Hōgaku en japonais. À mettre en lien avec l’Article 17, Composition à gauche et composition à droite

 

‘Feng-Shui’ : vent – eau

‘Hōgaku’ = direction – angle

 

Le Feng-Shui traite de l’interaction correcte de l’être humain avec son environnement naturel. Il est l’art d’identifier et d’interpréter l’action des énergies cosmiques Ki (électromagnétiques, thermiques et gravitationnelles) qui circulent dans l’être humain et dans son environnement, principalement à-travers l’air (respiration de l’homme, le vent dans la nature) et l’eau (le sang chez l’homme, les rivières dans la nature).

Dans la Chine et le Japon anciens, la nature est considérée comme un organisme vivant et respirant.

 

 

Ce kanji représente l’énergie vitale qui circule dans l’univers et anime toute forme d’existence sur la terre y compris les pierres et les rochers. Il s’écrit Ki (système de translittération Hepburn) ou Ch`i (système Wades-Giles) ou Qi (système PinYin), (Voir Article 50, la translittération de la langue japonaise.)

 

Le Ki peut être « bon » ou « mauvais », stocké, dispersé, canalisé et il est responsable de tous les changements dans l’univers. Il s’exprime à-travers deux principes, Yin et Yang, qui contrôlent l’univers, non pas arbitrairement ou au hasard, mais par des moyens immuables et des lois humainement insondables.

 

Cette vision de l’univers peut sembler irrationnelle et non scientifique, mais elle a grandement influencé la vie quotidienne et les cultures chinoise et japonaise.

 

 

 

Par exemple, la force vitale Ki est utilisée pour définir un artiste, puisque le Roppo (six canons de Hsieh Ho) place comme règle première la circulation de son propre Ki dans son œuvre (Voir Article 7, Le Roppo ou les six principes de Hsieh ho).

 

L’un des buts de la « méthode » Feng-Shui est d’identifier et de localiser les « lignes du dragon » qui transportent l’énergie de la terre, comparables aux méridiens du corps humain appréhendés par l’acupuncture.

Elle permet de capter l’énergie bénéfique du lieu choisi et de bannir l’énergie maléfique.

Ce principe des énergies est utilisé, par exemple, pour choisir l’emplacement correct de la construction d’une tombe, une maison ou une ville.

 

Les anciennes capitales de Nara, Nagaoka et Heian-Kyo (l’actuelle Kyōto), sont construites selon les règles du Feng-Shui ainsi que le château de Tokugawa autour duquel s’est développée l’actuelle Tokyō, ville par ailleurs construite au hasard et sans suivre le Feng-shui.

Des bâtiments tels les palais impériaux, résidences de l’aristocratie et tous les éléments qui composent leurs jardins, des pierres aux chemins en passant par les étangs, les ruisseaux, les cascades et les arbres, sont aménagés selon ces règles depuis l’Antiquité.

 

 

 

 

 

 

 

Maîtres chinois du Feng-Shui à la recherche des « lignes du dragon » (4ème figure à partir de la droite consultant une boussole sur une petite table).
Fin de la période Ching (fin du 19ème siècle).

 

 

La théorie du Feng-Shui est très complexe et repose sur la Théorie Yang-Yin, les 12 animaux du zodiaque chinois (souris, buffle, tigre, lièvre, dragon, serpent, cheval, chèvre, singe, coq, chien, cochon), les 5 éléments (feu, bois, terre, eau et métal) et les 64 hexagrammes du I-Ching.

 

L’importance du Feng-Shui est telle que, pensait-on, même si une seule des grosses pierres du jardin est mal placée, elle ne parvient pas à protéger la maison des énergies maléfiques et cette défaillance peut provoquer la maladie voire la mort du propriétaire.

Comme tout ce qui est produit par la culture japonaise, l’Ikebana s’est également inspiré des règles du Feng-Shui, notamment celles relatives aux quatre divinités cardinales protectrices et à l’évitement des lignes droites.

 

 

 

 

 

Les quatre divinités cardinales

Dans la Chine ancienne, et par conséquence dans le Japon ancien, les étoiles du firmament sont regroupées, selon les quatre saisons, en quatre grandes constellations : la tortue, le tigre, le phénix et le dragon.

 

 

 

 

 

 

 

La constellation de la tortue avec la Petite ourse et l’étoile polaire visibles dans le coin inférieur droit.
 

 

 

Ces animaux sont en concordance symbolique (selon le Tai-ji) avec des orientations et des couleurs : Tortue noire du Nord, Tigre blanc de l’Ouest, Phénix rouge du Sud et Dragon bleu de l’Est. Leurs tâches sont de «protéger» la personne, la tombe, la maison des forces du mal.

Contrairement à l’Occident qui place le Sud en bas et le Nord en haut, les peuples d’Asie, dans les temps anciens, inversent ces deux directions cardinales. Ainsi sur les cartes et dans le symbolisme taoïste, la tortue noire protégeant le Nord est placée en bas et le phénix rouge protégeant le Sud, au sommet (voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

 

 

 

En Chine et au Japon, le sud correspond au soleil et est considéré comme la direction la plus importante et donc Yang tandis que le nord, son opposé et moins important, est considéré comme Yin.

 

Concept occidental Concept sino-japonais

 

Dans les anciennes boussoles utilisées en Extrême-Orient, l’aiguille magnétique (pointe rouge sur la photo) pointe vers le sud.

 

L’est est considéré comme Yang parce que le soleil, qui naît à l’est, se lève au firmament et dégage plus de chaleur. S’élever et élever sont des caractéristiques Yang. Son opposé ouest est Yin, direction vers laquelle le soleil diminue de chaleur et descend, la diminution et la descente sont de connotation Yin.

 

En réalité, personne, maison, tombeau etc… doivent être tournés vers le Sud et géographiquement entourés par les quatre animaux symboles qui protègent. Le type d’animal et sa position sont compatibles avec le Tai-ji. Il y a deux animaux volants du côté Yang/Ciel (est et sud) le dragon et le phénix et deux animaux terrestres du côté Yin/Terre (nord et ouest) la tortue et le tigre.

 

 

 

 

 

 

 

Sarcophage d’empereur chinois avec les quatre animaux protecteurs gravés sur ses parois.

 

 

 

 

 

 

 

 

Exemple d’aménagement d’une tombe protégée au nord par la Tortue (hautes montagnes), à l’ouest par le Tigre (collines), à l’est par le Dragon (moyennes montagnes) et au sud par le Phénix (espace vide et eau).

 

 

 

Pour qu’un bâtiment soit protégé, il doit :

– « Regarder » vers le sud et avoir un espace vide devant lui (le Phénix Rouge). – Derrière lui, au nord, avoir un bâtiment très haut (la Tortue Noire).

– Sur son côté droit, à l’ouest, avoir un bâtiment bas (le Tigre Blanc).

Sur son côté gauche, à l’est, avoir un bâtiment légèrement plus haut (le Dragon Bleu).

 

 

 

 

 

En l’appliquant à une personne pour qu’elle soit protégée, celle-ci doit avoir un objet haut à sa gauche (symbolisé par le Dragon) et un objet bas à sa droite (symbolisé par le Tigre) un espace libre devant (le Phénix) et un mur derrière (la Tortue).

 

 

Les anciennes capitales Fujiwara (694-710), Nara (710-784), Nagaoka (inachevée et abandonnée après 10 ans) et Heian-Kyo (794-1868, l’actuelle Kyōto), carte ci-dessus, ainsi que la première capitale shogunale Kamakura (1192-1333) sont construites selon les règles du Feng-Shui (voir Article 17, Composition à gauche et composition à droite) alors que l’actuelle Tokyō est bâtie au hasard, sans ces règles.

 

 

 

 

 

Carte de l’ancien Edo (Tokyō actuel) avec un espace apparemment libre au centre marqué des armoiries Tokugawa (trois feuilles d’Althea). S’y trouvent la résidence du Shogun et les principales habitations des Daimyō (seigneurs locaux) disposées les unes à côté des autres sur un axe nord/sud.

Ce centre et le reste de la ville qui l’entoure se sont développés au hasard car Edo n’est pas née capitale.

 

Les deux animaux protecteurs dragon et tigre sont fréquemment peints sur des paravents. Hasegawa Tōhaku (1539-1610)

 

Sur des portes coulissantes comme celles de Nagasawa Rosetsu (1754-1799).


 

 

Deux paravents à six panneaux. Hashimoto Gaho (1835-1908)

 

 

À l’époque Edo, il est d’usage de donner un triptyque avec le dessin d’un personnage célèbre au centre et, sur son côté gauche, coté Yang, le dragon, animal Yang et sur son côté droit, coté Yin, le tigre, animal Yin, qui le protègent.

Triptyque, Kanō Tsunenobu
(1636-1713)

 

 

 

Puisque les dessins sur paravents et portes coulissantes se « lisent » de droite à gauche, le Yang/dragon le plus important est placé en premier à notre droite et le tigre/Yin, moins important, est placé en second.

 

Un léopard est peint à côté du tigre.

Au Japon, le tigre et le léopard sont connus à partir des peaux de ces félins qui arrivent de l’étranger. Le léopard est considéré comme la femelle du tigre-mâle. En conséquence : Tigre-mâle/Yang, le plus important, est dessiné en premier à droite, le léopard (considéré à tort comme la femelle/Yin du tigre), dessiné en second, à gauche.

 

Paravents d’Eitoku Kanō (1543 – 1590), avec le dragon et le tigre.

 

Dans ce double paravents, le dragon étant Yang par rapport au tigre, il est placé à droite dans le 1er paravent. Avec le tigre et le léopard, le tigre est le premier à être « lu » dans le second paravent.

 

 

 

 

Portes coulissantes, Kanō Tan‘Yu vers 1630.

 

 

 

 

Dans cette représentation de la mort de Bouddha, on distingue, en bas à droite,  le couple tigre/léopard parmi tous les couples d’animaux venus lui rendre hommage.

 

Détail

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Kimono de la fin de la période Edo-début Shōwa, avec les deux animaux protecteurs Yang, Phénix et Dragon.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tissu Furoshiki avec deux animaux protecteurs au centre, au sud, le Phénix et au nord, la Tortue.

Période Meiji.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Hanakago : Vannerie Ikebana en bambou avec tigre et phénix, datée de 1926.

 

 

 

Il est intéressant de noter, dans ce croquis de Katsushika Hokusai (1760-1849) tiré du livre de Hokusai, que sur le plan architectural de l’ancien Torii (aujourd’hui composé d’une seule arche mais autrefois composé de quatre) il y a des inscriptions avec des numéros 2, 3, 4 et 5. Elles indiquent les arches disposées selon les quatre divinités protectrices : 2 : oiseau vermillon, 3 : tigre blanc, 4 : tortue noire, 5 : dragon bleu, avec l’entrée principale tournée vers le sud.

 

IKEBANA

 

Lorsque les règles de composition de l’Ikebana sont créées au XVe siècle, le schéma Feng-Shui déjà utilisé dans la vie quotidienne est pris comme référence, de sorte que les dimensions et les positions des plantes sont conçues pour être conformes à sa symbolique et en harmonie avec les positions des quatre divinités cardinales (Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana, Article 17, Composition à gauche et composition à droite et Article 24, Shintoïsme et Ikebana).

 

 

 

 

Dans ce Rikka, l’élément principal placé au sud (Shu-shi pour l’école Ohara) correspond à la personne, la maison, le tombeau à protéger. Il est protégé par Fuku en position du Dragon côté est et par un Kyaku en position du Tigre du côté ouest.

La composition est vue « de l’arrière », c’est-à-dire du nord (position de la Tortue), comme il est d’usage dans le Rikka et le Shōka de l’École Ikenobō (Voir Article 24, Shintoïsme et Ikebana : du Rikka au Shōka et Seika).

 

Au début, lorsque les premières règles de composition d’Ikebana se créent, le Rikka est toujours dans le style que l’École Ohara appelle « Chokuritsu-kei (Vertical) », c’est-à-dire avec Shu-shi au centre et à la verticale. La composition, « regarde» vers le sud (le soleil au zénith, idéalement placé du côté où culmine le Yang entre le Dragon et le Phénix). La vue du nord (Tortue) est conforme aux règles du Feng-Shui : Shu-shi est protégé sur son côté gauche par un Fuku-shi relativement haut (Dragon) et sur son côté droit par un Kyaku-shi, relativement bas (Tigre).

 

 

 

Les règles de position et de hauteur sont également cohérentes avec les quatre divinités cardinales où Shu-shi (cercle) correspond à la personne à protéger, Fuku-shi (carré) correspond au dragon et Kyaku-shi (triangle) correspond au tigre.

La composition est vue « de l’arrière », c’est-à-dire du nord (position de la tortue).

 

Durant la période Edo, apparaissent de nouveaux types d’Ikebana qui dérivent d’une simplification du Rikka appelés Shōka par l’école Ikenobō et Seika par les autres écoles (voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

 

Seuls trois éléments principaux sont utilisés et le schéma de protection de Shu-shi avec un haut Fuku-shi/Dragon à l’est et un bas Kyaku-shi/Tigre à l’ouest est conservé, les lois du Feng Shui restant inchangées. Toujours dans les Shōka/Seika, le soleil est situé au point Yang maximum (Tracé BB).

Des seuls styles structurés Rikka et Shōka/Seika, depuis la naissance de l’Ikebana jusqu’à la première partie de la période Edo, dérivent les styles Keisha-kei et Kasui-kei (Styles incliné et cascade) de l’École Ohara. Dans ces styles, Shu-shi change de place et la référence aux 4 divinités protectrices disparaît.

 

 

 

 

 

 

Shu-shi est « protégé » par Fuku-shi/dragon et Kyaku/tigre.

 

Les styles de l’École Ohara dérivent du Seika. Le seul style dans lequel l’influence du Feng-Shui est encore perceptible est le style Chokuritsu-kei (style vertical).

Cette influence n’est plus perceptible dans les autres styles car les positions de Shu-shi et de Fuku-shi ont changé.

 

 

 

Éviter les lignes droites.

 

 

 

Le Feng-Shui considère négativement les lignes droites parce qu’elles facilitent la circulation de l’énergie maléfique alors que les lignes courbes les dévient.

 

 

Par exemple, les routes, les ruisseaux, les canaux, les rivières qui coulent en ligne droite sont de mauvaise augure. Au contraire, les routes et les eaux aux lignes sinueuses et courbes indiquent la présence de forces bénéfiques.

 

En général, toute forme avec des lignes droites, des angles et des bords est considérée comme pratiquement dangereuse.

 

 

 

Même en Ikebana (à l’exception du premier Rikka avec Shu-shi droit), toutes les Écoles du passé utilisent toujours des lignes courbes.

À l’époque Edo, on est même arrivés à des excès, comme l’exemple du Seika de l’École Enshū ayant des courbes très accentuées et complexes en forme de « S »,  formes qui peuvent paraître à nos yeux comme extrêmes, exagérées, contre nature, baroques, artificielles.

 

Au regard du rejet des lignes droites dans la théorie du Feng-Shui, l’ikebaniste de l’école Ohara doit les éviter, à de rares exceptions près.

 

À l’état naturel, au Japon, les plantes apparaissent plus «subies» car les forces de la nature sont beaucoup plus puissantes qu’en Europe et « laissent leur empreinte » sur les plantes.

Les plantes européennes étant moins « marquées » par la nature, elles doivent être « moulées » par l’ikebaniste. Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’on utilise des plantes cultivées dans des serres ou des pépinières ou autres lieux protégés. Avec leurs lignes droites, elles n’ont pas, contrairement aux plantes cultivées en pleine nature, l’empreinte des effets des forces de la nature, vent, pluie, soleil, froid, neige, sécheresse. L’ikebaniste doit supprimer la rigidité des lignes et les rendre plus naturelles, moins artificielles.

La manipulation sera moindre sur un élément « jeune » et davantage sur un élément « ancien » car le « jeune », en théorie, a été exposé aux éléments moins longtemps que l’« ancien ».

 

 

 

 

 

 

 

Conseils de manipulation de plantes pour leur donner une courbure.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Surimono (estampe) de Hokusai (1760-1849)

 

Pour plier des branches droites qui se cassent facilement, faire des encoches et insérer des cales tirées du végétal.

 

 

Obtention de courbes très prononcées utilisées pour un Seika.
Une autre raison de la manipulation est que la composition doit montrer le concept bouddhique d’interdépendance et le bon végétal exclut toute dépendance vis-à-vis des facteurs environnementaux naturels.

 

Poème du poète italien Nico Orengo qui exprime bien les forces de la nature qui façonnent la plante :

Le vent façonne le pin

Et le balance avec le Sirocco et la Tramontane

Le dessèche de l’ouest et l’irrite avec le Mistral, le fait suer et se plier.