Fréquemment évoquées dans les articles précédents, les règles de composition de l’Ikebana (son positionnement dans le tokonoma et sa signification) n’ont pas été créés spécifiquement pour l’Ikebana. Elles sont aussi présentes dans de nombreuses autres situations. Il est fascinant de constater que les mêmes règles de composition sont partagées avec des situations apparemment sans rapport avec l’Ikebana comme la disposition des pierres dans le jardin, celle de la nourriture dans les assiettes, la disposition des objets dans le Tokonoma, l’arrangement et la forme des bonsaïs et la disposition des Suiseki (Voir Article 39, Suiseki et Ikebana).

De toutes les situations citées, la disposition des pierres dans le jardin est probablement la plus ancienne, déjà pratiquée à l’ère Heian (794-1185) en même temps que l’introduction de la triade bouddhique tandis que le tokonoma et l’Ikebana apparaissent plus tardivement, au milieu du XVe siècle.

Dans un texte récent (première édition datée de 1980) sur l’agencement des pierres dans un « jardin japonais » écrit par trois auteurs dont l’un est un maître ikebaniste de l’école Ohara, les suggestions suivantes sont données :

 

 

Éviter la disposition selon deux axes orthogonaux et préférer celle en diagonale ou en triangle scalène.

 

On retrouve ce schéma de deux éléments en diagonale dans la disposition des aliments sur le plateau.

 

En général, nous préférons utiliser trois éléments puisque les nombres pairs sont considérés comme Yin tandis que les nombres impairs sont Yang.

Sur les 3 photographies ci-contre et ci-dessous, le troisième élément ajouté aux deux disposés en diagonale est, dans les 3 cas, la paire de baguettes en bambou posée en-travers du plateau ou du plat.

 

Aliments arrangés dans un plat en céramique de Ogata Kenzan (1663–1743).

 

 

Le schéma des trois éléments en diagonale se retrouve dans la disposition des aliments dans l’assiette.

 

Théière posée sur la diagonale des deux éléments dans l’assiette. Poisson le long de la diagonale du plat qui, dans la cuisine kaiseki, doit avoir la tête sur notre gauche.

 

Agencement des pièces principales en diagonale dans une demeure seigneuriale japonaise traditionnelle.

 

 

 

Le même concept s’applique dans l’agencement du Bunjin-Cho Morimono de l’École Ohara où les éléments sont placés le long d’une diagonale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Arrangement de l’École Chicō.

 

 

 

 

 

Arrangement en diagonale dans ce simple Bunjin-Cho Morimono « contemporain ».

 

 

 

Le daï lui-même est positionné en oblique si les différents éléments qui composent le Bunjin-Cho Morimono sont trop importants pour être positionnés nettement sur la diagonale du daï.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Comme dans la triade bouddhique, l’Ikebana, le Suiseki en forme de montagne au loin et le bonsaï, la disposition en triangle scalène se retrouve aussi dans l’alimentation.

 

 

 

 

Mais aussi dans l’arrangement Bunjin-Cho Morimono « contemporain » de l’école Ohara.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Autre exemple de Bunjin-Cho Morimono.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Comme dans le Shikisai-Moribana Chokuritsu-kei (style vertical), des Chukan-shi (auxiliaires) peuvent être ajoutés aux trois Yaku-eda (éléments principaux), d’autres plantes peuvent aussi être ajoutées dans le Bunjin-Cho Morimono mais celles-ci doivent être plus faibles que les trois plantes principales disposées en triangle.

 

 

 

 

 

 

Parfois, l’arrangement traditionnel de l’École Ohara ne suit pas la règle de l’arrangement des trois Yaku-eda en triangle scalène du Shikisai-Moribana Chokuritsu-kei. Les éléments d’un arrangement Bunjin-Cho Morimono sont placés selon deux schémas possibles :

– soit ils sont sur la diagonale du daï (ou si le daï est très étroit, celui-ci est placé en diagonale).

– soit ils forment un triangle scalène (photo ci-dessus), identique au style Moribana Chokuritsu-kei.

 

 

Les deux contenants, de même forme puisqu’ils font partie d’un casier transportable, sont disposés en diagonale par le photographe. Les deux manières d’arranger la nourriture sont visibles :

– les deux éléments du premier contenant sont sur une diagonale différente de la diagonale qui joint les deux contenants (pour éviter une répétition) et

– les positions des trois éléments du second contenant forment un triangle scalène.

 

Il est intéressant de regarder ces photographies prises au Japon vers 1860 par Felice Beato, photographe italo-anglais. Il photographie de nombreux sujets dont des personnes, en les faisant poser.

Il est évident que la position des trois personnes est exactement celle de la triade bouddhique (Voir Article 64, Ikebana et triade bouddhique) ou du style Moribana Chokuritsu-kei.

La personne au centre est la plus grande et la plus reculée. À sa droite et plus près, la deuxième personne la plus grande, placée légèrement en avant, et à sa gauche encore plus en avant et détachée, la troisième personne la plus petite.

Les trois hommes sont à égale distance l’un de l’autre mais celui au centre et celui à sa droite se croisent les yeux, paraissant plus « unis » que le troisième qui détourne le regard et paraît plus « détaché ».

 

Autre photographie de Felice Beato de conception quasi équivalente. Position des 3 Yaku-eda dans l’arrangement de style Moribana Chokuritsu-kei.