La naissance « historiquement avérée » de l’Ikebana a lieu dans les résidences des Shoguns Ashikaga au XVe siècle, dans le cadre du Kazari, décoration et agencement des objets de collection.

 

Cet art se répand parmi la noblesse guerrière de la classe des samouraïs mais il est ignoré, au départ, par la noblesse impériale tout comme la Cérémonie du thé. La cour impériale commencera à pratiquer la Cérémonie du Thé et l’Ikebana une génération après celle de la noblesse guerrière. Notons cependant que Hideyoshi fait réaliser, par Sen no Rikyū, deux fois la Cérémonie du thé dans un »salon» en or transportable et déplacé dans la résidence du Tenno (Empereur), cela en la présence de quelques membres de la famille impériale (voir Article 47, Vanneries dans l’Ikebana et la Cérémonie du thé).

Les journaux intimes des nobles qui entourent l’empereur font mention d’arrangements avec des fleurs dont certains sont réalisés notamment pour Go-tsuchimikado (1442-1500), 103ème empereur. Plus tard, les compositions sont effectuées par les maîtres Ikenobō mais c’est plutôt l’exception et non la règle. À cette époque, les auteurs de ces compositions sont toujours des hommes, moines et laïcs.

 

Période Edo ou Tokugawa (1603-1868)

 

Les Rikka, tant dans les demeures des Shoguns et des Daimyō que dans celles des empereurs et des nobles, sont réalisés par des moines. Vers 1620, grâce à l’empereur Go-mizunoo (1596-1680), 108e empereur), la réalisation de Rikka devient une activité régulière même au sein d’une partie de la noblesse masculine impériale.

Go-mizunoo, seul empereur à pratiquer personnellement l’Ikebana, se passionne tant qu’il devient l’élève d’Ikenobō Sensho/Senkō II.  

Il organise des rencontres hebdomadaires avec un groupe socialement hétérogène, talentueux dans ce l’art, pour étudier l’Ikebana. Composé de nobles, de prélats de haut rang choisis parmi la famille impériale et de quelques riches artisans-marchands, la plus basse de l’échelle sociale Tokugawa,  ce groupe étudie et crée des Rikka avec divers maîtres. Souvent le Tenno appelle Sensho Ikenobō pour juger les compositions.

 

En 1628, avec 49 autres ikebanistes, le Tenno et Sensho Ikenobō organisent une exposition de Rikka à l’intérieur du palais impérial de Kyōto, ouverte au public de tous horizons.

L’exposition répétée pendant plusieurs années contribue à populariser l’Ikebana dans toutes les couches sociales.

 

Exposition de Rikka de 1790.

À noter la présence d’un public des deux sexes et toutes les couches sociales.

 

 

Dans les journaux rédigés par les membres du groupe parrainé par le Tenno, on évoque la recherche des végétaux hors de la ville, dans les jardins de la noblesse, et dans les jardins des temples, mais aussi « cueillis » dans les jardins des riches marchands ou artisans qui, évidemment, ne peuvent s’opposer à leur cueillette.

Go-mizunoo ordonne que les Rikka créés par Senkō II soient dessinés et rassemblés dans un livre qui a survécu, avec 250 dessins. Ci-dessous, deux des dessins de Rikka réalisés par Senkō II.

 

 

 

Sur ordre de Iemitzu, 3ème Shogun Tokugawa (1623-1651), le Iemoto Ikenobō vient de Tokyō à Edo pour réaliser trois Rikka dans le palais shogunal.  

Chaque fois qu’un nouveau Iemoto Ikenobō s’établit, on prend l’habitude de l’inviter, pratique qui va se répéter jusqu’à la chute des Tokugawa, en 1868.

 

Au cours de la période Edo (dit aussi période Tokugawa), la classe sociale des marchands/artisans s’accroît progressivement tant en nombre qu’en richesse au détriment de la classe des samouraïs. Ces «nouveaux bourgeois riches» souhaitent s’approprier la culture dominante et imiter les compositions florales de la noblesse.

La culture des cours impériale et shogunale, pendant les cent premières années de la période Tokugawa, est reprise lentement par les « gens ordinaires » de la classe marchande/artisanale (la plus basse de l’échelle sociale Tokugawa) habitant les grandes villes. Au 18ème siècle, l’héritage culturel, n’appartenant jusqu’alors qu’à la noblesse impériale et guerrière et aux hauts dignitaires du clergé, est au moins largement connu des citoyens fortunés. Parmi les « connaissances de base », on trouve par exemple la poésie Waka, les passages les plus célèbres du théâtre Nō, l’histoire du Genji ou l’épopée des Heike (Heike monogatari), la poésie Haiku, le théâtre Kabuki, les célèbres lieux et temples du Japon tous connus grâce à l’utilisation généralisée de manuels imprimés, vendus ou prêtés moyennant des frais par de nombreux vendeurs ambulants des grandes et petites villes.

 

Colporteur de manuels de calligraphie, Torii Kiyonobu 1720. Poupée de marchand ambulant datée de 1823.

 

Manuel expliquant comment bien servir les repas.

 

Manuel expliquant comment bien servir le saké.

 

Les samouraïs sont attirés par cette culture citadine car bien plus vivante et spontanée que celle que leur impose le Bakufu. Des groupes de samouraïs et de « nouveaux citoyens riches » voulant les imiter apparaissent. Ces derniers suivent des écoles pour apprendre les arts traditionnels tels que la Cérémonie du thé, les chants, le théâtre Nō, l’Ikebana, les compositions poétiques Waka, les manières à table ou en présence d’une personne appartenant à une classe sociale supérieure, etc. Les manuels se répandent par l’intermédiaire de marchands ambulants qui les vendent ou bien les louent.

Au début, ces écoles sont exclusivement masculines mais vers le milieu du XVIIIe siècle, elles s’ouvrent aux femmes. L’Ikebana, exclusivement masculin, commence à être pratiqué par les femmes.

 

Ci-contre manuel d’Ikebana.

 

 

La pratique de l’Ikebana par les femmes se développe de façon lente et variable selon la classe sociale considérée :

– Pour la noblesse shogunale et impériale, les femmes apprennent l’Ikebana en regardant les leçons données aux frères ou maris mais n’y participent pas directement. C’est comme en Italie où la peinture est pratiquée uniquement par des hommes. Les quelques peintres femmes sont des épouses de peintres dont les maris ou les pères, vont à contre-courant des règles sociales de l’époque.

 

– Pour la classe des marchands-artisans, une autre raison est évoquée. Cette classe sociale assume le pouvoir monétaire mais reste la plus basse des quatre classes établies par les Tokugawa. Les jeunes femmes obtiennent la meilleure « carte de visite » dans leur propre classe sociale si elles sont éduquées.  On les envoie alors « en service » pendant quelques années chez un Daimyō ou un samouraï important. Grâce au « séjour obligatoire » (Sankin-Kōtai) imposé aux Daimyō par le Shogun, ces jeunes femmes ont l’opportunité tant convoitée de servir la noblesse shogunale et, par conséquent, de développer une culture. Cependant, pour être embauchées,  elles doivent démontrer qu’elles ont déjà une bonne base culturelle et connaître ce que les familles de Daimyō pratiquent ou valorisent (y compris l’Ikebana). Pour cette raison, les riches parents dépensent des sommes très importantes pour envoyer leurs filles à l’école (art de la table, Ikebana, cérémonie du thé, poésie, théâtre Nō, etc.) afin qu’elles soient acceptées et ainsi augmenter encore leur culture.

 

La stabilité politique des Tokugawa repose dès l’origine sur un contrôle total du pays, obtenu grâce à un régime bureaucratique et policier et à un système social rigide. Les arts y compris l’Ikebana, soumis à une censure shogunale, perdent progressivement en créativité. Le système Iemoto devient la règle pour tous les arts et les expositions d’Ikebana sont organisées dans les restaurants. Les journaux parlent de cet art et citent le nom des Écoles et des Maîtres-ikebanistes qui ont le plus de succès.

 

L’exposition de Rikka reste l’apanage des membres de la cour impériale et du shogunat.  

Mais pour la bourgeoisie urbaine aisée naissante (Chōnin), ces compositions basées sur sept ou neuf branches principales auxquelles s’ajoutent de nombreux auxiliaires sont trop compliquées. Il faut trop de temps pour les créer et de grands espaces pour les exposer. Aussi, les différentes écoles créent un nouveau style, plus simple, avec trois des sept/neuf branches principales. Cette nouvelle forme est appelée Shōka par l’École Ikenobō et Seika par des autres écoles (Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

Ci-contre, Seika avec trois éléments principaux, les deux branches et la fleur auxquels s’ajoutent deux fleurs auxiliaires.

 

Vers 1820 apparaissent les premières compositions de Bunjin-Cho réalisées par les Lettrés.