée entre les photographies de tasses Raku, sur la relation intime entre la méditation et sa création artistique, sans que l’auteur n’utilise jamais le terme « méditation ». Déjà au début, quelques lignes conduisent le lecteur au cœur d’un stade très avancé de la méditation personnelle. Le professeur de l’école Urasenke, Sen Soshitsu, XV, Chadō, le Zen dans l’art du thé, Promolibri, Turin, 1986 et le professeur des écoles Ikenobō et Koryu, Ando Mei Keiko, Ikebana, Art Zen, 2009, travail auto-imprimé, parlent de leur formation à la méditation Zen dans un monastère.
  12. Dō (Voie) Jō (lieu), endroit pour apprendre la Voie. Ce terme fait généralement référence à la salle de méditation dans les monastères.

Masui Sachimine, Testini Beatrice, San Sen Sou Moku, Padoue, Casadei, 2007

  1. C’est une image du bouddhisme tibétain : l’esprit-cœur non travaillé par la conscience méditative est rigide comme un bloc de glace mais fond grâce à la focalisation de l’attention et prend les caractéristiques d’adaptabilité, de fluidité et de douceur de l’eau.

Dans l’article et dans les notes, les noms japonais sont mentionnés avec le nom de famille précédant le nom.

 

Merci à mon ami Matsumoto Jun pour les traductions et les précieuses informations sur les termes japonais.

 

Copyright : © Maria Teresa Guglielmettie, 2013. Tous les droits sont réservés. Aucune partie de ce texte ne peut être reproduite sans l’autorisation de l’auteur.

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54. Évolution de l’Ikebana au-travers de la lecture des Kanji

Lire d’abord l’article 50 sur la lecture On ou Kun du kanji.

Les compositions d’Ikebana sont « filles de leur temps » c’est-à-dire qu’elles reflètent la vision de la vie de leurs auteurs dans les différentes périodes historiques, une vision qui a changé plusieurs fois depuis le premier Ikebana structuré de la fin des années 1400 jusqu’aux compositions d’aujourd’hui.

L’évolution historique de ces compositions, du Kuge au Tatebana, puis au Rikka et aux Shōka/Seika et enfin jusqu’à l’apparition du mot Ikebana à la fin de la période Edo, est également perceptible dans le type de Kanji utilisé mais aussi dans le choix de type de lecture On (chinois, cultivé) ou Kun (japonais, populaire). Même ceux qui ne parlent pas japonais peuvent comprendre cette évolution en voyant les signes des Kanji et leur signification.

 

‘Kuge’, pierres tombales sculptées, Temple de Fusai, Tachikawa, Tokyō, représentant des offrandes rituelles (1322).

 

Le ‘Kuge’ est considéré, par certains auteurs, comme un proto-Ikebana réalisé sur les autels bouddhiques et gravé sur les pierres tombales. Bien qu’il ne soit composé que de fleurs et n’ait pas de règles de composition (ce qui le différencie du Tatebana ayant « règles primitives » et composé principalement de branches persistantes ou de branches fleuries auxquelles s’ajoutent quelques fleurs herbacées), les Kanji avec lesquels ‘Kuge’ s’écrit le rattachent aux futures formes d’Ikebana puisque les deux kanji de son nom le sont.

Kuge

 

 

Description Kanji Lecture On Lecture Kun Traduction
 

 

Le 1er kanji se lit ‘Ku’ en lecture On.

 

 

Ku-Kyō

 

 

 

 

Offrir, attendre

 

2ème kanji se lit ‘Ka, Ge’ en lecture On et ‘Hana’ en lecture Kun.

 

Ka Ge

 

Hana

Fleur épanouie

Ostentatoire

Chine

   

Kuge

 

 

Le 2ème Kanji se décompose. Kanji Traduction
 

Il est formé du radical «Herbe» qui désigne les plantes en général et est placé au-dessus du signe «fleur épanouie»,

 

Herbe

Ce Kanji «fleur épanouie» est polysémique. Il signifie aussi »Ostentatoire» et «Chine» probablement parce que la Chine se considérait comme un pays en « pleine floraison culturelle » supérieur à tout autre pays et aussi pour indiquer le Chinois en général. C’est donc un kanji important.  

Fleur en pleine floraison

Ostentatoire

Chine

 

Dessin des cinq objets sacrés placés dans ce qui deviendra le tokonoma.

Ce sont  l’encensoir, le bougeoir et trois Tatebana apparus à l’époque des Shogun Ashikaga, dans la première moitié des années 1400.

Les Shoguns Ashikaga introduisent l’habitude d’afficher une triade de kakemono dans leurs palais représentant, initialement,  Bouddha au centre avec deux personnages mineurs de part et d’autre.  Ils placent une triade d’objets dont un décor « floral » au pied du kakemono représentant Bouddha appelé Tatebana.

 

Ci-contre, 3 Tatebana avec des fleurs herbacées.

 

Voir Article 12, La naissance de l’Ikebana selon la tradition et Article 13, La naissance d’Ikebana d’après les documents historiques, Article 32, Ikebana et histoire : période Asuka a Kamakura (552-1333) et Article 35, Ikebana et histoire : périodes Meiji (1868-1912), Taisho (1912-1925) et Shōwa (1926-1989).

 

Mais les premiers Tatebana sont composés, comme on peut le voir ci-contre (tiré d’un traité spécifique d’Ikebana) principalement de plantes ‘Ki-Mono’, Yang, c’est-à-dire de branches persistantes ou fleuries associées à quelques fleurs herbacées ou herbes, végétaux ‘Kusa-Mono’ Yin, (Voir Article 2, Le concept de fort et de faible et Article 70, Esthétique Basara et Ikebana).

 

 

Le nom Tatebana s’écrit avec les Kanji suivants :

 

Description Kanji Lecture On Lecture Kun Traduction
 

Le 1er kanji se lit ‘Ri’ en lecture On et Tatsu-Teru en lecture Kun.

 

 

Ri

 

Tatsu/Teru

Tateru

 

 

Grandir droit

 

2ème kanji se lit ‘Ka, Ge’ en lecture On et ‘Hana en lecture Kun.

 

Ka Ge

 

Hana

Fleur épanouie

Ostentatoire

Chine

 

Rikka

 

Tatebana

 

Le Kanji « Offrir », visible dans le nom ‘Kuge’, est désormais remplacé par le Kanji « se tenir droit ». Le deuxième Kanji de ‘Kuge’ est maintenu car il vise à mettre en valeur toute la « beauté » d’un végétal, en rappelant que ce Kanji signifie aussi « Ostentatoire » et « Chine ».

 

Tatebana signifie fleurs (+ ses autres significations : Ostentatoire et Chine) placées droites. Ces Kanji spécifiques soulignent la fonction symbolique et représentative de la composition.

Ainsi, même s’il n’y a apparemment aucun lien particulier qui lie le ‘Kuge’, simple assemblage de fleurs, aux futures compositions d’Ikebana, le second Kanji avec lequel s’écrit ‘Kuge’ (lire Ka ou Ge en lecture On et Hana en lecture Kun), reste dans le nom ‘Tatebana’, nom de la première composition structurée. L’offrande de fleurs sur l’autel de Bouddha (‘Kuge’) est transférée aux demeures « laïques » des palais Ashikaga et son nom (et sa fonction) d’offrande « fleurs » (au sens de ‘Kuge’) se change en « fleurs » droites « (au sens de Tatebana) en l’honneur de Bouddha, non plus sur l’autel mais dans un contexte plus profane. Le premier Kanji avec lequel s’écrit Tatebana souligne l’importance de ceux qui font l’offrande, c’est-à-dire le Shogun et la classe dirigeante des samouraïs.

 

Dans les cinquante dernières années de la période Azuchi/Momoyama, vers 1500, le Tatebana évolue vers le Rikka.

Alors que dans le Tatebana il y avait peu de règles codifiées, l’important étant de mettre des végétaux « droits », le Rikka devient une composition très codifiée avec 9-11 branches principales, un côté Yang et un côté Yin. Imposant, grand, le Rikka est réalisé pour « frapper », impressionner» par son exubérance élégante, sa grandeur.

Le nom Rikka est la lecture On, chinoise et cultivée, des deux mêmes Kanji du nom Tatebana (en lecture Kun, japonaise et populaire). Il s’ensuit que la composition Rikka a plus d’importance que le Tatebana.

 

Par conséquence, Tatebana et Rikka sont la lecture, respectivement, Kun et On des deux mêmes kanji et les deux signifient : plantes redressées.

.

 

Dans la première partie de l’époque d’Edo (1603-1863) où la riche bourgeoisie urbaine de marchands-artisans commence à émerger, le Rikka, basé sur des symboles chers à la noblesse shogunale et impériale lui est trop difficile à créer et à interpréter. Il est alors simplifié et ne garde que trois éléments principaux. . Toutes les Écoles d’Ikebana l’appellent Seika sauf l’École Ikenobō qui le désigne du nom de Shōka car la disposition des trois éléments dans l’espace est différente dans les deux formes, (voir Article 24, Shintoïsme et Ikebana : du Rikka au Shōka et Seika).

Les principaux praticiens d’Ikebana sont désormais les riches marchands qui perçoivent la nouvelle composition d’une manière différente de celle du Rikka désormais «obsolète, plus à la mode».

 

Par conséquence, les Kanji de Shōka/Seika sont différents des Kanji de Rikka/Tatebana, compositions qui continuent d’être préférées de la noblesse shogunale et impériale.

« Droits », le Tatebana et surtout le Rikka sont réalisés pour impressionner les invités alors que les Seika/Shōka montrent une relation nouvelle aux végétaux perçus comme « vivants ».

 

Ci-contre, Seika.

Description Kanji Lecture On Lecture Kun Traduction
 

Le 1er kanji se lit ‘Ri’ en lecture On et Tatsu-Teru en lecture Kun.

 

 

Sei, Shō

Nama,

Ikiru, Umu,

Umameru, Haeru

 

Donner la vie

Laisser vivre

 

2ème kanji se lit ‘Ka, Ge’ en lecture On et ‘Hana’ en lecture Kun.

 

Ka

 

Hana

Fleur

Herbe

Végétal

 

Seika/Shōka

 

Ikebana

 

Par conséquent, le « nouveau » Kanji ‘Ka’ conserve le son original ‘Ka’ en lecture On et ‘Hana’ en lecture Kun mais il est remplacé par un nouveau Kanji.

 

Description Kanji Lecture On Lecture Kun Traduction
 

Le Kanji ‘Ka’ de Rikka en lecture On et de Tatebana en lecture Kun  devient le Kanji ‘Ka’ de Seika/Shoka en lecture On et de Ikebana en lecture Kun.

 

Ka

 

Hana

Fleur épanouie

Ostentatoire

Chine

 

Ka

 

Hana

Fleur

Herbe

Végétal

 

Ce nouveau Kanji, par rapport au précédent qui mettait en évidence la beauté d’une fleur entièrement ouverte, met désormais en évidence le caractère éphémère, le changement.

 

Le 2ème Kanji se décompose. Kanji Traduction
 

Le kanji ‘Ka’ utilisé maintenant est composé du même radical «Herbe» présent dans le kanji de Rikka.

Mais son signe en-dessous change.

 

Herbe

Avec le nouveau Kanji, on passe de « fleur complètement ouverte » à « changement » soit : homme debout suivi d’homme assis = homme vieillissant = changement. Homme debout suivi Homme assis (= Homme vieillissant, changement)

 

Même le kanji qui se lit ‘Sei’ ou ‘Shō’ en lecture On montre une vision différente qui n’est plus « se tenir droit et impressionner » du Rikka mais « donner la vie, laisser vivre les plantes ».

La lecture des deux kanji est toujours active tout comme la lecture de Rikka.

 

Dans la seconde moitié de l’époque d’Edo, les compositions Seika/Shōka sont interprétées et appréciées non seulement par la classe (relativement restreinte) des riches marchands et artisans mais par un nombre toujours croissant de citoyens, même les moins fortunés. L’augmentation de sa popularité conduit à lire les deux Kanji, non plus en lecture chinoise et cultivée On mais en lecture japonaise et populaire Kun prononcés «Ikebana». Le choix de la lecture Kun «Ikebana» plutôt que la lecture On «Seika/Shōka» indique que l’arrangement floral issu d’un art pratiqué auparavant uniquement par de petits groupes restreints (noblesse shogunale et impériale avec le Rikka, et petits groupes de citoyens riches avec les Seika/Shōka), s’étend également à une bonne partie de la population y compris féminine.

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53. De l’Ikebana à la cuisine et à la technique photographique

Ce blog insiste sur le fait que les règles de composition de l’Ikebana ne sont pas exclusives à cet art mais font partie de la culture traditionnelle japonaise. Ces règles sont communes à d’autres arts nés avant l’époque Edo lorsque la « pensée des temps anciens » ‘kodaishisō’ était une vision de la vie basée sur un syncrétisme entre diverses formes de religiosité (principalement shintoïsme, bouddhisme, taoïsme, confucianisme) et de « croyances populaires » (principalement théories du Yin-Yang, Feng-Shui), seuls outils à pouvoir comprendre et expliquer les lois qui régissent le cosmos. On retrouve les concepts du ‘kodaishisō’ dans les symboles de toutes les formes d’art jusqu’au milieu de la période Edo puis, à mesure que l’occidentalisation s’amplifie cette « pensée des temps anciens » est supplantée par une vision cartésienne occidentale. Si la « pensée des temps anciens » est remplacée par d’autres visions de la vie, ses symboles, exprimés dans les règles des différents arts (Ikebana, Cérémonie du thé, cuisine Kaiseki, disposition des pierres, jardin sec et objets du tokonoma, bonsaï et autres) restent inchangés. Il est intéressant de les retrouver sur cette photographie parue sur le net, élaborée sur ordinateur, de jeunes moines s’amusant au ballon.

 

© École Ohara
 

Les trois images, apparemment, n’ont rien en commun.

 

On a un Ikebana Chokuritsu-kei (style vertical) de l’école Ohara, de la nourriture disposée selon les règles de la cuisine Kaiseki et la troisième une photographie de jeunes moines bouddhistes élaborée sur ordinateur.

La beauté et la « force » de la photographie des joueurs résident également dans la disposition des garçons établie sur les mêmes principes esthétiques de l’Ikebana et de la nourriture dans le plat typique de la cuisine Kaiseki.

 

L’agencement des trois éléments se réfère à la fois :

– À La triade bouddhique où l’élément principal est au centre et entouré à droite et à gauche de deux éléments moins importants.

– Au concept taoïste suivant lequel les deux éléments les plus importants sont proches l’un de l’autre puisqu’ils représentent le côté Yang tandis que le troisième élément est plus espacé puisqu’il représente le côté Yin de la composition.

(Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana, Article 39, Suiseki et Ikebana).

 

 

Les trois pierres représentant le Tai-ji avec au centre la plus grande, la seconde moins volumineuse, à sa droite et rapprochées tandis que la troisième, la plus petite, est à sa gauche et relativement détachée des deux premières.  La plus petite représente le côté Yin/faible par opposition aux deux autres représentant le côté Yang/fort.

 

 

La disposition des éléments sur les trois photographies reproduit la triade bouddhique avec l’élément le plus important au centre (Shu-shi de l’Ikebana, deux morceaux de poisson dans l’assiette, jeune homme plus grand A avec un ballon) tandis qu’à son côté droit est le deuxième élément le plus important (Fuku-shi de l’Ikebana, B dans l’assiette et les joueurs). Shu-shi, Fuku-shi et A/B sont plus proches l’un de l’autre que le plus petit élément (Kyaku-shi de l’Ikebana et C dans l’assiette et les joueurs).

Sur la photo des garçons, les trois groupes de joueurs sont à la même distance mais A et B sont « plus proches » du fait que les joueurs sont face au ballon et par conséquent, le groupe B regarde vers A. Cela les rend plus unis que les joueurs du groupe C. L’utilisation du nombre impair 5 doit être soulignée (les nombres impairs considérés comme Yang, sont préférés aux pairs considérés comme Yin).

Les groupes Kyaku-shi et C dans l’assiette et les joueurs sont plus petits et plus distants car ils représentent le côté Yin des trois compositions.

En Ikebana, Shu-shi, Fuku-shi sont proches l’un de l’autre et du même bois végétal/Yang par rapport à Kyaku-shi, fleur/Yin. De même dans l’assiette, les aliments A et B sont proches l’un de l’autre par rapport l’aliment C et sont  » liés » par la présence de feuilles de fougère qui rendent A et B Yang/fort par rapport à la nourriture C Yin/faible.

Les trois images, Ikebana, la nourriture dans l’assiette et les cinq joueurs, sont des compositions Hongatte/à droite (Voir Article 16, Origine des positions ‘Hon-Gatte’ et ‘Gyaku-Gatte et Article 17, Composition à gauche et composition à droite).

 

Il est fascinant de constater que l’assemblage des éléments composant la photo des jeunes moines, œuvre primée en 2014, reprend exactement les mêmes concepts qui régissent (entre autres) l’Ikebana et l’agencement des nourritures dans la cuisine Kaiseki. L’utilisation des nombres impairs (Yang, préféré aux nombres pairs Yin) et la « beauté » de la photo montrent comment les règles de disposition issues du kodaishisō, la pensée des temps anciens, conservent leur validité encore aujourd’hui.

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52. Genèse et évolution du style Kansui-kei

Les premières compositions d’Ikebana structurées s’appellent Tatebana, du verbe ‘Tateru’ = se tenir droit et de ‘Hana’ = « fleurs » (= branches, fleurs, herbes, feuilles, …) donc Tatebana signifie « fleurs » droites (Voir articles précédents).

Les végétaux regroupés émergent du centre du contenant.

L’élément principal de l’École Ohara, appelé Shu-shi, est toujours central, droit car l’un des différents symboles représentés dans le Tatebana/Rikka est la triade bouddhique avec Bouddha au centre entouré de deux figures mineures qui, dans la composition, sont Shu-shi au centre entouré par Fuku-shi et Kyaku-shi.

 

 

 

Au fil du temps, Shu-shi central prend des courbures et les branches latérales se placent de façon asymétrique.

 

La composition s’appelle Rikka en lecture On, auparavant Tatebana en lecture Kun.

Voir Article 54, Évolution de l’Ikebana dans la lecture des Kanji.

 

 

 

Comme il est possible de créer une composition « en miroir », une différenciation entre composition Hon-Gatte/à droite (du kakemono) et composition Gyaku-Gatte/à gauche (du kakemono) est introduite.

Voir Article 16, Origine des positions ‘Hon-Gatte’ et ‘Gyaku-Gatte et Article 17, Composition à gauche et composition à droite.

 

Du Rikka de l’époque Edo, on est passé à des formes plus simples d’Ikebana appelés Shōka et Seika composées seulement de trois éléments principaux et d’éléments auxiliaires. On a, alors,  Shōka/Seika Hon-Gatte et Shōka/Seika Gyaku-Gatte.

 

Dans les Moribana et Heika, l’École Ohara, en cohérence avec la nomenclature de droite et de gauche, place la composition Hon-Gatte/main droite à droite du centre du vase et la composition Gyaku-Gatte/main gauche à gauche du centre du vase (Voir Article 16, Origine des positions ‘Hon-Gatte’ et ‘Gyaku-Gatte).

© École Ohara

 

 

Dans les premières formes d’Ikebana, la seule manière de disposer les végétaux dans le vase est celle avec Shu-shi au centre et à la verticale soit le style Chokuritsu-kei (style vertical) de l’École Ohara.

Toutes les règles de composition des autres styles se basent sur ce style Chokuritsu-kei originel. Les règles des styles Keisha-kei (incliné), Kasui-kei (cascade) et Kansui-kei (se reflétant dans l’eau), apparus plus tard, sont des petites modifications du style Chokuritsu-kei (vertical).

 

 

Laissant de côté les différentes étapes intermédiaires et simplifiant grandement l’explication, on peut dire qu’avec le passage du Rikka aux Shōka/Seika, Shu-shi change de position soit « inclinée » soit « en cascade » tandis que Fuku-shi et Kyaku-shi restent inchangés quant à leurs positions relatives à Hon-Gatte/droite et à Gyaku-Gatte/gauche. À noter, les positions de Fuku-shi et Kyaku-shi ne changent pas dans les trois styles.

 

Avec les Shōka/Seika, les arrangements Hon-Gatte et Gyaku-Gatte basés sur Shu-shi au centre et Fuku-shi et Kyaku-shi sur les côtés, doivent suivre une évolution, croquis ci-dessous.

 

Étant donné que la différence entre le style Chokuritsu-kei et les styles Keisha-kei et Kansui-kei réside uniquement dans le changement de position de Shu-shi, les positions de Fuku-shi et de Kyaku-shi, au regard du placement Hon-Gatte et Gyaku-Gatte, restent relativement inchangées.

 

Le style Kansui-kei, se reflétant dans l’eau, a été créé comme une variante du style Keisha-Kei, simplement en déplaçant le kenzan sur le côté opposé du vase. La relation entre les différents Yaku-eda (Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi) est inchangée, seuls les points d’insertion sont modifiés. Les points d’insertion de Shu-shi et de Fuku-shi sont plus rapprochés réduisant ainsi la surface du triangle scalène.

 

 

 

La nouvelle composition toujours Hon-Gatte devient Hon-Gatte non plus à droite mais désormais à gauche du centre du vase.  Dans les textes, l’arrangement est défini, à juste titre comme Hon-Gatte, de gauche. Idem pour la composition « miroir » Gyaku-Gatte, de droite.

 

 

La définition des arrangements Hon-Gatte/à droite et Gyaku-Gatte/à gauche, utilisés en Ikebana dès les premières formes codifiées il y a plus de quatre cents ans, n’est plus applicable dans le style Kansui-kei. Pendant longtemps, l’École Ohara maintient cette incongruité dans sa nomenclature et désigne la composition de style Kansui-kei Hon-Gatte mais de gauche et Gyaku-Gatte mais de droite.

 

Au fil du temps, l’École Ohara change la position de Fuku-shi. Partant de la position du style Keisha-kei, la position de Fuku-shi est modifiée par étapes successives jusqu’à atteindre la position actuelle.

 

Position de Fuku-shi du style Kansui-kei, vue de dessus :

Sa position, d’abord derrière Shu-shi et identique à celle du style Keisha-kei, est déplacée vers la position actuelle derrière Kyaku-shi.

 

Ayant maintenant changé la position de deux (Shu-shi et Fuku-shi) des trois Yaku-eda sur lesquels repose la définition de Hon-Gatte et Gyaku-Gatte, le Style Kansui-kei n’est plus classable comme Hon-Gatte ou Gyaku-Gatte.

 

Recherchant alors une homogénéité de position du Kenzan entre les autres styles Chokuritsu-kei et Keisha-kei, l’École Ohara définit la position Hon-Gatte/droite et Gyaku-Gatte/gauche selon la position du kenzan par rapport au centre du bassin, schéma ci-contre.

 

 

L’École Ohara, attachée aux traditions autant que possible, ne modifie la nomenclature originale que pour le style Kansui-kei. La définition Hon-Gatte/à droite et Gyaku-Gatte/à gauche, dans les styles créés avant les années 1930, est indépendante du point de sortie des plantes du vase mais dépend uniquement du rapport des positions respectives des trois éléments principaux.

 

Ci-dessous, compositions Rikka dans lesquelles les végétaux jaillissent toujours du centre du vase.

 

 

Les Seika, selon les différentes écoles, partent soit du centre, soit de la droite soit encore de la gauche de l’embouchure du vase.

Ci-dessous, exemples de trois Seika tous Gyaku-Gatte/à gauche, que les végétaux partent de la droite ou du centre ou de la gauche de l’embouchure du vase car ils sont exécutés par trois écoles différentes.

 

 

De ces quelques exemples, il ressort que les dénominations Hon-Gatte/à droite et Gyaku-Gatte/à gauche décrivent (avant la création du Moribana) la relation entre les trois éléments principaux Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi. Elles sont indépendantes du point de sortie des végétaux à l’embouchure du vase.

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51. Ikebana miroir des saisons

 

La composition, en plus d’être parfaite dans son exécution technique, doit donner à l’observateur/observatrice des sensations en lien avec la saison qui y est exprimée.

Sen no Rikyū (1522-1591), parlant de la Cérémonie du thé, dit : « en été, donnez la sensation de fraîcheur, en hiver celle de chaleur », principes qui peuvent aussi s’appliquer à l’Ikebana.

Si l’on considère l’été dans l’ancienne capitale Kyōto, on atteint 30°-40° de chaleur humide. La sensation prédominante qui doit être perçue est la fraîcheur que l’on recherche à l’ombre, mieux près de l’eau (rivière, lac, étang ) ou encore l’air apporté par la brise ou le vent.

 

Purification shintoïste à l’eau.

 

Il est à noter que les éléments eau et vent sont associés, pour les Japonais, à la fois à la purification (le shintoïsme prévoit deux voies de purification : par l’eau et par le vent) et à la naissance de la divinité shintoïste la plus importante, la déesse Amaterasu dont l’empereur est directement issu. La déesse est née de l’œil gauche (le gauche est Yang, plus important que le droit, Yin) lors du rite de purification à l’eau de son père Izanagi après sa sortie des enfers, au terme de sa vaine tentative pour récupérer sa femme Izanami morte des brûlures subies en donnant naissance au kami du feu.

 

La sensation de fraîcheur, en Ikebana, s’obtient :

  1. En utilisant des plantes aquatiques avec une grande surface d’eau ou des plantes non aquatiques (végétaux de prairie, forêt, colline, montagne) positionnées légèrement courbées pour que la sensation de fraîcheur de la brise ou du vent soit perçue à la vue des végétaux courbés.

 

  1. En montrant les plantes couvertes de rosée (aspergées avec le vaporisateur), on augmente la sensation de fraîcheur, tout comme voir dans le suiban une surface d’eau étendue par rapport à la surface limitée occupée par les plantes.

 

  1. En choisissant des végétaux aux formes et couleurs spécifiques :

– les différentes nuances de bleu, vert-bleu et blanc donnent la sensation de fraîcheur ainsi que les couleurs vives et lumineuses, même si la couleur elle-même n’a pas un ton « frais ».

 

– le rouge et le jaune sont des couleurs « chaudes » mais l’orange mandarine ou le jaune citron, s’ils sont vifs et lumineux, donnent aussi une sensation de fraîcheur.

– les formes rondes ou carrées sont plus « chaudes » que les formes triangulaires.

– les plantes ou fleurs à tiges courbes sont « plus fraîches » que celles droites ou verticales (garder droit ou vertical contre la force de gravité implique l’utilisation d’énergie = chaleur).

– les lignes sont « fraîches » alors que les masses (avec leur « lourdeur ») sont « chaudes ».  La « légèreté » d’un matériau le rend frais tandis que sa « lourdeur » le rend chaud. Il s’ensuit qu’en été, les lignes sont préférées tandis qu’en hiver les masses sont préférées.

– peu de couleurs et un faible nombre d’espèces (pas plus de 3) donnent plus la sensation de fraîcheur que beaucoup de couleurs ou un grand nombre de plantes. En d’autres termes, la fraîcheur est basée sur la simplicité.

– les vases participent aussi à la sensation de fraîcheur : vases aux couleurs et formes simples.

 

  1. En privilégiant certains styles :

Le style Chokuritsu-kei en Moribana et en Heika, avec Shu-shi vertical « utilisant de l’énergie » pour grandir, est moins apte à donner la sensation de fraîcheur que les styles Keisha-kei, Kansui-kei ou Kasui-kei.

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50. La langue japonaise

L’ikebaniste étant en en contact avec des noms japonais, quelques indices sur la langue japonaise sont nécessaires.

– il n’y a pas d’accents : par exemple Nageire se prononce na-ge-ire et non nagèire ou nageìre.

– 4 modes d’écriture sont utilisés :

 

Kanji Kan = Han = dynastie chinoise + Ji = signes, c’est-à-dire : signes des Han. Ce sont les idéogrammes importés de la langue chinoise.
Hiragana Hira = usage courant, facile + Kana = caractère empruntée.

Syllabaire phonétique de 46 caractères également dérivés (emprunt) de parties de Kanji

Katakana Kata = partie, utilisé pour les mots d’origine étrangère. Syllabaire phonétique de 46 caractères également dérivés de parties de Kanji, différents de ceux des Hiragana.
Roma-Ji Utilisation de l’alphabet latin.

 

Pour écrire le japonais en utilisant des caractères latins, on utilise le système Hepburn dans lequel les voyelles sont prononcées comme en latin tandis que les consonnes sont prononcées comme en anglais.

– CH se prononce toujours comme C

– F toujours expiré

– G se prononce toujours Gue comme Guitare

– H se prononce comme en allemand, fortement inspiré

– J se prononce DJ au début d’un mot et J à l’intérieur d’un mot (Jiyu = Djiu)

– S se prononce comme S comme dans Saucisson

– SH se prononce toujours CH comme dans Cheveu

– R se prononce comme un L, Ryu se prononce « lyou »

– W se prononce toujours comme OU

– Y se prononce toujours comme un I

– Z se prononce toujours comme le Z de Zen

– TSU tel qu’il est au début d’un mot et comme le sucre Z à l’intérieur

– U est presque silencieux en TSU et SU, surtout s’ils sont en position finale, entre « ou » et « eu« , mais plus proche de « ou« .

– ni le L ni la lettre V n’existent

– dans les mots composés : le H devient B (par exemple ike-Hana devient Ike-Bana)

– le trait au-dessus des voyelles les prolonge comme dans Ka-dō, et s’appelle « macron ».

 

Chaque Kanji peut être lu de deux manières :

En lecture On ou lecture chinoise (langage académique) : La prononciation devient japonaise lorsqu’un kanji spécifique est importé au Japon. Étant donné que la langue chinoise, comme toutes les langues, a changé au fil du temps et que le même Kanji peut avoir été importé à différents endroits du Japon et/ou à différentes périodes historiques, il peut y avoir différentes lectures On du même Kanji.

En lecture Kun ou lecture japonaise (langage courant, populaire) :  Il peut y avoir différentes lectures Kun d’un même Kanji puisque différents mots peuvent correspondre à la même idée ou bien la même idée peut exister sous la forme d’un nom, d’un verbe, d’un adjectif, ….

 

 

 

 

Exemples

Le Kanji ‘Ka’ signifie : « herbe » qui change ou « végétal qui change, qui se transforme, qui vieillit » et sa signification ne se limite pas au mot «fleur», comme traduit habituellement par Ka-dō (= «Voie des fleurs»), mais il désigne pratiquement toutes les plantes utilisables en Ikebana.

La traduction de ‘Ka’ par « fleurs » découle du fait qu’en Occident les maisons/lieux de rencontre/églises sont décorés seulement par des fleurs et par des femmes. En effet, au début, l’Ikebana est perçu comme une « manière japonaise » de décorer. Contrairement à cette idée, l’Ikebana est né d’une construction symbolique avec un sens esthétique. Les branches utilisées comme éléments principaux avec des fleurs expriment des concepts philosophico-religieux (Voir Article 2, Le concept de fort et de faible). À la création de l’Ikebana, la composition est placée uniquement dans le tokonoma, lieu « sacré » de la maison et seuls les hommes ont accès à cet art.

Pour cette raison, le terme « fleurs » lorsqu’il fait référence à Hana est placé entre guillemets pour indiquer qu’il inclut toutes les plantes.

Notez que les mots «fleur» ou «végétal» des langues européennes donnent une idée statique alors que le Kanji ‘Ka’ donne une idée de mouvement dans le temps «d’herbe qui se transforme, qui vieillit», c’est-à-dire il met en évidence la fugacité chère au bouddhisme.

 

Autres exemples

 

Il existe de nombreux Kanji homophoniques. Par exemple, il existe une quarantaine de Kanji différents ‘Shi’ et l’un d’eux signifie la mort, un autre signifie 4, raison pour laquelle le chiffre 4 n’est pas utilisé en Ikebana puisque le kanji de 4 en lecture On est associé à la mort.

 

Puisqu’il existe trois systèmes de translittération différents, le même Kanji est translittéré en utilisant différentes lettres de l’alphabet selon le système utilisé.

 

 

Kanji désignant les trois Yaku-eda (éléments principaux) utilisés par l’École Ohara :

 

Le deuxième kanji, le même dans les trois noms, se prononce ‘Shi’ et signifie branche. Ce mot rappelle qu’à ses origines, seules les branches comme éléments principaux sont utilisées en Ikebana. La dénomination Kyaku-shi persiste de nos jours, alors que des fleurs ou des feuilles sont principalement utilisées pour ce Yaku-eda.

 

 

La langue japonaise officielle est le dialecte de Tokyō, formé à l’époque d’Edo à partir du mélange des dialectes du Nord à ceux de la cour de Kyōto. Déclarée langue officielle en 1868 par le gouvernement Meiji, elle n’a ni masculin ni féminin ni singulier ni pluriel.

Elle n’a pas de genre et la traduction pose le problème du genre utilisé. Généralement, on préfère utiliser le masculin mais de nombreux auteurs utilisent le genre du mot correspondant à la langue de traduction. Par exemple Katana (épée) sera traduit par «le» mais de nombreux auteurs, pensant qu’en latin, l’épée est féminine, utilisent «la» katana.

Dans la mesure du possible, l’article est omis et lorsqu’il ne peut l’être, le masculin est préféré.

Ikebana est utilisé au masculin pour souligner à la fois que cet art est né et pratiqué exclusivement par des hommes jusqu’à l’arrivée de la culture occidentale et pour se différencier clairement de la décoration florale, féminine.

On peut écrire « l’influence du Zen sur le kyudo et le kendo … » Écrire plutôt sans article : Chabana, Zen, Chanoyu, Kakemono, Wabi, Sabi, Sumi-e (peinture à l’encre), Fusuma (panneau coulissant), Satori (éveil bouddhique), Katana, …

Par exemple, « Parmi les accessoires du katana (épée), l’élément principal est la tsuba (poignée ou garde-main) qui sert à protéger la main. Dans la tsuba, on pense à la fonctionnalité …… »

Certains mots japonais sont maintenant entrés dans les langues latines et sont utilisés avec leur genre comme : « la geisha »

Attention : les noms étrangers ne changent pas au pluriel. « J’ai divers handicaps, je pratique de nombreux hobbies, j’ai parlé à deux hôtesses, j’ai vu trois films, deux geishas, trois katana, deux kakemono, beaucoup d’Ikebana, deux chabana, deux kimonos, trois fusuma, j’ai lu deux haiku, utilisé deux Kenzan, … »

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49. Les supports en Ikebana, de la paille au Shippo et au Kenzan

La Paille

 

Dans les premières compositions Tatebana réalisées dans de grands vases comme le montre cette peinture chinoise du XIVe siècle ci-contre, des herbes ou autres petits végétaux sont probablement utilisés pour soutenir les végétaux.

Dynastie Yuan ou vase japonais en bronze, avec lotus, daté 1330.

 

Dans le Tatebana et le Rikka, premières formes codifiées d’Ikebana, le vase dans lequel les végétaux sont insérés est rempli de paille, appelée ‘Komiwara’, afin d’assurer le maintien vertical des plantes comme le nom des compositions l’indique (Voir Article 54, Évolution de l’Ikebana dans la lecture des Kanji).

 

Ci-contre arrangement Rikka.

 

 

 

Les différents végétaux ne sont pas insérés directement dans le Komiwara.

Comme on peut le voir sur ces croquis, les branches sont attachées à des bâtons pointus puis sont embrochées dans la paille.

Les fleurs et les feuilles sont insérées dans des contenants réalisés avec de cannes de bambou remplis d’eau servant ainsi de « vases » et dont une partie des cannes dépasse le bord du Komiwara.

 

Croquis des points d’insertion dans le Komiwara des éléments principaux et auxiliaires, en tout une quarantaine.

 

 

 

Exemple actuel de construction d’un Rikka

 

 

 

Avec le passage du Rikka aux arrangements plus simples des Shōka/Seika réalisés « directement » avec moins de végétaux, un ‘Hana-Kubari’ est introduit. C’est une fourchette en bois en forme de Y réalisée en attachant deux morceaux de branche ou en coupant une branche fourchue.

 

Le morceau de branche perpendiculaire placé à l’arrière du Hana-Kubari sert à enfermer les végétaux dans la fourchette.

 

 

Exemple de Seika avec cinq branches de pin numérotées et leur position dans le Kubari.

 

Il convient de noter que la subdivision de la composition en partie Yang (branches végétales 1, 2 et 3) à gauche et en partie Yin (fleurs végétales 4 et 5) à droite, est maintenue un niveau de l’insertion des branches simples dans le Kubari.

 

 

Les compositions Moribana dans des bassins déjà en usage sont beaucoup plus rares que celles réalisées dans des vases.

Il y a deux versions :

1. Shu-shi-Fuku-shi et Kyaku-shi tous unis en un seul groupe.

2. Shu-shi-Fuku-shi regroupés et séparés du groupe Kyaku-shi.

 

Avec la diffusion de cette nouvelle façon de disposer les végétaux introduite par l’École Ohara et après les résistances levées, toutes les écoles adoptent des supports créés pour être placés dans un suiban.

 

Exemple de support utilisé au début de l’introduction du Moribana.

 

Shippo

 

Apparition du shippo ensuite.

Les deux Kanji du mot Shippo signifient « 7 joyaux ».

 

Le nom Shippo, comme support, vient de trois significations différentes :

1ère signification. Pour le bouddhisme, Shippo indique sept valeurs spirituelles associées à sept joyaux qui les représentent. Ils sont répertoriés dans divers sutras. Étant donné que les différents noms sanskrits ne sont pas toujours compréhensibles par les traducteurs chinois, les noms des « 7 joyaux » diffèrent dans les différents sutras. Les Joyaux et les valeurs spirituelles communes à toutes les listes sont :

 

Sept joyaux Sept valeurs spirituelles associées
1. Or

2. Argent

3. Aigue-marine ou lapis-lazuli ou turquoise,

4. Perles ou ambre ou cristal

5. Corail blanc ou agate

6) Perles de corail ou rubis

7) Ambre ou émeraude ou agate ou jade

1. Trésor de croyance

2. Trésor de vertu

3. Conscience

4. Altruisme

5. Écoute

6. Générosité

7. Sagesse

2ème signification. À l’ère Heian, même si ni le chiffre 7 ni les joyaux répertoriés dans les sutras n’apparaissent pas dans le dessin chinois parvenu au Japon, il est aux yeux de la noblesse japonaise « brillant comme un joyau, comme un bijou ». Le dessin appelé ‘Shippo’ basé sur l’intersection de cercles est considéré comme d’un «bon présage ».

                                                                                                                                            

 

 

Le motif des cercles entrecroisés est considéré comme un porte-bonheur car il peut se multiplier à l’infini, dans toutes les directions. Il est utilisé à la fois dans les motifs de tissu et comme amulette.

 

Certains auteurs prétendent que le nom du dessin vient du jeu de mots : ‘Shi-ho’ = quatre directions.

Amulette de la période Heian Tissu

 

Shippo dessinés sur le kimono d’une vendeuse itinérante, Musée Chiossone, Gênes.

 

 

Tsuba en forme de Shippo (sur une arme japonaise, et notamment le katana, la garde s’appelle tsuba). Bouton d’uniforme.

 

Acteur de kabuki 1849

 

  1. 3ème signification. Le nom Shippo signifie aussi « Cloisonné », nom français d’une technique (utilisée notamment en joaillerie) consistant à couler de l’émail fondu coloré dans de petites alvéoles, alvéoles suggérées par l’intersection des cercles du Shippo.

 

Broche chinoise décorée de cloisonnés. Tsuba orné de motifs de Shippo porte-bonheur.

 

Motif de Shippo comme arrière-plan de l’estampe.

Yoshima Gakutei vers 1890.

 

 

 

Boîte en forme de Shippo. Boite à nourriture.

 

 

Il est intéressant de voir le dessin du Shippo présent sur les tissus qui recouvrent les murs de cette fresque de Giotto.

 

 

 

 

 

 

 

Sol en mosaïque de l’époque romaine (IVe siècle après J.-C.) trouvé en 1955 lors d’une fouille sur la Piazza Duomo à Parme.

 

Kenzan

 

Le Kenzan, peu utilisé par l’école Ohara au début mais plus facile d’utilisation que le Shippo, est désormais le support de toutes les compositions basses à l’exception des compositions « traditionnelles » (Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I et Shikisai-Moribana Yoshiki Hon-I) où le Shippo reste obligatoire.

Fidèle au dicton japonais – le nouveau s’ajoute à l’ancien sans le supplanter – le Kenzan rappelle, dans une tonalité moderne, le concept des bottes de paille du Rikka où les tiges de paille sont remplacées par des pointes de fer.

 

 

Kenzan en forme de Shippo avec deux ou trois anneaux

 

 

Mors de chevaux

 

D’autres écoles traditionnelles d’Ikebana (comme Enshū, Misho, Koryu) utilisent encore des supports végétaux, mais de moins en moins du fait de leur difficulté d’utilisation ou encore des mors de chevaux dont on a répertorié au moins 50 formes standardisées différentes.

 

 

Autres supports

 

Supports en forme de tortue ou de crabe ou utilisation d’objets du quotidien tels que des ciseaux ou des éventails

 

 

 

 

Le charbon de bois

 

Il est surtout utilisé pour absorber principalement l’humidité (par exemple, dispersé en grande quantité dans les maisons traditionnelles) ou pour absorber les mauvaises odeurs dans les cuisines mais rarement comme support en Ikebana.

 

Lors de la cérémonie du thé, le charbon de bois utilisé par l’École Koryu pour chauffer l’eau est disposé selon des règles précises. Le type de charbon de bois appelé Ikeda-zumi (charbon Ikeda) produit par la carbonisation du chêne est particulièrement apprécié tout comme celui appelé Kikyo-zumi (charbon de chrysanthème) en raison de sa forme particulière qui rappelle la fleur.

 

 

Les morceaux de fusain servent également de support à de petites compositions, comme en témoigne ce tableau d’un anonyme, daté de 1665, représentant une courtisane insérant de petites fleurs dans trois morceaux de Kikyo-zumi.

 

Exemples d’utilisation actuelle du charbon de bois comme support visible d’un Ikebana dans des compositions libres.

 

 

 

 

 

 

 

Keita Kawasaki, Mami Flower Design School.                                   Toshiro Kawase.
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48. Vanneries dans l’Ikebana et la Cérémonie du thé : Chanoyu seconde partie

Lire d’abord l’article 21, Shin formel, Gyō semi-formel et Sō informel.

 

Les vanneries dans le Chanoyu (Wabi-Cha) : Chabana

Selon les écoles, la cérémonie du Chanoyu a de nombreuses variations. Elle se réalise dans un cadre rituel avec collation préliminaire, ou non, de Kaiseki, saké, sucreries ou bien avec le service des deux thés, thé léger ‘Usucha’ et thé dense ‘Koicha’ ou encore une cérémonie au charbon de bois. La peinture dans le tokonoma est remplacée par une très simple composition florale ‘Chabana’. De nos jours, toutes deux restent dans le tokonoma.

Au fil du temps, chaque école de thé a changé certaines règles, les moins importantes de l’époque de Rikyū pour se différencier les unes des autres (comme cela s’est produit pour les écoles d’Ikebana qui ont conservé les règles de base de l’École d’Ikenobō).

 

La composition Chabana doit être simple, sans prétention. Elle ne suit pas les règles de l’école mais les végétaux sont placés « comme s’ils avaient grandi dans les champs », selon les règles de Sen no Rikyū.

Les compositions se font dans de simples vases en bronze, céramique, bambou, bois, posés sur le sol ou suspendus dans le tokonoma.

Les contenants posés au sol, accrochés au mur ou suspendus par des chaînes au plafond sont classés selon leur caractère :

– Shin (formel) : vases en bronze ou chinois ou en porcelaine.

– Gyō (semi-formel) : faïence brillante.

– Sō (informel) : terre cuite semi-brillante ou opaque, vanneries.

Les vases en bambou, introduits par Rikyū, sont considérés comme Gyō ou Sō.

Les contenants ne doivent pas avoir de dessins ni de décorations.

Les vanneries ne sont utilisées que pendant les mois lunaires chauds, de mai à octobre, lorsque l’eau pour le thé peut bouillir sur le Furo (= « feu dans le vent » c’est-à-dire le brasero portatif), au centre de la pièce.

Les vanneries ne sont pas utilisées les autres mois.

 

Exemple de Furo.

 

 

Pendant les mois d’hiver, l’eau est bouillie sur le Ro = « foyer » fixe creusé au centre de la pièce.

 

Les vases sont suspendus ou reposent sur des plateaux rectangulaires en bois mais pas les vanneries. Dans ce cas, les fleurs sont insérées dans un vase en bambou contenant de l’eau placée à l’intérieur de la vannerie qui sert de support.

 

Les plateaux en bois sont de trois styles :

– Shin ou formel : planches laquées noires avec coins et bords carrés.

– Gyō ou semi-formel : planches laquées avec bords et coins arrondis.

– Sō ou informel : planches de Paulownia ou de cèdre laissées au naturel.

 

Les vanneries se répartissent selon les mêmes styles :

– Shin ou formel : vanneries de forme symétrique avec des « lignes ondulées » précises et élaborées en bambou.

– Gyō ou semi-formel : vanneries de forme symétrique mais avec des ondulations moins précises.

– Sō ou informel : vanneries de forme irrégulière et des ondulations irrégulières.

 

Seules les compositions avec plateaux classées Sō sont aspergées d’eau, pour donner la sensation de fraîcheur.

 

Évidemment le type de végétaux se choisit en fonction du type de contenant (Shin, Gyō, Sō), le contenant se choisit en fonction du type de cérémonie (Shin, Gyō, Sō) et le type de cérémonie se choisit en fonction de l’invité ou de l’occasion (formelle, semi-formelle ou informelle).

 

Composition Shin ou formelle avec fleur Shin et plateau Shin

 

Principales Fleurs Shin :

Camellia, probablement en raison de sa relation botanique avec le thé.

Certaines variétés de chrysanthème, le symbole de l’empereur.

Paeonia, en raison de son origine chinoise.

Lotus, la fleur de Bouddha.

 

Les végétaux doivent être en nombre impair mais 2 sont autorisés. Rikyū a déclaré que dans une petite pièce, un seul élément devait être utilisé, deux au maximum.

 

Des plantes « simples » sont utilisées : fleurs bourgeonnantes mais aussi l’Hypomea et l’hibiscus si la fleur est ouverte), fleurs herbacées, herbes, lianes, branchages. Pour leur choix, on se réfère fréquemment aux plantes citées dans le Man’yōshū première anthologie de Waka, poésie japonaise des environs de 760.

 

Dans le Nambō-Roku (selon la tradition écrite par Nambō, disciple de Rikyū, vers la fin des années 1500) est citée une longue liste de végétaux dont l’usage est interdit dans le Chabana :

 

1. Fleurs aux couleurs violentes ou voyantes ou aux formes très particulières, c’est-à-dire tout ce qui est contraire à l’esprit Wabi, donnant le sentiment d’extravagance ou d’arrogance.

2. Fleurs qui n’ont pas de lien spécifique avec une seule saison, par exemple le Skimmia.

3. Fleurs trop parfumées qui entrent en conflit avec l’odeur de l’encens brûlant qui purifie l’environnement, comme le daphné odora, la rose, le gardénia).

4. Fleurs à l’odeur désagréable mais le patrinia oui, même si au bout d’un moment l’odeur devient désagréable.

5. Fleurs aux noms disgracieux, par exemple crête de coq.

6. Branches avec des fruits mais Physalis Alkekengi, oui ou avec des épines mais elles peuvent être enlevées ou encore des végétaux avec des poils épais.

7. Fleurs qui sont habituellement utilisées pour les offrandes sur l’autel de Bouddha.

8. Légumes qui se mangent mais des fleurs de navet, oui.

 

Bien que ce ne soit pas une règle écrite, le pommier blanc préféré de Rikyū est rarement utilisé par respect pour lui (en référence à l’épisode Hypomea/liseron avec Hideyoshi).

Ni les gentianes ni les chrysanthèmes ne sont utilisés car Rikyū n’aimait pas les fleurs qui «durent trop longtemps et ne montrent pas la beauté du moment transitoire de la vie».

 

Les petites vanneries sont choisies parmi les nombreuses formes qui, dans le passé, étaient utilisées quotidiennement pour la collecte de baies, de poissons, de racines, de cigales, de fleurs, … Même si ces activités ne sont plus d’actualité, des vanneries aux formes caractéristiques et spécifiques pour contenir les fleurs sont toujours créées par les artisans

 

L’utilisation de ces vanneries par les Maîtres du thé a eu un impact sur :

1. L’Ikebana, en introduisant une manière « libre » de disposer les végétaux du Nageire comparée à la manière du Rikka « contraint par des règles ».

2. La production accrue et davantage différenciée de vanneries après la propagation du Sen-cha dō.

 

Au Japon, il existe des trésors nationaux vivants, c’est-à-dire des Maîtres des arts manuels qui préservent les techniques et les savoir-faire artistiques en danger de disparition, parmi lesquels se trouvent divers artisans qui fabriquent des vanneries.

Celles créées avec des lamelles de bambou ressemblant aux vanneries «utilitaires» n’ont plus de finalité pratique de nos jours mais sont largement utilisés aujourd’hui en Ikebana.

 

Dans les vases à petite encolure, seul un ou deux éléments sont utilisés. Si l’embouchure du vase est plus large, plusieurs éléments sont possibles, généralement en nombre impair.

Les végétaux doivent être humbles, herbes, lianes, branchettes, fleurs sauvages et, avec parcimonie, des branches fleuries.

Le vase et son contenu sont aspergés d’eau afin de donner l’impression que l’ensemble est couvert de rosée ou mouillé par la pluie.

 

La composition, simple et sans prétention, ne doit durer qu’une seule journée. La présentation des fleurs varie selon l’heure de début de la cérémonie du thé, soulignant aux invités l’harmonie avec la nature, l’unicité du moment et la « répétition impossible » de cette rencontre : «ichi go, ichi-e» (= une rencontre, un moment) :

– Matin : Fleurs épanouies.

– Début d’après-midi : Fleurs ouvertes.

– En fin de soirée : Fleurs très ouvertes.

 

Les journaux décrivant les conseils de Rikyū évoquent :

– La préférence pour une ou deux «fleurs» dans des vanneries aussi grandes que neuves. Si le nombre est plus grand, c’est toujours un nombre impair.

– À la sortie du contenant, les tiges sont nues ou allégées des feuilles inutiles.

– Les fleurs peuvent retomber sous l’ouverture de la vannerie, (position cependant interdite par les écoles d’Ikebana).

Parmi les principes de composition énumérés par Rikyū mis en vers (Waka), on note :

  1. «Les fleurs doivent être comme celles qui poussent dans le pré» c’est-à-dire qu’elles ne doivent pas être encombrées à l’excès mais nettes pour exprimer l’esthétique Zen.
  2. »Les fleurs sont le calendrier du salon de thé» c’est-à-dire qu’elles doivent exprimer la saison.

 

Utilisation de vanneries dans une composition Ikebana

 

Les vanneries ne se soulèvent jamais par l’anse, surtout si elles sont grandes et fines, mais par le dessous avec des mains couvertes d’un chiffon pour éviter que la graisse des mains ne les abîme.

 

 

La composition dans la vannerie doit donner une impression de naturel, de raffinement, de dépouillement,  de modestie et de rusticité. Elle est toujours de type « réaliste-végétatif », jamais « moderne-non-réaliste ».

Pour l’École Ohara, La plupart des compositions de son cursus, Hana-isho, Moribana, Heika, Hanamai, Rimpa-Cho Ikebana et Bunjin-Cho Ikebana peuvent utilisées les vanneries.

Le volume des plantes, au regard du contenant, est réduit comparativement au volume utilisé dans des contenants en céramique. Les dimensions des plantes ne sont pas nécessairement basées sur celles de la vannerie, généralement les végétaux sont de taille plus petite.

Le choix des végétaux est libre, en petite quantité (2 ou 3 espèces).

Éviter les fleurs trop grosses ou criardes ou sophistiquées (comme les roses cultivées, œillets, glaïeuls, arum, gerberas, les fleurs d’origine tropicale à l’exception des petites orchidées).

Placer les groupes de feuilles ou de fleurs à la base, à droite ou à gauche, de manière à laisser libre l’anse de la vannerie.

Si l’anse est traversée par une longue branche, celle-ci croise à environ 1/3 de l’anse à partir de la base.

Si une masse est utilisée, elle ne cache l’anse que dans la partie inférieure sur environ 1/3.

Les 2/3 de l’anse doivent être laissés libres.

 

Kawase Toshiroo, dans « Le livre de l’Ikebana » cite une phrase classiques: « la fleur très ouverte pour conserver la forme de toutes les autres fleurs » c’est-à-dire mettre une fleur (relativement) grande et ouverte à la base de la composition (Neijime = bon équilibre)) donne plus d’unité à la composition, surtout si diverses « herbes délicates », assez similaires par leur finesse, sont ajoutées ou si une seule branche de forme élégante est placée.

 

École Ohara : tous les styles du Moribana sont utilisés dans les vanneries y compris le Shikisai-Moribana Kansui-kei (Style se reflétant dans l’eau).

 

© École Ohara       
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47. Vanneries dans l’Ikebana et la Cérémonie du thé : Chanoyu première partie

La coutume d’utiliser des vanneries comme contenants pour l’Ikebana va principalement de pair avec l’introduction de deux façons codifiées de boire le thé.

 

– La première, apparue à l’époque Muromachi (1336-1573), est basée sur l’esthétique Wabi-Sabi.

Chanoyu = thé dans l’eau bouillante ou cérémonie du thé (Chadō / Sadō = voie du thé) qui utilise le matcha, feuilles vertes réduites en poudre.

 

– La seconde, apparue à l’époque Edo (1603-1868), Sen-cha dō = voie du thé infusé, est à base de Sen-cha feuilles vertes laissées entières (Voir Article 36, Introduction historique à la composition Bunjin : les Literati).

Wabi-cha

Sen-cha

 

Histoire succincte

 

Au début du shogunat Ashikaga (1338-1573), les contacts avec la Chine (inactifs depuis l’époque Heian 794-1185) reprennent. L’art et la culture d’origine chinoise redeviennent à la mode au sein de la caste shogunale. Yoshimitsu (1358-1408), 3ème Shogun, dans son Pavillon d’Or (Kinkaku-ji), pose les canons d’une culture basée sur l’esthétique et l’art. Dans des lieux décorés de peintures chinoises et agrémentés de précieux vases chinois, le thé est versé dans de précieuses tasses chinoises.

Thé, saké abondant et plats délicieux sont servis lors de somptueux banquets dans les grandes salles du palais pour souligner la richesse et le statut social. Le luxe s’affiche en exposant bronzes, céramiques, peintures, laques, objets précieux Karamono exclusivement chinois et des peaux de tigre et de léopard sur lesquelles se reposer.

 

À cette époque, la mode est aux concours de comparaisons. Elle consiste à comparer des choses entre elles : « Mono » = choses et « Awase » = comparaison.

En est ainsi du concours de connaissances sur les origines diverses des différents thés à partir de leur arôme et de leur saveur tout en distinguant ‘Honcha’ = le vrai thé du non-thé = ‘Hicha’.

À l’issue des concours dans une ambiance de chants, de danses et de musique, de riches lots sont remis aux concurrents, notamment le paravent Namban.

 

Ci-contre, boutique vendant des épées et des peaux de tigre et de léopard, début de la période Edo.

 

Dans son Pavillon d’Argent (Ginkaku-ji), Yoshimasa (1434-1490), 8ème Shogun et petit-fils de Yoshimitsu, commence la japonisation des futurs Arts Traditionnels dont le Cha-no-yu, Cérémonie du thé, telle que nous la connaissons encore aujourd’hui. Il s’entoure de Dōbōshῡ (préposés) dont les plus connus sont :

So’ami, Mon’ami et Ritsu’ami (maîtres en peinture et Tatebana), Senjun Ikenobō (Tatebana), Zen’ami (concepteur de jardins), Sen’ami, No’ami et Gei’ami (les trois ’ami conservateurs des œuvres d’art du Shogun et experts en Tatebana et Ikkyu (Maître Zen).

La cérémonie du thé, à l’époque des Ashikaga, s’appelle style Shoin (= style du palais) et Yoshimasa y expose ses collections chinoises de services à thé, bonsaï, Suiseki (pierres), peintures, calligraphies, Tatebana dans des vases et vanneries chinoises.

 

La tradition raconte que les vanneries d’importation chinoise ‘Karamono’ s’utilisent déjà à cette époque.

‘Kara’ = chinois, lecture Kun du kanji 唐 Tang.

En lecture On, ‘Wa’, = japonais, ‘Kōrai’ = coréen.

 

Tous les objets d’art et d’artisanat (vanneries, vases, théières, braseros, kakemono, …) utilisés pour la Cérémonie du thé sont appelés :

– Karamono = « choses » chinoises, si d’origine chinoise.

– Wamono = « choses » japonaises, si d’origine japonaise.

– Kōraimono = « choses » coréennes si d’origine coréenne.

 

À l’époque des Ashikaga, tous Karamono et Kōraimono, même pauvres, sont préférés par la cour shogunale à tous Wamono, même les plus beaux.

 

Ci-contre, vanneries de style chinois.

 

 

À cette période, le processus de «conversion» aux objets chinois commence grâce principalement à trois riches marchands de la ville de Sakai, Shuko, Jōō et Rikyū. Ils servent le thé selon les normes venues de Chine. Petit à petit, d’une façon de servir le thé en référence à la Chine, on passe à une façon unique et complètement japonaise.

Murata Shuko (appelé aussi Murata Jukō, 1423-1502), élève du Dōbōshῡ No’ami, est le premier que l’on puisse appeler Maître de la cérémonie du thé. Né dans une famille de marchands, il devient moine Zen à l’âge de 30 ans.

Il modifie le style Shoin-cha pratiqué par la classe des samouraïs :

–  Il crée un style influencé par le Zen (futur Wabi-cha).

– Il abandonne les précieux objets chinois pour les remplacer par des céramiques japonaises (Bizen, Shigarachi, Iga).

– Il simplifie l’utilisation des fleurs (préférant le style Nageire au Tatebana de Ikenobō)

– Il transporte le salon de thé à l’extérieur du bâtiment dans une petite hutte.

– Il diminue à la fois le nombre de participants et le nombre d’accessoires et l’atmosphère passe de la « manière de montrer la richesse matérielle » à la « manière de montrer la richesse spirituelle « .

– Il définit enfin les règles selon lesquelles la Cérémonie du thé peut être formelle, semi-formelle ou informelle (Voir Article 21, Shin, Gyō ou Sō).

 

 

Takeno Jōō (1502-1555), également appelé Takeno Shoo, est son successeur comme Maître de la cérémonie du thé. Il est aussi paysagiste, peintre, poète et céramiste.

– Il affine et poursuit la transformation Zen de cette cérémonie en rejetant les ustensiles « bruyants » (décorés ou aux couleurs non naturelles).

– Il utilise la céramique japonaise.

– Il fixe un standard pour l’utilisation de la nourriture (cuisine kaiseki simple et pauvre au lieu de la nourriture abondante et élaborée en usage alors).

– Il insiste sur la « préparation spirituelle » des participants avant d’entrer dans une pièce où le thé est servi.

 

Sen no Rikyū (1521-1591), élève de Jōō, porte la Cérémonie du thé à son apogée, telle qu’elle est encore pratiquée aujourd’hui.  Il est nommé Maître de la Cérémonie du thé au service du premier unificateur du Japon, Oda Nobunaga et du deuxième, Toyotomi Hideyoshi.

Bien qu’il soit un expert en Shoin-cha et très doué pour créer de grands Rikka exubérants pour Nobunaga et Hideyoshi aptes à renforcer le pouvoir de la classe guerrière, il est considéré comme celui qui a amené le Wabi-cha à sa splendeur.

La tradition reconnaît en lui le créateur du style Nageire (Voir Article 14, Nageire ou Heika) dont dérive le Chabana. De la composition « Tateru » (= composer) initié par le Dōbōshῡ des Ashikaga et perfectionné par les Ikenobō, on passe à la liberté avec « Nageru » (= jeter dedans). Ainsi, on passe des arrangements publiques, formels comme le Tatebana et le Rikka, à des compositions privées, informelles, le Nageire.

 

Sen no Rikyū est forcé au suicide rituel (seppuku) en 1591 par Hideyoshi.

 

De Sen no Rikyū, nous sont parvenus :

 

1. Quelques vases qu’il a fabriqués à partir de segments de bambou.

 

Il a été le premier à utiliser des vases en bambou lors de la cérémonie du thé.

 

Ci-contre, ce vase, spécifique sur le côté, est traditionnellement considéré comme le premier en bambou utilisé par Rikyū en tant que contenant pour fleurs lors de la Cérémonie du thé.

 

Irrité par sa simplicité, Sen no Rikyū jette le vase dans le jardin qui atterrit sur une pierre et se fissure (réparation visible le long de la ligne sombre de laque avec deux clips métalliques). La fissure a augmenté sa valeur les années suivantes puisque dans le concept Wabi-Sabi, l’imperfection augmente la « beauté » de l’objet.

 

2. La poterie Raku introduite dans la Cérémonie.

Deux tasses de Chojiro 1er (? – 1589) ancêtre de la dynastie Raku.

Selon la tradition, Raku (= plaisir) est le nom donné à Chojiro par Hideyoshi, nom qui est une contraction du nom de son palais ‘Jurakutei’ ou ‘Jurakudai’.

 

 

3. Les règles pour le Chabana (« Fleurs du thé), écrites par ses disciples (Voir Article 46, La cérémonie du thé).

Tout ce qui touche au Chanoyu (Cérémonie du Thé dans le style Wabi-Sabi) doit être ‘Shibui’ (d’un goût irréprochable), ‘Wabi’ (simple et sans luxe), ‘Sabi’ (rustique non prétentieux, avec des imperfections anciennes), ‘Fura’ (pur amusement de la vie), car toute la cérémonie est simplicité, harmonie, tranquillité et pureté.

Épurée et expressionniste,  l’arrangement Chabana reflète l’ascétisme des Maîtres Zen.

 

Vases et vanneries en bambou de divers auteurs utilisés lors de la cérémonie du thé.

 

 

 

 

 

Furuta Oribe (1544-1615)

 

Sen no Rikyū est remplacé par Furuta Oribe comme Maître de la cérémonie du thé, d’abord auprès de Hideyoshi et plus tard auprès du second Shogun Tokugawa Hidetada.

Oribe est un Daimyō appartenant à la classe des samouraïs contrairement à Rikyū issu de la classe marchande.

Oribe abandonne la vaisselle Wabi-Sabi de Rikyū et crée des tasses et des récipients déséquilibrés et colorés. Il modifie encore la cérémonie du thé et apporte des changements dans la maison de thé.

 

Tasses de type Oribe
 

Vase en bambou avec son étui créés par Oribe

 

L’École Ohara utilise également des vases de style Oribe : bassins Rimpa avec des motifs de type Oribe.

 

 

 

 

Oribe meurt aussi par seppuku, sur ordre de Hidetada, deuxième Shogun Tokugawa. Avec sa mort, le style Momoyama (celui de Rikyū) de la cérémonie du thé prend fin.

 

Kobori Enshū (1579-1647)

 

Kobori Enshū remplace Oribe. Daimyō cultivé, sculpteur, peintre, céramiste, paysagiste et Maître de la cérémonie du thé, il est au service du 3e Shogun Tokugawa Iyemitsu. Il combine le style Rikyū à celui d’Oribe, donnant naissance au « style Daimyō ».

Ce nouveau style est adapté à la période historique où la précarité (éphémère) de la vie des guerriers n’est plus à l’ordre du jour comme à l’époque de Sen no Rikyū, les Tokugawa ayant obtenu une paix stable grâce à l’assujettissement de tous les clans auparavant constamment en guerre les uns contre les autres.

 

 

Le Chanoyu (Cérémonie du thé Wabi-cha), à l’époque des deux premiers unificateurs Nobunaga et Hideyoshi, prend une telle importance qu’il est utilisé politiquement comme récompense ou marque de reconnaissance pour un vassal. Par exemple, Hideyoshi, un des généraux de Nobunaga, ne reçoit la permission de Nobunaga de mener sa première cérémonie du thé en sa présence qu’à l’âge de 42 ans en guise de récompense pour avoir remporté une bataille.

Hideyoshi, arrivé au pouvoir à la mort de Nobunaga, imite le Shogun Ashikaga Yoshimasa qui offrait à l’Empereur du thé dans une tasse en or posée sur un plateau d’argent. Hideyoshi fait alors construire un salon de thé, amovible et transportable, recouvert d’or, y met tous les accessoires également en or. Utilisé lors de deux invitations successives de l’Empereur, ce salon de thé devient l’emblème de sa grande réussite sociale (d’origine modeste, devenu samouraï, il en est venu à assumer toutes les plus hautes fonctions de la cour impériale).

 

Reconstitution du salon de Hideyoshi en or, démontable et transportable pour la Cérémonie du thé Wabi-cha.

 

Les vanneries sont utilisées à la fois dans le Chanoyu et le Sen-cha dō, petites et simples et d’un usage quotidien pratique.

Sous l’impulsion du Sen-cha dō, les artisans japonais de la période Edo se mettent à produire de nouvelles formes de vanneries, de grandes tailles et adaptées à l’Ikebana. Ils commencent également à apposer leur signature sur leurs créations soulignant le fait que, désormais, ils ne copient plus les vanneries chinoises mais créent leur propre style.

Voir Article 36, Introduction historique à la composition Bunjin : les Literati et Article 46, La cérémonie du thé.

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46. La Cérémonie du thé

Il y a tellement de façons de savourer une tasse de thé.

 

 

La « naissance historique » de l’Ikebana et certaines de ses formes particulières sont associées à trois manières différentes de boire le thé, ‘Cha’ au Japon.

 

Selon la légende, le théier est né lorsque Bodhidharma (483-540 après J.-C.) a introduit le Zen au Japon.

Voulant absolument rester éveillé pendant la méditation, il se coupe les paupières : celles-ci, jetées au sol, donnent naissance au théier. Pour cette raison, il est fréquemment représenté les yeux complètement ouverts.

 

Au Japon, Bodhidharma s’appelle Daruma. Toujours selon la légende, Daruma a eu les jambes et les bras atrophiés pour être resté immobile, en méditation pendant 9 ans.

Son image est liée aux figurines votives utilisées pour exprimer des vœux et sont considérées comme des porte-bonheur.

Les poupées qui le représentent les yeux grands ouverts, sans jambes ni bras, sont vendues avec les yeux inachevés.

Selon la tradition, la pupille gauche est peinte en premier lorsqu’un vœu est exprimé. L’autre pupille n’est ajoutée que lorsque le vœu s’est réalisé.

Le côté gauche du corps humain – y compris l’œil – est Yang par rapport au côté droit et est donc plus important et préféré. Rappelons aussi que la Kami Amaterasu, déesse du soleil, est née du lavage rituel purificateur de l’œil gauche de son père Izanagi.

 

Daruma, avec les deux pupilles peintes, empilés sous un auvent près d’un temple, signe que les souhaits exprimés se sont réalisés.

 

 

Depuis l’introduction du bouddhisme au Japon, le thé est bu par les moines pendant la méditation pour rester éveillés. Comme les ecclésiastiques de haut rang qui dirigent les différentes écoles bouddhiques sont choisis parmi les membres de la famille impériale, la cour s’intéresse très tôt à cette nouvelle boisson. Déjà, à l’époque Heian, la noblesse se plaît à organiser des dégustations et à faire des concours pour reconnaître différents types de thé, jusqu’à une centaine : leur nom, leur origine géographique et leur qualité (Voir Article 47, Vanneries dans l’Ikebana et la cérémonie du thé : Chanoyu première partie).

 

À l’époque Heian (794-1185), les palais de la noblesse comprennent différentes constructions sur plancher en bois dont deux bâtiments galeries construits à droite et à gauche d’un grand pavillon central appelée ‘Shinden’ (= Palais dormant). L’espace intérieur du pavillon Shinden est libre,  sans aucune cloison. Pour avoir des espaces plus restreints, des paravents sont utilisés et déplacés au besoin. Ce type d’architecture s’appelle Shinden-Zukuri (Zukuri = construction).

 

Ci-contre, croquis d’un palais idéal avec un grand pavillon central ‘Shinden’, conçu sans le toit afin de montrer l’intérieur et sans cloison fixe.

 

Exemple de paravent mobile.

 

Avec la prise du pouvoir par les samouraïs ayant des besoins différents de la noblesse impériale, le style de construction des bâtiments change.   

Les planchers sont recouverts de tatamis.

La grande salle est divisée en ajoutant des parois à portes coulissantes, Fusuma.

Le tokonoma avec des étagères est créé.

Ce style architectural, ainsi conçu, est appelé Shoin-Zukuri (Shoin = salle d’études dans les temples ou salon dans les résidences de l’élite militaire, Zukuri = construction) destinée à la réception des hôtes.

 

Tokonoma contemporain avec des étagères sur le côté.

 

 

Les Shoguns introduisent une façon de boire le thé, manière qui prit le nom de la salle où se tenait la réception : Shoin-cha (= «thé de style palais»). Créé à l’origine par des moines dans les monastères, le Shoin-Zukuri/ Salon est petit. Les Shoguns l’agrandissent pour tenir des réunions bondées avec des Daimyō, des samouraïs et des ecclésiastiques de haut rang.

Le but de l’invitation à boire le thé est d’épater les invités en exposant sur les étagères les objets précieux collectés, d’origine chinoise. On parle alors de «thé de style palais» et non pas de «thé de style salle d’études», comme le mot ‘Shoin’ l’indiquait à l’origine.

Ci-contre, Étagères d’exposition avec un Suna no mono (Rikka de style informel/Sō).

 

 

C’est dans ce contexte du Shoin-cha, «thé de style palais» organisé par le Dōbōshῡ, que naît Ikebana (Voir Article 13, La naissance d’Ikebana d’après les documents historiques et Articles suivants). Les Ikebana réalisés sont d’abord le Tatebana puis le Rikka et le Suna no mono (Rikka de style informel/Sō).

 

Ainsi l’Ikebana, créé par le Dōbōshῡ et développé plus tard par l’École Ikenobō dont dérivent toutes les autres écoles, est né dans le cadre de la dégustation du thé de style Shoin-cha ou de palais.

 

Ci-contre, Tatebana/Rikka.

 

Le tokonoma n’occupe qu’une petite partie de l’espace eu égard aux étagères et aux objets exposés. Ci-dessous, dessin réalisé par le Dōbōshῡ au service du huitième Shogun Ashikaga montrant les objets exposés lors du Shoin-cha.

 

 

Pour impressionner les invités, le Shoin-cha est pratiqué à la fois par les Shoguns Ashikaga et les 3 unificateurs :

Oda Nobunaga,

Toyotomi Hideyoshi,

Ieyasu Tokugawa.

 

À la même époque, sous le patronage de Nobunaga de 1573 à 1582 puis de Hideyoshi de 1582 à 1598, naît une autre façon de boire le thé influencée par le Zen et codifiée par le moine Sen no Rikyū : le Chanoyu ou Wabi-cha, la Cérémonie du Thé.

Alors que dans le thé de « style palais », la boisson est préparée dans les cuisines, apportée au Shoin avec du saké et diverses nourritures et servie aux nombreux invités, dans le Wabi-cha, le thé est préparé directement devant quelques invités.

Ci-contre, Salon de thé Wabi-cha.

 

Contrairement aux grandes salles où se tient le Shoin-cha, le Wabi-cha se déroule dans une petite pièce, deux tatamis et demi selon Sen no Rikyū , ou dans une hutte à l’extérieur de la demeure principale.

Dans le cadre du Wabi-cha, également appelé Cha-dō ou Sadō, se développe une manière d’arranger les fleurs dans le tokonoma influencée par le Zen, le Chabana, composition simple avec peu de végétaux qui mettent en valeur la saison, végétaux « disposés comme dans les champs » selon Sen no Rikyū .

 

À la différence du Rikka, très codifié et utilisé dans le cadre du Shoin-cha, «thé de style palais», il n’y a pas de règles à suivre pour réaliser un Chabana. Peu d’éléments suffisent, agencés selon une esthétique Zen. Le Chabana, comme toute la Cérémonie du thé, met en évidence à la fois les caractères unique et éphémère de la rencontre : ‘ichi-go, ichi-e’ (= une fois, une rencontre).

 

Alors que divers types de thé sont utilisés dans le Shoin-cha/thé de style palais, seul le thé vert en poudre, Matcha, l’est dans le Chanoyu/Wabi-cha.

Les deux manières de boire le thé, Shoin-cha de style palais et le Chanoyu Wabi-cha ne s’opposent pas. L’une et l’autre sont proposées en fonction des circonstances.

 

Sen no Rikyū, au service de Toyotomi Hideyoshi, exécute un Rikka gigantesque et opulent dans le cadre du Shoin-cha, thé de style palais, et compose un Chabana très humble dans le cadre du Chanoyu, thé de style Wabi-cha.

.

 

 

Chabana attribué à Ikenobō Senkō, Iemoto de l’école homonyme, contemporain et connaissance de Sen no Rikyū .

 

Après le Shoin-cha/thé de style palais, associé à la naissance de l’Ikebana, au cours duquel des expositions et des compositions florales Rikka « émerveillent » les invités puis, la cérémonie du thé Wabi-cha imprégnée d’une simplicité raffinée Zen au cours de laquelle des ustensiles liés au Chabana sont utilisés, apparaît au début de la période Edo ou Tokugawa (1600), une nouvelle façon de boire le thé, à la chinoise. Cette façon chinoise s’appelle Sen-cha dō, la voie du Sen-cha, nom dérivant du thé vert utilisé avec des feuilles entières et « infusé  » dans l’eau.

Boire le thé « à la chinoise, déjà en usage dans la population citadine, est adoptée par les Bunjin (les lettrés japonais) à la fois parce qu’ils souhaitent imiter les lettrés chinois mais aussi pour se différencier des samouraïs qui pratiquent le Wabi-cha.

Voir Article 36, Introduction historique à la composition Bunjin : les Literati, Article 47, Vanneries dans l’Ikebana et la cérémonie du thé : Chanoyu première partie et Article 48, Vanneries dans l’Ikebana et la cérémonie du thé : Chanoyu seconde partie.

 

Au cours de ces réunions « à la chinoise », les Bunjin, lettrés japonais, créent des compositions florales au « goût chinois » dont le Sen-cha dō est imprégné. Ces arrangements ‘Bunjin-Cho’ diffèrent de l’Ikebana des écoles car il n’y a pas de règles de composition. Ils diffèrent aussi du Chabana des samouraïs par le choix et l’exubérance de végétaux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

« L’autoportrait ironique » d’un Bunjin, lettré japonais.
 

 

 

 

Théière typique utilisée pour le Sen-cha.

 

 

 

 

Wên-Jên : Lettrés chinois imités par les Bunjin japonais.

 

 

 

 

 

 

 

 

En résumé, les 3 manières de déguster le thé donnent naissance à 3 compositions d’Ikebana enseignés par les Écoles :

  1. Shohinka lié au Shoin-cha – thé de style palais.
  2. Chabana lié au Wabi-cha ou Chanoyu.
  3. Bunjin-Cho lié au Sen-cha des Literati.

 

© École Ohara

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44. Rimpa-Cho : École de Hōitsu et Kiitsu

La tradition Rimpa, solidement ancrée grâce à Korin et Kenzan Ogata mais toujours attachée aux idéaux du passé, survit à la dernière période Edo grâce à de nouveaux mécènes. Les acheteurs potentiels d’œuvres d’art sont désormais les riches marchands et artisans des villes et non plus la noblesse impériale et shogunale cultivée et désormais pauvre. Ces nouveaux clients n’ont certes pas la culture raffinée chère à la cour de Kyōto mais ils sont fascinés par les thèmes Rimpa des «fleurs sauvages des quatre saisons ».

Pour cette raison, les artistes Rimpa de la dernière période Edo abandonnent les sujets « anciens » liés à la littérature savante mais gardent le thème des végétaux. Outre les fleurs et plantes choisies selon leur signification symbolique représentant une saison, les artistes mettent en scène aussi les végétaux avec lesquels ils sont en contact dans la vie quotidienne.

Bien que la manière de composer une peinture Rimpa se réfère aux trois écoles, les peintures de cette troisième période ont, de façon quasi exclusive, comme thème le végétal. Cette 3ème École représentée par Sakai Hōitsu et Suzuki Kiitsu est la plus significative de l’ère Edo.

 

Sakai Hōitsu (1761-1828), fils d’un Daimyō, suit une formation picturale auprès d’un maître Kanō. Après diverses expériences dans différents genres picturaux (style chinois, style naturel et même la gravure Ukiyo-e de maisons et théâtres populaires), il devient moine bouddhiste à 37 ans.

Fasciné par l’art Rimpa, il quitte Edo pour Kyōto où il peut examiner les œuvres de Kōrin grâce à l’un de ses ancêtres qui fut, lui, le protecteur de Kōrin. Pour célébrer le centenaire de la mort de Kōrin, il publie « 100 œuvres choisies dans le répertoire de Kōrin ». Cette publication est imprimée pour démasquer les nombreux faux de Kōrin qui circulent. Il étudie la compilation des œuvres de Kōrin faite par Ikeda Koson (1802-1867). Il fait ainsi découvrir les œuvres de Kōrin au grand public, ce qui suscite un intérêt général pour ce style qu’on appelle à tort Rimpa, pensant que l’initiateur de l’école est Kōrin.

Il concilie avec brio le caractère décoratif et somptueux du Rimpa avec la technique de la peinture à l’encre.

 

Suzuki Kiitsu (1796-1858) étudie et collabore avec Hōitsu. Il introduit un sens du réalisme et de la poésie dans ses œuvres.

 

Autres artistes Rimpa célèbres actifs de l’époque à Osaka et Edo : Kagei Tatebayashi, Sori Tawaraya, Hocu Nakamura.

 

Œuvres de Sakai Hōitsu

 

Paravent à deux panneaux, Pin de Chine et fleurs d’automne, 35 x 123 cm, utilisé pour la Cérémonie du thé.

 

 

 

Paravent à deux panneaux, Herbes d’automne, fleurs et arbustes, 164 x 181 cm.

 

 

 

 

Kosode avec des branches de Prunus Ume en fleurs peint par Sakai Hōitsu.

 

 

 

Œuvres de Suzuki Kiitsu

 

Paravent à six panneaux, Torrent en été et Torrent en automne, 165 x 362 cm.

 

 

 

Œuvre de Ikeda Koson

Paravent à deux panneaux, Fleurs des quatre saisons, 56 x 179 cm.

 

Œuvre de Tawaraya Soori

Deux panneaux du paravent à six panneaux,  Érable, 69 x 212 cm.

 

 

Œuvre de Nakamura Hōchū

Paravent 6 panneaux, Prunus Ume et oiseau, 133 x 264 cm.

 

 

D’autres artistes ont utilisé et utilisent encore le style rimpa. Parmi tant d’autres :

 

 

Sakai Dōitsu (fin 1800-début 1900)

 

 

 

Kamisaka Sekka (1866-1942)

 

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43. Rimpa-Cho : École Ogata Kōrin et Ogata Kenzan

Ogata Kōrin (1658-1716) et son frère Ogata Kenzan (1663-1743) à Kyōto et Edo.

 

Enfants d’un riche marchand de textiles de Kyōto qui bénéficie de la protection impériale et de la classe militaire, ils reçoivent, durant leur jeunesse aisée et insouciante, une éducation dans divers arts. Kōrin, d’un caractère très extraverti et exubérant devient un célèbre acteur de Nō mais surtout un calligraphe de renom tandis que Kenzan, de tempérament opposé, érudit discret, voué à la Cérémonie du Thé, au Zen et à la céramique. Ils étudient tous deux, la peinture avec un artiste du courant Kanō.

En 1687, à la mort de leur père et en raison de difficultés économiques concomitantes, ils sont contraints de trouver des moyens de subsistance.

Le frère cadet prend le nom de Kenzan (= Montagne du nord-ouest, endroit à la périphérie de Kyōto), où il ouvre un four. Il produit de la poterie que son frère Kōrin peint. Pendant quelques années, ils réalisent certaines des plus belles poteries de la période Edo puis se séparent. Kōrin commence à peindre en prenant comme source d’inspiration les idéaux esthétiques de Sōtatsu et Kōetsu qui ont vécu environ un siècle plus tôt. Son habileté est telle et ses œuvres si demandées que des imitations commencent à circuler. Pour cette raison, cent ans plus tard en 1815, Sakai Hōitsu et Ikeda Koson publient deux livres pour répertorier les authentiques œuvres de Kōrin (les deux volumes contiennent plus de 300 exemples de peintures et de dessins de Kōrin).

 

Idéaux de Sōtatsu et Kōetsu qui caractérisent l’art Rimpa et repris par Kōrin :

 

Peinture Rinpa Arrangement Rimpa-Cho Ikebana
1 – Références à la poésie, à la prose et aux thèmes des classiques de la littérature de la cour impériale de la fin de la période Heian.

2- Techniques de peinture particulières (ex. Tarashikomi).

3- Utilisation abondante de l’or et de l’argent pour éclairer les fonds.

4- Répétition stylisée de motifs végétaux.

5- Emphase et omission.

 

1 – Références aux plantes citées dans les classiques de la littérature de la cour impériale.

 

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3- Paravent doré placé derrière les arrangements.

 

4- Répétition stylisée de motifs végétaux

5- Emphase : L’échelle naturelle des dimensions des végétaux n’est pas respectée tant dans les peintures que dans l’Ikebana

Omission : Certains éléments sont omis dans les peintures, découpés dans le Rimpa-Cho Ikebana.

 

La peinture Rimpa doit mettre en évidence :

– la beauté des fleurs pleinement épanouies (rarement en bouton) : fleurs de pêcher et de cerisier, chrysanthèmes, hortensias et autres sont peints de façon plate et frontale. Les plus belles fleurs sont présentées avec leur tige (pivoine, lys, iris, coquelicot, hibiscus, hémérocalle, etc.) et positionnées comme si elles se balancent au vent, avec la partie interne de la corolle partiellement visible.

– La beauté des feuilles, clairement identifiables, sont toujours frontales, rarement de profil ou à l’envers (célosie, coquelicots, Althea, etc.)

– Les parties des plantes qui recouvrent le «coup de pinceau» ne sont pas représentées ou sont coupées : par exemple, les grandes feuilles de célosie qui recouvrent la fleur ou les feuilles « en négatif » doivent être placées de manière « décorative », ornementale.

 

À partir de 1704, Kōrin partage son temps entre Kyōto et Edo puis, peu satisfait de l’environnement, il passe les dernières années de sa vie en la sympathique compagnie de l’aristocratie déclinante de Kyōto.

Kenzan, séparé de son frère, continue sa production d’art de la table avec beaucoup de succès. En 1731, il s’installe à Edo où il ouvre un four et produit de splendides objets.

 

Autres peintres Rimpa contemporains : Shikō Watanabe (1682-1755), Roshu Fukae (1698-1757).

Œuvres de Ogata Kōrin

 

Paravent à six panneaux, Iris, 150 x 339 cm.

Quelques panneaux du paravent aux chrysanthèmes.

 

Kimono dessiné à la main par Ogata Kōrin.

 

 

Paravent à deux panneaux avec Althea.

 

 

 

 

Prunus Ume à fleurs blanches et rouges (abricotier japonais).

 

 

Ogata Kōrin utilise brillamment la technique de Kouhakubai-zu dans ce Fusuma en ajoutant un pigment vert rokushou 青 au noir des troncs pour créer un effet de taches de mousse.

 

Fleurs d’Althea, 54 x 13 cm.

 

Céramiques des frères Ogata.

 

 

 

Les peintres suivants appartiennent au courant des frères Ogata.

 

Œuvre de Roshu Fukae

Paravent à six panneaux, Plantes des 4 saisons.

 

 

Les paravents japonais se regardent de droite à gauche (comme l’écriture japonaise). Les végétaux de printemps sont à notre droite tandis que ceux d’hiver sont à l’extrême gauche. La seule exception concerne les paravents de style Namban, qui se regardent de gauche à droite, comme les écritures occidentales.

 

 

 

 

Œuvre de Watanabe Shikō

Paravent à six panneaux, Fleurs de cerisier à Yoshino yama, 150 x 362 cm de la période Edo (1603-1767).

 

 

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42. Rimpa-Cho : École Kōetsu et Sōtatsu

À l’époque Momoyama (1573-1603) coexistent diverses tendances artistiques.

A. Le clan des artistes Kanō

 

Ce courant exprime le goût du shogunat d’influence chinoise. Les œuvres opulentes, rigoureuses, sur de grandes surfaces sont exposées dans les châteaux.

 

Thème de Kanō Sanraku (1559- 1635) : « Prunus et faisan ».

B. Le clan Tosa

 

Tosa Mitsuyoshi (1539-1613) appartient à une famille de peintres qui fait remonter sa généalogie à la période Heian, sans preuves historiques attestées.

 

Ce style de peinture décorative et aux couleurs fortes, apparu à l’époque de Heian (794-1185) se démarque des influences chinoises. Leurs représentants sont les peintres de la cour impériale, gardiens de la peinture traditionnelle typiquement japonaise Yamato-e.

 

C’est essentiellement un art narratif dont l’un des meilleurs exemples est le Gengi monogatori (ci-contre).

 

 

 

 C. Le style pictural appelé Namban (= Barbares du Sud)

 

L’arrivée des Européens donne naissance à ce courant.

Tandis que les thèmes peints sur les paravents japonais se regardent de droite à gauche, les paravents de style Namban se regardent de gauche à droite, comme les écritures occidentales actuelles.

 

Ci-contre, Kanō Naizen (1570-1616), production d’art japonais dans le style occidental.

 

Il est intéressant de rappeler que les dessins des vases de la Grèce antique se lisent de droite à gauche puisque le grec, à cette époque, s’écrivait de droite à gauche.

 

Ci-contre, vase Grec dit François (du nom de l’archéologue qui l’a découvert) actuellement au Musée Archéologique de Florence, daté de 550 av. J.-C.

La représentation de scènes mythologiques ou décoratives est centrée sur le cycle narratif du personnage d’Achille, qu’il faut « lire » de droite à gauche.

 

Les empereurs Goyozei (1571-1617) et Go-mizunoo (1596-1680) tentent, avec un petit groupe d’amis dont de riches marchands de Kyōto, de s’opposer au shogunat en train de prendre le pouvoir (à partir de 1600). Ils aspirent à faire revivre les canons artistiques du passé, en particulier ceux de la fin de la période Heian (894-1185). Ils proposent à nouveau les thèmes des œuvres littéraires de cette époque et privilégient la peinture de style Yamato-e.

Dans ce groupe de parrainés, deux artistes se distinguent : Hon’ami Kōetsu et Tawaraya Sōtatsu.

Ils sont à la fois habiles en peinture mais aussi en calligraphie, céramique, objets laqués ou métalliques utilisés dans la cérémonie du thé. Ils expriment, dans tous ces domaines, les canons esthétiques soutenus par les deux empereurs.

 

Alors que les membres des écoles Kanō et Tosa appartiennent à leur clan respectif avec un chef nommé de façon héréditaire, les artistes des trois principaux courants Rimpa ne se connaissent pas car ils ont vécu à des époques différentes. Cependant, ils sont liés par les mêmes idéaux d’expression artistique.

 

École de Hon’ami Kōetsu (1558-1637) et de Tawaraya Sōtatsu (1570? – 1643) à Kyōto

Hon’ami Kōetsu et Tawaraya Sōtatsu posent les bases théoriques et pratiques de la peinture Rimpa. Au début de leur collaboration, ils réalisent des œuvres de petit format, à usage personnel, confectionnant des rouleaux et des Shikishi (petites feuilles de 18 cm de côté maximum utilisées seules ou reliées en petits blocs) appréciés des nobles. Sōtatsu interprète la partie picturale avec des motifs tirés des contes d’Ise ou de Genji. Kōetsu retranscrit des vers du recueil du Kokinshū désigné aussi Kokin Wakashū (1205) composé de 1 111 Wakas en vingt livres et représentant un siècle et demi de création poétique ou encore, des vers d’autres sources de la fin de l’époque Heian.

 

 

Kōetsu est issu d’une famille de polisseurs de sabres au service de la cour impériale. Calligraphe expert et admiré, il est aussi un expert de la Cérémonie du Thé (il fut l’élève le plus important de Furuta Oribe, successeur de Sen no Rikyū ). Il réalise à la fois des céramiques (créateur de bols de thé Raku) et d’autres objets pour cette cérémonie.

Sōtatsu peint et vend des éventails, des paravents ‘Byōbu’ et des portes coulissantes ‘Fusuma’ dans sa boutique de Kyōto.

Après de nombreuses années de collaboration, ils se séparent et produisent, séparément, de nombreux chefs-d’œuvre.

Sōtatsu reçoit du Shogun Ieyasu Tokugawa un terrain au nord-est de Kyōto où il se retire pour mener une vie semi-religieuse et créer une communauté d’artistes qui produit de la poterie et des objets laqués.

 

Autres artistes Rimpa contemporains : Koho Hon’ami (1601-1682), Sōsetsu Kitagawa (?).

 

Œuvres de Hon’ami Kōetsu

Flûte à décor de cerf sacré du temple Katsuga à Nara en nacre et laque d’or.

 

Coffret en bois laqué.

 

 

Shikishi : Décors sur fond or et argent. Partie du rouleau des grues,  13 mètres de long, 35 cm de haut : dessins de Sōtatsu avec 36 Wakas transcrits par Kōetsu.

 

 

Tasse à thé Raku créée par Kōetsu, qui a collaboré avec Jōkei, le 2ème descendant du clan Raku.

 

Paravent à double feuilles du dieu du vent et dieu du tonnerre de Sōtatsu.

 

 

 

 

 

Paravent à six portes Sōtatsu, 166 × 370 cm, représentant Matsushima.

 

 

Quatre des six portes du paravent « fleurs d’automne » de Tawaraya Sōtatsu, appartenant à cette école.

 

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41. Rimpa-Cho : introduction

Le nom ‘Rimpa’, ou celui moins utilisé ‘Rinpa’, dans l’histoire de l’art se réfère à un groupe hétérogène d’artistes qui a vécu à différentes époques et produit d’étonnantes peintures, calligraphies, céramiques, laques, dessins sur éventails et kimonos et autres objets.

Le nom Rimpa est inventé après 1800, lors de la publication de 2 ouvrages :

– L’un de Sakai Hōitsu (1558-1637) : « 100 œuvres sélectionnées du répertoire de Kōrin »

– L’autre écrit peu de temps après, par son élève Ikeda Koson (1615-1868) : « Autres 100 œuvres sélectionnées du répertoire de Kōrin ».

La raison de ces publications est que, pendant des années, de nombreuses fausses œuvres de Kōrin ont circulé.

À cette époque, pensant que Kōrin a créé ce style, Hōitsu parle de Kōrin-ha = École de Kōrin à (Ko)Rin-ha à Rin-ha à Rim-pa à ne sachant pas que ce sont Kōetsu et Sōtatsu les premiers à l’avoir présenté 100 ans avant Kōrin.

La peinture à la Rimpa est réalisée sur des objets de tailles différentes : petites boîtes laquées, éventails, portes coulissantes et paravents, kimonos. Aussi, les arrangements Rimpa-Cho Ikebana vont de la taille d’un petit bassin à un grand bassin et même jusqu’à plusieurs bassins alignés.

 

L’ikebaniste commence par de petites compositions en référence à l’Uchiwa, éventail chinois puis poursuit en réalisant des arrangements plus grands en référence à l’Emben ou Sensu, éventail japonais.

 

L’ikebaniste passe ensuite à des compositions encore plus grandes, dans deux bassins, en référence aux décors des portes coulissantes ‘Fusuma’ et des ‘Byōbu’, paravents à plusieurs panneaux.

 

Fusuma : portes coulissantes

                              

 Byōbu : paravents à plusieurs panneaux

 

Exemples de contenants de l’École Ohara et leur disposition, © École Ohara.

 

Le Rimpa-cho Ikebana, bien qu’il puisse être réalisé dans différents contenants, des bassins spécifiques sont créés de forme allongée ou de forme en « éventail japonais ». Avec ces derniers et dans la plupart des cas, le côté concave du vase (comme celui des pierres Suiseki ou du bonsaï) est tourné vers l’observateur/observatrice puisque « le concave accueille », le côté convexe « repousse » est moins utilisé.

Exemples de contenants et les dispositions de l’École Ohara, © École Ohara.

 

 

 

 

D’autres exemples, © École Ohara.

 

 

 

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40. Morimono, Ikebana, Suiseki et …. plus

Fréquemment évoquées dans les articles précédents, les règles de composition de l’Ikebana (son positionnement dans le tokonoma et sa signification) n’ont pas été créés spécifiquement pour l’Ikebana. Elles sont aussi présentes dans de nombreuses autres situations. Il est fascinant de constater que les mêmes règles de composition sont partagées avec des situations apparemment sans rapport avec l’Ikebana comme la disposition des pierres dans le jardin, celle de la nourriture dans les assiettes, la disposition des objets dans le Tokonoma, l’arrangement et la forme des bonsaïs et la disposition des Suiseki (Voir Article 39, Suiseki et Ikebana).

De toutes les situations citées, la disposition des pierres dans le jardin est probablement la plus ancienne, déjà pratiquée à l’ère Heian (794-1185) en même temps que l’introduction de la triade bouddhique tandis que le tokonoma et l’Ikebana apparaissent plus tardivement, au milieu du XVe siècle.

Dans un texte récent (première édition datée de 1980) sur l’agencement des pierres dans un « jardin japonais » écrit par trois auteurs dont l’un est un maître ikebaniste de l’école Ohara, les suggestions suivantes sont données :

 

 

Éviter la disposition selon deux axes orthogonaux et préférer celle en diagonale ou en triangle scalène.

 

On retrouve ce schéma de deux éléments en diagonale dans la disposition des aliments sur le plateau.

 

En général, nous préférons utiliser trois éléments puisque les nombres pairs sont considérés comme Yin tandis que les nombres impairs sont Yang.

Sur les 3 photographies ci-contre et ci-dessous, le troisième élément ajouté aux deux disposés en diagonale est, dans les 3 cas, la paire de baguettes en bambou posée en-travers du plateau ou du plat.

 

Aliments arrangés dans un plat en céramique de Ogata Kenzan (1663–1743).

 

 

Le schéma des trois éléments en diagonale se retrouve dans la disposition des aliments dans l’assiette.

 

Théière posée sur la diagonale des deux éléments dans l’assiette. Poisson le long de la diagonale du plat qui, dans la cuisine kaiseki, doit avoir la tête sur notre gauche.

 

Agencement des pièces principales en diagonale dans une demeure seigneuriale japonaise traditionnelle.

 

 

 

Le même concept s’applique dans l’agencement du Bunjin-Cho Morimono de l’École Ohara où les éléments sont placés le long d’une diagonale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Arrangement de l’École Chicō.

 

 

 

 

 

Arrangement en diagonale dans ce simple Bunjin-Cho Morimono « contemporain ».

 

 

 

Le daï lui-même est positionné en oblique si les différents éléments qui composent le Bunjin-Cho Morimono sont trop importants pour être positionnés nettement sur la diagonale du daï.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Comme dans la triade bouddhique, l’Ikebana, le Suiseki en forme de montagne au loin et le bonsaï, la disposition en triangle scalène se retrouve aussi dans l’alimentation.

 

 

 

 

Mais aussi dans l’arrangement Bunjin-Cho Morimono « contemporain » de l’école Ohara.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Autre exemple de Bunjin-Cho Morimono.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Comme dans le Shikisai-Moribana Chokuritsu-kei (style vertical), des Chukan-shi (auxiliaires) peuvent être ajoutés aux trois Yaku-eda (éléments principaux), d’autres plantes peuvent aussi être ajoutées dans le Bunjin-Cho Morimono mais celles-ci doivent être plus faibles que les trois plantes principales disposées en triangle.

 

 

 

 

 

 

Parfois, l’arrangement traditionnel de l’École Ohara ne suit pas la règle de l’arrangement des trois Yaku-eda en triangle scalène du Shikisai-Moribana Chokuritsu-kei. Les éléments d’un arrangement Bunjin-Cho Morimono sont placés selon deux schémas possibles :

– soit ils sont sur la diagonale du daï (ou si le daï est très étroit, celui-ci est placé en diagonale).

– soit ils forment un triangle scalène (photo ci-dessus), identique au style Moribana Chokuritsu-kei.

 

 

Les deux contenants, de même forme puisqu’ils font partie d’un casier transportable, sont disposés en diagonale par le photographe. Les deux manières d’arranger la nourriture sont visibles :

– les deux éléments du premier contenant sont sur une diagonale différente de la diagonale qui joint les deux contenants (pour éviter une répétition) et

– les positions des trois éléments du second contenant forment un triangle scalène.

 

Il est intéressant de regarder ces photographies prises au Japon vers 1860 par Felice Beato, photographe italo-anglais. Il photographie de nombreux sujets dont des personnes, en les faisant poser.

Il est évident que la position des trois personnes est exactement celle de la triade bouddhique (Voir Article 64, Ikebana et triade bouddhique) ou du style Moribana Chokuritsu-kei.

La personne au centre est la plus grande et la plus reculée. À sa droite et plus près, la deuxième personne la plus grande, placée légèrement en avant, et à sa gauche encore plus en avant et détachée, la troisième personne la plus petite.

Les trois hommes sont à égale distance l’un de l’autre mais celui au centre et celui à sa droite se croisent les yeux, paraissant plus « unis » que le troisième qui détourne le regard et paraît plus « détaché ».

 

Autre photographie de Felice Beato de conception quasi équivalente. Position des 3 Yaku-eda dans l’arrangement de style Moribana Chokuritsu-kei.
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39. Suiseki et Ikebana

Forme d’art et de collection qui consiste à agencer des pierres aux aspects particuliers trouvées dans la nature.

 

Les canons esthétiques sur lesquels reposent le choix, l’agencement et la signification des pierres sont communs à l’Ikebana et au bonsaï. La coutume d’arranger les Suiseki dans le tokonoma, selon la tradition, commence avec Sen no Rikyū  (1521-1591). Elle est introduite environ cent ans après la naissance historique de l’Ikebana et utilisent les mêmes règles dispositives de l’Ikebana.

Ci-contre représentation du Mont Sumeru, Sublime Meru.

 

Le Rikka, première forme d’Ikebana avec des règles fixes et le Suiseki en forme de montagne, première forme de pierres collectées, ont la même origine symbolique. Tous deux représentent la montagne bouddhique idéalisée Meru ou Sumeru.

 

Le bonsaï est introduit dans le tokonoma à l’époque Edo, après 1600, car on pense jusqu’à cette époque que le caractère sacré du tokonoma ne peut être souillé par de la terre. Ses règles de disposition dans le tokonoma sont similaires à celles de l’ikebana.

 

 

Dans le Japon ancien, les pierres en forme de montagne sont les premières à être collectées. La forme idéale préférée reproduit la forme du Kanji de la montagne (ci-dessus).

 

 

 

Ci-contre : la pierre verticale la plus courte à gauche est jointe (plus proche) à la pierre verticale centrale. Les deux sont légèrement en retrait de la 3ème pierre à droite.

 

On retrouve cette position, avec de petites variations, à la fois dans les trois pierres formant la triade bouddhique et dans les trois pics formant la montagne au loin, l’idéal de l’arrangement Suiseki.

 

Comme dans l’Ikebana, les premières formes de Suiseki sont appréciées pour leur beauté naturelle inextricablement associée au symbolisme religieux et philosophique du Japon.

 

Les huit immortels

 

Pour les bouddhistes, les pierres représentent la montagne mythique Sumeru ou Meru, la même qui est représentée dans l’arrangement Rikka (Voir Article 22, Influence du bouddhisme sur la structure de l’Ikebana).

 

Pour les taoïstes, selon les récits mythologiques chinois, il y a deux montagnes/îles d’immortalité, l’une à l’est Penglai (‘Hōrai’ en japonais) et l’autre à l’ouest Kunlun. Ces deux montagnes mythiques sont associées à l’immortalité.

 

À l’ouest, le mont Kunlun où poussent des herbes d’immortalité.

Ici, la Reine Mère de l’Ouest réside dans un palais de jade et garde le verger des pêchers d’immortalité.

Les pêches sont distribuées aux invités par la reine mère lorsqu’elles sont mûres, une fois tous les trois mille ans.

 

Ci-contre, Reine mère d’Occident aux pêches d’immortalité, Kanō Tan’yu (1602-1674).

 

À l’est, dans la Mer orientale, ‘Penglai’ en chinois, ‘Hōrai’ en japonais. Elle est dépeinte avec ses avenues d’or et de platine, ses arbres couverts de perles et de joyaux, ses pagodes de lapis lazuli.

À Penglai, siège des huit Immortels terrestres, pousse le champignon de l’immortalité.

 

 

Reishi ou champignon d’immortalité.

 

À Penglai pousse le champignon de l’immortalité utilisé par les huit Immortels, tandis qu’à Kunlun poussent les pêches de l’immortalité.

 

Champignon de l’immortalité utilisé dans un Morimono de l’École Ohara.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Il est intéressant de noter que dans le mot d’origine chinoise qui désigne les 8 Immortels Xian (), il y a le Kanji montagne.

 

Selon la légende, le premier empereur chinois Qin Shi Huangdi (260 av. J.-C.-210 av. J.-C.) ordonne deux expéditions navales dans le but de retrouver Penglai/Hōrai et de voler aux Immortels leur secret d’immortalité. Le secret n’est pas retrouvé car selon les croyances de l’époque, les Immortels se déplacent en volant sur des grues.

Dans les jardins impériaux chinois, on construit l’île mythique de Penglai à petite échelle dans les étangs et les lacs, espérant tromper quelques Immortels de passage et les inciter à s’arrêter pour avoir leur secret.

Cette coutume s’est d’abord étendue à la noblesse puis est entrée dans la tradition, d’abord en Chine puis au Japon.

 

Ci-contre, le mont Hōrai reproduit dans un petit lac.

 

Vol d’un immortel, auteur inconnu.

 

Immortel volant, Kiyohara Yukynobu (1643 – 1682).

 

Plus tard, le mont Hōrai/Île mythique est reproduit en réalisant des « paysages miniatures » dans des bassins.

Dans le Japon ancien, les pierres sont considérées comme des êtres vivants au même titre que les plantes. Toutes deux possèdent le Ki, la Force de Vie présente dans tous les composantes de l’univers car les pierres ont accumulé beaucoup de Ki durant la longue période de leur formation.

Chaque pierre, comme chaque végétal, a son propre côté Yang et Yin, un «dessus» et un «dessous», un devant et un arrière.

 

Ci-contre, paysage miniature représentant Hōrai.

 

Dans le jardin de l’époque Heian (794-1185) et de Kamakura (1185-1333), les principaux éléments ne sont pas, comme en Occident, les plantes mais de grosses pierres et l’eau auxquelles s’ajoutent quelques arbres à feuilles persistantes ou à fleurs ou des arbustes tels qu’ils sont visibles sur le dessin ci-contre daté de 1160 après J.-C.

 

Les pierres et le ruisseau sont les principaux «interprètes» des jardins avec quelques arbres et arbustes.

 

 

Déjà à l’époque Heian, la structure des jardins est constituée de grosses pierres disposées selon les règles du Fēng-Shui.

Le plus ancien manuscrit sur la création esthétique des jardins est le ‘Sakuteiki’, compilé vers l’an mille et le second ‘Sensui narabini nogata no zu’ écrit au XVe siècle affirment que placer ne serait-ce qu’une seule pierre dans un jardin sans « la respecter », c’est-à-dire sans tenir compte de sa nature et de son Ki, peut provoquer la maladie voire la mort du propriétaire. Si elle est mal placée, elle ne peut pas protéger l’habitation des forces naturelles négatives.

 

Le Sakuteiki traite des aspects religieux et philosophiques de la conception des jardins. S’y retrouvent des influences shintō, Feng-Shui et bouddhiques notamment dans les instructions relatives à l’usage de la boussole, la position que doivent occuper les pierres par rapport au bâtiment ou la direction dans laquelle un courant doit circuler à travers le jardin.

 

Pages du Sakuteiki :

Il est écrit : »…. utiliser une pierre qui dans la nature est droite en position inclinée ou placer une pierre qui dans la nature est inclinée en position verticale, si cela est fait, ces pierres non positionnées selon la nature causeront une malédiction au propriétaire ou à sa famille».

 

 

 

Pour le shintoïsme, les rochers sont le siège des Kami, comme les deux fameux rochers de Futamigaura.

 

 

Dans les temps anciens, les pierres sont placées, comme les végétaux en Ikebana, dans des suiban contenant de l’eau. En effet, le nom Suiseki est composé de Sui = eau et Seki = pierre = pierre dans l’eau. L’eau Yin sert à équilibrer la présence de la pierre Yang.

 

Ci-contre, extrait de 36 vues du Mont Fuji : vue de Satta dans la baie de Suruga.

 

On retrouve la confirmation de l’importance des pierres et de l’eau dans la composition du jardin sec ‘Karesansui’ Kare = sec, Sansui = jardin, des Kanji San = montagne et Sui = l’eau.

 

Aujourd’hui encore, dans les jardins secs (Karesansui), les rochers sont entourés de gravier blanc représentant l’eau de la mer, auquel on donne la forme de vagues par ratissage.

 

Le traité ‘Sakuteiki’ énumère cinq styles esthétiques d’architecture de paysage fondés sur les principaux concepts religieux et philosophiques mais aussi sur le sentiment poétique du concepteur : style océan, style montagne, style large rivière, style zones humides et style roseau. Chaque style comprend des sous-groupes.

Pour montrer les nombreuses similitudes entre l’Ikebana et le Suiseki, il est intéressant de considérer le classement selon leur forme. L’ikebaniste s’intéresse particulièrement à la catégorie «Pierres en forme de montagne au loin » et au sous-groupe «Pierres rappelant un paysage naturel».

 

La collection des pierres est d’origine chinoise. Avant que les Suiseki-pierres ne soient collectés individuellement, les pierres sont d’abord utilisées dans des paysages miniatures. Elles représentent l’idéal des montagnes. Les «Pierres en forme de montagne au loin» sont la première forme de pierres collectées dont les similitudes avec l’Ikebana sont les plus évidentes. En effet,  le choix de la forme des montagnes et l’agencement des trois principaux éléments de l’Ikebana sont une idéalisation d’une montagne symbolique.

 

Ci-contre, paysage miniature offert à l’impératrice Suiko, Tenno de 592 à 628, par l’empereur chinois.

 

Pierres formant la triade bouddhique, Kakemono de Hakuin Ekaku (1685-1768).

 

Paysage avec 3 pierres formant la « Trinité ou Triade Bouddhique », Tiger Hill Park Suzhou, Chine.

 

 

 

 

 

 

Le premier style utilisé en Ikebana, dont dérivent tous les autres styles, est le style Chokuritsu-kei (vertical) de l’École Ohara dans lequel, l’élément principal en retrait est au centre (Shu-shi), le second à sa droite et avancé (Fuku-shi) et le troisième légèrement plus en avant sur sa gauche (Kyaku-shi).

 

 

Cette disposition des trois éléments principaux n’est pas propre à l’ikebana. Par exemple, dans l’agencement des jardins de l’époque Heian, on la trouve dans les pierres formant la « Trinité ou Triade bouddhique ».

La Triade bouddhique se retrouve nettement dans l’arrangement de Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi du style Shikisai-Moribana Chokuritsu-kei de l’École Ohara.

 

La triade bouddhique est toujours représentée par Bouddha au centre, personnage le plus important des trois, et deux personnages moins importants, un à sa droite et un à sa gauche qui changent selon les cas.

 

La trinité bouddhique sera abandonnée au profit du tokonoma avec la disposition des trois kakemono et la triade d’objets sacrés, encensoir, candélabre et arrangement Ikebana.

 

Ci-contre, Trinité ou Triade Bouddhique.

Exemples de trinité ou triade bouddhique avec le nom des jardins de pierres.

 

Dans la nature, on retrouve l’arrangement en trois éléments. Par exemple, cette corne d’un jeune cerf dans laquelle le motif de la trinité bouddhique est évident.

 

Les pierres de la triade bouddhique rappellent la montagne non seulement parce qu’elles sont des pierres mais aussi parce qu’elles ont la même disposition des traits verticaux du Kanji ‘Yama’, écrit ci-dessous dans le style formel. Signifiant Montagne, le Kanji a le tronçon principal au centre, le deuxième tronçon à sa droite et avancé, le troisième à sa gauche encore plus avancé.

 

 

 

Lecture du Kanji : Yama en lecture Kun, San en lecture On.

 

Ci-contre, triade bouddhique dans une estampe chinoise.

 

Il est intéressant, pour l’ikebaniste, de noter que la disposition des trois traits verticaux du kanji ‘Yama’ n’est pas seulement la même que la disposition des trois éléments principaux Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi du style Moribana Chokuritsu-kei (style vertical) de l’École Ohara mais c’est aussi la disposition des points d’insertion des trois éléments principaux dans le kenzan : Shu-shi qui correspond en importance à la pierre centrale de la triade est au centre et en arrière, Fuku-shi qui correspond à la deuxième pierre en volume est avancé à sa droite et Kyaku-shi qui correspond à la plus petite pierre est à sa gauche encore plus avancé.

 

La forme idéale d’une montagne n’est pas celle que l’on trouve dans la nature, à quelques exceptions près. C’est une forme basée sur la symbolique de la triade bouddhique associée au symbole du Tai-ji taoïste. On retrouve cette forme idéalisée de montagne dans les Suiseki répertoriés comme ‘Yamagata-ishi’, «Pierres en forme de montagne au loin ».

 

Ci-contre, les premières formes de Suiseki collectées dans lesquelles les volumes et les positions des trois pierres de la triade sont incorporées en une seule pierre avec un pic central visible (parfois en arrière), un pic inférieur à sa droite (parfois avancé) et un pic plus bas encore à sa gauche (parfois avancé) exactement comme dans le Moribana Chokuritsu-kei et les trois pierres de la trinité bouddhique.

Notez que les pics « Shu-shi » et « Fuku-shi » sont plus proches l’un de l’autre que le pic « Kyaku-shi » puisque, comme dans l’Ikebana, ils représentent la partie Yang du symbole Tai-ji tandis que le pic « Kyaku-shi » représente sa partie Yin (Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

 

Comme un Ikebana peut être Hon-Gatte/à gauche ou Gyaku-Gatte/à droite, les «pierres en forme de montagne au loin » peuvent être aussi en position à Hon-Gatte/à gauche ou Gyaku-Gatte/à droite.

 

Selon la tradition, la coutume de placer le Suiseki dans le tokonoma a commencé avec Sen no Rikyū vers la fin des années 1500. Leurs règles de placement dans le tokonoma sont similaires à celles de l’Ikebana déjà en usage à la fin des années 1400. Dans le Moribana Chokuritsu-kei Hon-Gatte ou Gyaku-Gatte, le kenzan n’est pas placé au centre du bassin mais à gauche ou à droite de son centre. Par conséquence, la pierre droite ou gauche est également placée dans le suiban ou sur un daï suivant les mêmes règles, la pierre droite placée légèrement à sa droite et inversement (Voir Article 16, Origine des positions ‘Hon-Gatte’ et ‘Gyaku-Gatte’ et Article 17, Composition à gauche et composition à droite).

 

Suiseki Gyaku-Gatte situé à gauche du centre du daï.
 

Suiseki Hon-Gatte situé à droite du centre du daï.

 

La pierre Hon-Gatte est à droite du kakemono tandis que celle Gyaku-Gatte est à gauche du kakemono.

 

 

 

Une autre particularité à souligner est l’orientation du Suiseki . C’est « la partie concave qui accueille le regard ». Si une pierre a une partie concave, celle-ci est tournée vers l’observateur/observatrice. On voit aussi ce concept dans l’ouverture des bras pour accueillir quelqu’un.

 

Suiseki « Toyama Ishi » ci-dessus.

 

 

 

 

 

On voit que « le concave accueille le regard » dans l’agencement des pierres formant la triade bouddhique dans laquelle la plus grosse pierre est au centre et en retrait des deux autres, sur ses côtés.

 

 

On le retrouve ce mouvement dans l’Ikebana Moribana Chokuritsu-kei (style vertical).

Shu-shi est plus important et en arrière. Fuku-shi est moins important et plus avancé que Shu-shi et Kyaku-shi est le plus petit et le plus avancé des deux autres, exactement comme les trois pierres.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

 

Pour les bonsaï, le concept selon lequel la forme concave accueille tandis que la forme convexe repousse est appliqué : le tronc est décalé par rapport au feuillage. Le côté concave de la courbure, la plus importante du tronc, doit faire face à l’observateur/ observatrice.

 

 

Les bassins en éventail Rimpa illustre aussi ce concept. En général, il est préférable de mettre la partie concave vers l’observateur/ observatrice, même si parfois, c’est la partie convexe du bassin qui est représentée et s’il y a un motif particulier.

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

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38. Symbolique des végétaux

Puisque dans la culture occidentale actuelle, la créativité individuelle est préférée aux traditions, il est important de connaître les aspects traditionnels de l’Ikebana, parmi lesquels on a la symbolique des végétaux.

 

 

Chaque culture a sa propre symbolique associée aux plantes qui, par exemple en Occident, peut être reliée à la religion (lys), aux armées (feuilles de chêne), au sport (couronne de laurier), aux superstitions (trèfle), à la poésie (la rose), à l’héraldique ou science des blasons (lys du roi de France) et plus encore.

Le symbolisme japonais vient de diverses sources à dominance chinoise, en lien avec les cérémonies religieuses du bouddhisme et du confucianisme, auxquelles se sont ajoutés des symbolismes autochtones d’origines diverses mais surtout de la poésie.

 

 

L’œillet des montagnes, Nadeshiko, (Dianthus superbus) est mentionné dans vingt-six poèmes du Man’yōshū et symbolise la grâce féminine.

 

Ci-contre, éventail avec des Dianthus superbus ‘Nadeshiko’.

 

Fête des garçons le 5ème jour du 5ème mois (aujourd’hui aussi pour les filles) : poupées et objets virils sont exposés pour souhaiter courage et force aux enfants.

 

Remarquez les iris. Les feuilles d’iris rappellent les épées et sont utilisées le 5ème jour du 5ème mois pour la fête des enfants.

 

 

Soulignions l’importance de l’homophonie dans la langue nippone. Par exemple le pin ‘Matsu’ est homophone du verbe ‘Matsu’ qui signifie attendre. On le retrouve mentionné dans 71 poèmes du Man’yōshū.

Des fleurs spécifiques symbolisent les quatre saisons ou un mois spécifique de l’année. La liste des plantes peut différer selon le cadre dans lequel les plantes sont utilisées (par exemple la Cérémonie du thé), selon les groupes (par exemple les Bunjin), selon les différentes écoles d’Ikebana, ….

En général, les plantes sont considérées comme masculines (Yang) par rapport aux fleurs et aux herbes, et certaines plantes. Il peut y avoir des plantes masculines ou féminines par exemple, Pinus Thunbergii est considéré comme masculin (Kuro-matsu et O-matsu) par rapport à Pinus densiflore, femelle (Aka-matsu et Me-matsu) comparé à Thunbergii.

Certaines combinaisons de végétaux sont bien connues pour leur symbolisme :

 

 

 

 

Végétaux représentant les 3 amis de la saison froide, symboles mis en scène lors du réveillon de nouvel an :

Le pin symbolise la longue vie.

Le bambou, la dévotion.

Le Prunus Ume (abricotier du Japon), le courage.

Végétaux représentant les quatre saisons.

Les quatre gentilshommes (ou quatre nobles) :

L’orchidée : printemps.

Le bambou : été.

Le chrysanthème : automne.

Le Prunus Ume: hiver.

 

Les végétaux utilisés dans cette composition créée en 1935 par Koun Ohara, représentent les sept herbes d’automne Aki No Nana Kusa.

Dans le Man’yōshū, premier recueil de poèmes japonais de 750 après J.-C. comprenant 10 000 feuilles, il y a un tanka de Yamanoe No Okura intitulé Aki (automne) No Nana (sept) Kusa (herbes) qui évoque :

Miscanthus sinensis (Eulalia), Puearia, Patrinia scabiosifolia, Eupatorium cannabis (valériane) Dianthus (œillet des montagnes), Liseron.

 

Depuis lors, les « sept herbes de l’automne » sont connues de tous comme un symbole de l’arrivée de l’automne. Au fil du temps, peintres et poètes citent ou font référence à ce poème, parfois en modifiant soit le nombre (5 ou 7) soit en remplaçant une ou plusieurs espèces. Les « sept herbes » sont présentes dans les peintures, sur les éventails, sur les paravents et portes coulissantes, sur les kakemono et bois laqués, sur les kimonos et obi, dans les compositions des écoles d’Ikebana.                          © École Ohara

 

Actuellement, l’École Ohara n’utilise que quatre des sept herbes dans un paysage d’automne traditionnel. Puisque le nombre total utilisé doit être impair, le Lycopodium, qui ne fait pas partie des 7 herbes d’automne, est prescrit par l’école Ohara qui l’inclut dans ce décompte, comme 5ème élément.

 

Dessins de composition Ohara de 1934. Dans le premier on utilise les sept « herbes » alors que dans le second on n’en utilise que deux, gentiane et patrinia, auxquelles s’ajoutent deux autres herbes typiquement automnales (Wax et Anthistiria Arguens).

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara. Fait intéressant, cette composition est définie comme un Moribana influencé par le style Rimpa.

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37. Origine mythologique du Japon

L’une des nombreuses raisons pour lesquelles l’Ikebana s’est développé uniquement au Japon, parmi tous les pays de religion bouddhique, est le fait que la relation à la Nature, dans la tradition japonaise, est très différente de celle de l’Occident. Connaître les mythes shintoïstes sur la création du monde et les comparer à nos mythes chrétiens nous aide à mieux comprendre la raison de cette différence de rapport à la nature, notamment aux plantes. Avec l’introduction du bouddhisme au Japon en 522 après J.-C., le besoin s’est fait sentir d’inventer le ‘Shintō’ comme la « religion » native.  Par ordre impérial, deux livres sont écrits pour transmettre les mythes de la naissance du Japon mais aussi pour renforcer l’idée que le clan impérial descend directement de l’astre le plus important du firmament, à savoir la déesse solaire Amaterasu.

 

le Kojiki (livre des mots anciens) en 712 après J.-C.

les Nihongi ou Nihon Shoki (Annales du Japon) en 720 après J.-C.

Contrairement au christianisme où un Dieu crée le monde, le shintoïsme défend l’idée que l’univers existe sans qu’un dieu l’ait créé. Les premiers dieux apparaissent spontanément et pour eux-mêmes :

-«Le Ciel, au départ se sépare de la Terre, doux, incohérent, dispersé».

– «Des divinités primordiales apparaissent : cinq mâles « qui cachent leur corps de la vue » et résident au Ciel suivis de « sept générations divines » qui font apparaître les forces de la nature sous la forme de pouvoirs divins ‘Kami’ appariés.

Le dernier couple frère-sœur/épouse-mari généré est celui d’Izanagi, celui qui invite, et Izanami, celle qui invite.

 

 

Les Dieux Primordiaux ordonnent au couple frère-sœur de consolider la Terre. Depuis le Pont Suspendu du Ciel (qui permet de descendre sur la Terre) et avec une lance, le couple déplace les eaux boueuses. La première île naît de la boue qui en coule.

– Alors que la première expérience sexuelle dans le monde divin a lieu : Izanami, parlant le premier, s’unit à Izanagi et de leur union inexpérimentée naissent un fils raté et une île.

– Face à cet échec partiel, ils retournent au Ciel. Les Dieux Primordiaux disent que c’est au mâle de prendre l’initiative. Le couple observe une paire de bergeronnettes qui s’accouplent. Le couple revient sur terre et une nouvelle union sacrée a lieu. Le mâle ayant parlé le premier, les huit îles du Japon et divers Kami des eaux, des plaines et des montagnes, etc. surgissent qui, à leur tour, génèrent d’autres Kami. Les îles et les Kami se génèrent à la fois sexuellement et par auto-génération et dans le monde des Kami, tout découle de tout.

 

– Izanami meurt en accouchant du Kami du Feu qui lui brûle les organes génitaux mais elle engendre six divinités à partir de son vomi, de ses excréments, de son urine (symboles du pouvoir sacré du biologique) telles que le Prince et la Princesse de la mine et de l’argile, la princesse de l’irrigation et la princesse de la riche nourriture.

– Izanagi venge sa sœur épouse en tuant le Kami du Feu et c’est à nouveau l’occasion de nouvelles naissances : huit Kami issus des gouttes de son sang et huit autres des différentes parties de son corps. Ce sont tous des Kami résolus aussi violents que le tonnerre ou les eaux violentes des vallées ou les sifflements du vent.

– Izanagi descend aux Enfers pour récupérer sa femme décédée, sans y parvenir.

Il revient sur terre et doit se purifier, ayant été en contact avec la mort. C’est à nouveau l’occasion de procréer de nouveaux Kami :

– douze issus de ses vêtements et objets personnels qu’il jette.

– quatorze de son bain purificateur, parmi eux :

– de l’œil gauche la Déesse Amaterasu, associée au Soleil.

– de l’œil droit Tsuki-Yomi, Kami masculin associé à la lune.

– du nez Susanoo, Kami masculin associé à l’ouragan, au vent, à la mer. Notez que le côté gauche, étant Yang par rapport au droit, est le côté le plus important.

– Izanagi répartit les tâches entre ses trois enfants. Amaterasu obtient le pouvoir de domination sur ses deux frères  (qui doivent devenir les futurs empereurs, en compensation).

– Susanoo conteste la suprématie de sa sœur. Izanagi les réconcilie en leur faisant procréer d’autres Kami en mâchonnant des objets qu’ils leurs donnent (son épée à la sœur, ses bijoux au frère) : trois filles sortent de la bouche d’Amaterasu et cinq fils de la bouche de Susanoo. Notez la préférence pour les nombres impairs, Yang sur les nombres pairs.

– Susanoo détruit les barrages et les rizières de sa sœur Amaterasu et ose déféquer sur son trône (symbole de la violation globale de l’ordre du monde).

– Amaterasu, offensée par le comportement de son frère, se retire dans la Grotte du Ciel dans un état de « black-out » total. Des myriades de Kami se rassemblent et tentent en vain de la faire sortir avec des danses, montrant des branches de Sakaki ornées de morceaux de papier (manière que l’on retrouve encore aujourd’hui dans les rites shintoïstes) et faisant chanter tous les oiseaux à l’unisson afin de lui faire croire qu’un autre soleil s’est levé et la rendre ainsi jalouse. Mais tous leurs subterfuges échouent.

 

 

– la déesse Ameno renverse un tonneau vide, se met à l’intérieur en exécutant une danse «obscène» (montrant seins et organes génitaux), ce qui déclenche le rire des «huit myriades» de Kami. intriguée par le rire, Amaterasu regarde dehors, voit son visage dans un miroir spécialement placé devant son visage. Persuadée qu’il y a un autre Kami, elle sort et se fait fermement empoigner. L’entrée de sa grotte refuge est bloquée et le soleil brille à nouveau sur Terre.

– Susanoo est exilé à Izumo, sur la mer du japon, où règne son fils.

– Pour assurer sa descendance au Japon, Amaterasu envoie son neveu Ninigi sur terre à Kyushu, équipé des « 3 objets divins » (miroir – épée – bijoux). Le petit-fils de Ninigi, futur empereur Jinmu (cinquième descendant direct de la Déesse Amaterasu), se dirige vers le nord, conquiert Izumo et d’autres terres, arrive à Yamato (mot désignant les plaines et monts autour de l’ancienne capitale, Nara) où il est proclamé Empereur.

 

Afin d’inciter au respect que l’ikebaniste doit avoir envers les plantes lorsqu’il crée un Ikebana, rappelons la façon dont le shintoïsme considère la relation entre l’individu et le monde entier, y compris l’humanité, les êtres vivants et non vivants, les morts, la terre, les corps célestes et les Kami. C’est une relation de «consanguinité». Pour le shintoïsme, l’ikebaniste et la plante sont « consanguins », les parties de plante entrant dans la composition comme celles qui sont jetées sont considérées et respectées de la même manière et traitées en conséquence.

 

 

La description de l’apparition de divers végétaux dans le Kojiki est également intéressante. Par exemple, la naissance de certains arbres nés des poils de Susanoo : l’un de la barbe est né le cryptomeria, l’autre de la poitrine le cyprès, de ceux des fesses le pin noir, des cils le camphre. On y indique l’usage : le cryptomeria et le camphre sont pour la construction de bateaux, le cyprès pour les maisons, le pin pour les cercueils.

 

Dans un autre article, l’origine des céréales est expliquée : Susanoo tue le Kami de la nourriture Oh-getsu-hime et de ses yeux naissent les graines de riz et les épis de mil, du nez les haricots rouges, des organes génitaux le blé et de l’anus le soja. Beaucoup d’autres plantes sont générées par d’autres Kami.

La naissance de l’homme et des animaux n’est jamais décrite !

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36. Introduction historique à la composition Bunjin : les Literati

Nous connaissons le Japon avant tout comme la patrie de la « Voie », de la « Méthode » (Dō) où l’accent est mis sur la discipline et où il n’y a pas de place pour les esprits libres. Cependant, il y a eu des mouvements artistiques qui se sont s’écartés de la vision Zen de la vie : l’un d’eux, le ‘Bun-Jin-Ga’ constitué d’artistes-peintres issus des couches supérieures éduquées de la société japonaise (Bun = lettres, Jin = homme, Ga = peinture), « peinture des Littéraires » aussi appelée École Nanga.

En Chine, le terme « peinture littéraire » (Wên-Jên Huain en chinois, qui devient Bun-Jin-Ga, en japonais) ne désigne pas un style particulier de peinture, mais plutôt une catégorie de peintres, les lettrés, répondant à des critères exigeants : naissance aristocratique + rang social élevé + érudition + humeur positive (par opposition aux peintres artisans-professionnels). En Chine, les lettrés n’ayant aucun problème d’argent, ne peignent pas pour gagner leur vie. Ils sont donc hors des diktats officiels du goût et peuvent être plus spontanés et individualistes que les artistes liés à leurs mécènes. Les œuvres des peintres artisans-professionnels sont quant à elles, considérées comme inférieures à celles des amateurs instruits Wên-Jên.

 

En 1654, alors que le 4ème Shogun Tokugawa Ietsuna est au pouvoir (1651-1680), un moine Zen chinois nommé Ingen Ryūki (1592-1673) entre en scène à Kyōto et prêche un Zen plus austère que les courants Zen présents à cette époque.

Le jeune Shogun, alors âgé de 18 ans, est fasciné par Ingen et lui offre un vaste terrain et un soutien financier pour qu’il s’installe au sud de Kyōto. En opposition aux sept autres sectes Zen existantes, il fonde le siège de sa nouvelle secte Zen, appelée Obaku, fait construire le temple de Manpuku-ji, dans le pur style chinois en important de l’étranger tout le matériel coûteux nécessaire à sa construction.

Ci-contre portrait de Ingen Ryūki.

Ci-dessous, temple Manpuku-ji, Kyōto.

 

Le shogunat poursuit ses subventions et permet à la secte Obaku Zen de construire des centaines de temples à-travers le Japon. A sa tête, vingt et une générations de moines chinois se succèdent pendant environ cent vingt ans, à l’exception d’un ou deux japonais, jusqu’à ce que les Japonais interviennent faute de moines immigrés chinois.

Ingen Ryūki introduit la calligraphie de style Ming au Japon et le ‘Sen-cha dō ‘= Voie du thé infusé, une manière chinoise de déguster le thé en feuilles entières. C’est une pratique différente du Matcha, thé en poudre, utilisée dans la cérémonie Wabi-Sabi par les Maîtres du thé. Le thé préparé en infusant les feuilles entières, déjà populaire, est vendu par les marchands ambulants des grandes villes.

 

Cérémonie du thé : différences d’environnement et de disposition des ustensiles entre la pratique chinoise et la cérémonie japonaise.

 

 

Aujourd’hui encore, le Manpuku-ji est le siège national des différentes écoles de thé Sen-cha.

 

Pendant le service du Sen-cha, les convives sont assis sur des chaises comme c’est la coutume en Chine.

 

 

La pratique du Sen-cha est beaucoup plus détendue que celle du Matcha. Elle implique un minimum de cérémonie et un maximum de jeu. La cérémonie du Sen-cha est souvent dans la nature, près d’une rivière ou dans les montagnes, lieux où l’on chante, compose des poèmes et des peintures en discutant et en buvant du thé.

 

 

L’origine des lettrés japonais (appelés Bunjin) se trouve en Chine. Les lettrés chinois (appelés Wên-Jên) sont une classe dont la vie est consacrée à l’art et à la littérature considérés comme les connaissances les plus élevées qui soient, un hybride du confucianisme et du taoïsme.

Leur aspect sérieux, cultivé, studieux vient du confucianisme.

« Si vous voulez gouverner l’état, pacifiez votre famille d’abord.

Si vous voulez pacifier votre famille, disciplinez-vous d’abord.

Si vous voulez vous discipliner, redressez d’abord votre cœur. »

 

Pour les lettrés chinois « le cœur se redresse » en pratiquant «les trois perfections», poésie, peinture et calligraphie auxquelles s’ajoute la musique, uniquement des instruments à cordes.

 

                                                                 

Au fil du temps, la pratique « lettrée » s’étend à tous les arts depuis le traitement du bambou et du métal, jusqu’à la céramique, la fabrication du papier, de l’encre, des pinceaux, des pierres à encre.

Cependant, cette pratique des « perfections » seules n’est pas toujours très attrayante. Aussi, les lettrés, en se référant au principe taoïste de liberté d’esprit, se veulent libres comme l’eau ou le vent. Ils sont idéalement des sages, des ermites qui ne veulent rien de plus que se retirer de la poussière du monde et profiter d’une « conversation pure » avec des amis.

 

À l’époque de la dynastie chinoise Ming (1368-1644), la figure de l’homme de lettres se distingue nettement : sans problème d’argent, il vit idéalement en semi-isolement dans un ermitage où il reçoit des amis.

 

Ci-contre, Wên-Jên, lettrés chinois.

 

Un célèbre lettré de l’ère Ming a dit : « L’idéal est de vivre au sommet d’une montagne, sinon à la campagne, sinon hors des villes. Même lorsqu’il n’est pas possible d’habiter entre les cimes et les vallées, la maison de l’homme de lettres doit avoir l’apparence d’un lieu éloigné du monde terrestre : arbres centenaires et fleurs exotiques dans le jardin, objets d’art et livres d’études dans le bureau ou l’atelier. Ceux qui séjournent dans cette maison ne sauront pas que les années ont passé et les invités oublieront de partir ».

 

Le développement des lettrés jusqu’au XVIe siècle ne se produit qu’en Chine. Le Japon, quant à lui devient le pays des arts martiaux, par opposition aux arts littéraires.

 

Même si on ne les désigne pas ainsi, les premiers « lettrés » japonais sont, comme les maîtres du thé du XVIe siècle, protégés des guerres et des bouleversements de leur temps grâce aux institutions Zen de Kyōto.

Ils adoptent l’idéal Ming de l’ermitage en développant la maison de thé Wabi-Sabi dans laquelle ils se réfugient en fuyant les mondanités. Ils s’intéressent à tous les arts des lettrés : calligraphie dans le tokonoma, poésie, céramique, bambou, pierre et fer.

 

Furuta Oribe (1544-1615), successeur idéal de Sen-No-Rikyû et Maître de thé auprès du Shogun crée des tasses à thé aux bords déséquilibrées, tordus et inégaux et aux couleurs et motifs typiques.

 

 

 

 

 

 

 

Kobori Enshū (1579-1647) est le successeur de Furuta Oribe. Il surprend ses invités, après une averse, en jetant un seau d’eau dans le tokonoma au lieu de la composition habituelle de Chabana.

 

 

 

Grâce à l’assouplissement de l’interdiction d’importer des livres étrangers imposée par les Tokugawa, des nouvelles des lettrés chinois arrivent au Japon et leurs idées commencent à germer dans l’esprit de certains lettrés japonais. Les Bunjin se mettent à contester le système de pouvoir shogunal et certains d’entre-eux publient des livres dans lesquels ils attaquent le Shogun. Ils appellent au retour du pouvoir impérial, préparant ainsi le terrain à la chute du Bakufu (= le pouvoir shogunal).

Le temple fondé par Ingen Ryūki est pris comme point de référence par les Bunjin à la fois :

– parce que les moines Zen venus directement de Chine sont également peintres,

– en plus d’avoir des nouvelles de première main sur la culture chinoise, ils boivent du Sen-cha. Cette façon de boire le thé est adoptée par les Bunjin pour se différencier des samouraïs qui utilisent le Matcha.

 

La tapette à mouches (‘Hossu’ en japonais), un des ustensiles typiques du Sen-cha souvent placé dans le Tokonoma, a pour signification symbolique d’enlever les « mouches », les soucis de la vie. En garder une à portée de main signifie qu’on s’apprête à se consacrer, pendant le Sen-cha, à la « conversation pure ».

 

 

Bien que le même terme Bunjin soit utilisé pour les savants chinois et japonais, il y a une différence fondamentale de statut. De nombreux lettrés chinois font partie de la classe bureaucratique dirigeante et la classe militaire lui est subordonnée. En revanche, au Japon, la classe militaire dirige la pays et les lettrés japonais sont subordonnés à la classe des samouraïs dont ils dépendent économiquement.

Les lettrés chinois forment donc une classe homogène bien définie, composée d’intellectuels qui travaillent ou ont travaillé dans l’appareil bureaucratique chinois alors que les lettrés japonais sont des gens très différents les uns des autres, ayant en commun l’attrait pour le goût et mode de vie des Wên-Jên.

Alors que les Wên-Jên chinois sont de riches peintres amateurs ne faisant pas le commerce de leurs œuvres, contrairement aux peintres artisans-professionnels, de nombreux Bunjin japonais vendent leurs peintures pour gagner leur vie.

 

Quant aux compositions «florales», les Wên-Jên les mettent de façon libre partout dans leurs demeures tandis que les Bunjin les placent dans le tokonoma.

 

 

En tant qu’esprits libres, les Wên-Jên chinois et les Bunjin japonais ne peuvent pas s’adapter aux règles imposées par les différentes écoles d’Ikebana et refusent de réaliser des compositions « florales » comme le Chabana qui leur rappelle le Matcha de la classe guerrière. Il en est de même pour tout arrangement d’Ikebana de toute École qui, en raison des lois strictes de composition, les privent d’une liberté d’expression. Ils réalisent alors des Ikebana libres et personnalisés, appelés Bunjin, dans lesquels, tout en conservant les règles esthétiques communes à l’Ikebana, la liberté individuelle prévaut.

 

La référence à l’origine chinoise de leur mouvement intellectuel reste très forte et visible dans les matériaux choisis, depuis le type de plantes à fortes références symboliques chinoises jusqu’aux vases chinois ou objets ajoutés aux compositions comme l’utilisation de plumes d’oiseau dans la composition.

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

© École Ohara Racines de l’orchidée expressément visibles

 

Suivant la mode chinoise qui aime les couleurs fortes et vives, les lettrés utilisent des fleurs aux couleurs vives, très différentes du Chabana réalisé pour la cérémonie du thé matcha. Les végétaux sont choisis avant tout pour leur signification symbolique chinoise. Ils utilisent également des branches avec des fruits dont l’usage est interdit par les écoles d’Ikebana.

Le courant de la peinture Nanga (ou Bunjin-Ga) s’appelle aussi « style sud-chinois » puisqu’il est né dans le sud de l’empire chinois situé en zone tropicale. Par conséquence, le Bunjin Ikebana se compose avec des végétaux tropicaux typiques de cette région et se place sur un daï (tablette de bois). Pour le Bunjin-Morimono, le support peut avoir la forme de larges feuilles de plantes tropicales.

 

Même si les deux formes de composition sont utilisées en fonction du type de cérémonie du thé, le Chabana et le Bunjin-Cho Ikebana sont très différents.

 

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35. Ikebana et histoire : périodes Meiji (1868-1912), Taisho (1912-1925) et Shōwa (1926-1989)

L’ère Meiji débute avec une « occidentalisation à marche forcée » et tout ce qui est japonais, y compris l’Ikebana, devient impopulaire et remplacé par ce qui vient de l’étranger.

 

L’empereur Meiji avec des femmes nobles

 

Empereur Meiji, très jeune, en habit traditionnel

 

L’empereur Meiji avec sa femme et son fils.

Une immense composition florale occidentale est mise en évidence.

Il est intéressant de noter que, malgré l’occidentalisation évidente, les schémas culturels japonais se maintiennent. Le «nouveau s’ajoute à l’ancien, au lieu de le supplanter».

 

 

 

 

L’empereur Meiji en famille. Les hommes sont positionnés à gauche de la table centrale tandis que les femmes à sa droite. La gauche est considérée comme plus importante puisque Yang, masculine, tandis que la droite, moins importante, est Yin, féminine. La Kami Amaterasu, déesse du soleil, dont descend la famille impériale, est né de l’œil gauche de son père Izanagi.

Remarquez l’arrangement floral occidental. Sur la table il y a trois objets qui rappellent les trois objets sacrés ‘Mitsu-Gusoku’ : encensoir-bougeoir-Ikebana  (Voir Article 13, La naissance de l’Ikebana d’après les documents historiques) mais leur distribution est occidentale. La composition florale occidentale (associée au féminin) remplace l’Ikebana et est placée du côté (Yin/féminin) des femmes tandis que le bougeoir et l’encensoir, considérés comme des « objets masculins » sont du côté des hommes.

 

Vêtements, vase, instrument de musique, motifs décoratifs de tissus, meubles, sol : tout est occidental.

 

Remise de diplômes dans une école de « décoration » florale occidentale.

 

Le dernier Shogun Tokugawa
En tenue de cérémonie japonaise.             Dans des vêtements occidentaux.

 

Dans certains anciens rescrits impériaux (actes administratifs), il est prescrit que les femmes doivent être «de bonnes épouses et de sages mères». L’Ikebana fait partie des devoirs qui caractérisent cet idéal de la femme.

Avec le rescrit impérial sur l’éducation de 1890, le gouvernement introduit l’enseignement de l’Ikebana uniquement dans les écoles de filles car en Occident, le commerce des fleurs est une activité uniquement féminine. De nos jours, certaines écoles enseignent l’Ikebana aux élèves mais l’essentiel de l’enseignement se fait dans des clubs périscolaires.

 

L’École Ohara, née en 1895, est la première à introduire l’utilisation des fleurs « étrangères » et le style Moribana.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Sous la devise «Ikebana hors du Tokonoma», de nouvelles tendances se forment selon lesquelles la révolution culturelle conduit à voir l’Ikebana comme un art qui «doit s’adapter aux temps nouveaux». Les plantes sont associées à d’autres matériaux en créant un arrangement libre, Jiyu-Bana.

En 1930, le «Manifeste des nouveaux styles d’Ikebana» paraît. Le passé de l’Ikebana avec ses styles (Kata), ses concepts philosophiques, ses restrictions sur l’utilisation des plantes est rejeté. L’utilisation libre des contenants, les formes libres et le sentiment d’être en phase avec la vie moderne sont proclamés. Les arrangements ont une forte connotation artistique «occidentale» dans lesquels l’ikebaniste laisse «la marque de sa propre personnalité».

 

La vision traditionnelle de l’Ikebana avec toutes ses contraintes « artificielles » imposées, comme le fait de toujours placer les plantes au premier plan, est une représentation de la Nature comme résidence des Dieux. À cette période historique une nouvelle vision s’affirme, traitant les plantes comme des « choses ou objets » pouvant être manipulés (d’un point de vue occidental) comme des « choses » sur lesquelles l’artiste occidental imprime sa personnalité. L’Ikebana se banalise, se transforme en un passe-temps artistique simple basé sur une vision occidentale de la Nature.

 

Dans un écrit de 1950 intitulé «l’Ikebana d’avant-garde», Shigemori Mirei déclare : « Il faut se débarrasser de l’idée que c’est la nature ou le végétal qui constitue le matériau de base de l’Ikebana, sinon on n’arrivera jamais à faire de l’Ikebana un art au sens plein du terme (………). Le végétal n’est rien d’autre qu’un morceau de matière isolé qui, en soi, n’a ni sens ni contenu (…). Il n’y a qu’à voir des lignes, des couleurs et des masses dans les végétaux».

Il est important de rappeler que ces mouvements artistiques parlant de l’Ikebana-objet sont aussi une réponse «politique» pour forcer à un changement de mentalité dans la société.

 

À partir des années 1960, certaines écoles refusent de réduire l’Ikebana à un objet et donnent à la matière végétale une valeur en créant le concept d’‘Ikeru’, «faire vivre les fleurs». Elles soulignent la différence entre la matière solide et les végétaux «vivants» et recentrent l’Ikebana sur la dimension vivante des plantes et non plus seulement sur leurs formes, volumes et couleurs. Au cours de cette période historique il y a de grands changements, diverses écoles d’Ikebana apparaissent ou disparaissent. Actuellement, parmi les nombreuses écoles, trois d’entre elles sont considérées comme les plus importantes :

L’École Ikenobō « modernise » ses techniques et les styles et garde la plupart de leurs élèves.

L’École Ohara crée le Moribana dont le style est intégré dans le programme de toutes les écoles d’Ikebana.

L’École Sogetsu, créée par Sofu Teshigahara en 1927, se veut être en rupture avec le classicisme des deux autres courants. Elle introduit un style inspiré d’une conception sculpturale et basé sur une plus grande liberté d’expression.

Ces trois écoles restent, à ce jour, les plus importantes et populaires au Japon :

Ikenobō : École la plus traditionnelle, conservatrice. En plus du Moribana, elle enseigne toujours le Rikka et le Shōka dans ses versions «classique» et «moderne».

Ohara : École à mi-chemin entre l’Ikenobō traditionnelle et la «moderne» Sogetsu.

Sogetsu : École la plus «moderne» mêlant des végétaux à d’autres matériaux et laissant beaucoup de place à la subjectivité de l’élève.

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34. Ikebana et histoire : période Edo 1603-1868

La naissance « historiquement avérée » de l’Ikebana a lieu dans les résidences des Shoguns Ashikaga au XVe siècle, dans le cadre du Kazari, décoration et agencement des objets de collection.

 

Cet art se répand parmi la noblesse guerrière de la classe des samouraïs mais il est ignoré, au départ, par la noblesse impériale tout comme la Cérémonie du thé. La cour impériale commencera à pratiquer la Cérémonie du Thé et l’Ikebana une génération après celle de la noblesse guerrière. Notons cependant que Hideyoshi fait réaliser, par Sen no Rikyū, deux fois la Cérémonie du thé dans un »salon» en or transportable et déplacé dans la résidence du Tenno (Empereur), cela en la présence de quelques membres de la famille impériale (voir Article 47, Vanneries dans l’Ikebana et la Cérémonie du thé).

Les journaux intimes des nobles qui entourent l’empereur font mention d’arrangements avec des fleurs dont certains sont réalisés notamment pour Go-tsuchimikado (1442-1500), 103ème empereur. Plus tard, les compositions sont effectuées par les maîtres Ikenobō mais c’est plutôt l’exception et non la règle. À cette époque, les auteurs de ces compositions sont toujours des hommes, moines et laïcs.

 

Période Edo ou Tokugawa (1603-1868)

 

Les Rikka, tant dans les demeures des Shoguns et des Daimyō que dans celles des empereurs et des nobles, sont réalisés par des moines. Vers 1620, grâce à l’empereur Go-mizunoo (1596-1680), 108e empereur), la réalisation de Rikka devient une activité régulière même au sein d’une partie de la noblesse masculine impériale.

Go-mizunoo, seul empereur à pratiquer personnellement l’Ikebana, se passionne tant qu’il devient l’élève d’Ikenobō Sensho/Senkō II.  

Il organise des rencontres hebdomadaires avec un groupe socialement hétérogène, talentueux dans ce l’art, pour étudier l’Ikebana. Composé de nobles, de prélats de haut rang choisis parmi la famille impériale et de quelques riches artisans-marchands, la plus basse de l’échelle sociale Tokugawa,  ce groupe étudie et crée des Rikka avec divers maîtres. Souvent le Tenno appelle Sensho Ikenobō pour juger les compositions.

 

En 1628, avec 49 autres ikebanistes, le Tenno et Sensho Ikenobō organisent une exposition de Rikka à l’intérieur du palais impérial de Kyōto, ouverte au public de tous horizons.

L’exposition répétée pendant plusieurs années contribue à populariser l’Ikebana dans toutes les couches sociales.

 

Exposition de Rikka de 1790.

À noter la présence d’un public des deux sexes et toutes les couches sociales.

 

 

Dans les journaux rédigés par les membres du groupe parrainé par le Tenno, on évoque la recherche des végétaux hors de la ville, dans les jardins de la noblesse, et dans les jardins des temples, mais aussi « cueillis » dans les jardins des riches marchands ou artisans qui, évidemment, ne peuvent s’opposer à leur cueillette.

Go-mizunoo ordonne que les Rikka créés par Senkō II soient dessinés et rassemblés dans un livre qui a survécu, avec 250 dessins. Ci-dessous, deux des dessins de Rikka réalisés par Senkō II.

 

 

 

Sur ordre de Iemitzu, 3ème Shogun Tokugawa (1623-1651), le Iemoto Ikenobō vient de Tokyō à Edo pour réaliser trois Rikka dans le palais shogunal.  

Chaque fois qu’un nouveau Iemoto Ikenobō s’établit, on prend l’habitude de l’inviter, pratique qui va se répéter jusqu’à la chute des Tokugawa, en 1868.

 

Au cours de la période Edo (dit aussi période Tokugawa), la classe sociale des marchands/artisans s’accroît progressivement tant en nombre qu’en richesse au détriment de la classe des samouraïs. Ces «nouveaux bourgeois riches» souhaitent s’approprier la culture dominante et imiter les compositions florales de la noblesse.

La culture des cours impériale et shogunale, pendant les cent premières années de la période Tokugawa, est reprise lentement par les « gens ordinaires » de la classe marchande/artisanale (la plus basse de l’échelle sociale Tokugawa) habitant les grandes villes. Au 18ème siècle, l’héritage culturel, n’appartenant jusqu’alors qu’à la noblesse impériale et guerrière et aux hauts dignitaires du clergé, est au moins largement connu des citoyens fortunés. Parmi les « connaissances de base », on trouve par exemple la poésie Waka, les passages les plus célèbres du théâtre Nō, l’histoire du Genji ou l’épopée des Heike (Heike monogatari), la poésie Haiku, le théâtre Kabuki, les célèbres lieux et temples du Japon tous connus grâce à l’utilisation généralisée de manuels imprimés, vendus ou prêtés moyennant des frais par de nombreux vendeurs ambulants des grandes et petites villes.

 

Colporteur de manuels de calligraphie, Torii Kiyonobu 1720. Poupée de marchand ambulant datée de 1823.

 

Manuel expliquant comment bien servir les repas.

 

Manuel expliquant comment bien servir le saké.

 

Les samouraïs sont attirés par cette culture citadine car bien plus vivante et spontanée que celle que leur impose le Bakufu. Des groupes de samouraïs et de « nouveaux citoyens riches » voulant les imiter apparaissent. Ces derniers suivent des écoles pour apprendre les arts traditionnels tels que la Cérémonie du thé, les chants, le théâtre Nō, l’Ikebana, les compositions poétiques Waka, les manières à table ou en présence d’une personne appartenant à une classe sociale supérieure, etc. Les manuels se répandent par l’intermédiaire de marchands ambulants qui les vendent ou bien les louent.

Au début, ces écoles sont exclusivement masculines mais vers le milieu du XVIIIe siècle, elles s’ouvrent aux femmes. L’Ikebana, exclusivement masculin, commence à être pratiqué par les femmes.

 

Ci-contre manuel d’Ikebana.

 

 

La pratique de l’Ikebana par les femmes se développe de façon lente et variable selon la classe sociale considérée :

– Pour la noblesse shogunale et impériale, les femmes apprennent l’Ikebana en regardant les leçons données aux frères ou maris mais n’y participent pas directement. C’est comme en Italie où la peinture est pratiquée uniquement par des hommes. Les quelques peintres femmes sont des épouses de peintres dont les maris ou les pères, vont à contre-courant des règles sociales de l’époque.

 

– Pour la classe des marchands-artisans, une autre raison est évoquée. Cette classe sociale assume le pouvoir monétaire mais reste la plus basse des quatre classes établies par les Tokugawa. Les jeunes femmes obtiennent la meilleure « carte de visite » dans leur propre classe sociale si elles sont éduquées.  On les envoie alors « en service » pendant quelques années chez un Daimyō ou un samouraï important. Grâce au « séjour obligatoire » (Sankin-Kōtai) imposé aux Daimyō par le Shogun, ces jeunes femmes ont l’opportunité tant convoitée de servir la noblesse shogunale et, par conséquent, de développer une culture. Cependant, pour être embauchées,  elles doivent démontrer qu’elles ont déjà une bonne base culturelle et connaître ce que les familles de Daimyō pratiquent ou valorisent (y compris l’Ikebana). Pour cette raison, les riches parents dépensent des sommes très importantes pour envoyer leurs filles à l’école (art de la table, Ikebana, cérémonie du thé, poésie, théâtre Nō, etc.) afin qu’elles soient acceptées et ainsi augmenter encore leur culture.

 

La stabilité politique des Tokugawa repose dès l’origine sur un contrôle total du pays, obtenu grâce à un régime bureaucratique et policier et à un système social rigide. Les arts y compris l’Ikebana, soumis à une censure shogunale, perdent progressivement en créativité. Le système Iemoto devient la règle pour tous les arts et les expositions d’Ikebana sont organisées dans les restaurants. Les journaux parlent de cet art et citent le nom des Écoles et des Maîtres-ikebanistes qui ont le plus de succès.

 

L’exposition de Rikka reste l’apanage des membres de la cour impériale et du shogunat.  

Mais pour la bourgeoisie urbaine aisée naissante (Chōnin), ces compositions basées sur sept ou neuf branches principales auxquelles s’ajoutent de nombreux auxiliaires sont trop compliquées. Il faut trop de temps pour les créer et de grands espaces pour les exposer. Aussi, les différentes écoles créent un nouveau style, plus simple, avec trois des sept/neuf branches principales. Cette nouvelle forme est appelée Shōka par l’École Ikenobō et Seika par des autres écoles (Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

Ci-contre, Seika avec trois éléments principaux, les deux branches et la fleur auxquels s’ajoutent deux fleurs auxiliaires.

 

Vers 1820 apparaissent les premières compositions de Bunjin-Cho réalisées par les Lettrés.

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33. Ikebana et histoire : périodes Muromachi (1336-1573) et Azuchi Momoyama (1573-1603)

Période Muromachi 1333-1568 ou Ashikaga, deuxième shogunat

C’est à cette période que l’Ikebana, historiquement prouvé, apparaît comme élément de décoration et d’agencement (kazari) d’objets présentés aux invités par les Shoguns Ashikaga.

En prenant le pouvoir, le clan Ashikaga déplace le siège du shogunat à Heian-Kyō (qui à l’époque est déjà rebaptisée Kyōto), lieu de résidence de l’empereur et de sa cour.

Les moines Zen deviennent officiellement les conseillers du Shogun.

La classe guerrière est en contact direct avec la cour impériale. La caste shogunale, dès l’époque du troisième Shogun, se substitue à la cour impériale et développe une nouvelle culture largement influencée par la culture chinoise tandis que la cour impériale défend la culture japonaise.

 

Deux Shoguns Ashikaga influencent grandement les arts (Voir Article 12, La naissance de l’Ikebana selon la tradition et Article 13, La naissance d’Ikebana d’après les documents historiques) :

 

Yoshimitsu (1358-1408), 3ème Shogun de 1368 à 1394

Yoshimasa (1436-1490), 8ème Shogun de 1443 à 1473

 

Avec lui, l’art et l’esthétique Zen s’affirment. Il fonde un monastère Zen qui devient le centre de l’école des peintres paysagistes et de la peinture à l’encre ‘Suiboku-Ga’. Il favorise la naissance du théâtre Nō (créé par Kan’ami et son fils Ze’ami), promeut l’art du Karesansui (jardin sec). Il jette les bases du développement de la Cérémonie du thé en tant que manifestation esthétique, diffuse la poésie Renga. Enfin il est un grand homme politique.

 

Petit-fils de Yoshimitsu et mauvais politicien, il provoque la fin du règne des Ashikaga. Il est le dernier grand mécène des arts Zen.

Se retirant du poste de Shogun et s’installant dans le pavillon d’argent, Yoshimasa privilégie tous les arts que nous connaissons aujourd’hui comme typiquement japonais.

 

Les principaux artisans de ces changements culturels de la période Ashikaga sont les moines de la secte Ji. Ils sont reconnaissables au suffixe ‘ami’ dans leur nom, (en l’honneur de Bouddha Amida), que leur attribue le Shogun Yoshimitsu. Employés des Ashikaga comme préposés, ils sont des dōbōshῡ ou « compagnons », personnes d’origine modeste dont la culture est appréciée et admirée de tous. Ils sont aussi les arbitres incontestés du bon goût et, à ce titre, divulguent les normes de la culture du shogunat à tout le pays.

Kan’ami et son fils Ze’ami sont supposés être les fondateurs du théâtre Nō. Comme confirmation de leur importance, le Shogun Yoshimitsu leur accole le suffixe ‘ami à leur nom bien qu’ils soient acteurs. Cet honneur leur donne droit au même respect dû aux moines de la secte Ji.

Parmi les vrais moines de la secte Ji au service des Ashikaga, on retient :

– So’ami, Mon’ami et Ritsu’ami qui, en plus d’être des peintres de renom, sont connus pour leurs compositions Tatebana. Mon’ami écrit le Mon’ami Densho, livre sur le Tatebana.

– Zen’ami, célèbre paysagiste

– Sen’ami, No’ami et Gei’ami, grand-père-père-fils dit « les trois ‘ami », sont célèbres à la fois comme artistes et comme conservateurs et recenseurs des œuvres d’art chinois des Shoguns.

 

Pour souligner aux invités la richesse et le bon goût du Shogun Ashikaga, le Dōbōshῡ, expert de l’agencement (kazari) et du décor, expose les nombreux objets chinois de la collection privée. En particulier, des vases qui, au début sont vides et admirés uniquement pour leur beauté.  Au fil du temps, ils sont utilisés comme des contenants à végétaux. Leur nombre se réduit et une importance plus grande est accordée aux compositions florales qui, au début, sont réalisées avec des règles simples. Simultanément le lieu où sont exposées ces compositions est structuré et devient le Tokonoma (Voir Article 13, La naissance d’Ikebana d’après les documents historiques).

Les premiers créateurs de compositions structurées, appelés Tatebana, sont les moines de la secte Ji.

Un moine de la secte Tendai entre alors au service de Yoshimasa. Son habileté à composer le Tatebana impressionne tellement le Shogun qu’en 1479, il lui décerne le titre de ‘Dai Nippon Ka-dō no Iemoto‘ c’est-à-dire celui qui est à l’origine de l’art de la Voie des « fleurs ». Son nom est Senjun Ikenobō.

 

Le nom, Senjun Ikenobō, apparaît pour la première fois en 1462, dans le journal d’un moine évoquant l’une de ses compositions réalisée dans un vase d’argent qui a émerveillé les habitants de Kyōto. Ses compositions commencent à être préférées à celles des Dōbōshῡ de la secte Ji. Avec la chute des Ashikaga en 1573 et la disgrâce conséquente de la secte Ji trop liée aux Ashikaga, les Ikenobō prennent le monopole de l’Ikebana qu’ils conservent pendant plus de deux siècles. À l’époque Edo, d’autres écoles apparaîtront, toutes issues du courant Ikenobō. Les deux premiers Iemoto de l’École Ohara seront également élèves de l’École Ikenobō.

 

Les premiers manuscrits sur l’Ikebana qui nous sont parvenus apparaissent sous le shogunat de Yoshimasa.

 

– Le Sendenshō, écrit par divers auteurs anonymes, daté 1445 par son premier propriétaire Fu’ami et 1536 par Ikenobō, son dernier propriétaire.

L’ouvrage décrit cinquante-trois compositions appelées Tatebana et quelques Nageire, réalisés non pas dans une visée esthétique mais plutôt à but cérémoniel comme le mariage, le passage à l’âge adulte, le retrait de la vie active, le départ pour la guerre, le fait de devenir moine, etc. Aucun nom technique n’est donné en dehors de la branche principale, toujours verticale et centrale, appelée Shin et des branches secondaires désignées indifféremment Soe-mono. Les positions Hon-Gatte et Gyaku-Gatte sont précisées et le nombre 4, homophone de la mort, est banni. Chacune des cinquante-trois compositions est réalisée dans le cadre de l’agencement Mitsu-Gusoku = « trois objets sacrés » : le brûle-parfum, le bougeoir et le vase à fleurs. Les trois objets sacrés deviendront plus tard cinq, Go-Gusoku, avec l’ajout de deux vases avec « fleurs » sur les côtés (Voir Article 13, La naissance d’Ikebana d’après les documents historiques).

Mon’ami Densho dont l’auteur Mon’ami est moine de la secte Ji. Il contient des interprétations bouddhiques des compositions.

Hisamori-Ki est composé de huit volumes écrits à la main par le samouraï Isamori Osawa de 1460 à 1492. Les styles Shin, Gyō, Sō sont mentionnés pour la première fois.

Senno Kuden premier texte écrit par les Ikenobō daté de 1542 montre une nette différenciation entre compositions Ikenobō et celles réalisées par les « ’ami ».

Ikenobō Sen’ei Densho écrit en 1545, énumère les sept branches principales du Rikka.

 

Période Azuchi-Momoyama 1573-1603 (période des trois unificateurs)

 

 

 

 

 

Les Ikenobō sont les maîtres incontestés de l’Ikebana.

 

En raison de l’introduction des armes à feu et pour accroître leur pouvoir, les trois unificateurs construisent des châteaux forts avec des salles très vastes. Le Tatebana se transforme en Rikka, montré pour afficher la richesse et le pouvoir des chefs guerriers.

 

Le Zen n’est plus soutenu officiellement comme à l’époque des Ashikaga mais continue fortement d’influencer une partie de la vie quotidienne des samouraïs.

 

Pendant la période Muromachi, la Cérémonie du thé atteint son apogée avec Sen no Rikyū, l’un des cinq Maîtres de la Cérémonie du Thé au service de Hideyoshi.

Il influence également la manière de concevoir l’agencement et les ornements en général dont l’Ikebana. Il oppose aux compositions formelles du Tatebana-Rikka la simplicité informelle du Nageire-Chabana. Le Rikka et le Nageire sont tous deux utilisés dans la vie de tous les jours, le premier dans des situations officielles et le second dans des situations informelles.

L’art de la Cérémonie du thé a évolué depuis les premiers Ashikaga. Au début, elle se tient dans les grandes salles du palais shogunal et sert à souligner la richesse du Shogun. Le dōbōshῡ préposé y expose les objets précieux de la collection Ashikaga, pour la plupart d’origine chinoise appelés Karamono = «objets» en lecture Kun du Kanji Tang, c’est-à-dire chinois par opposition au Wamono = «objets» japonais et au Kōraimono = «objets» coréen.

Il est intéressant de noter que Sen no Rikyū exécute des compositions selon les circonstances. À côté des immenses Rikka réalisés au palais, il fait de minuscules Chabana pour le Wabi-cha, cérémonie qui peut se tenir soit dans une humble hutte en bois Wabi-Sabi soit dans le salon de thé transportable en or qu’Hideyoshi met en avant pour impressionner ses invités lors de campagnes militaires ou par deux fois, la cour impériale.

 

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32. Ikebana et histoire : période Asuka à Kamakura (552-1333)

Préambule

Dans les compositions qui utilisent des matériaux fraîchement cueillis, tels que des branches, des feuilles, des herbes, des fleurs se révèle la relation qu’une civilisation entretient avec son environnement naturel projetée plus ou moins inconsciemment. Ce rapport à la nature a une origine religieuse au Japon et il est important de souligner les différences entre religions japonaises et religions européennes.

 

– Europe chrétienne : Dans la Genèse, le monde et les êtres humains qui y vivent, originellement immortels, sont créés par un Dieu conçu essentiellement sous forme humaine. A cause de la désobéissance à Dieu (la pomme mangée), les hommes, les animaux et la nature perdent leur sacralité et connaissent la souffrance et la mort.

Ainsi une scission est faite entre l’homme et son environnement naturel dans lequel l’homme doit lutter pour obtenir son gagne-pain. L’homme doit dominer l’environnement et la nature qui l’entourent.

 

– Japon : La cosmogonie sino-japonaise est organisée d’un point de vue plus large.  Elle rend compte d’un cosmos dans lequel chaque phénomène fait partie intégrante d’un ensemble. A l’origine, à la place d’un Dieu créateur, on retrouve les manifestations multiples d’une force universelle Ki, conçue sans forme mais dotée d’une contraction rythmique, un « souffle », qui donne lieu à la distinction entre Yang et Yin. L’interaction entre ces deux forces est le principe organisateur essentiel de tout l’univers et génère les éléments naturels, les êtres humains et tout le monde phénoménal.

Le mal n’est pas séparé du bien. On parle de manifestations positives ou négatives, strictement interdépendantes, d’une énergie universelle qui change perpétuellement grâce au mouvement cyclique du Yang et du Yin.

De plus, pour le shintoïsme, l’homme et les plantes sont « consanguins » puisqu’ils sont engendrés par le même Kami, ce qui explique le respect des plantes.

 

Histoire de l’Ikebana

 

Avant la période Muromachi (1333-1573), les informations historiques proviennent de journaux intimes, de peintures profanes et religieuses, d’annotations personnelles sur la vie quotidienne et d’Emakimono, rouleaux horizontaux enluminés, espèces de bandes dessinées pouvant atteindre dix mètres de long à lire de droite à gauche.

 

Exemple d’Emakimono

 

Période Asuka 552-710 après J.-C.

La cour impériale, tout en maintenant le shintoïsme natif, accepte le bouddhisme comme religion salvatrice de l’État et le confucianisme, tous deux venus de Chine via la Corée. Avec eux pénètrent également les manifestations artistiques chinoises et coréennes, tour à tour influencées par l’art indien, persan, romain et grec, avec une préférence marquée pour les couleurs criardes et brillantes, pour l’or, pour l’agencement somptueux et symétrique des objets, pour l’ornement, la sculpture, le brillant, la magnificence des rites et des cérémonies. Ce goût prévaudra jusqu’à l’apparition du Zen à l’époque de Kamakura (1185-1233).

 

 

 

 

 

Figure tirée de l’Emakimono Choju Giga, fin de l’époque Heian, représentant Bouddha-grenouille, devant lequel se trouve un moine bouddhiste, un singe.

Les trois fleurs de lotus dans le vase devant Bouddha montrent déjà la « substance » de l’Ikebana, ses trois éléments principaux et sa disposition à droite (puisque le vase n’est pas placé au centre de la table mais légèrement à la droite du Bouddha-grenouille) appelée aussi Hon-Gatte.

La composition est dite de droite ou Hon-Gatte en référence à la position relative des trois éléments puisque le lotus fleuri et plus volumineux est au centre de la composition, le deuxième lotus en bouton, moins volumineux, à sa droite et le troisième, le plus petit des trois, à sa gauche.

La fugacité est également mise en valeur avec les trois fleurs à différents stades d’éclosion.

 

 

 

Voir Article 16, Origine des positions ‘Hon-Gatte’ et ‘Gyaku-Gatte’ et Article 17, Composition à gauche et composition à droite.

 

À-travers des gravures des pierres tombales, les Kuge sont des offrandes florales non structurées, sans règle de composition, sur l’autel bouddhique.

L’usage du nombre impair de 5 éléments est déjà visible, divisé en 3 fleurs (2 ouvertes + 1 fermée) + 2 feuilles (Voir Article 62, Utilisation des nombres impairs en ikebana).

 

 

 

C’est à cette période que, selon la tradition mais pas l’histoire, l’Ikebana apparaît (Voir Article 12, La naissance de l’Ikebana selon la tradition et Article 13, La naissance d’Ikebana d’après les documents historiques).

 

Pour certains auteurs, l’origine de l’Ikebana est due à l’utilisation combinée de branches persistantes venant des rites shintō et de fleurs venant des offrandes florales faites à Bouddha.

 

Du shintō arrive l’usage droit, vertical de l’élément Shu réalisé avec des branches (future partie Yang) et du bouddhisme vient l’usage de Kyaku avec des fleurs inspiré des offrandes à Bouddha (future partie Yin).

 

Aujourd’hui, les shintoïstes utilisent des branches à feuilles persistantes en particulier, le Sakaki (Cleyera japonica), plante indispensable aux rituels dans les sanctuaires shintō (Photo ci-contre).

 

Divers auteurs pensent que le Tateru-Kuge dérive du ‘Yorishiro’, sorte de leurre, encore utilisé aujourd’hui, formé de branches persistantes attachées au sommet d’un poteau. Les shintoïstes placent les Yorishiro dans des espaces vides, momentanément sacralisés par une corde ‘Shimenawa’. L’idée est d’aider les Kami à retrouver leur chemin lorsqu’ils descendent sur terre.

 

Sur les photos, ci-dessus, les formes de Yorishiro peuvent être un vieil arbre majestueux déjà en place, entouré de la corde Shimenawa pour en souligner son caractère sacré ou des cônes de gravier.

Sakaki planté dans une rizière pour s’attirer les faveurs des Kami lors du repiquage des plants de riz.

 

 

 

La cérémonie shintō appelée “Tamagushi-Hoten” fait référence au morceau de papier “Tamagushi” attaché avec une cordelette de chanvre à une feuille de Sakaki. C’est un élément indispensable dans les rituels et les festivals shintō.  Par ailleurs, le Tamagushi permet aussi de rendre hommage, de manière formelle, lors des visites officielles.