Jusqu’à la fin de l’ère Meiji (1868-1912), l’esthétique japonaise répertorie les objets et les situations selon trois critères :

 

Shin = formel Lent, symétrique, important, solennel, imposant
Gyō = semi formel Entre les deux extrêmes Shin et Sō
Sō = informel Rapide, asymétrique, « décontracté », détendu

 

Ce système, d’origine chinoise et initialement appliqué uniquement à la calligraphie, s’est étendu en Chine mais surtout au Japon tant aux personnes qu’au comportement : tenue vestimentaire, type d’arc, cérémonie du thé, tokonoma, construction de jardin, Ikebana, dessins de tissus pour kimonos et arts martiaux (tant pour les styles que pour les objets utilisés tels que l’arc et l’épée).

 

Période Edo, d’après un traité sur les « bonnes manières » : la position assise

 

 

 

 

– arc formel ou Shin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

– arc semi-formel ou Gyō

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

– arc informel ou Sō

 

 

 

 

 

 

 

 

 

– debout, arc formel ou Shin

 

 

Par exemples, un jardin Shin est grand et public. Il appartient à un temple ou à une maison seigneuriale alors qu’un jardin Gyō a à la fois des aspects formels et informels comme ceux des maisons privées tandis qu’un jardin Sō est celui des paysans.

Pour comprendre à quel point l’utilisation de cette classification est répandue, prenons l’exemple du ‘Hojojutsu’ (art de bloquer un prisonnier au moyen d’une corde) utilisé par la police de la période Edo. Les trois modes Shin, Gyō, Sō – formel, semi-formel et informel, sont utilisés pour lier différemment les détenus, probablement selon leur position dans la hiérarchie sociale de l’époque.

 

 

En écriture, Shin correspond à nos lettres majuscules, Sō à l’italique, plus pratique et rapide, tandis que Gyō à la semi-cursive. Exemple de Kanji selon les trois catégories Shin, Gyō et Sō.

 

Kanji Dō = Voie, rue

Kanji Utsuwa = Poterie

 

Si l’on ne connaît pas le Shin correspondant aux mots «Rue» et  «Poterie», on voit la difficulté de comprendre que les signes « abstraits/stylisés » Sō indiquent les mêmes mots que le kanji du style Shin.

 

Encore de nos jours, les écoliers apprennent l’orthographe du style Shin, utilisé par toute la population. Le style Gyō est utilisé par beaucoup alors que la plupart des Japonais, s’ils n’ont pas suivi d’études particulières, ne savent pas lire le style Sō.

 

Pour le Chabana de la cérémonie du Thé, le choix des vases suit ce principe :

Shin : vases en bronze ou chinois ou porcelaine.

Gyō : vases en terre cuite vernissée.

Sō : vases et paniers en terre semi-brillante ou opaque.        

 

Les vanneries en bambou contenant des végétaux sont quant à elles classées :

Shin : de forme symétrique avec des lamelles de bambou en « vagues » précises et élaborées.

Gyō : de forme symétrique mais avec des « vagues » moins précises.

Sō : de forme irrégulière avec des « vagues » irrégulières.

 

Les tablettes sur lesquelles sont placés les contenants sont également classées :

Shin : planches laquées noires avec coins ou bords carrés.

Gyō : planches laquées avec bords et coins arrondis.

Sō : Planches de Paulownia ou de cèdre, laissées naturelles.

 

Il convient de souligner, dans toutes les situations où ce système de catégorisation esthétique est utilisé, qu’une cohérence est requise entre tous les éléments utilisés. Dans le cas de l’Ikebana, les choix du type de végétal, du contenant, du daï (tablette en bois) et la raison ou l’occasion pour laquelle la composition est exécutée doivent être cohérents. Tout est soit Shin, soit Gyō, soit Sō et vous ne pouvez pas mélanger des éléments Shin avec des éléments Sō ou Gyō.

 

Exemples de compositions pour la cérémonie du thé

 

Shin, formel Gyō, semi-formel Sō, informel

 

Lors de la cérémonie du thé, certaines fleurs sont considérées comme Shin, par exemples :

– Camellia, probablement en raison de son appartenance au même genre que le théier.

– Chrysanthème, symbole de l’empereur.

– Pivoine, symbole chinois.

– Lotus, fleur de Bouddha.

 

En général, les objets fabriqués par l’homme sont Shin par opposition à ceux Sō, laissés naturels et Gyō ceux qui contiennent les deux caractéristiques.

Du point de vue historique, les objets qui ont gardé leur forme d’origine, généralement importés de Chine et de Corée ainsi que les objets perfectionnés par les Japonais sont Shin.

 

Cette classification, à nos yeux occidentaux, est encore compliquée par le fait que chaque division Shin, Gyō, Sō est à son tour subdivisée en trois classes Shin, Gyō, Sō obtenant ainsi neuf catégories possibles, en référence aux neuf positions du Bouddha Amida « Trois corps et neuf formes ».

 

1- Shin No Shin : formel-formel

2- Shin No Gyō : formel-semi-formel

3- Shin No Sō : formel informel

4- Gyō No Shin : semi-formel-formel

5- Gyō No Gyō : semi formel-semi formel

6- Gyō No Sō : semi formel-informel

7- Sō No shin : informel-formel

8- Sō No gyō : informel-semi-formel

9- Sō No Sō : informel-informel

IKEBANA

 

La codification Shin, Gyō, Sō est déjà présente dans le Rikka, attestée par les manuscrits du samouraï Hisamori Osawa, datés de 1460-1492. À l’époque d’Edo, les Seika et les Shōka sont également codifiés selon cette nomenclature.

 

Exemples de Seika : Compositions Hon-Gatte

 

 

 

La différence technique entre les trois modes réside dans la courbure des éléments, tendant vers le droit dans le style formel Shin et plus courbé dans le style informel Sō.

 

Le sommet de la courbure de Shu d’un côté et la pointe du Kyaku de l’autre, ne doivent pas dépasser le bord du vase.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Compositions informelles Sō, avec ses trois subdivisions.

 

 

 

 

 

 

De nos jours, ces différenciations esthétiques ne sont plus utilisées et n’existent partiellement que dans la cérémonie du thé et dans quelques situations des arts martiaux.

 

 

 

 

Compositions informelles Shin, avec ses trois subdivisions.

 

Que reste-t-il de tout cela dans l’Ikebana de l’École Ohara ?

 

 

 

 

Beaucoup, même si les neuf différenciations ne sont plus utilisées. D’après le diagramme ci-dessous, il est évident que les trois principaux styles de Moribana et de Heika dérivent chacun de l’une des catégories Shin, Gyō, Sō du Seika.

 

 

 

 

 

Chokuritsu-kei dérive de Shin, Keisha-kei de Gyō et Kasui-kei de Sō.