Voir Article 30, Asymétrie en Ikebana. Toutes les photos sont de © École Ohara.

 

Avant l’occidentalisation, les nombres impairs sont préférés dans la culture japonaise traditionnelle et aussi dans l’Ikebana car Yang, aux nombres pairs considérés comme Yin. Rappelons que 2 est le seul nombre pair accepté car il est la somme de Yang + Yin.

Dans les compositions à 3 ou à 5 éléments, il est intéressant de noter qu’en général, le nombre de 3 se répartit en 2 + 1 tandis que le nombre de 5 se répartit en 3 + 2 :

 

3 = 2 + 1 5 = 3 (2 + 1) + 2

 

Lorsque trois fleurs sont utilisées, généralement deux sont regroupées et plus proches du centre de la composition tandis que la 3ème est tenue plus loin, comme dans ces compositions de l’École Ohara.

 

3 = 2 + 1

 

Les fleurs du groupe de 2 du Tateru-Katachi qui apparaissent très proches vues de face ci-dessus, ne le sont en réalité pas.

Sur la photo ci-contre, la fleur courte mesure environ la moitié de Kyaku-shi.

 

Shikisai-Moribana Chokuritsu-kei (Moribana couleur vertical) avec le groupe »Bande couleur» intermédiaire dans lequel les 3 célosies rouges sont regroupées 2 + 1.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

 

NB 1 : Dans les arrangements Shikisai-Moribana Chokuritsu-kei (vertical) et Keisha-kei (incliné), les plus utilisés de l’École Ohara et les plus liés à l’origine historique de l’Ikebana, les points d’insertion des trois Yaku-eda (éléments principaux) sont également répartis en 2 + 1.

 

soit 2 pour Shu-shi et Fuku-shi plus proches et

+ 1 pour Kyaku-shi plus éloigné.

 

 

 

(Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

 

 

NB 2 : En plus d’apparaître optiquement répartis en 2 + 1, les points d’insertion propres aux 3 fleurs qui forment généralement le groupe Kyaku-shi dans les styles Chokuritsu-kei et Keisha-kei sont aussi répartis en 2 + 1.

 

Dans le Chokuritsu-kei-ci-après, le chrysanthème jaune Kyaku-shi et son Chukan-shi bas (auxiliaire) sont insérés rapprochés dans le kenzan antérieur et son Chukan-shi haut est inséré plus loin sur le Kenzan postérieur, devant Shu-shi.

 

 

Cette manière d’associer trois ou cinq éléments est courante dans les arts plastiques. Voici quelques-uns des nombreux exemples avec 3 éléments.

 

 

Trois parapluies distribués en 2 + 1.

 

Triptyque de Toyohara Kunichika, (1835 – 1900).

 

Pour éviter la monotonie et si cela est possible, la subdivision 2 et 1 ne correspond pas à la répartition 2+1  en termes de formes ou de couleurs, par exemples :

Un élément du groupe de 2 est similaire à celui qui est isolé

L’autre élément du groupe de 2 est différent : ci-dessus : parapluie abaissé et ci-dessous : petite chauve-souris, couleur claire des kakis, papillon dans un des lis de Koson et grue blanche de Ōkyo.

 

 

 

Dans ce célèbre dessin de Sengai, les trois éléments sont répartis en 2 + 1.

En lisant de droite à gauche, le cercle et le triangle se chevauchent partiellement, ce qui est différent du carré gris, le plus séparé des deux autres formes.

 

Les trois Sages : Bouddha, Confucius, Lao-Tseu testant le vinaigre, la disposition 2 + 1 est évidente.

 

Dans ces trois panneaux d’un paravent de Kanō Tan’yu (1602-1674), les 3 canopées de pin se répartissent en 2 + 1.

 

La répartition de 3 en 2 + 1 se retrouve également dans la disposition des aliments de la cuisine Kaiseki.

 

 

5 = 3 + 2.

 

Dans ce dessin extrait d’un livre d’Ikebana dans lequel il est recommandé de mettre de l’eau sucrée à l’intérieur des calices des fleurs de Camellia pour éviter leur chute brutale, nous avons une répartition des feuilles en 5 et en 3 avec les subdivisions de 5 en 3 + 2 et 3 en 2 + 1.

 

Dans ce dessin, la courtisane a 5 fleurs de Camellia dans sa main répartis en 3 (2 petits + 1 grand) + 2 (1 grand + 1 petit).

 

Dans un Ikebana, les trois fleurs sont regroupées en 2 + 1 mais elles sont toujours de même espèce et de même couleur et différenciées les unes des autres suivant un concept différent (Voir Article 56, Les six kakis de Mu Qi).

 

Généralement lorsqu’il y a 5 fleurs, l’association est 3 + 2 comme on le voit dans le groupe «Bande Couleur» de ces deux Moribana dans lesquels les 5 œillets et les 5 célosies sont regroupés en 3 + 2.

 

© École Ohara

 

 

On retrouve sur ce dessin de Koson, cette même manière :  le groupe de 5 aigrettes se différencie en 3 au cou plié et 2 au cou tendu.

 

 

 

Dans ces estampes Moineaux et Salix de Koson et de Hokusai, on retrouve le même schéma de répartition tant dans la forme des groupes que dans leur couleur.

 

– Pour Koson : 2 + 1 oiseaux répartis en 2 noirs et 1 blanc/noir. Un moineau du groupe de 2 est similaire au moineau isolé en terme de couleur : noire.

 

 – Katsushika Hokusai : 3 + 2 moineaux répartis 3 blancs/noirs + 2 noirs. Un moineau du groupe de 3 (2 blancs/noirs + 1 noir)  est similaire au groupe de 2 (2 noirs).

 

Ohara Koson (1877-1945) Katsushika Hokusai (1760-1849)

 

Dans cette autre estampe de Katsushika Hokusai (1760-1849), on retrouve la même organisation spatiale que l’estampe avec les moineaux ci-dessus.

Il est intéressant de noter que le groupe de 3 femmes est à son tour subdivisé en 2 + 1, c’est-à-dire que les deux femmes sont unies par la toile qu’elles tiennent.

 

 

 

Même subdivision avec les fleurs d’iris et le papillon de Kiitsu Suzuki.

 

Parmi les iris,

– En haut un groupe de 5 répartis en 3 ouverts + 2 fermés mais de couleurs différentes, 3 clairs + 2 sombres.

 

– en bas un groupe de 3 répartis en 2 ouverts + 1 fermé de manière différente mais tous de même couleur.

Détail du kakemono de Kiitsu Suzuki.

 

Autres estampes

– Ohara Koson : Deux oiseaux en vol plus rapprochés, deux canards regroupés au sol, le cou tendu et un canard isolé le cou rentré.

– Imao Keinen : deux grenades avec un perroquet.

– Shiro Kasamatsu : trois daims vus de dos contre deux vus de face. Les deux groupes, 3 + 2, ne se chevauchent pas.

 

 

Sur cette photo réalisée sur ordinateur et qui a reçu un prix en 2014, on retrouve la même distribution traditionnelle 5 = 3 (2 + 1) + 2.

 

Pour l’ikebaniste Ohara, il est intéressant de noter que les subdivisions 3 = 2 + 1 et 5 = 2 + 3 se retrouvent dans la disposition des feuilles d’Iris des arrangements Shakei-Moribana Yoshiki Hon-I Hagumi (Paysage traditionnel aquatique, technique Hagumi), © École Ohara.

Dans le groupe de feuilles avant, qui indique la saison, il y 5 feuilles au printemps et 3 feuilles en été qui se répartissent en :

 

Été : 3 = 2 + 1, 2 « grandes » feuilles + 1 « petite » feuille. Printemps : 5 = 3 + 2, 2 « grandes » feuilles + 3 « petites » feuilles. (les 3 petites feuilles se divisent encore en 2 devant et 1 derrière).

 

 

 

 

Dans l’Emakimono de Kanō Sanraku (1559-1635), intitulé cent Camellia, on retrouve souvent les subdivisions

5 = 3 + 2 et 3 = 2 + 1.

 

Cette répartition 5 = 3 + 2 se retrouve encore dans la disposition des aliments.

Sur la table basse il y a 3 récipients ronds + 2 objets allongés (vaisselle + baguettes).

 

 

Dans de nombreuses autres situations, les subdivisions 3 = 2 + 1 et 5 = 2 + 3 sont présentes.

 

Sur ces images de boîtes d’allumettes, le thème des subdivisions 3 = 2 + 1 et 5 = 2 + 3 se répètent avec de petites variations.

 

Dans tous ces dessins, la hiérarchie est évidente et est similaire à celle de l’Ikebana. Autant dans l’arrangement à 3 éléments que dans celui à 5 éléments, les 2 éléments les plus importants (semblables à Shu-shi et Fuku-shi) sont associés à trois éléments moins importants (éléments semblables aux 3 Chukan-shi du groupe Shu-shi/Fuku-shi.

 

 

 

Dans un Ikebana, contrairement à la plupart des peintures montrées plus haut,  les 5 fleurs du groupe Bande couleur sont divisées en 3 + 2 mais elles sont de même espèce et de même couleur, sans ou avec peu de différenciation entre elles. Ici intervient un concept différent (Voir Article 56, Les six kakis de Mu Qi).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Feuilles d’érable tombées.

Cette façon de diviser les nombres impairs 3 = 2 + 1 et 5 = 3 + 2 se retrouve dans la disposition des 3 ou 5 feuilles d’érable dans les compositions d’automne »Feuilles d’érable tombées» (Voir Article 59, Saisonnalité de la nature).

 

Notez aussi la subdivision 2 + 1 des 3 groupes de chrysanthèmes jaunes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© École Ohara

 

Trois fruits jaunes ronds avec deux qui ont séché.

 

Dans ce Rimpa-Cho avec 5 chrysanthèmes jaunes, la subdivision de ces fleurs en deux groupes est évidente : (2 + 1 = ) 3 + 2 = 5.

Très probablement, cette façon d’arranger 3 ou 5 objets découle de la tradition comme l’arrangement des pierres qui à son tour découle de la triade bouddhique associée au taoïsme (Voir Article 39, Suiseki et Ikebana).

 

«Le nouveau s’ajoute à l’ancien sans le supplanter».

 

Détail d’une illustration du XIIe siècle de Genji monogatari :  5 pins, divisés 3 + 2, dessinés sur un Fusuma (Portes coulissantes).

 

Sur ce paravent réalisé par l’un des derniers représentants du style Rimpa, Kamisaka Sekka (1866-1942), les trois seuls iris blancs sont divisés en 2 + 1.

 

La fugacité exprimée par l’épanouissement différent des trois fleurs est également mise en évidence (Voir Article 22, Influence du bouddhisme sur la structure de l’Ikebana).

 

 

 

Photo publicitaire de poupées japonaises montrant une actualisation de la règle dans laquelle les 5 poupées sont divisées en 3 + 2 et les 3 grandes divisées en 2 + 1.