Le syncrétisme religieux est une des caractéristiques de la culture japonaise et se retrouve dans la symbolique de l’Ikebana.

 

Alors qu’en Occident il y a eu des guerres de religion provoquées par la réforme protestante et le schisme anglican, au Japon le dicton « le nouveau s’ajoute à l’ancien sans le supplanter » a toujours été appliqué. Les nouvelles religions ou philosophies sont incorporées dans les systèmes préexistants. Les moines-guerriers (Sōhei) qui se battent le font, non pas pour défendre leur religion, mais pour avoir ou maintenir des privilèges sur leurs territoires, sur les impôts ou encore sur la nomination des moines généralement décidée par la cour impériale.

 

Ci-contre, reconstitution historique du Sōhei médiéval.

 

               

Le bouddhisme, introduit au Japon en 538 après J.-C., s’est mêlé à la religion native shintō et dans les quelque neuf cents ans qui se sont écoulés avant l’apparition de l’Ikebana au XVe siècle, les symboliques de ces deux religions se sont combinées. Les règles de l’Ikebana se sont formées, en partie, sur ces bases religieuses.

 

Le style « primordial » ou originel des Tatebana et Rikka, dont dérivent tous les autres styles traditionnels de toutes les Écoles, correspond à ce que l’École Ohara appelle le style Chokuritsu-kei dans lequel la branche la plus importante est au centre et en position verticale.

Les branches principales du Rikka sont au nombre de 7 ou 9. Dans l’image ci-contre sont indiqués, parmi les 9 éléments principaux, ceux qui deviendront les trois éléments principaux dans le Chokuritsu-kei de l’École Ohara. Dans le Rikka, il est à noter :

– A : Shu-shi et Fuku-shi sont relativement proches tandis que Kyaku-shi est plus éloigné.

– B : Shu-shi et Fuku-shi sont du côté Yang de la composition, au soleil tandis que Kyaku-shi est du côté Ying, à l’ombre (Voir Article 15, Origine symbolique de l’Ikebana : Tao et la construction du Tai-ji).

 

À l’époque Edo, le Rikka simplifié devient les Shōka/Seika, ne gardant seulement trois branches. Les règles sont maintenues :

– A : Shu-shi et Fuku-shi sont relativement proches alors que Kyaku-shi est plus éloigné (Voir Article 62, Utilisation des nombres impairs en Ikebana).

– B : Shu-shi et Fuku-shi, étant du côté Yang de la composition, sont de même végétal Yang (branche) par rapport à Kyaku-shi qui doit être Yin (fleur) par rapport au groupe Shu-shi/Fuku-shi

– C : Des sept ou neuf branches principales du Rikka, trois seulement sont conservées.

 

Ces trois concepts A, B et C dérivent de l’union d’un symbole bouddhique, la triade bouddhique avec un symbole taoïste, le Tai-ji divisé en côté Yang et côté Yin.

 

La triade bouddhique est introduite au Japon (au début de la période Asuka, vers 550 après J.-C.) avec les peintures représentant Bouddha debout, toujours au centre et entouré de deux personnages mineurs, qui changent selon les besoins. Le personnage à la droite de Bouddha est proche tandis que celui à sa gauche est plus éloigné.

 

 Dès l’époque Heian (794-1185), trois pierres représentant la triade bouddhique sont placées dans les jardins ou peintes sur des kakemono.

 

– Le rocher central 1 et celui à sa droite 2 sont relativement plus proches et représentent la partie Yang/masculine du Tai-ji.

– Le troisième rocher 3, à la gauche du rocher central, est relativement plus éloigné et plus en avant représente son Yin/partie féminine.

(Voir Article 53, De l’Ikebana à la cuisine et à la technique photographique).

 

 

 

 

Intéressant ce triptyque d’Utagawa Kunisada (1786-1865) représentant l’un des serviteurs du dieu Fudō Myōō : deux fleurs de lotus et une feuille sont dessinées selon le modèle de la triade bouddhique.

Soulignons également l’ouverture différente des deux lotus et la subdivision de 3 en 2 + 1 avec le côté Yang/fleurs et le côté Yin/feuille (Voir Article 62, Utilisation des nombres impairs en Ikebana).

 

La disposition selon la triade bouddhique se retrouve fréquemment dans la peinture et plus tard, à l’époque moderne, dans les photographies.

 

Kakejiku, encre sur papier de Gessai Gabimaru (1789-1818)

 

Le peintre surréaliste belge, René Magritte (1898-1967), utilise ce schéma de composition dans deux peintures célèbres. L’agencement des éléments reprend la forme de la triade bouddhique avec 5 = 3 + 2 (Voir Article 69, Naissance des styles en Ikebana).

 

 

Dans la publicité occidentale, le schéma de triade est fréquemment utilisé. C’est le cas du cirque américain Barnum dans laquelle les trois plus gros ours sont disposés selon ce schéma. Le plus gros de tous est au centre avec, à sa droite proche, un mâle et la troisième, plus en avant, une femelle. Les plus petits ours et les hommes ne sont que des auxiliaires.

De même, dans cette publicité suisse plus récente de Coca Cola où les montagnes suisses sont idéalisées et dessinées dans une variante de la triade (le troisième plus petit élément est en arrière des deux autres).

 

 

En revenant à l’Ikebana, les règles de construction issues de la triade bouddhique sont maintenues par l’école Ohara.

 

– A : Shu-shi et Fuku-shi sont relativement proches alors que Kyaku-shi est plus éloigné.

– B : Shu-shi et Fuku-shi, étant du côté Yang de la composition, sont de même végétal. Ils sont Yang (branche) par rapport à Kyaku-shi qui est Yin (fleur).

– C : L’esprit de la triade est présente dans l’utilisation de trois Yaku-eda (Shu-shi, Fuku-shi et Kyaku-shi).

 

 

 

 

 

 

Le concept de la triade bouddhique est encore appliqué dans la disposition des cinq pommes de pin.

– Deux grandes masses pour Shu-shi et Fuku-shi et trois petites dans le rôle de Chukan-chi, côté Yang.

– Kyaku-shi est la fleur rouge Yin placée dans le coin.

 

 

 

Cette composition de Kawase Toshiro, actuel Maître ikebaniste bien connu, est intéressante.

La disposition en forme de triade bouddhique est explicite. Le Kakemono, élément le plus important, est au centre. Le deuxième élément, à sa droite, est remarquable par sa « force » moyenne (haut daï rouge) et par sa proximité. La branche de pin s’étire vers l’élément principal-kakemono et même le recouvre.

Le troisième élément, à la gauche du Kakemono, est le « plus faible » des trois éléments : vase plus fin, sombre et sans couleur et plus « séparé » du kakemono.