Mu Qi (1210-1275) ou Mu Chi, moine chinois (appelé Mokkei au Japon) est l’un des principaux représentants de l’école de peinture chinoise Chan très appréciée des Shoguns Ashikaga. Il est l’auteur de la peinture ci-dessous en noir et encre bleue sur papier, aujourd’hui conservée au Daitoku-ji de Kyōto, titrée : Six kakis.

 

L’un au centre, noir, est entouré de trois kakis de couleur grise, et deux autres kakis plus extérieurs en blanc.  Considérant la composition des kakis dans son ensemble, on va du centre foncé/noir puis on passe à une zone grise intermédiaire pour arriver à la périphérie claire/blanche. Le passage des couleurs du kaki au centre noir en passant par les trois kakis gris pour arriver aux deux kakis blancs en périphérie symbolise les règles de la Nature, chères au taoïsme, concernant la croissance des plantes.

Autrement dit, des concepts équivalents peuvent être convoqués :

Le centre du dessin est noir ou foncé, lourd, vieux ou ouvert.  Si ce sont des fleurs, on dirait dense/épais.

– La périphérie se caractérise par des termes opposés : blanc ou clair, léger, jeune ou fermé et si ce sont des fleurs :  clairsemé/aminci.

Entre le centre et la partie externe, le tableau se caractérise par des termes de transition : entre noir-blanc, lourd-léger, vieux-jeune, ……..

 

Ces caractéristiques sont visibles, par exemple, dans ce buisson :

– Le centre est plus épais, plus dense, plus «sombre» et «optiquement lourd», au regard de sa périphérie qui est plus mince, «claire» et «optiquement légère».

– Au centre du buisson, les fleurs sont «plus âgées», à un stade d’ouverture plus avancée, que celles en périphérie «jeunes» et encore fermées.

 

 

 

Le même concept de couleur qui va du foncé au centre au clair en périphérie, exprimé dans la peinture de Mu Qi se retrouve dans ces roses, dans l’agencement de la nourriture avec l’élément le plus foncé au centre et dans les deux dessins avec des chiens et des lapins de Maruma Ōkyo (1733-1795).

 

 

 

 

Les compositions d’Ikebana, depuis ses premières formes codifiées Tatebana/Rikka, ont été construites en respectant ces règles visibles dans la nature. La référence à la conception du dessin des six kakis de Mu Qi aide l’ikebaniste Ohara à prendre des décisions pendant son arrangement.

Nous retrouvons encore fréquemment ces notions aujourd’hui dans les règles de composition des styles traditionnels (mais parfois aussi à ceux plus actuels) : sombre au centre, clair en périphérie.

 

Dans ces deux Moribana, la bande couleur au centre de la composition est plus foncée que les groupes Shu-shi-Fuku-shi et Kyaku-shi, groupes à la périphérie de la composition © École Ohara.

 

 

 

Dans ce Hana-isho, Narabu-katachi, la couleur de la fleur Shu-shi avec ses Chukan-shi (auxiliaires) au centre de la composition est plus foncée que les fleurs des groupe Fuku-shi et Kyaku-shi (à la périphérique dans la composition).

 

 

 

 

 

 

 

 

`© École Ohara.

 

 

La règle sombre au centre, clair en périphérie n’est pas appliquée si l’un des deux Yaku-eda (Shu-shi/Fuku-shi et Kyaku-shi) est de couleur plus sombre que la bande couleur « intermédiaire ». Dans ce cas, la bande couleur sera de couleur claire comme dans ces deux exemples. © École Ohara.

 

 

Se souvenir de la disposition des 6 kakis de Mu Qi aide également l’ikebaniste à décider de la façon de disposer la fleur Kyaku-shi et ses Chukan-shi haut et bas :

– Vieille au centre, jeune en périphérie ou

– Ouverte au centre, fermée en périphérie, ou

– « Plus âgée » au centre de la composition « plus jeune » à sa périphérie.

 

 

Dans les 2 arrangements ci-dessus, la fleur « plus âgée », ouverte est au centre de la composition tandis que la fleur « plus jeune », encore semi-fermée, est à sa périphérie.

 

– Dans le moribana avec Sansevieria (photo de gauche), parmi les trois roses qui composent le groupe Kyaku-shi, la « vieille » fleur est le Chukan-shi bas, la plus centrale, la fleur « plus jeune » est le Chukan-shi haut, plus périphérique et celle où la fleur Kyaku-shi est moyennement ouverte est positionnée entre le centre (Chukan-shi bas) et la périphérie (Chukan-shi haut).

 

– Dans le Moribana avec la bande couleur (photo de droite), la fleur de lys «plus ancienne » est au centre tandis que la deuxième fleur, plus périphérique, est encore fermée.

 

De même, nous avons les mêmes caractéristiques dans les 2 arrangements ci-dessous :

La fleur plus ouverte est au centre de la composition tandis que la fleur encore semi-fermée est à sa périphérie.

 

Dans le Hana-isho de base, Kyaku-shi est au centre. Il y a une rose « ancienne » ouverte et son Chukan-shi en périphérie est plus jeune, encore semi-fermé, © École Ohara.

 

 

L’utilisation de fleurs à différents stades d’ouverture met en évidence la fugacité, chère au bouddhisme. Cependant, les fleurs à différents stades d’éclosion ne sont pas positionnées au hasard, elles suivent le schéma illustré par les six kaki de Mu Qi.  Si nous considérons les trois fleurs du groupe Kyaku, la plus ouverte est au centre (Chukan-shi bas) la plus fermée à la périphérie de la composition (Chukan-shi haut) et la semi-ouverte (Kyaku-shi) entre les deux. « Grand » au centre, « petit » en périphérie

 

En Occident, si vous achetez des fleurs, elles sont généralement toutes au même stade de développement, aussi est-il difficile d’en révéler la fugacité dans une composition. Dans ce cas, utilisez des fleurs de grosseur différente : la plus grande fleur au centre comme Chukan-shi bas, la plus petite comme Chukan-shi haut à la périphérie et celle du milieu est de grosseur intermédiaire comme Kyaku-shi.

 

Dans ce Moribana, les fleurs de Kyaku-shi et ses Chukan-shi sont « adultes » (à en juger par les feuilles). D’après la règle, nous avons :

– Chukan-shi bas (au centre de la composition) :  fleur la plus « grosse ».

– Chukan-shi haut (à la périphérie de la composition) :  « plus petite » fleur.

– Fleur Kyaku-shi (entre le centre et la périphérie) : « taille moyenne ».

la tendance actuelle de composition de l’École Ohara est celle-ci, contrairement aux règles de composition florale occidentale qui veut que la fleur la plus « belle » soit au point le plus important, à savoir Kyaku-shi. 

© École Ohara.

 

Dans ce Shikisai-Moribana les règles des « 6 kakis de Mu Qi » sont visibles dans l’arrangement du groupe intermédiaire couleur :

– Couleur plus foncée (au centre) par rapport aux couleurs plus claires des groupes Shu-shi/Fuku-shi et Kyaku-shi en périphérie.

– Choix de la taille des fleurs, plus ouverte au centre de la composition et plus fermée à la périphérie.

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara.

 

Si la bande couleur intermédiaire est composée de 5 fleurs, elle se distribue en deux groupes de 2 +3

(Voir Article 62, Utilisation des nombres impairs en ikebana).

 

 

Le groupe le plus proche du centre de la composition (qu’il soit composé de 2 ou 3 fleurs) est « plus lourd, plus épais, plus dense » que le groupe le plus éloigné du centre de la composition dans lequel les fleurs sont « plus légères, plus claires et plus espacées ».

Les règles des « 6 kakis de Mu Qi » s’appliquent sur l’ensemble de la composition, Épais au centre, aminci en périphérie, plus foncé au centre, plus clair à la périphérie, ce qui donne :

Au centre, couleur plus foncée avec les célosies rouges (photo de droite) mais couleur plus claire avec les œillets puisque les amaryllis sont déjà de couleur foncée (photo de gauche).

À l’intérieur de la bande couleur, le groupe de fleurs le plus proche du centre de la composition est « plus compact et les fleurs plus proches les unes des autres » tandis que,

À la périphérie, le groupe de fleurs le plus éloigné du centre apparaît plus « léger » avec des fleurs plus espacées.

 

En général, le centre des compositions est relativement dense par rapport à sa périphérie. Dans ce Hana-isho, Hiraku-katachi et dans le heika de style Keisha-kei (incliné), comme dans tous les autres exemples précédents, le centre de la composition est « dense », compact, « lourd » tandis que la périphérie est « éclaircie », aérée, « légère ».

© École Ohara.

 

 

 

 

Exemple qui ne suit pas les concepts des «6 kakis de Mu Qi»

 

La fleur « la plus épaisse »/la plus ancienne n’est pas le Chukan-shi bas mais Kyaku-shi.

Le Chukan-shi bas est de « taille moyenne ».

Ce choix est probablement dû au volume de chacune des fleurs

par rapport au vase et à l’ensemble de la composition.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara.