Comme expliqué à l’Article 33 (Ikebana et histoire : périodes Muromachi (1336-1573) et Azuchi Momoyama (1573-1603), l’Ikebana est né avec le tokonoma et avec l’art d’agencer les objets (‘Kazari’), une spécialité des Dōbōshῡ de la secte Ji employés sous le contrôle des Shoguns Ashikaga et dont leur nom se termine par ‘ami.

Sa codification, évoquée dans les nombreux manuscrits qui nous sont parvenus, a d’abord été initiée par les Dōbōshῡ pour le Tatebana puis poursuivie et étendue au Rikka par les Ikenobō après la chute des Ashikaga et la disparition consécutive des Dōbōshῡ.

Si la définition des différentes règles est l’œuvre d’auteurs au moins en partie connus à travers les manuscrits, la création initiale de l’Ikebana est l’œuvre de plusieurs personnages, principalement les moines au service à la fois des Shoguns et des Shugo (administrateurs nommés par le Shogun pour gérer une ou plusieurs provinces) mais aussi de certains Shugo eux-mêmes.

Une caractéristique de cette période historique est le ‘Gekokujō’ (de ‘Koku’ = triomphe,  ‘Ge’ = inférieur, ‘’ = supérieur, signifiant littéralement « le bas l’emporte sur le haut » = les classes supérieures se trouvent dépossédées de leur autorité par les classes inférieures). Sous le terme de Gekokujō, on désigne une catégorie d’hommes de couches sociales inférieures qui a conquis, par la force, des positions précédemment occupées uniquement par la noblesse impériale et qui s’est enrichie très rapidement.

 

Les Shugo/Daimyō Basara, à l’époque des trois premiers Shoguns Ashikaga (période Muromachi), dictent la tendance. Ce sont de riches chefs samouraïs qui ne se conforment plus aux us et coutumes de l’époque. Ils recherchent, tant dans l’habillement que dans la vie, un style raffiné défini par leurs contemporains ‘Basara’. Ce nouveau style est ostentatoire, extravagant avec une préférence pour les pratiques chinoises tant dans les arts que dans la vie.

Amoureux du luxe débridé et de l’exhibition dans des vêtements criards et voyants, souvent d’influence chinoise,  les Shugo accumulent les objets précieux à exposer et adoptent des attitudes arrogantes, effrontées et méprisantes envers tout le monde, y compris envers la cour impériale et les empereurs.

Bien que des édits tels que le code Kenmu émis par le premier Shogun Ashikaga Takauji leurs interdissent spécifiquement les attitudes Basara, leurs comportements «exagérés» non formellement acceptés par le shogunat ne sont cependant pas sanctionnés. En effet, ils sont aussi des commandants militaires chargés de beaucoup d’hommes et d’alliés indispensables dans les combats que mène le shogunat.

 

Même les Shoguns de cette époque sont influencés par l’esthétique Basara. Pendant son shogunat de 1368 à 1394, le troisième Shogun Yoshimitsu Ashikaga (1358-1408) est un exemple. Il invite les convives à boire du thé en les faisant asseoir sur des chaises chinoises de préférence rouges recouvertes de peaux de tigre ou de léopard d’un prix élevé. À ces occasions, il expose les Karamono (objets chinois précieux) tels que vases, tasses, coupes à saké, récipients et kakemono chinois.

Son amour pour les objets chinois associé aux revenus conséquents issus du commerce avec la Chine l’amène à accepter le titre de « roi du Japon » que lui offre la dynastie chinoise Ming qui ignore probablement l’existence d’un empereur japonais.

 

Ci-contre, le portrait de Yoshimitsu Ashikaga vêtu de précieux brocarts.

 

Détail d’un paravent de Kanō Naizen (1570 – 1616) : on peut voir un point de vente d’épées réservées aux samouraïs et de peaux de tigre et de léopard à côté.

 

L’utilisation de peaux de tigre et de léopard est également signalée dans le Sennokuden daté de 1542, le plus ancien texte survivant de l’École Ikenobō écrit par le 28e Iemoto selon la tradition (désormais considérée comme fausse). Senno Ikenobō explique comment meubler l’espace dans lequel est placé le Rikka, entre autres suggestions : « Étendre un tapis chinois ou une peau de léopard ou de tigre  » …………..

 

Pendant presque tout le XIIIe siècle, la mode Basara est suivie par une partie de la population des grandes villes. Dans les paravents et les dessins de cette période, la mode Basara est décrite : coiffures, vêtements, chansons etc. Cette mode est aussi introduite dans la peinture qui utilise des couleurs primaires/fondamentales au lieu des couleurs douces habituelles.

 

Pour se faire une idée de la magnificence des vêtements utilisés par les Shugo/Daimyō Basara, il suffit de regarder les vêtements clinquants encore utilisés aujourd’hui dans le théâtre Nō, forme de théâtre née à cette époque (Ze’ami, supposé en être le codeur, a vécu protégé par le Shogun Ashikaga Yoshimitsu).

 

 

 

Voir aussi les vêtements du créateur japonais Yohji Yamamoto qui, en 1997, relance la mode Basara.

 

Le contraste entre ses vêtements et la mode japonaise actuelle reproduit bien le contraste entre les vêtements Basara et les « normaux » de l’époque.

 

 

 

 

 

 

 

 

L’histoire et divers contes légendaires de chevalerie évoquent divers Shugo/Daimyō ayant adopté l’attitude Basara.

 

Ci-contre, dessin tiré de l’Emakimono Taiheiki, période Edo, montrant Yōrito à cheval tirant des flèches, et près de lui, un ami courant désespérément pour tenter de l’arrêter.

 

Toki Yōrito, un Shugo de la province de Mino, est décrit comme un exemple d’attitude Basara, entre autres, pour son comportement méprisant envers les empereurs. À Kyōto, alors que le char de l’empereur à la retraite Kōgon passe, Yōrito ivre, au lieu de lui céder le passage tire des flèches sur son char. Pour cet acte, il est arrêté et décapité.

 

Le violent

Ko no Moronao (? – 1351), premier ‘Shitsuji’ (député du shogun), à l’époque Muromachi, en tant que général des armées du Shogun.

Réputé violent, il est devenu un personnage d’œuvres théâtrales à la fois de kabuki et de bunraku (marionnettes).

 

Interprétation par l’acteur de kabuki Mitsugoro III.

 

 

 

 

 

Le plus cité, grâce aux informations historiques qui nous sont parvenues, est Sasaki Dōyo Takauji (1296-1373). Moine, poète et Shugo de la province d’Omi, connu pour ses somptueuses cérémonies du thé et compositions de poèmes Renga, il est présenté comme l’archétype Basara.

Il est le plus important des poètes-guerriers pour ses poèmes Renga dont quatre-vingt-un sont contenus dans le Tsukubashū, 1356, première anthologie impériale de Renga.

Sasaki Dōyo Takauji aux goûts très raffinés et expert dans les arts qui deviendront « typiquement japonais » (Tatebana, Waka et poèmes Renga, cérémonie du thé, théâtre Nō naissant) ne connaît aucune autre autorité que la force brute.

Il organise des fêtes pour des centaines d’invités (hommes illustres, prélats, poètes, danseurs et courtisanes) comme la fête ‘Hana no moto’ (sous les fleurs) d’une durée de vingt et un jours avec des concours de poèmes Renga, de chants et de danses (Dengaku et Sarugaku) interprétés par des acteurs professionnels. Les ponts menant à l’événement sont recouverts de feuilles d’or et de tapis précieux disposés sous des cerisiers en fleurs. D’immenses vases en laiton contiennent des fleurs parfumées et d’innombrables encensoirs parfument l’endroit. L’intention est de reproduire le paradis bouddhique de la Terre Pure.

Chaises chinoises et nourritures exotiques sont disponibles en abondance et tous les invités de tout statut social reçoivent des cadeaux luxueux tels que des essences parfumées et des muscs, des tissus précieux «empilés comme des montagnes», des pépites d’or, des sabres dans des fourreaux recouverts de feuilles d’or ou de peau de requin.

 

Non rapporté dans les textes d’Ikebana mais seulement dans les textes historiques, Sasaki Dōyo est aussi un expert en Tatebana à une époque où il n’y a pas encore de règles. Il laisse un manuscrit, daté de 1368 intitulé Tatebana Kuden Daiji, (Comment arranger les végétaux). Les Tatebana sont nés de façon « désordonnée » dans la caste des samouraïs lorsque l’esthétique Basara jouit d’une grande faveur. Par la suite, ils sont codifiés à l’époque du huitième Shogun Tokugawa lorsque cette esthétique Basara, passée de mode, est remplacée par une esthétique plus Zen.

 

Le concept Basara a été repris et adapté. On le retrouve en 2012, par exemple, dans le Sengoku Basara, dessin animé tiré du jeu vidéo Devil King.

 

 

Bibliographie :

Edited by Jeffry P. Mass World : The Origin of Japan’s Medieval

J.Whitney Hall and Toyoda Takeshi : Japan in the Muromachi age

Elison and B. L. Smith : Warlords, Artists and Commoners, Japan in the Sixteenth Century

Sadako Ohki : Tea culture of Japan                                       

Makoto Ueda in Japan

Literary and Art Theories

Sato Kazuhito, Anne Bouchy : “Des gens étranges a l’allure insolite”